Les seins des femmes animales

Les seins des femmes animales sont si séduisants que l’homme mythique s’approche d’elles, malgré le danger de se faire dévorer.

Mésopotamie

L’animalité  comme  signe  de  puissance

A première vue, cette représentation pourrait être celle  de la déesse nue que nous avons déjà rencontrée dans l’article précédent.

Mais cette divinité ne soutient pas ses seins. Ses mains brandissent deux attributs de pouvoir et son corps est nettement animalisé : ailes et pattes de rapace. Elle domine deux lions couchés et deux énormes chouettes aux yeux dilatés semblent ses gardes du corps.

C’est une des plus anciennes images de la féminité dangereuse, porteuse d’une puissance magique.

Plaque de terre cuite, dite plaque Burney ou The Queen of the Night, représentant une déesse ailée (Ishtar, Ereshkigal ou Lilith ?), entre 1792 et 1750 avant notre ère, British Museum.

Grèce antique

Dans la mythologie grecque, la dualité des corps mi- humains mi-animaux concerne aussi les mâles : les satyres (tête et torse d’homme, cornes et pattes de boucs) et les centaures (tête et torse d’homme sur corps de cheval) incarnent une sexualité sauvage, étrangère aux rites sociaux de la séduction et aux rites sacrés du mariage : l’enlèvement et le viol sont leurs pratiques habituelles pour s’accoupler avec une femme. Ces accouplements permettent seulement la satisfaction d’un désir, ils ne sont jamais féconds.

Côté féminin, les femmes animales sont de deux types. Il y a des femmes animales qui existent depuis l’origine du cosmos. Elles ont un rôle défini par le destin. D’autres sont nées sous forme féminine harmonieuse mais ont été métamorphosées en monstres pour des raisons diverses.

Les  divinités  animales  des  origines

Les harpies

Divinités à tête et buste de femmes sur des corps d’oiseaux, elles sont au nombre de trois. Leurs noms varient selon les auteurs. Qualifiées de « Chiennes de Zeus » par un poète, elles sont ses messagères pour punir un coupable en lançant leurs déjections sur lui ou en déchaînant une tempête.

Gravures anciennes présentant les harpies comme des femmes-oiseaux.

Deux Argonautes chassent les harpies qui harcelaient le roi Phinée. Gravure du 17e siècle illustrant les Métamorphoses d’Ovide.

Détail de la gravure précédente. L’artiste a enjolivé la représentation traditionnelle des femmes oiseaux en leur ajoutant une queue de serpent. On voit nettement par quel moyen dégoûtant elles harcèlent le roi.

Le roi Phinée qui était devin, avait découvert certains secrets de la race humaine. En punition de son audace, Zeus le rendit aveugle et envoya les harpies le harceler. Quand le navire des Argonautes à la recherche de la Toison d’or fit escale chez lui, il leur demanda de chasser les trois monstres qui souillaient sa nourriture. Ceci fait, en remerciement, il leur indiqua le chemin et les épreuves qui les attendaient.

Echidna femme-serpent

Son nom signifie Vipère en grec ancien. Femme par la tête et le buste, elle est pour le reste un serpent. Elle vit dans les profondeurs de la terre et est la mère de nombreux monstres, engendrés le plus souvent avec Thyphon, une sorte de dragon des tempêtes. Parmi une abondante progéniture, ses enfants les plus célèbres sont Cerbère (le chien à trois têtes gardien des Enfers), la Chimère (lion pourvu d’une tête de chèvre sur le dos et d’une queue de serpent), le lion de Némée et l’Hydre de Lerne (deux monstres tués par Héraclès) et la sphinge. Aucun héros humain ne s’est jamais opposé à elle. 

Echidna, sculpture du jardin de Bomarzo, Italie. 16e siècle. L’artiste a transformé chaque jambe en une queue de serpent.
Je n’ai pas trouvé de représentation antique de ce personnage. Par contre, la femme serpent est très présente dans le monde de l’illustration contemporaine : BD, fanzines, héroïc fantasy… 

Echidna, dessin de B.Vallejo, 1991, sur le site nccri.ie. Version sexy et terrifiante, avec des têtes de serpents tatouées sur les seins.

Echidna, dessin sur le site ac-nancy-metz.fr.
Version sexy et gentille, mis à part les très longs ongles…

La Sphinge

Aujourd’hui, on dit « Le Sphinx », mais les textes et les représentations antiques attribuent à ce monstre le genre féminin.

Elle est la fille incestueuse d’Echidna unie à l’un de ses enfants monstres. Elle a le corps d’un lion, le buste d’une femme et des ailes de rapace. Comme les harpies, elle est envoyée par les dieux pour persécuter les humains en punition de leurs crimes. Le cas qui a été retenu par les poètes est celui de son envoi à Thèbes. Postée en embuscade aux portes de la ville, elle arrêtait tous ceux qui voulaient y entrer ou en sortir et leur posait une énigme. Comme ils ne savaient pas la réponse, elle les tuait. Seul Œdipe résolut l’énigme et la Sphinge se suicida en se fracassant du haut d’un rocher.  

 Le justicier et le crime puni varient selon les auteurs : selon certains, la Sphinge fut envoyée par Zeus pour punir le meurtre de Laïos roi de Thèbes ; selon d’autres, Héra (déesse du mariage) lui donna pour mission de punir un crime commis par Laïos lui-même : il avait enlevé, violé et tué un beau jeune homme. La punition collective pour un crime individuel semblait normale à l’époque !

La Sphinge, statues de l’époque archaïque.
Ci-dessus, au Musée national archéologique d’Athènes.
Ci-contre, au Musée archéologique de Mycènes.

Œdipe et la Sphinge, sur des céramiques grecques du Ve siècle avant JC. Dans un cas, l’homme s’oppose calmement et frontalement à la femme animale. Dans l’autre, il est en situation d’infériorité.

Du Moyen-Age à l’époque moderne, le mythe continua d’inspirer écrivains et artistes, car il met en scène le triomphe de la raison sur la pulsion destructrice. 

Œdipe et la Sphinge, miniature du livre de Paul Orose, Histoire contre les Païens. Manuscrit daté vers1440 – 1450. L’artiste n’a pas oublié les longs cheveux, parure indispensable de la féminité à l’époque.

Œdipe expliquant d’énigme de la Sphinge, détail du tableau d’Ingres, 1825, Musée du Louvre.
L’artiste campe un héros paisible, sûr de lui, qui réussit par le raisonnement à dominer la pulsion destructrice incarnée par le monstre tapi dans l’ombre du rocher et dont les seins exposés à la lumière soulignent bien la féminité.

Sur ces deux oeuvres, on retrouve les deux façons de poser la rencontre : un homme sûr de lui ou en situation d’infériorité, comme on l’a vu sur les deux céramiques antiques.

Œdipe et la Sphinge, détail du tableau de Gustave Moreau, 1864. Metropolitan Museum of Art, New York. Une mise en scène particulièrement angoissante : le héros est coincé contre le rocher ; les pattes avant du monstre menacent son cœur et les pattes arrière écrasent sa virilité !

Hercule abolissant les vices de l’ancien gouvernement, partie centrale d’un triptyque de Clément Belle intitulé Allégorie de la Révolution française, vers 1790. Dépôt du Musée du Louvre au Musée de la Révolution française. Vue d’ensemble du panneau central.

Ci-contre, détail d’Hercule en train d’écraser la Sphinge qui incarne les vices de la royauté et dont la féminité est bien mise en avant !

Jolies femmes devenues monstres animaux

Scylla , la  femme  aux  chiens

Scylla était une belle nymphe marine. Un jour qu’elle se baignait dans une fontaine, le dieu marin Glaucos l’aperçut et tomba amoureux d’elle. Hélas, quand il lui fit un tendre aveu, elle ne partagea pas ses sentiments. Il alla donc demander l’aide de la magicienne Circé. Celle-ci lui donna une potion à verser dans la fontaine pour changer les sentiments de la belle envers lui.

Quand Scylla pénétra dans la fontaine où Glaucos avait versé la potion, des têtes de chiens à long cou poussèrent autour de sa taille. Elle-même ne pouvait plus parler mais seulement aboyer. Glaucos comprit trop tard que la magicienne l’avait trompé : elle-même amoureuse de lui, elle avait saisi l’occasion de se débarrasser de sa rivale.

Scylla sur une céramique grecque à figures rouges (450-425 avant JC). Musée du Louvre.

Glaucos assiste impuissant à la métamorphose de Scylla, gravure de George Sandys pour Les Métamorphoses d’Ovide, 1632.

La métamorphose de Scylla, gravure de Johan Willem Baur pour les Métamorphoses d’Ovide, 17e siècle.

 

 

Les chiens de Scylla dévorant les marins d’Ulysse, gravure de Theodor van Rhulden, 17e siècle.

Horrifiée de sa métamorphose, la pauvre Scylla se jeta à l’eau et alla se cacher sous un rocher dans le détroit de Messine. Et depuis lors, ses chiens allongent leurs cous pour dévorer les marins qui passent. Les bateaux qui tentent de leur échapper risquent d’être aspirés par Charybde, un gouffre monstrueux placé de l’autre côté du détroit.

Aucun héros ne tenta de la détruire : Ulysse lui échappa mais elle dévora plusieurs de ses compagnons.

Les Sirènes, femmes oiseaux de l’Antiquité

L’enlèvement de Perséphone, par Pâris Bordone, 16e siècle. Fondation Bemberg à Toulouse.

Au début de leur histoire, les Sirènes étaient trois charmantes nymphes, suivantes de Perséphone, la fille de Déméter, déesse de l’agriculture. Leurs noms varient selon les auteurs. On trouve le plus souvent Leucosie (la blanche), Ligée (à la voix claire) et Parthénope (aux yeux de jeune fille).

Un jour, leur jeune maîtresse disparut et les trois nymphes furent incapables d’expliquer à Déméter ce qu’elle était devenue.

Furieuse et désespérée de la disparition de sa fille adorée qu’elle élevait seule, Déméter punit les Sirènes en les transformant en femmes oiseaux. (Le dieu Soleil finit par informer la déesse qu’il avait vu la terre s’ouvrir, le temps de permettre à Hadès d’emporter Perséphone dans son royaume souterrain.)

De leur côté, à tire-d’aile, les Sirènes se réfugièrent sur une plage au sud de l’Italie. Là, comme elles chantaient leur détresse, leurs voix merveilleuses attirèrent des marins de passage. Mais quand ils débarquèrent, ils furent horrifiés de leur apparence. Alors elles les tuèrent et les dévorèrent. Et cela devint leur nouveau mode de vie : attirer les hommes par leur chant et les tuer, faute de pouvoir s’en faire aimer. Leur chant était irrésistible : en l’entendant, les marins ne pouvaient s’empêcher d’arrêter leur bateau et de débarquer. 

Seuls deux héros échappèrent aux chants magiques des Sirènes : Orphée et Ulysse.

Le chant d’Orphée vainqueur des Sirènes

Embarqué sur le navire des Argonautes en quête de la toison d’or, le poète Orphée rendit plusieurs services à ses compagnons par son chant. Il leur permit notamment d’échapper aux Sirènes : quand l’Argos fut près d’elles, il se mit lui-même à chanter en jouant de la lyre et son chant couvrit celui des Sirènes. Indifférents aux appels des monstres, les marins continuèrent paisiblement leur voyage.

Les Sirènes fuyant devant le chant d’Orphée, gravure du 17e siècle. 

La chute des Sirènes, céramique antique.

La ruse d’Ulysse détruit les Sirènes

En route pour son île d’Ithaque, Ulysse savait qu’il allait passer près des Sirènes. Il boucha les oreilles de ses compagnons avec de la cire et se fit solidement attacher au mât du navire. Le héros aperçut « le rivage tout blanchi d’ossements et de débris humains, dont les chairs se corrompaient » (Homère, chant XII de L’Odyssée). Pourtant, en entendant le chant des Sirènes, il voulut, comme tous les autres auditeurs, aller les rejoindre. Mais il eut beau hurler l’ordre d’accoster, les marins n’entendaient rien et le navire continua sa route.

Humiliées, les Sirènes oiseaux se jetèrent dans la mer et s’y noyèrent. 

Parthénope, la sirène gardienne de Naples

Certains auteurs disent que Parthénope, en voyant Ulysse, avait été séduite par la beauté et le courage du héros. Désespérée de savoir que l’aimer lui était interdit, c’est par amour qu’elle se suicida, non par orgueil.

Les corps des Sirènes vaincues furent emportés par les flots en divers points du rivage. Celui de Parthénope arriva près de Naples. Les habitants l’ensevelirent dans un beau tombeau, lui élevèrent un temple et organisèrent des jeux funéraires gymniques en son honneur. Depuis, elle veille fidèlement sur la prospérité de la ville, où plusieurs œuvres d’art célèbrent encore sa mémoire.

La sirène Parthénope éteignant de son lait le feu du Vésuve, fontaine de Naples 16e siècle.

Ci-dessus, vue d’ensemble.

Ci-contre, détail de la sirène. En homme de la Renaissance, l’artiste affiche nettement sa connaissance du mythe de la femme oiseau.

Fontaine de la sirène place Sannazaro à Naples. Plus récente, cette Parthénope a une queue de poisson.

Les multiples formes des Sirènes médiévales

Au cours des siècles, la femme oiseau antique se mélange à d’autres images d’êtres fantastiques. Elle est copiée de manuscrit en manuscrit, de manuscrit en  sculpture et de sculpture en sculpture, sans qu’on puisse reconstituer exactement son parcours. Un point de repère : la sirène a une queue de poisson dans le Liber Monstrorum (Livre des Monstres, manuscrit anglo-saxon du VIIIe siècle, qui met en images aussi bien des Centaures, des Cyclopes que des Ethiopiens).

Les femmes oiseaux continuent tout de même à être représentées. Parfois, ces monstres ont à la fois des ailes et une queue de poisson. Elles existent aussi en version masculine, sans seins et avec une barbe !

Sirènes du fronton de l’église de Saint-Michel-l’Aiguilhe, Haute-Loire. Le genre féminin de ces deux créatures n’est pas nettement établi.   Photo du Blog Sirènes romanes jalladeau.fr.

En résumé, au Moyen-Age, les artistes se sont bien amusés avec cet être hybride. Ils l’ont répandu en toute liberté dans les églises et les manuscrits.

Les moralistes et les théologiens y ont ajouté tous les symboles possibles : les sirènes oiseaux apparaissent plutôt comme des images démoniaques et les sirènes poisson sont plutôt des images de la luxure, du désir sexuel incontrôlé. Elles sont aussi des incarnations de l’orgueil et même de l’avarice !

Ulysse et les sirènes, miniature illustrant Le Roman de Troie, de Benoît de Sainte-Maure, XIVe siècle, Bibliothèque nationale de France.

Cet épisode célèbre de l’Odyssée est revisité par la pensée médiévale : le navire c’est l’Eglise ; le fidèle doit s’attacher à la croix comme Ulysse s’est attaché au mât. Ainsi, il pourra résister aux tentations incarnées par les Sirènes.

Sirène oiseau, miniature médiévale.

Sirène poisson se coiffant, miniature du manuscrit des  Heures dites de Yolande d’Aragon, vers 1460. Bibliothèque d’Aix-en-Provence.

Sirène sur un chapiteau de l’église de Parthenay-le-Vieux, Deux-Sèvres. Photo du Blog Sirènes romanes jalladeau.fr.

 

Sirène entourée de créatures fantastiques, sur une miséricorde sculptée de la cathédrale de Bristol, Angleterre, 1520.

Les sirènes femmes fatales

Le 19e siècle a surtout retenu des sirènes leur aspect de prédatrices sexuelles !

Sirène enlevant un jeune homme, par Denys Puech, 1890. Musée d’Orsay.

Le sculpteur a choisi une position qui met en valeur les attributs génitaux du garçon : malgré son joli visage et ses formes menues, il appartient bien au sexe dit fort.

La Sirène l’emporte comme un jouet.

En regardant sa proie, a-t-elle une expression amoureuse ou dévoratrice ?

L’artiste a choisi de lui donner à la fois des ailes et une longue queue de poisson qui la rattache aussi à la femme serpent. 

Ulysse et les sirènes par Victor Mottez, 1848, Musée d’art de Nantes.

Ulysse et les sirènes par William Etty, 1837, Manchester city art galeries. Selon Wikipédia, « Le tableau divise l’opinion au moment de sa première exposition, quelques critiques l’admirant, alors que d’autres l’ont ridiculisé comme insipide et désagréable. »

Les sirènes héroïnes de la jeunesse

Le grand écrivain danois Hans Christian Andersen a radicalement modifié le regard porté sur les sirènes. On peut dire qu’elles lui doivent une fière chandelle. Loin d’être une horrible prédatrice, sa Petite Sirène est une douce créature, qui sauve un prince de la noyade. Pour le retrouver, elle sacrifie sa voix, offerte à une sorcière en échange d’une paire de jambes. Désormais muette, la pauvre enfant choisit de mourir pour que son aimé vive heureux avec une autre femme. Etant donné tous ses mérites, elle finira par obtenir une âme immortelle, comme celle des humains.

Très dévot, Andersen n’a pas osé franchir le pas et faire se marier un chrétien et une créature plus ou moins diabolisée par la religion. Disney n’a pas eu ce scrupule et son film d’animation a l’indispensable « happy end » du mariage !

La sirène est aujourd’hui très présente dans l’imaginaire enfantin et adolescent, avec de nombreux films, dessins animés, séries télévisées, BD et jeux vidéo.

Il y a même sur Internet des blogs spécialisés en « sirénologie » !

La Petite Sirène d’Edvard Eriksen.

Le personnage créé par l’écrivain danois Hans Christian Andersen est, depuis 1913, immortalisé dans le bronze sur un rocher dans le port de Copenhague. La statue fut commandée par le mécène Carl Jacobsen, fils du fondateur des brasseries Carlsberg.

Les sirènes des Artistes

Au XXe siècle, les sirènes s’adaptent à tous les univers artistiques qu’elles traversent, du plus joyeux au plus sombre. 

Sirène au-dessus de la baie des Anges, affiche de Chagall pour la ville de Nice, début du XXe siècle. Fleurs, ciel bleu, mer bleue, soleil, une Côte d’Azur de rêve !

Sirène chevauchant un serpent de mer qu’elle abreuve à l’aide d’un coquillage, sculpture en bronze de Berthe Girardet, 1939. Parc Chanot, Marseille.

Ulysse et les sirènes par Bernard buffet, 1993. L’artiste mêle  l’image antique de la femme oiseau à l’idée chrétienne d’Ulysse attaché au mât comme le Christ à la croix. A gauche, le squelette rappelle que les sirènes sont porteuses de mort pour l’humain. L’ambiance générale est tout à l’opposé de l’univers onirique de Chagall ! 

Mélusine, femme serpente médiévale

La légende de Mélusine qui plonge sans doute ses racines dans l’Antiquité s’est développée au Moyen-Age. Au XVe siècle, elle est mise en écrit de deux manières principales : en prose par Jean D’Arras et en vers par Coudrette.

Fille d’une fée, elle fut maudite par sa propre mère et obligée de devenir femme-serpente tous les samedis. Toutefois, en dehors du moment où elle subissait cette métamorphose, elle pouvait mener une vie normale.

D’une grande beauté, elle se maria avec Raymond de Lusignan en lui faisant promettre de ne jamais chercher à la voir quand elle prenait son bain. Tout alla bien jusqu’à ce que son époux, intrigué de la voir s’enfermer tous les samedis, brise sa promesse et l’espionne.

Le bain de Mélusine épié par son époux, miniature du Roman de Mélusine, par Jean d’Arras, vers 1450 -1500.

Sa métamorphose secrète étant découverte, la pauvre Mélusine vit des ailes lui pousser et elle s’envola. Désormais, elle ne pouvait plus redevenir humaine. Tant que ses fils furent bébés, elle revint en secret les allaiter puis s’envola définitivement. Désespéré de l’avoir perdue, son époux se fit moine.

Mélusine métamorphosée allaitant ses enfants Thierry et Raimonnet.
Illustration du livre de Coudrette, Le Roman de Mélusine, XVe siècle. Bibliothèque nationale de France. (Photo du site Expo Animal et imaginaires, du Sphinx à la Chimère, Bibliothèque universitaire de Poitiers.) Comme souvent à cette époque, une seule image pour deux moments différents : au fond, Mélusine femme ordinaire couchée avec son époux.

La métamorphose de Mélusine, mi-femme, mi-serpente.
Gravure du livre Histoire de Mélusine, 1698. Médiathèque de Poitiers. (Photo du site Expo Animal et imaginaires,  Poitiers.)

La fée Mélusine surprise dans son bain, par Julius Hübner.1844.

La centauresse, femme jument

Les récits et les représentations les plus anciennes de la mythologie grecque montrent les centaures uniquement comme des mâles violents, ivrognes et obsédés par les femmes. Vers le Ve siècle avant notre ère, ils deviennent sympathiques, et se joignent au joyeux cortège qui accompagne le dieu du vin, Dionysos. A cette époque, il s’agit encore d’un groupe composé uniquement de mâles, dont les origines diffèrent selon les auteurs.

Au IVe siècle avant notre ère, le peintre Zeuxis crée un tableau aujourd’hui perdu mais connu par des descriptions et intitulé La Famille de centaures. C’est le plus ancien exemple connu d’une représentation de femelle centaure. Cette nouveauté connaît un grand succès et le motif décoratif de la centauresse se répand sur les murs, les sols de la maison et les objets quotidiens.

Leur invention humanise l’image des centaures. Ceux-ci étaient jadis agressifs parce qu’ils convoitaient les femmes des humains. Maintenant qu’ils ont des femelles assorties à eux, ils deviennent bons époux et bons pères de famille !

(Pour ce paragraphe, je m’appuie avant tout sur l’article d’Eléonore Montbel « La centauresse, un exemple de remise en question de la frontière du genre à l’époque impériale » dans la revue Frontières revue d’archéologie, histoire et histoire de l’art, sur la plateforme Prairial.)

Famille de centaures sur un sarcophage romain. Musée du Louvre

Centauresses entourant Vénus, mosaïque romaine. Tunis, Musée du Bardo.

Centauresses et amours sur les deux côtés d’un vase en argent, trésor de Berthouville, vers 50 après notre ère. Bibliothèque nationale de France. Photos Marie-Lan Nguyen.

Centauresse archère, miniature extraite du Livre des histoires du Miroir du monde, XVe siècle.
Bibliothèque nationale de France.

Centauresse allaitant son petit, miniature médiévale.

Couple de centaures combattant un ange, porte de l’hôtel d’Albiat, Clermont-Ferrand, XVe siècle. Se présentant de face, la femelle tient une massue. XVe siècle.

La Centauresse et le faune, sculpture d’Augustin Courtet, 1849. Parc de la Tête d’or à Lyon. La centauresse emporte sur son dos un jeune faune (créature appelée aussi satyre) tout en l’embrassant. Vue d’ensemble et détail du torse de la centauresse. On trouve le même rapport de domination par la femme animale que dans la Sirène de Denys Puech.

La femme animale : une inversion des qualités féminines

La femme animale ne garde de la féminité que les cheveux et les seins. Le haut de son corps est sexuellement attirant mais le bas ne permet pas à l’homme de s’accoupler et de se reproduire.

Et de plus, elle inverse le rôle nourricier de la femme : les harpies souillent de leurs déjections les aliments de leurs victimes, les réduisant à une mort lente par famine. Les autres femmes animales (sirènes, Sphynge, Scylla) dévorent carrément les hommes, au lieu de leur servir le repas, comme il se doit !

Ces images qui expriment l’angoisse ressentie face à la différence des sexes sont nées il y a des millénaires.

Les images de femmes animales nées plus récemment sont plus douces : aux premiers siècles de notre ère, les centauresses ont des qualités maternelles et humanisent leurs mâles.

Au Moyen Age, Mélusine souffre de sa double nature et cache ses phases d’animalité. Quand sa métamorphose est découverte, elle reste encore un peu dans ce monde qui la rejette (en venant allaiter ses enfants la nuit) puis elle disparaît dans un monde inconnu.

On peut noter aussi que les jolies femmes victimes d’une métamorphose sont maudites par d’autres femmes : les sirènes par la déesse des moissons Déméter, Scylla par la magicienne Circé, Mélusine par sa propre mère qui est une fée. Bien que se déroulant dans un espace sécurisé, les relations des femmes semblent aussi dures que celles des hommes qui s’entretuent dans les combats.

Quant aux femmes animales de l’imaginaire contemporain, elles peuvent être terrifiantes ou adorables : nous sommes face à une multitude d’imaginaires différents, et chacun peut choisir la représentation qui lui convient le mieux.

Dans l’article, « Seins en représentation », nous passerons en revue quelques images de seins dans l’art, au cinéma ou dans l’actualité.

Une des Nanas de Niki de Saint-Phalle.

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