L’objet merveilleux protecteur

Les récits mythologiques de toutes origines parlent d’objets merveilleux qui protègent  une cité, un royaume ou un peuple. Ces objets assurent à ceux qui les possèdent la fécondité des humains et des animaux, de bonnes récoltes, la protection contre les maladies, etc.  Ils ont des origines diverses qui manifestent toujours un lien avec les divinités.

Les objets peuvent être tombé du ciel sans raison particulière (ou du moins, la tradition expliquant l’arrivée du cadeau divin ne nous est pas parvenue). Ainsi, était conservée dans le temple d’Athéna à Athènes, une statue en bois appelée Palladion, qui était, disait-on, tombée du ciel.

Ou bien l’objet était par sa nature considéré comme manifestant un lien avec la divinité (lire  ci-après La pierre de Jacob), ou bien l’objet a été fabriqué à l’initiative de la divinité et selon ses instructions (lire ci-après L’arche d’alliance) . Pour ces diverses raisons, l’objet est sacré et doit être traité avec le plus grand respect, et même avec crainte, car il peut servir de support de la colère divine.

Monde grec et romain

– L’Omphalos

Dans le monde grec, une pierre sacrée appelée Omphalos (nombril) conservée dans le temple de Delphes, était censée marquer le nombril du monde. On croyait qu’il s’agissait de la pierre emmaillotée donnée à Cronos qui l’a avalée pour se débarrasser d’un de ses fils. (Voir le commentaire sur le Pouvoir absolu dans le deuxième épisode.) Selon un rituel commun à tout le bassin méditerranéen, on vénérait la pierre en lui versant de l’huile dessus tous les jours. (Notons au passage qu’en Inde, c’est le beurre fondu qui est versé dans les offrandes, depuis la plus haute antiquité jusqu’à nos jours)

– Les boucliers des prêtres saliens

Le roi mythique Numa, successeur de Romulus le fondateur de Rome, avait trouvé dans sa maison un bouclier de bronze surgi de nulle part. Considérant qu’il venait du ciel, il en fit faire onze copies parfaitement semblables pour que l’original soit caché en sécurité parmi les copies et créa un groupe de prêtres (les prêtres saliens) chargés de les conserver et de les exhiber en procession en l’honneur du dieu Mars, deux fois par an. Au cours de la procession, les prêtres chantaient et dansaient en frappant les boucliers avec une lance.

Les prêtres portant les boucliers saliens

Jason rapporte la toison d’or au roi Pélias, céramique antique, IVe siècle avant notre ère, musée du Louvre, Photo Marie-Lan Nguyen

La toison d’or

Un récit de la mythologie grecque nous raconte des aventures liées à un célèbre objet magique tombé du ciel : la toison d’or. C’était la toison (la fourrure) d’un bélier ailé qui avait permis à deux enfants d’échapper aux persécutions de leur belle-mère. Ayant traversé la mer avec les enfants montés sur son dos, l’animal se posa en lieu sûr. Il fut alors offert en sacrifice à Zeus et sa toison de métal précieux fut déposée dans le temple, sous la garde d’un dragon, car elle apportait la prospérité à celui qui la possédait.

Le héros Jason monta l’expédition des Argonautes (les navigateurs du bateau Argos) pour s’en emparer.

Le roi du pays promit de donner la précieuse toison si Jason parvenait à accomplir des épreuves :  il devait dompter des taureaux aux sabots de bronze, leur faire labourer un champ consacré à Arès (dieu de la guerre) et semer dans ce champ les dents d’un dragon.  Mais ce n’était pas tout !

Des dents de dragons sortirent des géants armés qu’il fallut combattre. Une fois les géants massacrés, il fallait encore endormir le dragon qui gardait la toison d’or. Le héros parvint à tout réussir grâce à l’aide de la fille du roi, Médée, qui était tombée amoureuse de lui et qui était magicienne.

Mais, reniant sa promesse, le roi refusa de lui donner la Toison. Jason et Médée la volèrent et  s’enfuirent avec elle sur l’Argos. Comme le roi les poursuivait, Médée donna à Jason une terrible preuve d’amour : elle tua son jeune frère qu’elle avait pris comme otage et le coupa en morceaux. Le roi qui les poursuivait fut obligé d’arrêter son bateau pour recueillir un à un les membres de son fils, ce qui permit aux Argonautes de s’enfuir.

Jason aurait dû se méfier d’une femme si impitoyable, mais, fier de sa réussite, il l’épousa et elle régna à ses côtés, jusqu’à ce que… (voir le thème traité à l’occasion de  l’épisode 9 : “Violences en famille”.

En tant qu’objet sacré déposé dans un temple, la toison d’or est connue uniquement par ce récit. Elle n’a jamais fait l’objet d’un culte, contrairement à  d’autres objets dont l’existence matérielle est attestée par des témoignages antiques, même si leur action merveilleuse ne relève que du récit.

Monde arabe

Le monde sémitique et arabe conservait des bétyles, pierres sacrées réputées être tombées du ciel. Il y en a encore une à La Mecque, la Pierre Noire, conservée sous un voile noir et qui sert de centre à des processions circulaires. Les pèlerins tendent le bras vers elle et tentent de la toucher parce qu’elle symbolise un lien avec le ciel.

Mahomet et la pierre de la Kaaba, manuscrit arabe, vers 1315,

Bibliothèque de l’université d’Edimburg.

Je transcris le commentaire de Wikicommons à propos de cette image d’un manuscrit arabe médiéval : “Le prophète Muhammad résout une dispute concernant la pose de la pierre noire à Al-Kaaba. Au centre, le prophète Mahomet, avec deux tresses, pose la pierre sur un tapis tenu aux quatre coins par des représentants des quatre tribus, de manière à ce que tous aient l’honneur de la soulever. Le tapis est un kelim d’Asie centrale. Derrière, deux autres hommes soulèvent le rideau noir qui cache les portes du sanctuaire. Ce travail peut être attribué au Maître des scènes de la vie du Prophète.”

Monde sémitique

La pierre de Jacob

Dans la Bible, il y a des pierres vénérées parce qu’elles sont en rapport avec le ciel. Par exemple, dans le chapitre 28 de la Genèse, il est dit que le patriarche Jacob, alors en voyage, coucha par terre, en mettant sous sa tête une pierre. Pendant la nuit, il fit un rêve, dans lequel il voyait une échelle le long de laquelle des anges montaient et descendaient et tout en haut de l’échelle, un dieu lui promit son aide.

Endormi sur une pierre, Jacob rêve d’une échelle magique conduisant à Dieu,

gravure du XIXe siècle.

« Jacob s’éveilla de son sommeil et il dit : – Certainement, l’Éternel est en ce lieu, et moi, je ne le savais pas! Il eut peur et dit : Que ce lieu est redoutable! C’est ici la maison de Dieu, c’est ici la porte des cieux! Et Jacob se leva de bon matin; il prit la pierre dont il avait fait son chevet, il la dressa pour monument, et il versa de l’huile sur son sommet. Il donna à ce lieu le nom de Béthel; mais la ville s’appelait auparavant Luz. »

Jacob verse de l’huile sur la pierre qui lui a servi d’oreiller pendant son rêve,  (illustration de Jim Padgett, 1984, courtesy of Distant Shores Media/Sweet Publishing)

La peur qui s’empare de Jacob à son réveil est à mettre en lien avec le thème de la rencontre du dieu : entrer sans autorisation sur le territoire du dieu expose à la destruction. C’est pourquoi il s’empresse d’effectuer un rituel de marquage du lieu en tant que territoire en lien avec le ciel (la pierre dressée), accompagné d’un rituel d’offrande (huile versée) et d’un changement de nom (Luz devient Bethel, mot lié à bétyle), souvenir matériel de l’événement qu’a constitué ce rêve venu du ciel.

 

L’arche d’alliance

Dans la Bible, le chapitre 25 du livre de l’Exode raconte en détail la fabrication de ce coffre qui conservait les tables de la loi données à Moïse par le dieu des Hébreux. C’était un coffre en bois d’acacia recouvert d’or à l’extérieur et à l’intérieur. Son couvercle était réputé être le trône du dieu des Hébreux. Ce coffre transporté par les prêtres était doté d’un pouvoir immense de protection, mais aussi de destruction.

 

L’arche d’alliance portée par les prêtres accompagne les Hébreux vers la Terre promise, gravure du XIXe siècle.

Après être restés quarante ans dans le désert, les Hébreux commencent à envahir le pays de Canaan, car leur dieu a  promis de les aider à le conquérir en détruisant les peuples qui y vivent. La première ville dont ils font le siège est Jéricho. Josué, le successeur de Moïse à la tête des Hébreux,  promène l’arche autour de la ville de Jéricho pendant 7 jours. Le septième jour, au son des trompes sonnées par les prêtres porteurs de l’arche, les murailles de l’enceinte s’écroulent et la ville est ensuite détruite, avec tous ses habitants.

Les murailles de Jéricho s’écroulent, gravure du XIXe siècle.

Parmi les peuples que combattaient les Hébreux, il y avait les Philistins, qui  parvinrent à s’emparer de l’arche. Ils l’emmenèrent dans leur ville d’Ashdod et la déposèrent dans le sanctuaire de leur dieu Dagon. Le lendemain, la statue du dieu Dagon fut retrouvée tombée à terre. Elle fut remise en place, mais  le jour suivant, on la retrouva à nouveau tombée et de plus, brisée. En même temps, les habitants de la ville étaient frappés d’un mal très désagréable : de violentes crises d’hémorroïdes !

Ne voulant plus garder l’arche dans leurs murs, les habitants d’Ashod la transportèrent dans une autre ville, dont les habitants furent à leur tour frappés de la même maladie. Transportée dans une autre ville, l’arche rendit les habitants très malades : “Les gens qui ne mouraient pas étaient frappés d’hémorroïdes, et les cris de la ville montaient jusqu’au ciel.’ (Premier livre de Samuel, chapitre 5).

L’arche sème la terreur chez les Philistins, gravure du XIXe siècle. Les statues des dieux philistins sont elles-mêmes détruites par la colère du dieu des Hébreux.

Au bout de sept mois de malheur, les Philistins décident de se débarrasser de l’arche : ils la déposent sur un char avec des offrandes d’or et laissent les vaches qui tirent le char aller où elles veulent. Elles partent spontanément vers la région où vivent les Hébreux.

L’arche d’alliance renvoyée par les Philistins, gravure du XIXe siècle.

Les Hébreux de la ville où les vaches ont conduit l’arche se réjouissent de son retour, mais certains d’entre eux ont l’audace de la regarder ce qu’elle contient. Malheur à eux !

“Le Seigneur frappa les gens de Beth Shemesh, lorsqu’ils regardèrent dans l’arche ; il fit périr soixante-dix hommes parmi le peuple. Et le peuple fut dans la désolation, parce que le Seigneur l’avait frappé d’une grande plaie.

Les gens de Beth Shemesh dirent: Qui peut subsister en présence du Seigneur, de ce Dieu saint ? Et vers qui l’arche doit-elle monter, en s’éloignant de nous ?” (I Samuel, 5, 19-20)

Finalement, l’arche fut confiée aux habitants de Kirjath Jearim qui consacrèrent (au sens religieux du terme) un homme pour sa garde.

C’est dans ce village proche de Jérusalem que les archéologues mènent actuellement des fouilles pour tenter de retrouver, non pas l’arche puisqu’on sait qu’elle a ensuite été transportée au temple de Jérusalem, mais des traces de l’époque où elle y séjourna (voir le numéro de janvier 2019 de Sciences et Avenir). 

Le magazine détaille les lieux où certains commentateurs imaginent que l’arche se trouve maintenant cachée, en Israël ou en Europe.

L’arche est nommée plus de 200 fois dans les livres bibliques qui racontent la sortie d’Egypte et l’installation en Terre Promise, puis elle n’est plus mentionnée dans la Bible. Qu’est-elle devenue ? Les mystères de sa puissance et de sa disparition continuent à alimenter la recherche archéologique et la spéculation ésotérique.

objets merveilleux et réalité contemporaine

Quelle était la réalité qui a donné naissance à ces récits d’objets protecteurs des peuples du Bassin méditerranéen ? Il n’en reste pas de trace matérielle nous permettant d’en juger. Palladion, omphalos, boucliers saliens et arche d’alliance ont tous disparu dans les oubliettes de l’histoire. Pourtant, l’arche d’alliance est encore célèbre et recherchée. Pourquoi suscite-t-elle un tel engouement ?

De tous les objets protecteurs, elle est celui qui est le plus précisément décrit.  Dans les récits, sa puissance protectrice sert surtout à détruire les ennemis du peuple qu’elle protège. On peut penser que si les récits bibliques insistent sur le côté destructeur de l’arche, c’est  parce que les Hébreux étaient en situation d’envahisseurs. Elle se rattache donc aussi aux objets magiques qui aident les combattants, tels que je les évoque dans le thème “Anneaux et autres objets magiques”. Quand les Hébreux ont été officiellement constitués en nation, avec des rois et une capitale pourvue d’un temple, l’objet n’a plus eu besoin d’être présenté comme destructeur et il a disparu des récits.

Aujourd’hui, il est intéressant de constater que l’arche manifestait la puissance divine :

  • En brisant en morceaux les statues des autres dieux,
  • En détruisant les villes et les habitants des autres peuples,
  • En détruisant les membres de son propre peuple qui ne pratiquent pas les rites corrects.

De nos jours, faute d’intervention magique, de semblables destructions censées manifester une puissance divine se font à l’aide d’explosifs. La pensée mythique est encore parmi nous, elle crée des récits et elle passe à l’acte.

Partagez
Partager sur print
Partager sur email
Partager sur facebook
Partager sur twitter
Partager sur linkedin
Partager sur pinterest
Fermer le menu