Les seins du désir et de l’amour

Dans les articles précédents, nous avons passé en revue des récits et des images de femmes présentant leurs seins nus, pour souligner la fonction d’allaitement ou pour solliciter la pitié. Il s’agit maintenant d’observer l’aspect érotique de l’exhibition des seins.

Mésopotamie

Figurine de terre cuite datée entre le 14e et le 12e siècle avant J.-C, Mésopotamie. Musée du Louvre.

Pendant trois millénaires, la plus importante divinité de la Mésopotamie fut Ishtar (également appelée Inanna), déesse du ciel, de la guerre et de la sexualité. De nombreuses figurines en terre cuite la représentent nue, soutenant ses seins avec ses mains. Les textes de cette époque montrent clairement qu’il s’agit d’un geste érotique, d’une invitation à l’acte sexuel, que la déesse elle-même pratiquait sans modération.

 

 Moule d’argile cuite et figurine réalisée avec ce moule. Vers 2000-1750 avant JC.  La tiare et le manteau identifient la déesse. Grâce à ces moules, ces représentations d’Ishtar  étaient produites en grand nombre. (Photo du site Agora vox, article Les Sumériens : d’où donc ces génies sont-ils sortis ? par J-P Ciron.)

Déesse nue soutenant ses seins, fragment d’une statue de terre cuite, trouvée sur le site de Suze, en Iran, Deuxième millénaire avant J.C. Musée d’archéologie méditerranéenne, Marseille. Photo Jacqueline Poggi.

Les seins de la prostituée

En tant que déesse de la sexualité, Ishtar était la patronne des prostituées.

Lors des fouilles du site archéologique de Suze, un bâtiment daté du deuxième millénaire avant J.C. a été identifié comme un cabaret, car il contenait des jarres à bières enterrées pour les maintenir au frais. « Or, juste devant ce bâtiment, on a retrouvé pas moins de 200 plaquettes de terre cuite. Elles représentent notamment des femmes nues, les mains se couvrant le sexe ou soutenant leurs seins.

 Le fouilleur les avait considérées comme des représentations de « la déesse nue élamite », mais d’autres plaquettes conduisent vers une interprétation différente : elles ont la forme de lits, sur lesquels on trouve une femme nue seule ou un couple, nu également et visiblement engagé dans une relation sexuelle.  Ces plaquettes confirment les activités érotiques qui se déroulaient dans ces établissements. » (Dominique Charpin, « La vie méconnue des temples mésopotamiens », éditions Les Belles Lettres, chapitre 5 « Les temples d’Ishtar, des lieux de plaisir ? » disponible en ligne gratuitement sur Open Editions.)

Prostituée et client, plaquette de terre cuite de Suze. Etant donné le contexte, le geste de la femme est une invite et non une supplication. Illustration de l’article cité ci-dessus.

Grèce antique

Au commencement, les Grecques étaient vêtues

Les statues les plus anciennes de la Grèce (de -650 à -500 avant JC) représentaient les hommes nus et les femmes habillées. On les appelle des « kouros » (jeune homme) ou des « koré » (jeune fille). Elles sont toujours en position frontale, raide. Elles ornaient les tombes ou étaient offertes aux temples.

Ce kouros  est une statue funéraire, datée d’environ 540-510 av. J.-C. Elle porte l’inscription : « Arrête-toi et pleure devant la tombe de Kroisos qui est mort, tué par Arès sauvage alors qu’il combattait en première ligne ». Musée national archéologique d’Athènes.

La koré de Phrasikleia, ornait la tombe de cette femme dans un village de l’Attique, selon l’inscription. Elle est datée de 550 – 540 avant JC. » Musée national archéologique d’Athènes. Elle tient une fleur en bouton.

Puis vint l’Aphrodite de Cnide

La tradition grecque était donc nettement moins libérale que celle de la Mésopotamie, qui dès le troisième millénaire avant notre ère représentait nue la déesse de la sexualité.

A partir du IVe siècle avant notre ère, les sculpteurs ont cherché à représenter Aphrodite, l’équivalent d’Ishtar, en tant que déesse de la sexualité, donc nue. Ce tout premier nu féminin a été créé par Praxitèle, le plus célèbre sculpteur grec. Ce fut un tel scandale que dès l’Antiquité, des chroniqueurs ont noté des anecdotes à ce sujet.

La tradition dit que le sculpteur avait créé deux statues de la déesse, l’une drapée dans sa robe, l’autre nue au sortir du bain, saisissant son vêtement.

Aphrodite de Cnide, copie romaine d’après la statue de Praxitèle, Palais Altemps à Rome. Le visage de la déesse est calme, serein. La main droite fait-elle un geste de pudeur en cachant le sexe ou désigne-t-elle l’endroit où siège sa divine puissance ? Le débat est ouvert depuis plus de deux millénaires !

Les citoyens de deux cités grecques vinrent visiter l’atelier du sculpteur. Les envoyés de l’île de Kos (au large de l’actuelle Turquie) choisirent la version habillée, jugée « pudique et sévère ». Les citoyens de Cnide (port sur les côtes de l’actuelle Turquie) prirent l’autre.

A cette époque, toutes les statues étaient peintes. L’Aphrodite de Cnide était si bien peinte que ses yeux avaient un regard « mouillé », c’est-à-dire langoureux. Elle fut installée dans le temple de façon à ce qu’on puisse tourner autour, et admirer la perfection et le réalisme de ses formes. Ce réalisme poussa, dit-on, un jeune homme à se cacher dans le temple pour tenter de s’unir à la Belle !

Dès l’Antiquité, de nombreux voyageurs visitèrent Cnide dans le seul but d’admirer la statue. Un roi étranger fit une offre très généreuse pour l’acquérir, mais les citoyens de Cnide refusèrent de se séparer d’elle. Ils en firent leur image de marque, reproduite sur des monnaies.

Monnaie de Cnide en bronze, avec l’Aphrodite d’un côté et de l’autre un portrait de l’empereur romain Caracalla. Bibliothèque nationale, Paris.

Des seins de prostituée pour une déesse

La tradition née dans l’Antiquité raconte aussi que Praxitèle prit pour modèle de son Aphrodite nue sa maîtresse la courtisane Phryné, celle qui a sauvé sa vie lors de son procès en montrant ses seins (voir l’article « Les seins du désir et de la pitié », dans lequel je rappelle que ce geste remplit les juges de frayeur religieuse, car on identifiait les divinités aux personnes qui les servaient.)

L’image de la déesse serait en fait le portrait d’une prostituée…

Aphrodite de Milo

C’est la plus célèbre sculpture antique du Musée du Louvre, car c’est une œuvre grecque créée vers 150-130 avant J.C. et non une copie romaine.

Depuis sa découverte en 1820 sur l’île de Milo, aucune campagne de fouille n’a permis de retrouver ses bras ! Ce manque met d’autant plus en valeur la beauté du torse et l’inimitable déhanché. Grâce au drapé qui couvre ses hanches, elle n’a pas besoin de cacher son sexe, mais que faisait-elle de ses bras ? Le mystère reste entier !

 

Ces sculptures nous permettent de définir le canon de beauté des seins gréco-romains : des seins petits, un peu écartés l’un de l’autre, haut placés sur un torse large.

Nous verrons dans l’article « Seins en représentation, beaux-arts et cinéma » que cette norme qui nous paraît évidente n’est pas du tout universelle.

Des seins de femme pour un homme

Hermaphrodite

Selon la mythologie, Hermaphrodite était né d’une aventure entre Aphrodite et Hermès. La Belle n’ayant pas le goût du maternage, elle abandonna le bébé aux bons soins de bergers qui l’élevèrent dans l’innocence de la vie campagnarde. En grandissant, il devint aussi beau que sa mère, tout son portrait, à l’exception d’un détail essentiel qu’il tenait de son père !

Un jour qu’il s’approchait d’un lac pour se baigner, la nymphe Salmacis fut remplie de désir devant sa nudité parfaite. Elle lui fit des avances qu’il repoussa, car il était totalement ignorant de l’amour. Alors elle tenta de s’unir à lui par la force, en suppliant les dieux de ne jamais la séparer de l’objet de son désir.

Et son vœu se réalisa de bien étrange façon : son corps se fondit, s’incorpora au corps du jeune homme, qui garda ses parties génitales mais se retrouva pourvu de seins et de longs cheveux.

Le récit de la vie d’Hermaphrodite s’arrête là, dans une impasse, car sa double nature ne lui permet d’incarner aucune des valeurs mythiques, ni les valeurs masculines ni les valeurs féminines.

Les représentations d’Hermaphrodite étaient courantes dans l’Antiquité. Statues ou fresques montrent nettement la double identité.

Statue antique d’Hermaphrodite

 Il prend la pose, nu,  simple objet de fantasme ou de méditation sur la fragilité de nos identités. 

Salmacis et Hermaphrodite

Je n’ai pas trouvé de représentations antiques de l’agression par Salmacis, mais, à partir de la Renaissance, cet épisode de la vie d’Hermaphrodite a été assez représenté dans l’art occidental.

Souvent, l’image est mystérieuse au premier regard : l’artiste montre un corps qui en approche un autre, mais la nature féminine de « l’agresseur » n’est pas évidente : la nymphe amoureuse est positionnée de telle sorte que ses bras cachent ses seins, ou bien elle est vue de dos.

Preuve par la négative que ce sont surtout les seins qui marquent le féminin dans la représentation d’un corps.

Salmacis et Hermaphrodite, gravure de Bloemaert Cornelis, 1655, Petit Palais, Paris.

Moyen Age

La    nudité   première

Dans l’article précédent, j’ai détaillé le thème de Marie montrant un sein pour allaiter Jésus. Voici maintenant d’autres thèmes qui autorisent la nudité dans un contexte religieux.

Adam et Eve, la nudité paradisiaque

Dans le paradis terrestre, Adam et Eve vivaient nus en toute innocence. Ce thème est omni présent dans les églises. Souvent, une main ou une branche viennent cacher les sexes, mais les seins d’Eve sont, la plupart du temps, présentés sans mystère.

 

Adam et Eve, fresque de Masolino dans la chapelle Brancacci de l’église Sainte Marie in Carmine à Florence, 1425. 

Notez que le serpent tentateur présente le même visage qu’Eve ! 

 

 

 

 

Le péché originel, miniature du manuscrit Queste del Saint Graal, France, vers 1470, Bibliothèque nationale de France.

On retrouve le serpent qui a pris le visage de la femme, pour mieux l’inciter à croire ses paroles.

A côté, la fontaine symbolise l’immortalité que le péché va nous faire perdre.

La nudité coupable d’inspirer le désir masculin

Par ailleurs, quatre femmes de la Bible sont souvent représentées dénudées et elles ont toutes une histoire liée au désir qu’elles inspirent aux hommes.

Deux héroïnes bibliques ont provoqué le désir d’hommes qui les ont surprises dans leur bain : Bethsabée et Suzanne. Elles ont été très représentées aux 15e et 16e siècles.

Deux saintes ont vécu en ermite, dans une complète nudité : Marie-Madeleine et Marie l’Egyptienne. Avant de rencontrer Jésus, elles vivaient du commerce de leurs charmes.

Bethsabée au bain

Le livre II de Samuel raconte comment le roi David aperçut Bethsabée dans son bain, la désira et la fit venir près de lui. Elle était mariée et son mari était à la guerre. Quand elle apprit à David qu’elle était enceinte suite à leur rencontre, le roi fit placer le mari à l’endroit le plus dangereux de la bataille pour qu’il soit tué. Cette machination permit à David d’épouser Bethsabée rapidement. Mais le dieu des Hébreux fit mourir l’enfant né de cet adultère.

 Bethsabée au bain, livre d’heures, France, Paris, début du 16e siècle. Morgan library and museum, New York.

Bethsabée au bain, Illustration du Livre des heures d’Henri IV, vers 1510, Bibliothèque nationale de France.

Bethsabée au bain, livre d’heures à l’usage de Rouen, 15e siècle, Bibliothèque nationale de France, Paris.

Bethsabée au bain, livre d’heures, vers 1480-90, Musée Condé à Chantilly.

Suzanne au bain

Le chapitre 13 du Livre de Daniel raconte que Suzanne, épouse de Joachim, refusa de céder aux avances de deux vieillards venus l’épier durant son bain.

Pour se venger, ils l’accusèrent d’adultère mais le prophète Daniel prouva son innocence et fit condamner ses accusateurs à la lapidation.

(Dans l’article « Voir une femme nue », sur ce site, je résume des récits qui montrent que l’exhibition de la nudité féminine entraîne de graves malheurs.)

Suzanne et les vieillards, Postilla in Bibliam, vers 1480, Bibliothèque municipale de Troyes.

La définition d’un autre idéal artistique féminin

Pour autant qu’on puisse comparer des sculptures et des miniatures, les images ci-dessus nous montrent que la silhouette féminine idéale du Moyen Age n’est pas la même que celle des Grecs : le torse est menu, les épaules tombantes, la taille fine et cambrée au point de rendre parfois le ventre proéminent, les seins bien ronds et écartés.

Marie Madeleine prostituée devenue sainte et ermite

Les Evangiles parlent de plusieurs femmes qui suivaient Jésus. Trois de ces récits désigneraient en réalité une seule et même personne : Marie-Madeleine. Elle est d’abord la pécheresse qui parfume les pieds de Jésus pendant le repas chez Simon ; ensuite, on la voit s’asseoir aux pieds de Jésus pour écouter son enseignement, laissant sa sœur Marthe assurer seule le travail de la maison. Enfin elle est la première à voir Jésus après sa résurrection. Dans toutes les représentations de ces épisodes, Marie-Madeleine est pudiquement vêtue.

Après la mort de Jésus, avec son frère Lazare ressuscité par Jésus et sa sœur Marthe, elle est jetée dans une barque qui aurait dû se perdre en mer, mais la Divine Providence guide la fragile embarcation et les trois saints arrivent sains et saufs en Provence.

« Après avoir évangélisé les Marseillais, Marie-Madeleine se retira dans la grotte de la Sainte-Baume où elle vécut trente ans en ermitage. Elle n’eut pour vêtement que la toison de ses cheveux, et pour nourriture que les chants des anges qui l’élevaient dans les cieux, sept fois par jour. Elle quitta la Sainte Baume lorsqu’elle sentit venir sa fin terrestre, pour venir trouver Saint Maximin dans la petite bourgade qui porte aujourd’hui son nom et où celui-ci avait construit son oratoire. Elle lui demanda la communion avant de partir pour le royaume des cieux. « (Article « La représentation de Marie-Madeleine dans les enluminures », par Jacques Gravé, Bulletin de liaison de l’Association des Amis du Musée de la Pharmacie – 2012 (n°37), disponible sur Internet.)

La nudité signe de pureté

La nudité vantée par la légende est le signe éclatant de son renoncement à sa vie de pécheresse : en effet, aussi bien dans les récits que dans les images, les prostituées médiévales sont toujours décrites comme des femmes raffinées, fardées et très bien coiffées, richement habillées, porteuses de toutes sortes de bijoux, pour mieux attirer l’attention des hommes sur leur corps. Au contraire, le corps laissé à l’état brut, au point que les cheveux l’envahissent est le signe de la pureté de l’âme. Et le corps se spiritualise tellement qu’il devient capable de s’élever au ciel !

De même, les prostituées sont toujours associées aux banquets, à la boisson et à la fête. Tandis que la femme ermite solitaire dans sa grotte n’a qu’une nourriture spirituelle.

Lettre ornée : Marie-Madeleine élevée au ciel par les anges, manuscrit illustré par le Maître du Salomon Wildenstein (fin 15e siècle-début 16e siècle) Lille, Palais des Beaux-Arts. 

Marie-Madeleine, statue de Gregor Ehrart, Musée du Louvre, début 16e siècle. Bien que ne prenant pas de nourriture terrestre, la sainte conserve un beau corps que ses cheveux sont censés cacher, mais qu’ils laissent savamment deviner.

Sainte Marie l’Egyptienne prostituée devenue sainte et ermite

L’histoire de cette sainte est presque un doublon de celle de Marie-Madeleine, mais le récit se situe après la mort du Christ. Après avoir vécu comme prostituée en Palestine (ou en Egypte, selon les auteurs), cette Marie rencontra Jésus spirituellement, se convertit au christianisme et se retira dans le désert, où elle vécut seule pendant des décennies, dans la prière et la pénitence, pour expier sa vie dissolue. Durant toutes ces années, elle n’eut comme nourriture que trois pains qu’elle avait apportés de Jérusalem.

Comme Marie-Madeleine, elle est représentée vêtue de ses seuls cheveux mais elle est toujours très maigre et souvent vieille.

Marie l’Egyptienne, illustration du Livre des heures d’Henri IV, vers 1510, Bibliothèque nationale de France. la sainte a une silhouette proche de celle de Bethsabée dans le même manuscrit. Les trois pains permettent de l’identifier.

Marie l’Egyptienne recevant des mains de saint Zosime un manteau pour cacher sa nudité, miniature d’un manuscrit français, 15e siècle, British Library, Londres.

Marie l’Egyptienne, icône peinte par sœur Jeanne Reitlinger. Photo publiée sur le site Parlons d’orthodoxie à la date du 25 mars 2018. Sœur Jeanne Reitlinger est une artiste religieuse du XXe siècle.

Marie l’Egyptienne, photo d’une icône en vente sur le site EBay. 

la nudité profane

Ce tableau aujourd’hui perdu nous est connu par cette copie du 16e siècle. Je n’ai pas trouvé en peinture d’autres représentations complètement dénudées du thème de la toilette. Par contre, les miniatures des manuscrits traitent ce thème. 

Femme à sa toilette par Van Eyck, copie ancienne, vers 1434. Musée de Harvard.

Les étuves (bains publics) sont mixtes. Les femmes sont nues, mais toujours avec une coiffe sur la tête.

Vers la fin du XVe siècle, la multiplication des épidémies amena la fermeture des bains publics. On avait compris que la promiscuité facilitait la propagation des maladies. 

Mais l’eau chaude elle même fut considérée comme mauvaise pour le corps, parce que, en dilatant les pores, elle laissait entrer les « miasmes ».  Et on réduisit au maximum son usage pendant plusieurs siècles !

Scène de bains publics, miniature d’un manuscrit médiéval. Origine non précisée. Photo du site Raconte-moi l’Histoire.com, article L’hygiène au Moyen Age.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Baignade à deux, miniature d’un manuscrit médiéval. Origine non précisée. Photo sur le site Centre d’Histoire de l’Art de la Renaissance.

 

 

 

 

 

 

 

Vénus par Lucas Cranach l’Ancien, 1532, Musée Städel à Francfort.

Aux alentours de 1530, l’artiste allemand a réalisé une série de Vénus qui restent fidèles au modèle médiéval de la beauté féminine : corps étiré, ligne sinueuse, buste menu, seins petits et très écartés.

Renaissance et âge classique

le rejet de la nudité religieuse

La réaction catholique aux critiques de la Réforme supprime la liberté de représentation du corps féminin à thème  religieux.

Marie-Madeleine, par Le Titien, vers 1530, palais Pitti à Florence. Malgré un style moderne, cette représentation de la sainte conserve l’ambiguïté de celles du Moyen Age.

Marie-Madeleine, par Le Titien, vers 1550-1560, Musée de Naples. Dans cette version contemporaine du Concile de Trente, la sainte est couverte, pour éviter toute interprétation erronée. Le livre et le crâne résument la nouvelle vie de l’ancienne pécheresse : étude de l’écriture sainte et méditation sur la mort.

le  retour  de  la  beauté  antique  dans  l’Europe  classique

Vénus Médicis, dite Vénus Pudica, copie romaine du Premier siècle av. J.C. d’un original grec.

A la Renaissance, les artistes européens rompent avec les modèles du Moyen Age et reprennent les canons de la beauté féminine antique, plus trapue et plus charnue que le modèle médiéval. Cette façon de représenter les femmes va s’imposer pour plusieurs siècles.

Vénus Médicis, dite Vénus Pudica, copie romaine du Premier siècle av. J.C. d’un original grec. Dans un geste pudique de femme surprise nue, Aphrodite semble vouloir cacher ses seins de la main droite et son sexe de la main gauche. Selon Pline l’Ancien, ce modèle aurait été créé par Scopas, vers la fin de sa vie (environ -330) et fut jugé plus féminin et même supérieur à l’Aphrodite de Praxitèle.

On ignore à quelle date exactement cette statue fut mise au jour, mais dès le 16e siècle elle fut copiée en dessin, gravure et peinture par des artistes européens. Avant l’arrivée des troupes napoléoniennes, le Musée des Offices de Florence la mit en sécurité à Palerme, mais elle était trop célèbre pour échapper à la rapacité des Français. En 1803, elle fut transportée à Paris et ne fut restituée à Florence qu’en 1815, après la chute de l’Ogre !

La Vénus d’Arles

Vénus d’Arles

Cette statue fut découverte en 1651, près du théâtre antique d’Arles en Provence. Sa mise au jour fut un véritable événement et bien que les bras n’aient jamais pu être retrouvés, l’œuvre fut exposée dans la Maison commune (équivalent de la mairie). On vint de toute l’Europe pour l’admirer, ce qui excita la convoitise du tout-puissant Louis XIV. Contraints et forcés, les consuls (conseillers municipaux d’aujourd’hui) laissèrent la statue partir se faire admirer dans la galerie des glaces à Versailles. La Révolution la transféra au musée du Louvre où elle se trouve encore.

Le prestige de Versailles interdisait de présenter des œuvres mutilées : le sculpteur Girardon rajouta donc des bras à la statue : la main droite tient la pomme d’or offerte par Pâris lors du concours de beauté entre les trois déesses et la gauche est supposée tenir un miroir dans lequel la Belle se regarde.

La mode  des  dames  à  moitié  nues

La redécouverte des nus antiques a sans doute joué un rôle dans la mode des portraits de femmes aux seins dénudés, né dans l’Italie de la fin du 15e siècle et du début du 16e. Les femmes représentées ont toujours un lien direct avec le désir amoureux.

Portrait de Simonetta Vespuci, par Piero di Cosimo, entre 1485 et 1490, Musée Condé à Chantilly. Cette jeune femme née à Gênes vécut à Florence après son mariage. Morte à 23 ans, elle a marqué son époque par sa beauté. Elle aurait été la maîtresse de Julien de Médicis. Ce portrait probablement posthume l’idéalise et contient de nombreux symboles, tel celui du serpent qui se mord la queue, symbole de renaissance.

La coiffure sophistiquée, l’épaule tombante, le front bombé, la perspective faussée (le visage est présenté de profil, la poitrine de trois-quarts) sont des traces de l’esthétique médiévale. Le paysage est plus moderne.

Portrait de Simonetta Vespuci, par Piero di Cosimo, entre 1485 et 1490, Musée Condé à Chantilly.

 Cette jeune femme née à Gênes vécut à Florence après son mariage. Morte à 23 ans, elle a marqué son époque par sa beauté. Elle aurait été la maîtresse de Julien de Médicis. Ce portrait probablement posthume l’idéalise et contient de nombreux symboles, tel celui du serpent qui se mord la queue, symbole de renaissance.

La coiffure sophistiquée, l’épaule tombante, le front bombé, la perspective faussée (le visage est présenté de profil, la poitrine de trois-quarts) sont des traces de l’esthétique médiévale. Le paysage est plus moderne.

Le dévoilement net et serein

Dans ce modèle de portrait, la femme montre paisiblement son torse dénudé.

Ce dessin porte parfois un titre qui le rattache directement à Léonardo, mais que refusent les spécialistes du maître : « La Joconde nue », « La Mona Vanna ».

Même si la pose est la même, le visage n’a pas le charme de Mona Lisa et le bras est un peu trop musclé par rapport au reste du corps. Malgré ses imperfections, ce dessin a directement inspiré une vingtaine d’oeuvres.

 

Vénus nue, dessin attribué à l’atelier de Léonard de Vinci. Entre 1514 et 1516. Musée Condé à Chantilly.

Vénus nue, copie à l’huile du dessin aujourd’hui conservé à Chantilly, par un élève de l’atelier de Léonard de Vinci. Collection particulière, mise en dépôt au château de Vinci.

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Vénus nue, dite Mona Vanna,

par Joos Van Cleve,

Musée de Prague.

 

Le dévoilement ambigu

Vers la même époque, Raphaël, le jeune rival de Léonardo, propose un autre type de femme dénudée. Sa posture est à interpréter ; fait-elle le geste de remonter son vêtement pour cacher pudiquement sa poitrine ou de le descendre pour exhiber sa féminité ?

 

 

 

 

 

 

La Fornarina par Raphael, 1519. Palais Barberini à Rome.

La Fornarina signifie la fille du boulanger.

Selon la tradition, elle était la maîtresse de l’artiste. 

Dame montrant sa poitrine, par Le Tintoret, 16e siècle, Musée du Prado à Madrid.

 

 « Il s’agit d’un portrait présumé de Veronica Franco, célèbre courtisane de Venise, contemporaine du peintre, née en 1546 et morte en 1591. La lettre d’éloge de Veronica Franco à Tintoret suit de près la réalisation d’un portrait d’elle et semble avoir été écrite vers 1575. (…) Dans les deux portraits de Tintoret qui semblent avoir le même modèle, nous lisons l’importance des seins dans la culture des Vénitiens et des courtisanes. En effet, ces dernières avaient pour coutume, pour aguicher les passants, de montrer leurs seins dans les ruelles ou de leurs balcons. » (Article de Phillipe Solers intitulé Liberté de Tintoret publié sur le site Pileface)

La petite pelisse par Rubens, 1636-1638.
Musée d’art de Vienne.

Rubens était passionnément amoureux de sa jeune épouse Hélène Fourment et l’a représentée sur de nombreux tableaux.

La légende dit que, après la mort de l’artiste, la veuve aurait détruit les peintures les plus osées. Seule La Petite pelisse aurait échappé à l’épuration !

L’artiste est indifférent aux canons de la beauté grecque. il peint le corps de celle qu’il aime, sans rien atténuer de sa générosité. 

Le  dévoilement  sous  prétexte  de  toilette

Pour justifier la nudité des dames, les artistes français (notamment ceux liés au château royal de Fontainebleau) les ont souvent représentées à leur toilette ou dans leur bain.

Note d’histoire de l’art : Les peintures qui illustrent ce paragraphe sont bien moins documentées que celles qui précèdent. Pendant des siècles, les historiens français et les amateurs d’art ont considéré que l’art était né en Italie à la Renaissance. Tout ce qui se faisait en France sans porter l’influence de Raphaël et Léonardo n’avait pas de valeur à leurs yeux ! Des manuscrits richement enluminés, des tableaux, des dessins ont donc été détruits volontairement ou par négligence. Sans oublier les destructions dues aux guerres et révolutions… Et même quand les œuvres ont été conservées, on a parfois perdu les documents se rapportant à leur création : identité de l’artiste, identité du commanditaire, identité du modèle, date de création… 

Dames au bain, auteur anonyme, vers 1594. Musée du Louvre.

Nous ne connaissons ni l’auteur ni le commanditaire ni les modèles de cette œuvre. « Les dames au bain sont traditionnellement identifiées comme étant, à droite, Gabrielle d’Estrées, maîtresse du roi Henri IV de 1591 à 1599, et, à gauche, sa sœur, la duchesse de Villars. Le pincement du téton pourrait évoquer la lactation, les grossesses qui comblaient le roi, et l’anneau tenu par Gabrielle pourrait symboliser la promesse d’une union avec le souverain. » (Cécile Galinier, sur le site Panorama de l’art. com.)

Dame au bain par François Clouet,1571. 

National Gallery of Art, Washington.

Le peintre a signé son œuvre mais les historiens ne s’accordent pas sur l’identité du modèle.

L’hypothèse la plus avancée est qu’il s’agit de Diane de Poitiers, maîtresse du roi Charles IX, dont Clouet était le peintre officiel. 

La femme de désir exhibe des seins de type grec tandis que la nourrice aux seins rebondis allaite son bébé.

Dames à la toilette, auteurs et modèles anonymes. Ci-dessus : Musée des Beaux-Arts de Dijon.

Ci-contre : Musée des Beaux-Arts de Bâle.

L’article de Cécile Galinier sur le site Panorama de l’art précise : « La pratique du bain est distincte de celle de la toilette. Elle est moins intime. Il n’était pas rare d’inviter quelqu’un à partager un bain où infusaient des plantes odoriférantes. »

La scène appelée « toilette » concerne surtout le choix des bijoux et des fards.

La  disparition  de  la  nudité  des  seins

Au 17e siècle, les dévots catholiques influencent les arts. Molière fait dire à Tartuffe « Cachez ce sein que je ne saurais voir ». Plus question, même sous prétexte de toilette, de dénuder le buste des dames. Mais la bienséance permet de dévoiler les épaules : les modèles et les portraitistes ne s’en privent pas, aussi bien au 17e siècle qu’au 18e.

Portrait de Mme de Montespan en Iris messagère de Zeus, anonyme, seconde moitié du 17e siècle, château de Versailles. Elle fut une importante favorite de Louis XIV.

Portrait de Madame de Pompadour en Diane, par Jean-Marc Nattier, 1746.

Elle était la favorite de Louis XV. L’allégorie ou la référence aux déesses antiques permettaient d’alléger encore le vêtement.

Le paisible retour des seins

Portrait d’une négresse, plus tard renommé Portrait d’une femme noire puis Portrait de Madeleine, par Marie-Guillemine Benoist, 1800.

Des recherches récentes ont permis d’identifier le modèle : il s’agit d’une esclave affranchie amenée de Guadeloupe comme domestique par le beau-frère de l’artiste. Le tableau connut un vif succès au Salon en 1800 et entra au Louvre en 1818. Ce portrait est traité exactement comme les autres portraits de dames réalisés par l’artiste. Le modèle est assise sur une chaise à médaillon drapée d’une soierie, sans aucune référence exotique. Elle se laisse observer mais elle regarde aussi le spectateur.

Autoportrait de Marie-Guillemine Benoist.

Née en 1768, l’artiste a été formée par Mme Vigée-Lebrun puis par David. Elle ne dénude que la moitié de son sein, mais c’est déjà un peu osé, car elle est fille de ministre.

Sous la Restauration, elle arrêta son brillant parcours de peintre en pleine gloire, pour ne pas nuire à la carrière de son mari, devenu Conseiller d’Etat !

Les beautés orientales du 19e siècle

Durant tout le 19e siècle, l’orientalisme a permis aux commanditaires et aux artistes de renouveler le nu féminin, en le pimentant d’exotisme. Dans la réalité de la société ottomane, les odalisques étaient les femmes de chambre des dames du harem, mais la littérature occidentale les a assimilées aux dames elles-mêmes.

On les représente toujours alanguies, oisives, anonymes et sans enfants, uniquement prêtes à s’offrir à l’amour…

La grande odalisque, par Ingres, 1814. Musée du Louvre.

Un critique fit remarquer que l’anatomie de cette femme était fausse, car elle avait trop de vertèbres ! L’artiste a choisi de concentrer l’intérêt du spectateur sur le dos, pour aiguiser sa curiosité : on devine à peine une fesse et un sein.

La toilette d’Esther, par Chassériau, 1841, Musée du Louvre.

Esther est un personnage biblique, une jeune Juive choisie comme épouse par le roi d’Assyrie, pour sa beauté.

Albaydé aux yeux de gazelle, par Alexandre Cabanel, 1848. Musée Fabre, Montpellier. Le titre fait référence à un poème de Victor Hugo dans le recueil Les Orientales.

Odalisque couchée, par Théodore Chassériau, 1853.

Odalisque allongée, par Benjamin Constant, vers 1870. Collection privée, en dépôt au Musée d’Orsay.

Le bain turc, par Ingres, Musée du Louvre.
Une accumulation de femmes nues clonées, le summum du fantasme érotico-oriental ! Présenté à l’empereur Napoléon III et à son épouse, le tableau choqua l’impératrice par son côté érotique. Ingres conserva donc son œuvre qui ne fut rendue publique qu’en 1905. Elle enthousiasma des peintres tels que Picasso.

Odalisque à la culotte rouge, par Henri Matisse, 1922, Musée national d’art moderne Centre Pompidou à Paris.

Au cours des années 1920, Matisse a créé de nombreuses toiles sur le thème de la femme orientale, en restant fidèle au goût orientaliste pour les poses alanguies et le décor exotique, mais en modernisant totalement la technique picturale.

Y-a-t-il besoin d’un prétexte pour montrer des seins ?

Comme chacun le sait, les Impressionnistes ont renouvelé la technique de la peinture mais aussi les sujets. Leurs nus féminins utilisent souvent le prétexte de la toilette mais peuvent facilement s’en passer.

La blonde aux seins nus, par Edouard Manet, vers 1878. Musée d’Orsay, Paris.

Torse de jeune fille au soleil par Renoir, 1875. Musée d’Orsay, Paris. Le bonheur de vivre, tout simplement.

Le corps féminin : attention danger pour l’homme !

Si j’avais choisi de parler du torse masculin, j’aurais eu beaucoup moins d’œuvres à présenter et elles n’auraient exprimé qu’une image de l’homme : la force contenue dans ses pectoraux et ses biceps.

Après le sein nourricier, le sein de la pitié et le sein du désir amoureux, nous explorerons dans un prochain article une autre image de la féminité : le danger qu’elle représente pour l’homme.

L’éternelle idole, par Rodin, 1893, Musée Rodin, Paris.

Un homme agenouillé mains dans le dos, comme un prisonnier ou un esclave. Le front posé entre les seins d’une femme, le cœur à hauteur du sexe de celle devant qui il s’agenouille : comment mieux exprimer la soumission de l’homme à son propre désir du corps féminin ? Malgré tous les risques qu’induit cette soumission…

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