L’interdit et la transgression

L’équation « Interdit » plus  « Transgression » égale  « Punition » est posée par les dieux dès l’origine du monde. Elle servira de base pour les systèmes judiciaires et éducatifs. Cette équation  exprime clairement la façon dont la pensée mythique pose la question du pouvoir dans la relation à deux : il n’y a pas de compromis, pas de négociation possible.

Celui qui pose l’interdit est le dieu (qui exprime ainsi sa toute puissance) et le transgresseur est l’humain, (qui tente d’exprimer sa liberté, ou qui est simplement curieux ou maladroit) mais vous vous doutez qu’à ce petit jeu, le dieu sort toujours vainqueur : si le désobéissant ne perd pas la vie instantanément, il perd ce qu’il  a de plus cher et cette perte le détruira.

Mythes

mythologie hébraïque : l’origine du mal parmi les humains

Le seigneur Dieu a créé Adam et Eve et les a installés dans un jardin planté d’arbres dont les fruits étaient leur nourriture, avec interdiction de manger le fruit de l’arbre de la connaissance du bien et du mal, sous peine d’en mourir.

Le serpent incita la femme à manger ce fruit en lui disant : « Vous ne mourrez pas, mais le jour où vous en mangerez, vos yeux s’ouvriront et vous serez comme des dieux, connaissant le bien et le mal. » La femme, voyant que le fruit de l’arbre était bon à manger et précieux pour ouvrir l’intelligence, en prit, en goûta et en présenta à son mari qui le prit et en mangea. Alors leurs yeux à tous deux s’ouvrirent et ils virent qu’ils étaient nus. Ils prirent des feuilles de figuier, les assemblèrent et s’en firent des ceintures. Et quand le seigneur Dieu vint leur rendre visite le soir, ils se cachèrent. Quand Il les appela, Adam répondit : « Je me suis caché car je suis nu. » Le seigneur Dieu dit : « Qui t’a révélé que tu es nu ? Aurais-tu mangé du fruit de l’arbre que je t’avais interdit ? »

L’homme et la femme ayant avoué leur désobéissance, le seigneur Dieu dit « voici que l’homme est devenu comme l’un de nous, pour la connaissance du bien et du mal. Prenons garde qu’il n’étende la main et qu’il prenne du fruit de l’arbre de vie, qu’il en mange et ne vive éternellement. »

Après avoir expulsé l’homme du jardin merveilleux et l’avoir condamné à cultiver la terre d’où il avait été tiré, le seigneur Dieu posta à l’orient du jardin d’Eden les chérubins armés d’une épée à la lame flamboyante, pour garder le chemin de l’arbre de vie.”
(Chapitre 3 de la Genèse, cité d’après La Sainte Bible)

Adam et Eve partagent le fruit défendu, par Lucas Cranach, 1531.

Adam et Eve partagent le fruit défendu, par Lucas Cranach, 1531.

Adam et Eve chassés du paradis

Adam et Eve chassés du paradis, XIXe siècle. Sous la direction de Dieu représenté comme un vieillard drapé dans une toge antique, un ange armé repousse les deux fautifs. Cette gravure d’un recueil d’Histoire sainte catholique a pour particularité de montrer dans le ciel la figure de la Vierge Marie qui dans l’interprétation catholique de la Bible est la nouvelle Eve, la femme pure et obéissante qui rachète la faute de la première femme désobéissante.

Mythologie grecque : l’origine du mal parmi les humains

Photo Pandore d’Alexandre Cabanel

Pandore, par Alexandre Cabanel

Le titan Prométhée avait volé le feu des dieux pour l’offrir aux humains qui ne le possédaient pas encore. Ce magnifique cadeau augmentait considérablement la puissance des humains et Prométhée se doutait que le roi des dieux allait chercher le moyen de rabaisser le caquet de l’humaine engeance. Il avait fait promettre à son frère de ne jamais accepter un cadeau de Zeus.

A cette époque lointaine, les seuls humains sur terre étaient des hommes, très heureux de leur sort. Sur l’ordre du dieu suprême Zeus, le dieu forgeron Héphaïstos façonna, à partir d’argile et d’eau, une nouvelle créature : une femme d’une merveilleuse beauté.

On l’appela Pandore car les dieux lui firent tous les dons (l’intelligence, la beauté, l’art de la persuasion, la curiosité…) Zeus lui-même lui offrit une « boîte », avec interdiction de l’ouvrir, puis il la proposa en mariage à Epiméthée, frère de Prométhée.

Devant la beauté de Pandore, Epiméthée oublia sa promesse de ne rien accepter de Zeus et il prit la belle épouse.

Pandore ne résista pas longtemps à l’envie d’ouvrir la boîte mystérieuse. Aussitôt, tous les malheurs que Zeus y avaient enfermés se répandirent sur la terre jusque là heureuse : la Vieillesse, la Maladie, la Guerre, la Famine, la Folie et, le pire de tout, la Mort qui jusqu’alors ne frappait pas les hommes. Pandore s’empressa de refermer la boîte, mais trop tard ! Ne resta prisonnière que l’Espérance, qui depuis lors reste toujours au fond du cœur des humains et les aide à supporter tous leurs maux.
(D’après Hésiode, Les Travaux et les jours)

Dans les deux récits des origines que je viens de citer, le regard amène la femme au désir et son désir la conduit à la transgression de l’interdit. Cette transgression a des conséquences dramatiques pour l’humanité entière, car les mythes qui expliquent l’origine des êtres et des choses affirment que la punition s’est transmise aux descendants. 

D’innombrables mythes qui ne se rapportent pas à la création racontent également des transgressions, mais leurs terribles conséquences ne frappent que l’auteur de la transgression, heureusement pour la survie de l’humanité ! Je n’en cite que deux, parmi les plus célèbres.

Mythologie grecque

 

Orphée et Eurydice, par Rubens
Le peintre a choisi de concentrer toute la lumière du tableau sur la jeune femme, tandis que le couple des dieux des morts est dans l’ombre. A voir la proximité d’Orphée et de son épouse, on devine qu’il ne tiendra pas longtemps avant de vouloir la prendre dans ses bras, malgré l’interdiction.

Le poète-musicien Orphée vivait heureux avec son épouse Eurydice. Mais la jeune femme mourut piquée par un serpent venimeux. Au fond de sa détresse, Orphée puisa la force de descendre au séjour des morts pour implorer Hadès, le dieu des morts, de lui rendre son épouse. Orphée mit tellement de talent dans son chant de supplication qu’il réussit à attendrir le terrible Hadès qui l’autorisa à repartir au séjour des vivants, suivi de son épouse, mais avec interdiction formelle de la regarder tant qu’ils n’avaient pas quitté le monde des morts.

Eurydice marchait derrière son mari dans le tunnel qui les conduisait vers la lumière et la vie, mais alors qu’ils étaient tout près d’arriver au but, Orphée ne résista plus au désir de regarder sa bien-aimée. Il se retourna mais elle disparut aussitôt, happée par le royaume des morts. Désespéré, Orphée ne tarda pas à la rejoindre définitivement, tué dans des circonstances qui varient selon les versions.

mythologie hébraïque 

Loth, neveu d’Abraham, s’était installé dans la riche ville de Sodome, tandis qu’Abraham continuait sa vie de nomade gardien de troupeaux. Par égard pour Abraham qui le suppliait d’épargner les justes de la ville maudite, le seigneur Dieu envoya deux anges dire à Loth de s’enfuir avec sa famille, car Il allait détruire la ville à cause de ses nombreux péchés. Les fuyards avaient pour consigne de ne pas se retourner au moment où la destruction s’abattrait sur la ville. “Alors le Seigneur fit tomber sur Sodome et Gomorrhe une pluie de soufre et de feu venue du ciel. La femme de Loth, qui avait regardé en arrière, devint une colonne de sel.”

Loth et ses filles arrivèrent sains et saufs dans la ville voisine.
(Chapitre 19 de la Genèse, résumé d’après La Sainte Bible)

La femme de Loth transformée en statue de sel, gravure sur bois, Chronique de Nuremberg, 1493.

Contes

Les contes ne sont pas aussi rigides dans leur interprétation des interdits que les mythes.

Les héros des contes étant des êtres jeunes, encore en devenir, les contes punissent celui ou celle qui a désobéi mais sans le détruire : l’épouse de Barbe Bleue est menacée de mort pour avoir ouvert le cabinet interdit, mais ses frères arrivent à temps pour la sauver, et elle en est quitte pour la peur. Ayant dépassé l’heure limite de minuit, Cendrillon perd ses magnifiques parures, mais il lui reste encore une unique chaussure qui lui permettra de prouver qu’elle est bien celle que le prince recherche. Blanche Neige est empoisonnée par la sorcière à qui elle a ouvert la porte malgré l’interdiction des nains, mais elle se réveillera de son sommeil qui semble mortel. 

les interdits dans les contes

 

Dans tous ces récits, les héros ont volontairement transgressé l’interdit. Il arrive aussi qu’on désobéisse involontairement. Par exemple quand la jeune princesse monte à la tour de la vieille fileuse, elle va se piquer avec le fuseau sans savoir que le roi avait donné ordre de bannir tous les fuseaux du royaume. Mais après cent ans de sommeil, elle sera en pleine forme pour reprendre le fil de sa vie.

 

 

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