Le sein nourricier et protecteur

Le sein nourricier avant les mythes

 L’époque paléolithique : seins XXXL

Les premières représentations humaines datent de de la fin du Paléolithique (moins 28 000 ans à moins 20 000 ans environ). Il est intéressant de remarquer qu’elles sont exclusivement féminines ! Il s’agit de statuettes avec des seins énormes posés sur de gros ventres. Elles mesurent quelques centimètres de hauteur et sont en pierre, os ou ivoire de mammouth. On en trouve sur toute la planète, semblables entre elles, alors que des milliers de kilomètres les séparent.

Les nombreux dessins d’animaux sur les parois des grottes datent de la même époque.  On suppose que ces dessins avaient un but magique : les chasseurs représentaient ce qu’ils souhaitaient voir dans la réalité : un gibier abondant.

De la même façon, on peut supposer que ces statuettes aux seins surdimensionnés promettaient aux femmes qui s’en servaient (portées en amulettes ? tenues dans la main pendant l’accouchement ?) une lactation abondante, indispensable à la survie du bébé, puisqu’on ignorait l’élevage et les laits animaux utilisés plus tard comme nourriture de substitution en cas de décès de la mère ou de manque de lait.

En référence à l’Antiquité romaine, ces statuettes féminines sont appelées des « Vénus », mais on ignore si elles représentent des déesses ou des humaines.

La  liberté  d’interprétation du corps humain que montre la Vénus de Lespugue a fasciné les artistes du début du XXe siècle, tels Picasso ou Giacometti.

La Vénus de Lespugue

Cette petite dame de 14,4 centimètres de long pour 6 centimètres de largeur, trouvée dans une grotte de Haute-Garonne en 1922, a été sculptée dans l’ivoire d’une défense de mammouth il y a 25 000 à 30 000 ans. Elle met l’accent sur les parties du corps en rapport avec la fécondité et ignore superbement les autres parties : pas de visage, pas de pieds ni de mains. Ses seins sont implantés si bas sur le buste qu’ils recouvrent le ventre et atteignent le même niveau que les fesses. Les bras, tout petits, sont posés sur eux et non dessous.

La préhistorienne Nathalie Rouquerol remarque : « Dans les musées, elle est toujours posée sur un socle : debout. Or cette sculpture est faite pour tenir dans la main. Elle s’y love parfaitement. Et l’on peut à loisir la bouger, la contempler. En outre, elle est parfaitement centrée mathématiquement. Le centre se situe exactement au point de séparation inférieur des deux seins. C’est une œuvre pensée, calculée. »

 

La Vénus de Willendorf

Cette statuette en calcaire de 11 cm de haut est un autre exemple célèbre de ces représentations de la fécondité et de la lactation : ici, le visage sans yeux ni bouche disparaît derrière ce qui ressemble à des cheveux bouclés. Les bras sont aussi filiformes que ceux de la Vénus de Lespugue.  Comme celle-ci, elle date d’environ 28000 ans avant JC).

La Vénus de Willendorf.

Musée d’histoire naturelle de Vienne (Autriche).

Les seins du Néolithique

Au fil du temps, les chasseurs-cueilleurs préhistoriques sont devenus des éleveurs-agriculteurs. On appelle cette étape de la civilisation le Néolithique. Le Moyen Orient est la région où cette évolution a été la plus précoce : entre moins 10 000 et moins 5 500 ans, environ. L’élevage va permettre aux humains d’observer la façon dont les animaux se reproduisent et de comprendre le rôle du mâle dans ce fait extraordinaire : un enfant qui grandit dans le ventre d’une femme puis en sort. La production de lait a pu aussi être observée chez les animaux et perdre son aspect magique.

Il est possible que le rôle de la femme en tant que créatrice de vie et productrice du lait vital ait perdu de son prestige, mais tout cela reste hypothétique.

Figurines du Bassin méditerranéen

Datant de cette époque, des figurines féminines pétries dans l’argile ou sculptées dans le calcaire, le basalte, l’albâtre ou le marbre, témoignent encore de l’importance accordée à la fécondité et à la lactation.

La Vénus de Catal Huyuk

En 2016, les archéologues travaillant sur le site de Çatal Höyük, en Turquie, ont découvert une statuette, couchée dans une niche sous le sol d’une maison. Sculptée en marbre blanc, elle mesure 17 cm de haut et pèse un kilo. Elle date d’environ 6000 ans avant JC.

Elle est la dernière venue d’une centaine de statuettes féminines déjà découvertes sur ce site qui fut occupé durant deux millénaires.

La statuette lors de sa découverte

La statuette de profil et de face

La dame aux fauves

Découverte également à Catal Huyuk, dans un silo à grain, elle date elle aussi d’environ 6000 ans avant notre ère. Elle est en terre-cuite et mesure 13 cm environ.  Elle représente une femme assise sur un siège dont les accoudoirs sont des léopards. La forme arrondie qu’on voit entre ses pieds est parfois interprétée comme un enfant en train de naître. Ses seins sont clairement marqués mais de proportions « naturelles ».

La dame aux fauves, Musée des civilisations anatoliennes à Ankara.

Les idoles cycladiques

Dans les îles des Cyclades, au centre de la Méditerranée, entre 3200 et 200 avant notre ère, une civilisation sans écriture a produit de très nombreuses statuettes féminines qui ne sont pas obèses mais ont toujours des seins. Retrouvées le plus souvent dans des tombes, ces statuettes sont appelées « idoles » faute d’en savoir le rôle exact, qui est forcément en lien avec la féminité : déesse-mère, ancêtre, image de fécondité ?

Idole cycladique, Musée du Louvre. De style assez réaliste, avec pieds et bras. 

Idole cycladique, Musée Barbier-Mueller, Genève. Malgré l’abstraction de tous les autres détails physiques, les seins sont bien présents.

L’âge des métaux : apparition des représentations masculines

Vers moins 5000 ans dans le Moyen Orient on commence à utiliser le cuivre seul, puis le cuivre fondu avec de l’étain, ce qui le bronze, métal plus dur, qui sera lui-même remplacé par le fer.

Le travail des métaux exige la spécialisation des corps de métier : mineurs qui extraient, commerçants qui assurent les échanges d’une région à l’autre, fondeurs de bronze puis forgerons du fer et des chefs pour organiser tout cela… Avec la spécialisation des métiers, les sociétés commencent à être moins égalitaires.  Des statuettes d’hommes de pouvoir (guerriers, rois, prêtres…) témoignent de ces changements par rapport aux anciennes sociétés paysannes.

Statuette en bronze de guerrier, région du Luristan, vers moins 2000 environ, Iran actuel.

Statue en basalte de Gudea, roi de Lagash, (actuel Irak), vers moins 2120, Metropolitan Museum of Art.

Les déesses maîtresses des animaux

Les représentations féminines prennent la forme de déesses maîtrisant des animaux (chèvres, serpents, lions, etc). On suppose qu’elles incarnent la grande déesse ou déesse mère, la plus ancienne divinité du Moyen Orient. Les seins sont encore très valorisés mais ne semblent pas dévolus à la lactation. Ils marquent surtout la féminité, tout comme les coiffures élaborées, les bijoux et les belles robes brodées de motifs.

Déesse aux serpents. Terre cuite. Musée archéologique d’Héraklion en Crète (vers 1600 av. J.-C.).

Déesse maîtresse des animaux, sculptée sur une plaque d’ivoire, Syrie, 13ème siècle avant notre ère, Musée du Louvre.

Statues-menhirs du nord de la Méditerranée

Entre le milieu du IVe et la fin du IIIe millénaire avant notre ère, des statues-menhirs apparaissent sur tout le pourtour nord de la Méditerranée (Espagne, Sardaigne, Suisse, Italie et en France, la Bretagne, le Bassin parisien, le Sud).

 Elles sont sculptées selon deux modèles : des hommes, caractérisés par une arme (poignard suspendu à un baudrier) et des femmes caractérisées par des seins, simples renflements, et des colliers. On retrouve donc les seins comme marque de la féminité mais ils sont discrets, ne faisant pas référence à la lactation. L’appareil génital, masculin ou féminin, n’est jamais figuré sur ces statues, dont on ignore encore la fonction exacte.

La dame de Saint-Sernin, Aveyron

Aux alentours du 3ème millénaire, Musée Fenaille, Rodez. Sur cette statue de grès haute de 113 cm, les seins indiquent la féminité. Elle a les cheveux attachés dans le dos en queue de cheval et des tatouages ou des scarifications sur le visage. Elle porte une ceinture, un collier avec une pendeloque et une sorte de manteau ou de cape à longs plis. Les bras, les mains, les jambes et les pieds sont géométrisés comme sur la plupart de ces statues.

Statue-menhir des Maurels, Aveyron

Aux alentours du 3ème millénaire, Musée Fenaille, Rodez. D’une hauteur de 209 cm, cette statue masculine présente un visage à peine esquissé. Les bras, les mains, les jambes et les pieds sont géométrisés. La ceinture est ornée de chevrons.  Sur l’épaule droite, pend un baudrier qui porte un fourreau.  Au-dessus du bras gauche, un arc et une flèche. 

Le  sein  nourricier  dans  les  mythes

Vers moins 3300 ans, la Mésopotamie et l’Egypte constituent des sociétés complexes qui, à partir de signes aide-mémoire pour compter les marchandises, créent de véritables écritures. Celles-ci serviront à noter les lois et les récits de la vie des dieux et des héros, jusque-là transmis oralement.

Il nous reste des traces de mythes sur l’allaitement, qui apparaît comme une œuvre de transmission : la déesse transmet des caractères divins, le plus évident étant l’immortalité ; au contraire, l’enfant allaité par un animal peut intégrer un peu de sa sauvagerie.

Mythologie   grecque

Le  sein  divin

Le poète Hésiode raconte que, à la naissance d’Héraklès, son père Zeus le retira à sa mère mortelle, la reine Alcmène, et le mit discrètement au sein de la déesse Héra endormie. Il voulait que le lait divin transmette l’immortalité au bébé. Hélas, le nouveau-né se jeta sur le sein avec tant de brutalité qu’il réveilla la déesse. Furieuse, elle le rejeta violemment. Une giclée de lait partit dans le cosmos où elle est encore visible : c’est la voie lactée. Quelques gouttes tombées sur terre donnèrent naissance aux lys.

La voie lactée, ici  vue depuis les Canaries. Un jet de lait divin, lancé  dans l’immensité du cosmos, a donné naissance à notre galaxie, c’est dire la puissance créatrice du lait pour nos lointains ancêtres ! 

Après cet échec de son allaitement divin, le fils de Zeus reprit sa place parmi les humains et dut se contenter d’un allaitement ordinaire. Pour gagner son immortalité, il devra accomplir toutes sortes d’exploits. Deux grands peintres se sont intéressés à ce mythe : Rubens et Le Tintoret.

 

La naissance de la voie lactée, par Rubens, vers 1637, Musée du Prado, Madrid.

La scène est beaucoup plus calme que le récit dont elle s’inspire : assise sur son char traîné par des paons, la reine des dieux a le doux visage d’Hélène Fourment, l’épouse de Rubens. Elle présente le sein à l’enfant mais le jaillissement du lait se perd dans l’espace. Assis à gauche, Zeus observe, son aigle et son foudre à ses pieds. Ici, il s’agit plus d’une erreur de tir que du rejet violent du nourrisson !

La naissance de la voie lactée, par Le Tintoret, vers 1580, National Gallery, Londres. La scène est rendue confuse par la présence de quatre Cupidons qui volètent autour des personnages divins. Le lait divin jaillit vers le haut, porteur de petites étoiles.

Le  sein  animal

De nombreux héros ont une naissance qui en fait des indésirables : ils sont nés d’un viol, d’un adultère, ou bien un devin les déclare futurs assassins.  Dès la naissance, ils sont donc abandonnés dans la nature, mais une femelle animale les sauve de la mort en les allaitant. Puis des bergers les découvrent et se chargent de leur éducation. 

A travers quelques exemples célèbres, nous allons voir si cette étape de vie animale influe sur le destin des héros.  Le catalogue de femelles nourricières est varié. (Sur les symboliques des animaux et de l’allaitement, vous pouvez consulter l’article L’animal nourricier d’enfants dans la mythologie grecque, par Liliane Romy-Regent sur le site Editions des travaux historiques.)

La chèvre nourricière

Zeus

Le roi des dieux lui-même n’a pas connu l’allaitement maternel. Son père Cronos avalait les enfants que son épouse Rhéa mettait au monde, pour être sûr qu’aucun d’eux ne lui volerait sa place de Tout-Puissant. La malheureuse mère eut l’idée de faire gober à son vorace mari une pierre enveloppée de langes et confia le bébé à des nymphes et des bergers, sur l’île de Crète. La chèvre Amalthée lui servit de nourrice.

Selon certains auteurs, Amalthée deviendra après sa mort la constellation du capricorne. D’autres disent que la peau de cette chèvre, « l’égide » en grec, deviendra le symbole de la protection. D’où l’expression « sous l’égide de ».

L’éducation de Zeus, par  Hermann Steinfurth, détail de Zeus tétant la chèvre Amalthée.

Egisthe, l’homme chèvre

Dans la famille des Atrides, on était criminel de génération en génération. Suite au viol d’une vierge prêtresse par son père, un rejeton de cette famille très violente fut abandonné. Quelque temps plus tard, des bergers le trouvèrent, allaité par une chèvre.  Cet animal lui donnera son nom : Égisthe (Aigisthos en grec, qui vient d’Aigos la chèvre). Le destin permettra à Egisthe de retrouver sa famille. Il sera fidèle à la tradition familiale en étant lui-même un criminel avant de finir égorgé par son neveu Oreste.

Asclépios

Plusieurs traditions racontent différentes versions de sa naissance. Selon l’une d’elle, se trouvant enceinte du dieu Apollon, la vierge Coronis cacha sa grossesse et abandonna le bébé dans la montagne près d’Epidaure. Un berger nommé Aresthanas gardait ses chèvres non loin de là. Chaque jour, l’une s’éloignait pour aller nourrir l’enfant et le chien délaissait son travail pour veiller sur lui. Un matin, Aresthanas s’aperçut que sa chèvre n’avait plus de lait et que son chien n’était pas là. En le cherchant, il découvrit l’enfant abandonné, mais au moment où il voulut le prendre dans ses bras, une lumière émanant du petit corps l’éblouit. Comprenant que cet enfant avait des origines divines, il le laissa là. Apollon vint le reprendre et le confia au centaure Chiron qui l’éleva. Il devint un médecin si efficace qu’il ressuscitait les morts !

L’ourse nourricière

Atalante

Plusieurs traditions antiques racontent les aventures de cette héroïne hors du commun. Son père ne voulant pas d’une fille, elle fut abandonnée sur le mont Pélion. Selon l’écrivain antique Elien, « Une ourse aux mamelles gonflées et alourdies de lait, dont les chasseurs avaient tué les petits, arriva et poussée par une inspiration divine, se réjouit de trouver l’enfant et l’allaita. » Des chasseurs finirent par la recueillir et l’élever. Elien précise que, devenue jeune fille, « d’une taille plus grande que les femmes adultes, elle avait un regard masculin et ardent où transparaissait le courage qui lui venait d’avoir été élevée par une ourse… » Elle devint elle-même une redoutable chasseresse et athlète accomplie, la seule femme à participer à la chasse au sanglier monstrueux de Calydon et à l’expédition des Argonautes pour conquérir la toison d’or.

 

Atalante par Pasitélès, Premier siècle av. J.-C., musées du Vatican. Au lieu de la robe longue des jeunes filles, elle porte une tunique de garçon qui ne cache rien de la beauté de son corps !

Une tradition rapporte aussi que Atalante, très indépendante, refusait de se marier. Ceux qui prétendaient obtenir sa main devaient faire la course avec elle, sachant qu’elle les tuerait s’ils perdaient. Elle les laissait partir avec un peu d’avance puis le poursuivait, armée d’un javelot. En les dépassant, elle les abattait d’un coup de javelot. Elle exécuta ainsi plusieurs amoureux. On peut penser que sa nourrice lui avait transmis sa force et mais aussi sa férocité !

Finalement, un jeune homme réussit à la vaincre par ruse, mais il oublia de remercier Aphrodite qui l’avait aidé. En punition, elle inspira aux deux jeunes gens un violent désir qu’ils assouvirent alors qu’ils étaient dans un temple. Furieux de l’offense, la divinité auquel appartenait le temple (Cybèle ou Zeus selon les auteurs) transforma les deux amants en lion et lionne, mais ils ne pouvaient plus s’accoupler.

Pâris

Hécube, reine de Troie rêva qu’elle enfantait une torche qui mettait le feu à la ville. Devant ce présage de destruction, le roi Priam décida d’abandonner son fils dans la montagne. Il fut allaité par une ourse puis élevé par des bergers. Devenu adulte, il fut reconnu par sa sœur qui avait le don de divination et reprit sa place de prince de Troie. On se souvient qu’il profitera de son ambassade auprès du roi grec Ménélas pour enlever son épouse Hélène, ce qui déclenchera la guerre de Troie. Le rêve de destruction, hélas, se réalisera.

 

Héraclès retrouvant son fils Télèphe, copie romaine des I-IIe siècles d’après un original grec. Musée du Louvre.

La biche nourricière

Télèphe

Fils secret d’une prêtresse et de Héraklès, le bébé est d’abord caché dans le temple par sa mère. Ce manque de respect pour le lieu saint entraîne une épidémie de peste. Apollodore nous raconte qu’ensuite « L’enfant est abandonné sur le Mont Parthénios en Arcadie. Il est nourri par une biche qui vient juste de perdre son faon puis est recueilli par des bergers qui lui donnent le nom de Télèphe » (tele = mamelon et elaphos = biche).

Héraclès retrouvera son fils, qui connaîtra de multiples aventures. Les rois de Pergame (actuelle Turquie) se disaient ses descendants.

Mythologie romaine

Le sein animal

La louve nourricière

La prêtresse Rhéa Silvia avait fait vœu de chasteté mais le dieu Mars la féconda. Son oncle Amulius, roi de la ville d’Albe, ordonna qu’on jette dans le fleuve les deux bébés qu’elle mit au monde. En effet, il avait pris le pouvoir en le volant à son frère, le père de Rhéa Silvia, et il ne voulait pas que ses petits-neveux viennent réclamer leur héritage.

Mais le fleuve Tibre déposa délicatement sur la berge le panier contenant les bébés qu’on avait jeté dans ses eaux. Une louve les allaita quelque temps puis un berger les recueillit. Devenus adultes, les jumeaux décidèrent de fonder une ville à l’endroit où ils avaient été sauvés. Un conflit les opposa et Romulus tua son frère Rémus. C’est sous ce signe de violence que naquit Rome, la ville fondée par Romulus. Le lait de la louve est-il responsable de cette sauvagerie ? D’autres mythologies mettent en scène une rivalité mortelle entre frères, la plus célèbre étant celle de Caïn meurtrier d’Abel. 

La louve capitoline, bronze, Musée du Capitole à Rome. Cette sculpture a longtemps été considérée comme étrusque, mais des études récentes la datent du milieu du Moyen Age. Les bébés sont de la Renaissance. Elle est le symbole de Rome.

La jument nourricière

Selon l’Enéide de Virgile, le père de Camille est un roi du Latium (région de la future Rome). Son peuple l’a chassé à cause de son comportement tyrannique. Dans sa fuite, il est arrêté par une rivière en furie. Pour sauver sa fille chérie dont la mère vient de mourir, il l’attache à un javelot et lance le javelot par-dessus l’eau déchaînée. L’arme se plante en terre sans dommage, grâce à la protection de la déesse Diane. Le roi déchu et sa fille survivront seuls dans les forêts, le père la nourrissant avec le lait d’une jument sauvage. Devenue adulte, Camille sera une redoutable chasseresse et guerrière et sera tuée au combat par un soldat de l’armée d’Enée.

Métabus attache Camille au javelot, par Jean-Baptiste Peytavin, 1808. Survoler une rivière en furie en étant attachée à un javelot, voilà une manière aventureuse de commencer sa vie ! 

Le lait animal : une vraie influence sur le destin ?

Le fait que Romulus ait tété une louve ou Atalante une ourse ou Camille une jument sauvage était mis en avant par certains auteurs  antiques pour justifier une part de leur violence. En comparant les récits, on se rend compte que le motif du sauvetage par un animal n’est qu’une broderie littéraire qui ne change rien à la structure du mythe : que l’enfant soit sauvé directement par un berger (tel Oedipe) ou après avoir été nourri par une femelle animale, il accomplira de toute façon le destin que les dieux ont voulu pour lui à l’avance.

Mythologie égyptienne

Pour les Egyptiens, le divin n’est pas dans une relation d’opposition avec l’animal. Au contraire, il y a une parfaite fluidité entre les deux pôles. Dans les représentations, les scènes d’allaitement divin sont courantes, l’allaitement faisant partie de la relation normale d’une mère avec son fils.

La déesse Isis allaitant son fils Horus, statuette de faïence bleue, Musée des Beaux-Arts de Strasbourg.

Ces statuettes sont extrêmement fréquentes, Isis étant la plus déesse la plus importante du panthéon égyptien. Elle est le modèle de l’épouse et de la mère.

La déesse Hathor allaitant le pharaon, bas-relief sur temple de Denderah, Egypte.

Le pharaon étant considéré comme le fils spirituel des dieux, il est normal qu’une déesse soit sa nourrice. Hathor est représentée soit comme une vache, soit comme une femme portant le disque de la lune entre des cornes de vache. C’est la déesse de l’amour et des accouchements.

Mythologie indienne

Krishna l’enfant divin et ses trois mères

Par une voix surnaturelle, un méchant roi avait appris que le huitième enfant de sa sœur le tuerait. Il enferma sa sœur et le mari de celle-ci dans une prison bien gardée. La nuit où naquit Krishna, le huitième enfant, un miracle endormit les gardiens et le père parvint à faire sortir l’enfant de la prison. Il l’emmena dans un village voisin et l’échangea avec une petite fille qui venait de naître. Le méchant roi tua la petite fille qui était en réalité une déesse incarnée. Avant de s’envoler pour le ciel, la déesse se moqua du roi en lui disant que l’enfant divin était toujours vivant. Ah ! Les femmes, et même les déesses ! toujours trop bavardes !

Le méchant roi décida alors de faire mourir tous les nouveau-nés. Pour cela il ordonna à une sorcière nommée Putana (ça ne s’invente pas, un nom pareil !) de parcourir les villages en se faisant passer pour une bonne nourrice. Et tous les bébés que les mères trop naïves lui confiaient mourraient empoisonnés par son lait de sorcière. Mais bébé Krishna s’empara de son sein sans en être incommodé et au contraire ce fut la méchante sorcière qui mourut à cause de cet allaitement.

Krishna et sa nourrice sorcière, terre cuite indienne. Ce type de représentation est assez rare.

Krishna allaité par sa mère adoptive, Yashoda, bronze indien, Metropolitan museum de New York.

Ensuite, Krishna sera nourri et éduqué par la gentille Yashoda, sa mère adoptive. Devenu adulte, il libèrera ses parents et tuera le méchant roi son oncle. Il connaîtra d’innombrables aventures, qui en font un des dieux les plus vénérés de l’Inde. La scène de son allaitement par la gentille Yashoda est très souvent représentée parmi les objets de dévotion à Krishna, images ou figurines.

Du  sein  nourricier  au  sein  protecteur

A partir de l’âge des métaux, avec l’élevage des animaux domestiques, la lactation des mères perd son caractère magique, son rôle indispensable à la survie de l’enfant et à la transmission des qualités du lignage. Elle apparaît comme une fonction animale. En Grèce comme à Rome, les femmes de haut rang délèguent les fatigues de la lactation et de l’allaitement à une autre femme, généralement une esclave.

Mais le contact physique n’est pas totalement coupé : le sein de la mère est valorisé dans les récits et les images comme un lieu privilégié de protection, d’échange affectif et d’éducation morale.

Pasiphaé et son fils le minotaure, céramique grecque, vers 340 avant notre ère, Bibliothèque nationale de France. Même cet enfant né d’un accouplement monstrueux entre une femme et un taureau peut se blottir contre le sein maternel !

Une scène de l’Iliade est révélatrice de cette séparation entre fonction nourricière et fonction protectrice-éducative : Avant de partir au combat contre les Grecs qui assiègent sa ville, le héros troyen va dans l’appartement de sa femme. « L’illustre Hector tend ses bras vers son fils ; mais à la vue de son père, l’enfant, effrayé par le vif éclat du bronze et par la crinière qui flottait d’une manière menaçante sur le sommet du casque, se jette en criant sur le sein de sa nourrice » (Chant VI, vers 466-470)

Après avoir ri de la peur de son fils, le héros retire son casque et peut ainsi reprendre son fils calmé. Puis « il remet son enfant dans les bras de son épouse chérie, qui le presse contre son sein avec un sourire mêlé de larmes ».

Andromaque ne reverra pas vivant son époux et son fils sera jeté du haut des remparts de Troie. La capacité protectrice du sein féminin trouve vite ses limites face à une armée déchaînée…

Les adieux d’Hector à Andromaque, céramique du sud de l’Italie, vers 360 avant notre ère, Musée national du palais Jatta, Ruvo di Puglia, Italie. Le petit Astyanax touche la poitrine de sa mère d’une main et tend l’autre vers le casque de son père, objet effrayant et attirant à la fois.

L’allaitement par une femme esclave continuera à être la règle dans les sociétés esclavagistes, comme les Amériques (Sud des Etats-Unis et Amérique du Sud) ou le monde musulman. Ainsi, la photo ci-dessous montre un allaitement dans l’Empire Ottoman du début du Vingtième siècle.

Nourrice noire esclave. Carte postale publiée à Ankara en 1903.

Valorisé (semble-t-il) par les représentations de la préhistoire, le sein gonflé de lait finit par être méprisé, à cause du statut servile de la nourrice dans la société antique (ou son statut de domestique les siècles suivants).

Le sein allaitant va tout de même continuer à attirer l’attention des penseurs : les moralistes, les philosophes et les théologiens lui accordent un statut élevé, comme nous le verrons dans l’article : « Le sein symbolique ou mystique ». Et dans un troisième article nous découvrirons quelques aspects du sein en tant qu’objet de désir ou de pitié.

Dame au bain, par François Clouet, 1571, National Gallery of Art, Washington. Il s’agirait de Diane de Poitiers, maîtresse du roi de France Charles VII, dont François Clouet était le peintre officiel. La baigneuse au beau visage exhibe des seins petits et fermes, donc désirables, tandis que derrière elle, la nourrice aux seins gonflés a des traits grossiers. Un même organe, des fonctions très différentes …

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