4 Raconter la guerre : Monde hindou

Parmi tous les récits guerriers de la mythologie hindoue, celui de la bataille de Kurukshetra est le plus célèbre. Ce moment décisif du Mahabharata voit l’affrontement final des cinq frères Pandava et de leurs cousins les cent Kaurava. Des centaines de milliers d’hommes engagés, seuls survivront les cinq Pandavas. 

Comme dans les articles précédents sur le monde hindou, je m’appuie essentiellement sur la traduction de Serge Demetrian, “le Mahabharata conté selon la tradition orale”, Collection Spiritualités vivantes, Editions Albin Michel.

Pourquoi faire la guerre ?

La nécessité d’alléger la Terre

Dans son livre “Promenade avec les dieux de l’Inde, chapitre 10, Catherine Clément précise la lointaine origine de ce carnage. “Pourquoi faut-il une guerre ? À cause de la Terre. La Terre se plaint parce qu’elle est surchargée. Pour soulager la Terre qui porte trop de monde sur son dos, il faut faire la guerre. (…) Pointilleux sur les règles, les dieux vont devoir fabriquer le conflit sur plusieurs générations. On ne se trouve pas devant des cousins qui se battent sans préméditation, parce qu’ils ont mauvais caractère. On se trouve devant un véritable calcul divin pour arriver à les faire s’entretuer.” 

Scène de combat, miniature indienne. Photo Wikicommons.

 

les tentatives pour éviter la guerre

Celui qui veut le pouvoir par jalousie

Ce “calcul divin” dont parle Catherine Clément, le Mahabharata le raconte en détails, à travers l’histoire de la dynastie fondée par Bharata. Ses lointains descendants sont deux frères : l’aîné, Dhritarashtra naît aveugle (voir le thème “Les naissances merveilleuses”) et cède donc le pouvoir à son cadet Pandu. À sa mort prématurée, Pandu laisse cinq fils (les Pandava) dont l’aîné, Yudhisthira, est logiquement l’héritier du royaume, mais il est trop jeune pour exercer le pouvoir. Dans l’attente de sa majorité, son oncle Dhritarashtra monte sur le trône. Il fait élever ses neveux orphelins avec ses cent fils qu’on appelle collectivement les Kaurava. Les Pandava (qui sont en réalité des fils de dieux) sont plus brillants que leurs cousins dans tous les domaines.

Duryodhana, l’aîné des cent Kaurava, veut être le seul héritier du royaume. Furieusement jaloux des talents de ses cousins, il tente de les tuer de diverses façons ; puis, en organisant une partie de dés truquée, il les fait partir en exil dans la forêt, en espérant qu’ils n’y survivront pas. 

Mais ils reviennent sains et saufs.

Les cinq Pandava et leur épouse Draupadi, en exil dans la forêt, rendent hommage au sage Vyasa. Dessin de Ramanarayanadatta astri, Bibliothèque de l’université de Toronto, numérisé sur Open Library.

Celui qui veut le pouvoir pour la justice

Après le retour d’exil des cinq Pandava, se pose le problème de leur statut : ils sont héritiers au même titre que leurs cousins. Une assemblée des rois voisins décide d’exiger que les Kaurava cèdent une partie du royaume. Présent à cette réunion, le roi Krishna (qui en réalité est une incarnation du dieu Vishnou) déclare : “Yudhisthira ne peut renoncer à son droit légitime sans par là même renier la justice.” 

Les rois envoient un messager sonder les intentions de l’aîné des Kaurava, qui refuse de partager le royaume. Informé, Yudhisthira ne perd pas l’espoir d’une solution à l’amiable. Il déclare : 

“Le Créateur maîtrise le bien et le mal, le jeune et le vieillard, le fort et le faible. Le Seigneur transforme en sage un enfant, il peut changer un fou en sage. Nous sommes tous dans la main du Créateur et je le prends à témoin : que la capitale me soit restituée, entourée de cinq villages ; pour ceci, je cède le reste de mon royaume. Je suis prêt à sacrifier pour la paix, mais je ne reculerai pas devant la bataille.”

Hastinapura, capitale du royaume des Bharata, gravure du livre “Histoire du monde”, 1902, numérisé par l’Université de Californie.

La seule façon d’obtenir le pouvoir : la guerre

Devant le messager de Yudhisthira, le vieux roi aveugle essaie de raisonner son fils : “Un conflit armé n’engendre pas le bien, quelle qu’en soit la raison. Contente-toi de la moitié de l’héritage. Tu vois, Yudhisthira se satisferait de sa capitale et de cinq villages alentour.”

Mais Duryodhana choisit la guerre sans hésiter et réaffirme sa haine pour ses cousins :

“Je les massacrerai et je serai le souverain du monde. Sinon, qu’ils me tuent et règnent sur mon royaume. Je suis prêt à renoncer à toutes mes possessions, au trône, à la vie, mais je ne peux vivre en paix avec les fils de Pandu. Je ne leur cèderai pas même la terre que couvre la pointe d’une aiguille.”

Désespéré, car il prévoit le carnage que va provoquer cette guerre, le vieux roi se lance dans un vibrant plaidoyer pour la paix, qu’il conclut par une malédiction :

“Si tu refuses de conclure la paix avec tes cousins, je te maudis ! La masse de Bhimasena te plongera dans le domaine de la mort, où tu trouveras enfin la paix.”

Ni le vieux roi ni son épouse ne parviennent à raisonner Duryodhana. Gandahari, qui par ses vertus a obtenu beaucoup de pouvoirs, prédit elle aussi la victoire des Pandava : “Là où est la justice, là sera la victoire.”

Le vieux roi aveugle et Gandahari réprimandent leur fils, par Ramanarayanadatta astri, Bibliothèque de Toronto (Canada) sur Open Library. (Je rappelle que Gandahari se rend volontairement aveugle avec un bandeau, pour être semblable à son époux.)

Pour qui l’armée de Krishna ?

Chaque chef des deux partis se cherche des alliés. Le hasard fait que Duryodhana et Arjuna (le troisième des Pandava) vont demander l’aide de Krishna au même moment. Le héros accorde à Arjuna de choisir la forme d’aide qui lui convient :

“- D’un côté, mon armée, cent mille soldats ; de l’autre, moi-même, sans aucune arme.”

Sans hésiter, Arjuna choisit Krishna, et Duryodhana est très satisfait de recevoir les cent mille soldats. Refusant de combattre, Krishna sera le cocher d’Arjuna, puisque les princes se battent sur un char tiré par des chevaux. (Ce dispositif est le même dans L’Iliade.)

Pour essayer une dernière fois d’empêcher le massacre, Krishna va en personne rappeler au vieux roi que c’est lui qui a le pouvoir : par son autorité, il doit empêcher Duryodhana de faire la guerre. Mais Dhritarashtra est trop faible moralement pour s’opposer à son fils.

Krishna essaie de convaincre le vieux roi aveugle d’empêcher son fils de provoquer une guerre, par Raja Ravi Varma, photo du site dollsofindia.com.

Krishna (le dieu Vishnou) dans son image cosmique, illustration d’un livre hindou sur l’astrologie, Musée des Beaux Arts de Los Angeles, photo pinterest.com.

Manifestation cosmique du Seigneur Krishna 

En colère contre l’intervention de Krishna auprès du vieux roi, Duryodhana tente de le faire emprisonner. Alors le héros décide de manifester sa divinité : son corps se met à grandir, 

“Sa tête atteignit bientôt le plafond, le creva, dépassa en hauteur les tours du palais. De Son corps glorieux, les dieux parurent tous, un à un, comme un torrent de feu : Brahma, le Créateur, s’élança de sa tête, Agni, le dieu du feu, jaillit de sa bouche (…) Dans ses mains, Krishna brandissait la roue, la masse, la conque et d’autres armes resplendissantes. (…) » 

Toute l’assemblée est bouleversée par cette vision cosmique, sauf Duryodhana, qui s’entête à vouloir faire la guerre. Reprenant son apparence humaine, Krishna annonce publiquement qu’il va rejoindre les Pandava.

Les forces militaires en présence

L’armée des Kaurava

L’armée des Kaurava est forte de onze cent mille hommes. Supérieure en nombre, elle contient, de plus, trois super héros aux origines divines : Bishma (fils de la déesse du Gange et du roi Shantanu ; par sa vertu, il a reçu le droit de choisir l’heure de sa mort), Drona (né du sperme d’un sage mis dans un pot et non dans un utérus féminin, il a été le maître d’armes des chefs des deux armées ; il est invincible) et enfin Karna (fils caché de la reine Kunti et du dieu Soleil, il est lui aussi invincible).

L’armée des Pandava

L’armée des Pandava ne rassemble que sept cent mille hommes. Fils de la reine Kunti et du dieu Indra, Arjuna est le héros modèle, à la fois intelligent, courageux et vertueux, il sait manier toutes sortes d’armes surnaturelles qu’il a acquises par son mérite. Son frère Bhimasena (fils de la reine Kunti et du dieu du vent) est comme son père : d’une force surnaturelle et très impétueux. Son arme préférée est la masse, qu’il abat avec une violence destructrice sur ses adversaires. Les autres frères Pandavas sont des combattants très valeureux mais moins efficaces que Arjuna et Bhimasena. 

Les deux armées face à face, aquarelle sur papier, 1700. Photo Sotheby.

Les interrogations morales

Dès le premier jour, les rapports entre armées ennemies nous paraissent étonnants si on les compare aux récits guerriers des autres mythologies : ici, on s’entretue très amicalement !

Yudhishthira face ses deux maîtres 

Yudhishthira et Bhishma

Alors que les deux armées se font face, Yudhishthira enlève son armure et vient poliment saluer, mains jointes, le chef de l’armée ennemie, Bhishma, auquel il a toujours accordé le titre de “Vénérable ancêtre” ; fils d’un premier mariage du roi Shantanu, le grand-père des cousins ennemis, Bhishma a supervisé avec bienveillance leur éducation commune. Yudhisthira lui déclare :

“- Je te salue, ô Invincible, nous allons te combattre : veuille nous le permettre, accorde-nous ta bénédiction !”

Bhishma lui répond amicalement : 

“- Je suis content de toi, mon fils, lutte et sois victorieux ; puisses-tu gagner dans cette bataille l’accomplissement de ton désir ! Esclaves nous sommes de la richesse ; je suis lié aux Kaurava par elle : j’ai mangé leur pain, j’ai vécu dans leur maison, je me dois de lutter pour eux. (…) Je me suis promis de combattre pour Duryodhana dix jours durant. Le moment venu, je te dirai comment gagner la guerre. Va maintenant, accomplis ton devoir.”

Les Pandava demandent à Bhishma la permission de le combattre. On reconnaît, de gauche à droite, le Seigneur  Krishna avec une auréole de lumière autour de la tête, Bhimasena avec sa masse sur l’épaule, Yudhisthira avec la couronne de roi et Arjuna avec son arc et son carquois. Illustration de Ramanarayanadatta astri, Bibliothèque de Toronto (Canada) sur Open Library.

Yudhishthira et Drona

Puis Yudhisthira va respectueusement saluer Drona, qui a été le maître d’armes des cousins. Drona dit lui aussi dépendre matériellement des Kaurava :

“- Je suis lié aux Kaurava par la richesse, je me dois de lutter pour eux, mais dans mon coeur, je prie pour ta victoire. Elle est certaine ta victoire ! Tu es soutenu par Krishna et de ton côté demeure la justice !”

(Yudhisthira lui demande)  “- Ô toi le meilleur des guerriers, révèle-moi comment te vaincre, toi l’Invincible.” Drona lui révèle alors le secret de sa propre mort : “(…) Je déposerai les armes si j’apprends une terrible nouvelle.”

Drona au combat sur son char. En raison des grandes vertus du maître d’armes, son char se déplace sans toucher terre. Illustration de Ramanarayanadatta astri, Bibliothèque de Toronto (Canada) sur Open Library.

la Bhagavad Gita : le Chant du Seigneur

Arjuna refuse de combattre 

Voyant qu’il s’apprête à tuer des parents, des amis et ses maîtres, Arjuna est pris de désespoir. Il laisse tomber son arc, descend de son char et s’assied par terre en pleurant : “Plutôt vivre d’aumônes que d’exterminer mes précepteurs !”

(Comme Krishna s’étonne de cette attitude, Arjuna lui demande conseil) : 

“- L’âme blessée par la pitié et par la crainte du péché, je t’interroge, car je ne vois plus où est la justice. Que dois-je faire ? Dis-le moi. Je suis ton disciple : instruis-moi car j’ai confiance en toi.”

La réponse de Krishna constitue un moment à part dans le Mahabaratha. Le récit guerrier s’interrompt, les personnages qui attendent de combattre deviennent comme inexistants. La narration se transforme en  un recueil d’interrogations métaphysiques et de préceptes moraux appelé la Bhagavad Gita, terme qu’on traduit par Le Chant du Seigneur ou Le Chant du Bienheureux. 

Sur son char, Arjuna demande à Krishna de lui donner son enseignement.  Photo du site dollsofindia.com

Les arguments pour pousser Arjuna au combat

D’abord, pour apaiser l’angoisse d’Arjuna face aux meurtres qu’il va commettre dans sa propre famille, Krishna lui rappelle le principe de base de l’hindouisme : la réincarnation. Remarque préalable : parmi les traductions proposées, j’ai choisi le terme Âme, parce qu’il est le plus familier, mais vous pouvez le remplacer par les autres traductions existantes : le Soi, le Divin, l’Absolu, l’Éternel, le Principe…

Attention ! Si j’ai bien compris, il ne s’agit pas d’une âme individuelle mais d’un principe éternel cosmique, que d’autres religions appellent Dieu et qui d’après ce texte se “déploie” pour habiter toutes les formes du vivant, parmi lesquelles les humains. 

Les corps successifs habités par l’Âme, illustration indienne moderne, photo Wikicommons.

Ne pleure pas puisque la mort n’existe pas 

(Chapitre 2) “Tu le sais, Celui qui a étendu cet univers est indestructible : nul ne peut accomplir la destruction de cet Impérissable, Et les corps mortels dépendent de cette Âme éternelle, indestructible, immuable. (…) Comme l’on quitte des vêtements usés pour en prendre de nouveaux, ainsi l’Âme quitte les corps usés pour habiter de nouveaux corps.

 Ni les flèches ne la percent, ni la flamme ne la brûle, ni les eaux ne la mouillent, ni le vent ne la dessèche. Inaccessible aux coups et aux brûlures, à l’humidité et à la sécheresse, éternelle, répandue en tous lieux, immobile, inébranlable, invisible, ineffable, immuable, voilà comment est l’Âme. 

L’Âme habite, inattaquable, dans tous les corps vivants, Bhârata ; tu ne peux cependant pleurer sur tous ces êtres.”

Fais ton devoir pour ton honneur

“Considère aussi ton devoir et ne tremble pas : car rien de meilleur n’arrive au Kshatriya (guerrier)  qu’une juste guerre. Par un tel combat qui s’offre ainsi de lui-même, la porte du ciel s’ouvre aux heureux Kshatriyas. Et toi, si tu ne livres pas ce combat légitime, traître à ton devoir et à ta renommée, tu contracteras le péché. Et les hommes rediront ta honte pour toujours : or, pour un homme de raison, la honte est pire que la mort. Les princes croiront que tu as fui le combat par peur : ceux qui t’ont cru magnanime te mépriseront.Tes ennemis tiendront sur toi mille propos outrageants où ils blâmeront ton incapacité. Qu’y a-t-il de plus regrettable ?” 

Fais ton devoir sans chercher à en tirer un profit

“Tué, tu gagneras le ciel ; vainqueur, tu posséderas la terre. Lève-toi donc, fils de Kuntî, pour combattre avec détermination. Considère comme égaux plaisir et peine, gain et perte, victoire et défaite, et sois tout entier à la bataille : ainsi tu éviteras le péché.”

Arjuna au combat sous la direction de Krishna, photo Pinterest.

Le comportement qui ramène l’humain à l’Être 

Une fois Arjuna assuré de la nécessité de combattre, Krishna continue à l’instruire sur le comportement qui lui permettra de revenir à l’Être (l’Absolu, le Créateur, le Divin, l’Âme, le Soi, le Principe, Dieu…) en arrêtant le cycle des réincarnations. Je cite une petite partie de cet enseignement, qui nous rassure sur le comportement à avoir, car l’affirmation que la mort est sans importance ne doit pas être interprétée comme un « permis de tuer » : 

“L’intrépidité, la purification intérieure, la fermeté à acquérir la connaissance, la générosité, la maîtrise de soi, le sens du sacrifice, l’étude des Ecritures sacrées, l’austérité, la simplicité ; la non-violence universelle, la véracité, la patience, le renoncement, le calme, la sincérité, la compassion envers toutes les créatures, le désintéressement, la tendresse, la pudeur, la détermination tranquille ; la force, l’endurance, la volonté, la pureté, l’indulgence, la modestie, tels sont, ô Bhârata, les traits de celui qui est qualifié pour une destinée divine. »

En conclusion, Krishna annonce qu’il récompensera les dévots qui méditent sur son  enseignement: « Et celui qui se pénètrera de cette conversation sainte échangée entre nous, je considérerai qu’il m’a offert le sacrifice en esprit. » 

Aujourd’hui encore, les pieux hindous lisent chaque jour un passage de la Bhagavad-gita, écrite plusieurs siècles avant notre ère.

Le pot à eau et les chapelets d’un saint homme de l’hindouisme. Photo Meena Kadri/Flickr.

Deuxième manifestation cosmique du Seigneur Krishna

Profondément impressionné par l’enseignement de Krishna, Arjuna lui demande le privilège de le voir sous sa forme divine, ce qui est normalement impossible à un humain. Et Krishna accepte de se dévoiler :

“Magnifiquement belle, haute à perte de vue, la Forme divine du Seigneur jaillit devant les yeux éblouis d’Arjuna. Doué de têtes innombrables, de visages, de bouches, d’yeux sans nombre, d’ornements célestes, portant des armes inouïes, ainsi paraît Vishnou, en Sa magnificence. (…) et dans le corps du dieu des dieux, Arjuna contemple l’univers entier, en ses multiples manifestations.”

Krishna apparaît sous sa forme cosmique. En bas à droite, Arjuna prie Krishna de lui laisser voir sa divinité ; à gauche, il est debout en méditation devant le Seigneur révélé.

Pendant son extase, Arjuna entend la voix familière de Krishna lui dire : “Je suis le Temps, le puissant destructeur, et j’accomplis ici ma tâche de destructeur des mondes. Même sans ton aide, aucun guerrier des deux armées ne serait resté en vie. Lève-toi et gagne la gloire ; triomphe de tes ennemis et jouis d’une souveraineté sans rivale. Car voilà, ils sont déjà dévorés par Moi ! Achève Bishma, Jayadratha, Bhurishravas et tous les autres, dès maintenant, ils sont anéantis par Moi, tu es mon instrument, éloigne toute crainte, cours à la bataille et tu vaincras.” 

Les Armes magiques

Dans les mythologies que nous avons déjà parcourues, les dieux combattent à côté des humains. Ici, la force des dieux se manifeste à travers les armes qu’ils ont données aux héros, au cours d’épisodes qui se déroulent longtemps avant la bataille. Elles sont tellement destructrices qu’elles ne peuvent appartenir qu’à des héros de haute vertu. Les plus célèbres de ces armes sont :

l’arc Gandiva donné à Arjuna par Agni le dieu du feu, 

le chakra, donné également par Agni à Krishna, 

Shakti, l’arme absolue, donnée par Indra à Karna, en échange des ses boucles d’oreilles et de son armure d’or qui lui assuraient l’invincibilité. 

Indra remet Shakti à Karna, illustration de Ramanarayanadatta astri, Bibliothèque de Toronto (Canada) sur Open Library.

Nous verrons ces armes à l’oeuvre un peu plus loin. Le chakra ne sera pas réellement utilisé et restera la propriété de Krishna ; après son utilisation par Karna, Shakti retournera d’elle-même  à Indra ; Arjuna jettera l’arc Gandiva dans la mer, afin de le rendre à Varuna, dieu des océans. 

Arjuna jette l’arc Gandiva à la mer; illustration de Ramanarayanadatta astri, Bibliothèque de Toronto (Canada) sur Open Library. Cet arc magnifique, aussi puissant que cent mille arcs ordinaires était accompagné de deux carquois aux flèches inépuisables.

Après la guerre, Arjuna brûlera son char et ses chevaux car ils étaient également un cadeau des dieux.

Le bûcher du char et des chevaux d’Arjuna ; illustration de Ramanarayanadatta astri, Bibliothèque de Toronto (Canada) sur Open Library.

Les dix-huit jours de combat

Les deux premières journées apportent de nombreux morts mais pas de perte parmi les plus grands héros. Aucune tendance à la victoire d’un des partis ne se dessine…

La colère de Krishna

Au troisième jour, voyant que Bhishma, le chef de l’armée Kaurava, fait des ravages, car il possède lui aussi un arc magique, Krishna conduit le char d’Arjuna à sa rencontre ; mais le héros a du mal à tirer sur son “Vénérable ancêtre”. Alors Krishna descend du char et menace le chef ennemi avec son chakra “égal en puissance à mille foudres célestes”. 

Bhishma descend lui aussi de son char, et comme il connaît la divinité de Krishna, il l’accueille avec dévotion :

“Viens Seigneur ! O Toi dont la demeure est l’univers entier, je me prosterne devant le maître de toutes les armes ! (…) Frappe-moi, ô Krishna ! Tué par Toi, qui serait plus heureux que Bhishma en ce monde et dans l’au-delà ? Ô Vishnou, l’honneur que tu m’accordes est immense. Ma gloire sera chantée dans tous les siècles à venir.”

Mais Arjuna descend lui aussi de son char et supplie Krishna de ne pas tuer Bhishma, en lui promettant de combattre sans hésitation à l’avenir. Et il tient promesse : à lui tout seul, par une grêle de flèches, il repousse l’armée conduite par Bhishma.

Cet épisode est le seul moment où Krishna menace de rompre sa promesse de ne pas combattre.

Mais tout au long des 18 jours de la bataille, il va conseiller les Pandava dans leur tactique de combat, pour les mener à la victoire, pas toujours par des moyens honnêtes, comme nous le verrons.

Arjuna supplie Krishna de ne pas tuer Bhishma, par Mahavir Prasad Mishra. Photo Wikicommons.

La sincérité de Bhishma

Le neuvième jour, Bhishma, le chef de l’armée Kaurava, une fois de plus, massacre à lui tout seul des milliers de soldats des Pandava. La nuit suivante, les cinq frères abandonnent leurs armes et leurs armures et se glissent dans le camp ennemi, accompagnés de Krishna, jusqu’à la tente de Bhishma. Ils lui demandent comment le vaincre. 

Bhishma ne connaît ni la haine ni le mensonge. En toutes circonstances, il est fidèle à la Vertu et à la Vérité. Amicalement, il répond que si Arjuna fait monter sur son char un guerrier nommé Shikhandi, il ne se défendra pas contre ses attaques. Car dans une autre vie, Shikandi a été une princesse que Bhishma a involontairement offensée. Elle s’est suicidée, s’est réincarnée en fille, puis, par des pratiques de méditation, elle a réussi à devenir un homme, et elle veut se venger de l’offense en tuant Bhishma. Or le code d’honneur des guerriers leur interdit de combattre une femme.

Le dernier combat de Bhishma

Le dixième jour, comme annoncé, Bhishma ne se défend pas quand Shikandi le menace : il laisse le  guerrier  femme percer son corps de dix flèches. 

Bhishma (sur le char de gauche) ne se défend pas quand Shikandi le vise avec son arc, par Ramanarayanadatta astri. Dans cette interprétation du récit, Krishna et Arjuna ne sont pas sur le même char que Shikandi, mais sont tout à côté, prêts à soutenir son attaque.

Comme Bhishma est de nature divine, il ne manifeste aucune faiblesse malgré ses blessures. C’est seulement après avoir encaissé vingt-cinq flèches supplémentaires d’Arjuna qu’il se laisse volontairement tomber de son char. Reçues par l’avant, les flèches ont traversé son corps et leur pointe est ressortie sur l’arrière. Etant tombé de son char à la renverse, il reste posé à l’horizontale sur les pointes des flèches. Aussitôt, la bataille s’arrête et  les chefs des deux camps s’assemblent autour du “Vénérable ancêtre” qui semble posé sur un lit de flèches. 

L’agonie de Bhishma

Bhishma leur parle amicalement et sollicite l’aide d’Arjuna pour régler deux problèmes : il lui faut un soutien pour sa tête ; Arjuna tire aussitôt trois flèches vers la terre de façon à ce qu’elles soutiennent la tête, comme un trépied. D’autre part, il a très soif. Arjuna choisit dans son carquois une flèche spéciale qu’il charge de magie par une formule, et la tire vers le sol, près de la tête de Bhishma. Aussitôt, un filet d’eau pure jaillit et vient abreuver directement le “Vénérable ancêtre”. Celui-ci rappelle à Duryodhana, le roi des Kaurava, qu’il a tort de ne pas donner une part d’héritage à ses cousins, lui montre l’habileté divine d’Arjuna et le supplie encore de faire la paix. Bien entendu, Duryodhana s’entête et le lendemain, la guerre reprendra.

Bishma sur son lit de flèches, par Mahavir Prasad Mishra. Photo Wikicommons. Arjuna vient de tirer la flèche magique qui fait jaillir un filet d’eau pour Bhishma.

Bhishma décide qu’il quittera son corps au moment du solstice, dans cinquante-huit jours. Je détaillerai l’agonie et le grand départ de Bhishma dans le thème “La mort des héros”, en lien avec le quarante-troisième épisode du roman.

Drona nouveau chef de l’armée Kaurava

Après la chute de Bhishma, Drona est solennellement intronisé  commandant en chef de l’armée Kaurava.

La cérémonie de nomination de Drona à la tête de l’armée, par Ramanarayanadatta astri

Arjuna contre le bataillon du suicide

Durant les onze premiers jours de la bataille, Drona a tué des milliers de soldats Pandava, mais il n’a pas réussi à tuer ou capturer Yudhishthira, car Arjuna a toujours protégé son frère aîné, grâce à son arc magique. 

Au douzième jour de bataille, Drona lance contre Arjuna le “bataillon du suicide”, des guerriers décidés à vaincre ou mourir. Le héros va vaillamment s’opposer à eux toute la journée. Voyant qu’il ne parvient pas à vaincre Arjuna par des moyens humains, le chef du bataillon suicide appelle par des formules secrètes une arme magique nommée Vaishnava et la lance sur son adversaire.

“L’arme effroyable, capable de tout anéantir, se dirige, météore en flammes, vers le Pandava. Vaishnava est sur le point de l’atteindre et de le transformer en un amas de cendres lorsque Krishna s’interpose : il la reçoit en pleine poitrine. Vaishnava se transforme en une guirlande de fleurs au cou de Krishna.” Ouf… 

Krishna protège Arjuna. Illustration du site theharekrishnamovement.org.

La mort d’Abhimanyu, fils d’Arjuna

Pendant ce temps, dans une autre partie du champ de bataille, Drona déploie une tactique pour capturer Yudhishtira. Au cours des mouvements des troupes, le fils d’Arjuna se retrouve isolé au milieu des Kaurava. Ses oncles essaient de le secourir, mais le roi Jayadratha leur barre la route avec ses soldats. Malgré son courage et ses hautes capacités de combat, Abhimanyu est tué après une résistance héroïque.

Abhimanyu seul face aux ennemis, par Ramanarayanadatta astri. Toutes ses armes ayant été successivement brisées, le jeune héros se sert d’un morceau de roue de son char (brisé lui aussi) pour tenir tête à ses nombreux adversaires.

Encore des exploits d’Arjuna

De son côté, Arjuna est venu à bout du bataillon du suicide (Merci Krishna !). Quand il découvre la mort de son fils, il est fou de douleur. Il fait publiquement le serment de le venger dès le lendemain, en tuant Jayadratha avant le coucher du soleil. S’il échoue, il promet de s’immoler par le feu. Ce serment inquiète son entourage car tout le monde pense que l’armée ennemie en sera informée par ses espions et protègera Jayadratha. 

En effet, tout au long de la treizième journée, Jayadratha est inaccessible, soigneusement caché par les troupes des Kaurava. Arjuna tente férocement de forcer le barrage. “Il massacre tout ce qu’il rencontre sur son passage : chevaux, guerriers sur leurs chars, éléphants. (…) La rapidité d’Arjuna rend impossible de distinguer le moment où il prend une flèche de son carquois, de celui où il tend Gandiva et de celui où le trait part : son arc paraît un immense cercle en mouvement continuel.”

Statue d’Arjuna avec son arc, sur l’île de Bali, Indonésie. Photo Wikicommons.

La mort de Jayadratha

En fin d’après-midi, alors que le soleil est près de l’horizon, Arjuna, malgré le carnage, n’a toujours pas réussi à s’approcher de Jayadratha. S’il ne le tue pas, il devra accomplir sa promesse de se jeter dans le feu ! Et, sans lui, les Pandava seront vaincus à coup sûr…

Alors, Krishna fait se lever un épais brouillard noir pour cacher le soleil, en expliquant à son protégé : “- Les Kaurava croiront au coucher du soleil. Pensant avoir gagné, ils cesseront de lutter et te tourneront le dos. Frappe-les alors de toutes tes forces.”

Au cours de la débandade de l’armée adverse, qui croit la nuit arrivée, et grâce à un massacre supplémentaire, Arjuna s’approche enfin de son ennemi. Krishna lui rappelle que le père de Jayadratha est un sage doté de grands pouvoirs ; ayant appris par une prophétie que son fils serait décapité dans un combat, il a lancé une malédiction : celui qui fera rouler à terre la tête de Jayadratha verra sa propre tête éclater en cent morceaux :

“- Agis donc de façon à te protéger de la malédiction du vieil homme : la tête de Jayadratha ne doit pas toucher la terre.” 

Facile à dire… Mais Arjuna est vraiment un archer exceptionnel. Il envoie une flèche magique : “Le projectile céleste arrache la tête de son adversaire, comme un faucon saisit un petit oiseau au sommet d’un arbre. Immédiatement, tirant toujours, Arjuna soutient en l’air, de ses flèches, la tête coupée et la fait avancer sans qu’elle approche du sol.”

Arjuna repousse loin du sol la tête de Jayadratha, par Shri Vitthal Das Rathore, photo du site exoticindiaart.com.

La malédiction s’accomplit

La tête coupée, poussée par les flèches d’Arjuna, vole loin de la bataille et finit par se déposer sur les genoux d’un vieux sage assis en méditation. C’est le père de Jayadratha. Il est tellement concentré sur sa méditation qu’il ne réalise pas que la tête de son fils est là. Quand il cesse son ascèse, il bouge ses jambes et fait rouler la tête par terre. Aussitôt, la tête du père éclate… victime de sa propre malédiction ! Car toute parole prononcée doit s’accomplir. 

La tête de Jayadratha tombe sur les genoux de son père en méditation, par Ramanarayanadatta astri 

Arjuna est félicité par ses frères qui s’émerveillent de ses exploits, mais, fidèle à la Vertu, il reste modeste dans son triomphe, attribuant tout le mérite aux dieux :

“-Krishna me portait en cyclone. Mais, devant moi marchait, gigantesque, Shiva, le Grand Dieu, armé d’une longue épée de flammes : nos adversaires, des fourmis, furent tous éparpillés, écrasés sous les pas lourds du Destructeur des Mondes.”

 

 

La danse de Shiva, sculpture dans le temple du dieu à Badami, Inde. L’action de Shiva, alternativement créateur et destructeur des mondes, est généralement représentée comme une danse. Ses nombreux bras expriment sa force et sa rapidité. Photo findmessages.com.

L’efficacité du démon Ghatotkacha

Ghatotkacha est le fils de Bhimasena et d’une démone qui avait pris l’apparence d’une belle jeune fille pour séduire le Pandava. Bien que terrifiant à voir, c’est un fils aimant et dévoué. Sur le conseil de Krishna, Bhimasena a appelé son fils en pensée et celui-ci, fidèlement, est aussitôt venu sur le champ de bataille. Il utilise ses pouvoirs magiques pour créer une illusion visuelle qui terrifie ses ennemis : “les combattants se voient les uns les autres, les membres coupés, gisant à terre…” Mais aussi pour créer des armes contre lesquelles il n’y a pas de parade.

Krishna demande à Ghatotkacha de combattre pour les Pandava, par Ramanarayanadatta astri. En fils obéissant, le démon salue respectueusement son père et le dieu.

Le dernier combat de Ghatotkacha  

L’efficacité du démon est tellement terrifiante que tous les Kaurava fuient devant lui. Seul Karna ose l’affronter. Le récit de leur combat, qui prend plusieurs pages, est une merveille d’imagination ! Je ne peux en citer que quelques lignes. De ses flèches, Karna a brisé les innombrables armes que Ghatotkacha lançait sur lui. Alors…

“Ghatotkacha, dépité, gagne les nuages et, mugissant comme le tonnerre, déverse une avalanche de troncs d’arbres. (Quand il redescend sur terre, Karna le crible de flèches si bien qu’il ressemble à un porc-épic.) Cependant, imperturbable, le démon secoue ses membres et toutes les flèches tombent. On voit alors germer de son corps plusieurs têtes qui engloutissent les traits célestes de Karna. (…) En une seconde, le démon revêt des formes prodigieuses ; il a cent têtes et cent ventres. Ensuite, avant que les traits de Karna puissent le toucher, il se rend aussi petit qu’un pouce et vole à ras du sol. Il s’enfonce dans la terre pour ressortir en plusieurs endroits à la fois et s’élève ensuite jusqu’à la voûte céleste (…) (Il fait tomber sur l’armée) des traits d’acier trempé aux ailes d’or, des dards, des lances, de lourdes masses d’armes, mais aussi des coulées d’huile bouillante, des roues munies de dents acérées et des rochers énormes.” 

La mort de Ghatotkacha

Comme ce déluge meurtrier pulvérise l’armée, Karna lance la Shakti d’Indra sur  Ghatotkacha. Percé par l’arme qui continue ensuite sa course vers le ciel d’Indra, le démon sait qu’il va mourir. Rassemblant ses ultimes forces, il monte jusqu’aux nuages et se laisse tomber, écrasant ainsi un corps d’armée entier. Même mort, il rend un ultime service aux Pandava. Après la mort du démon, son père Bhimasena et les combattants Pandava le pleurent sincèrement, mais Krishna sourit : maintenant que la Shakti est repartie chez Indra, Karna ne peut plus tuer Arjuna.

La mort de Ghatotkacha et le combat de son armée de démons. Miniature moghole, vers 1763. Photo exequy.wordpress.com. 

La mort de l’éléphant Ashvattaman

Le quinzième jour des combats, Krishna propose aux Pandava un stratagème pour éliminer Drona l’invincible : si on lui annonce la mort de son fils chéri, Ashvattaman, le chagrin l’empêchera de continuer à se battre. Arjuna et Yudhisthira refusent d’employer cette ruse, mais Bhimasena est moins scrupuleux. Il tue d’un coup de masse un éléphant nommé Ashvattaman et vient crier près de Drona : “- Ashvattaman est mort, Ashvattaman est mort !” 

Sur le coup, Drona est enragé et entreprend un massacre dans l’armée des Pandava, puis il voit des sages célestes s’approcher et les entend dire que son séjour sur terre doit se terminer maintenant. 

Bhimasena tue un éléphant (en bas) et  annonce à Drona la mort de Ashwathaman. Dessin de Sadiq de Razmnama, XVIe siècle, département des arts islamiques, Musée de Cincinnati, USA.

La mort de Drona

Drona s’approche de Yudhisthira pour demander si son fils est bien mort. Avec regret, car il n’a jamais menti, et sur l’insistance de Krishna, Yudhisthira répond à haute voix : “Ashvattaman est mort.” puis il ajoute tout bas : “- Ashvattaman l’éléphant.” mais Drona n’a entendu que les premiers mots. Le désir de vivre le quitte. 

Il accomplit un dernier duel contre le frère de Draupadi qui l’attaque, puis se met en méditation sur son char : 

“Il médite, invoquant dans son coeur Vishnou, le Seigneur suprême. Ainsi l’âme de Drona quitte-t-elle son corps et parvient aux cieux. Séparée de son enveloppe humaine, elle brille sur la voûte céleste comme un deuxième soleil.”

L’âme de Drona quitte la terre pour le ciel, par Ramanarayanadatta astri

Dhrishtadyumna, le frère de Draupadi et commandant de l’armée Pandava, s’approche et malgré les protestations de l’armée Pandava toute entière, décapite le vieux maître d’armes et montre sa tête aux deux armées. À ce geste, les Kaurava prennent la fuite. 

“Les Pandava les poursuivent et les massacrent. La tuerie qui s’ensuit prend de telles proportions qu’après la bataille il sera sans doute impossible de retrouver le corps de Drona, perdu dans un océan de cadavres.”

Dhrishtadyumna décapite Drona, dessin de William Jon/flickr. 

Le lendemain de la mort de Drona, c’est Karna qui conduit les troupes des Kaurava ; cette dix-septième journée s’anonce décisive : Karna est décidé à tuer Arjuna ou à mourir ! 

Depuis le début, les deux héros ennemis (qui ignorent qu’ils sont frères) brûlent de s’affronter mais, jusqu’à la mort de Ghatotkacha, Krishna, en conduisant le char d’Arjuna, a toujours veillé à ce qu’ils ne se rencontrent pas. Maintenant que Karna n’a plus son terrible projectile Shakti, il ne peut rien contre Arjuna. Mais patience, avant le duel final, la journée doit d’abord apporter son contingent de cadavres dans les deux camps.

La mort de Dushasana

Le premier duel qui nous est raconté en détails est celui opposant Bhimasena et Dushasana. Ils ont une vieille affaire à régler, rappelez-vous : lors de la partie de dés truquée, quand Draupadi a été jouée par Yudhishtira et gagnée par les Kaurava, Dushasana a tenté de la déshabiller en public pour l’humilier, elle et les Pandava. L’intervention divine de Krishna lui a permis de recevoir autant de longueurs de sari que nécessaire pour la cacher. Ce jour-là, Bhimasena avait juré à haute voix qu’un jour il boirait le sang de cet homme. Or, toute parole prononcée doit s’accomplir. 

Dushasana décoche en vain ses flèches sur Bhimasena, puis celui-ci, en lançant sa terrible masse d’arme, détruit le char du prince, tue son cocher et éjecte Dushasana lui-même. Il n’est pas mort… Bhimasena s’approche.

“Près de sa victime, Bhimasena, tremblant de rage, tire lentement son épée, pose son pied sur la poitrine de Dushasana et l’éventre : le sang gargouille. Bhimasena se penche, se remplit le creux des mains et porte aux lèvres, comme une boisson exquise, la liqueur rouge et chaude.”

Bhimasena boit le sang de Dushasana, estampe de Dharmik Picture House, Lahore, années 1930.

Le duel de Karna et Arjuna

Voici enfin le moment décisif : les deux invincibles vont lutter jusqu’à ce qu’un des deux détruise l’autre ! Et sa mort signifiera la défaite de son camp.

Arjuna et Krishna face à Karna, partie gauche d’une peinture sur tissu. Musée d’art de Philadelphie. 

Karna face à Arjuna et Krishna, partie droite de la même peinture sur tissu, vers 1820.

La flèche serpent

Après avoir lutté en vain par les armes normales, Karna charge son arc avec une flèche magique qui est en réalité un serpent venimeux. Krishna voit arriver l’affreux projectile et pèse de toutes ses forces sur le char, qui s’enfonce de cinq largeurs de main dans la terre. Les chevaux, qui sont divins, plient les genoux pour accompagner le mouvement du char. La flèche passe au dessus de la tête d’Arjuna, qui coupe le serpent en morceaux. 

La roue du char de Karna

Au même moment, le sol commence à dévorer une roue du char de Karna. Le héros se rappelle la malédiction qu’un saint ermite lui avait un jour lancée, parce qu’il avait tué son veau, par maladresse, en s’entraînant avec ses armes : “Puisque tu as tué un être innocent, sache-le, la roue de ton char s’enfoncera dans la terre lors d’une importante bataille.”

Malgré les supplications de Karna, l’ermite n’avait voulu accepter aucune compensation pour la perte de l’animal et avait refusé de retirer sa malédiction : les paroles prononcées doivent s’accomplir.

Le héros saute de son char et tente de retirer la roue du sol où elle est enfoncée. Malgré sa force surhumaine, la terre ne lâche pas sa proie. 

Karna tente de débloquer la roue de son char, par Ramanarayanadatta astri

La mort de Karna

Profitant de ce que son ennemi se trouve sans armes, Arjuna choisit dans son carquois sa flèche la plus puissante et la charge de force maléfique par une prière :

“Que ce trait soit l’arme qui détruira le corps et le coeur de mon ennemi. Si jamais j’ai pratiqué des austérités, si j’ai satisfait mes précepteurs, si j’ai écouté ceux qui me voulaient du bien, que ce trait pointu longuement adoré par moi, détruise, par la vérité de mes paroles, cet ennemi, Karna !

Sur ces terribles paroles, Arjuna projette de toutes ses forces et avec la plus intense concentration, ce trait épouvantable, ardent et féroce, aussi efficace qu’un rite de vengeance.” 

La terrible flèche arrache la tête de Karna. Son corps s’effondre tandis qu’une lumière en jaillit et s’envole au ciel, sous les yeux émerveillés des guerriers.

La mort de Karna par Ramanarayanadatta astri.

La destruction de l’armée des Kaurava

Au matin du dix-huitième jour de bataille, l’armée des Kaurava se rassemble sous les ordres de Duryodhana lui-même. Aveuglé par la haine et bien qu’ayant perdu ses meilleurs soutiens (Bhisma, Drona, Karna et tant d’autres…) il croit qu’il peut encore anéantir ses cousins pour être seul maître du royaume. Il lance l’attaque :

“Les restes de la grande armée des Kaurava se précipitent dans un ultime assaut contre les rangs bien ordonnés des Pandava. Les Kaurava sont vite encerclés et massacrés jusqu’au dernier par les flèches des Pandava qui ressemblent à des serpents venimeux. 

Tôt dans l’après-midi de ce dernier jour, des onze corps d’armée, onze cent mille hommes, avec lesquels Duryodhana avait entrepris la guerre, il ne subsiste aucun soldat ! Duryodhana seul reste debout…”

Le combat de Bhimasena et Duryodhana

Je détaillerai dans l’article “La mort des héros”, en lien avec l’épisode 42 du roman, les considérations morales qui entourent le combat des deux cousins ennemis. Encore une fois, sur le conseil de Krishna, c’est par une ruse que les Pandava vont gagner : d’un coup violent, Bhimasena brise les deux cuisses de son adversaire. C’est ce qu’on appelle “un coup bas”, interdit par les règles : seuls les coups au dessus de la ceinture sont autorisés. 

Le combat de Bhimasena contre Duryodhana, par Ramanarayanadatta astri, Bibliothèque de Toronto (Canada).

Malgré la douleur, Duryodhana trouve la force de parler. Il reproche à Krishna les différentes ruses employées au cours de ces dix huit jours de combat. Mais le dieu incarné n’est pas démonté par ces reproches :

“Quand l’ennemi est plus fort, on recourt à la ruse. Indra lui-même eut recours à la ruse pour vaincre les démons. Nous avons suivi en ceci l’exemple des êtres célestes.” 

Laissant Duryodhana attendre seul la mort, les Pandava vont visiter son camp désert. “Ils y découvrent le trésor de guerre de Duryodhana qu’ils distribuent aussitôt à leurs soldats. Puis l’armée des Pandava se retire dans son propre camp pour se reposer”

Krishna s’oppose à ce que les cinq frères restent avec leurs hommes. Ils leur conseille de dormir un peu plus loin, au bord de la rivière. Lui-même, à la demande de Yudhisthira, se rend à la ville pour présenter des condoléances au vieux roi aveugle et à son épouse Gandahari, qui ont perdu leurs cent fils.

Krishna souffle dans une conque pour annoncer la fin de la guerre. Miniature moghole, XVIe siècle. À droite, les Pandava, dont Arjuna avec son arc et Bhimasena avec sa masse. À gauche, Duryodhana agonisant et des corps humains mutilés. 

Le couple royal a suivi jour par jour et heure par heure les combats, car, par une faveur divine spéciale, Sanjaya, l’ami du roi, voyait et entendait ce qui se passait sur le champ de bataille et le leur racontait. 

Sanjaya raconte au vieux roi aveugle ce qui se passe sur le champ de bataille, par Ramanarayanadatta astri 

La nuit terrible

En fait, tous les soldats Kaurava ne sont pas mort. Il y a trois survivants, parmi lesquels le fils de Drona, Ashvattaman. Il veut absolument venger la mort de son père. Alors il s’offre en sacrifice en montant sur un autel allumé en l’honneur de Shiva, dieu de la destruction. Le dieu lui apparaît, lui donne une épée invincible et entre lui-même dans son corps. Ainsi habité par Shiva, Ashvattaman se glisse dans le campement endormi des Pandava et tue tout ce qui y vit. Les hommes, mais aussi les chevaux et les éléphants, nul n’échappe à sa fureur vengeresse. 

Le lendemain, apprenant la mort de ses cinq fils, Draupadi se met en position de méditation, déclarant à Yudhisthira que, s’il ne lui rapporte pas la pierre précieuse que porte Ashsvattaman depuis sa naissance, elle jeûnera jusqu’à la mort. 

Draupadi en pleurs consolée par une dame, par Ramanarayanadatta astri

Le dernier forfait d’Ashvattaman

Sans attendre la réaction de son aîné, Bhimasena, toujours impulsif, bondit à la recherche d’Ashvattaman. Ses frères et Krishna le suivent de près. En les voyant arriver, Ashsvattaman lance une arme magique terriblement puissante, cadeau de son père, et la dirige mentalement de façon à frapper l’épouse du fils d’Arjuna, qui est enceinte. Il veut que cet enfant à naître ne vive pas. Comme tous les fils des Pandava sont morts, leurs épouses ne pourront plus être mères : par manque de descendants, la lignée des Pandava s’achèvera. 

Ashvattaman lance une terrible arme magique,  par Ramanarayanadatta astri.

La punition d’Ashvattaman

Krishna force Ashvattaman à lui donner sa pierre précieuse, car elle est magique : elle protège de la faim, de la soif, des maladies et même de la mort. Puis il le condamne à trois mille ans de souffrance et de solitude :

“Tu souffriras à cause du mal qui t’habite ; tu parcourras la terre pendant trois mille années, n’ayant de contact avec personne. Sans compagnon, tu erreras dans les déserts, courbé sous le joug de toutes les maladies.”

Les Pandavas face aux parents des Kaurava

Les Pandavas ne sont pas fiers quand ils rejoignent la ville où les dames de la cour et le couple royal (le roi aveugle Dhritarashtra et la reine Gandahari) attendaient la fin de la bataille. Ils se sentent responsables (ou coupables !) de la mort de leurs cent cousins Kaurava et de centaines de milliers de guerriers.

Ils redoutent particulièrement la mère des Kaurava et ses pouvoirs acquis par sa dévotion à son mari. Mais Krishna et le sage Vyasa exhortent Gandahari à pardonner à ses neveux. Elle les laisse s’approcher et lui présenter leurs condoléances. 

Le sage Vyasa exhorte Gandahari au pardon, par Ramanarayanadatta astri.

Gandahari pardonne… ou pas !

Elle accepte même les justifications de Bhimasena : son neveu lui assure qu’il a  seulement fait semblant de boire le sang de Dushasana après l’avoir éventré ; et s’il a tué Duryodhana par un coup bas, c’est que celui-ci était plus fort que lui-même ! Mais la colère bout en elle. Quand elle écarte à peine son bandeau pour entrevoir Yudhisthira qui s’incline devant elle en implorant son pardon, son regard se pose un instant sur l’orteil de son neveu, qui est instantanément brûlé par la force de sa colère ! Heureusement qu’elle ne l’a pas vu en entier !

Gandahari pardonne à ses neveux, mais pas à  Krishna. Elle lui en veut de n’avoir pas évité le massacre. Elle évoque les veuves : “Regarde-les, dévorées de chagrin, chancelantes, s’efforçant d’écarter les vautours, les chacals et les corbeaux des corps de leurs maris. (Elles) s’affaissent de douleur, à la vue de ce terrible carnage.”

Les morts de la guerre entre les Pandava et les Kaurava dévorés par les bêtes sauvages, dans le livre Mythologie Hindoue, de William Joseph Vilkins, 1882, Bibliothèque du Séminaire de Princeton.

La malédiction contre Krishna

Gandahari ne modère pas sa colère envers Krishna. Elle proclame : “Puisque tu es resté de pierre devant l’horrible carnage, tu auras selon tes mérites. (…) Dans trente-six ans, tu mourras toi-même, seul, de façon indigne.”

Conformément à la prédiction, Krishna sera tué par la flèche maladroite d’un chasseur qui le prendra pour un chevreuil, alors qu’il se repose couché dans la forêt. Toute parole doit s’accomplir..

Krishna  blessé au pied par un chasseur, illustration sur le site webdunia.com. C’est de cette blessure ridicule infligée par un homme de très basse caste que mourra celui qui a vaincu les plus grands héros du clan Kaurava. Alors que les images triomphales de Krishna sont innombrables, les représentations de sa mort sont rarissimes. 

Krishsna sauve la dynastie des Pandava

Mais le temps de la mort de Krishna est encore bien loin. Pour le moment, il va prouver son immense pouvoir : blessée par la flèche magique du fils de Drona, la veuve d’Abhimanyu, le fils d’Arjuna, a mis au monde un enfant mort-né. La dynastie va-t-elle s’éteindre ? Non, car Krishna ressuscite l’enfant. 

Le temps du deuil

Tout au long du récit, les journées de combat s’enchaînent sans relâche ; à aucun moment, la narration ne fait état d’une trêve permettant de brûler ou d’enterrer les morts, comme on en trouve dans L’Iliade et L’Énéide. Onze cent mille cadavres Kaurava, plus des centaines de milliers du côté Pandava, c’est tout de même encombrant… 

Enfin, quand les survivants se réconcilient, on nous dit que des cérémonies en souvenir de tous les morts sont célébrées.

Le temps de la gloire

Après les cérémonies de purification du sang versé, Yudhisthira fait une  entrée triomphale dans la capitale Hastinapura, assis sur un char tiré par seize paires de taureaux blancs, accompagné de ses frères. “Bhimasena tenait les rênes, Arjuna portait le parasol blanc, signe de la royauté, et les jumeaux rafraîchissaient leur frère avec des éventails immaculés comme les rayons de la Lune.”

Au cours d’une magnifique cérémonie, l’aîné des Pandava et Draupadi sont couronnés roi et reine. Le nouveau roi prendra toujours soin d’associer le vieux monarque aveugle à toutes les décisions et manifestera toujours un profond respect à la génération précédente. 

L’entrée de Yudhisthira et de son cortège dans Hastinapura, par Ramanarayanadatta astri.

Bhishma sur son lit de flèches

On l’avait complètement oublié dans les tourments de la fin de guerre, mais il est toujours là, méditant sur son lit de flèches, dans un coin du champ de bataille. À la demande de Krishna, Yudhisthira lui rend visite et lui demande des conseils sur la bonne façon d’exercer sa fonction de roi. Aussi à l’aise sur son lit de flèches que sur un lit véritable, le “Vénérable ancêtre” est serein et accueillant comme à son habitude : il prodigue volontiers les conseils demandés, qui sont une sorte d’abrégé des conseils moraux donnés par Krishna à Arjuna au début de la bataille. Ses derniers mots sont : “La Vérité est le plus pur des biens”, puis son âme s’envole aux cieux.

Les Pandava et Krishna en visite à Bhishma, accompagnés de Narada, le grand sage inventeur du premier instrument à cordes, par Ramanarayanadatta astri

 

En guise de conclusion générale à propos des mythes guerriers

Après avoir résumé dans ces quatre articles des récits venant d’horizons assez différents (Iliade, Énéide, Bible, Mahabharata) il faut tenter d’en chercher les points communs.

Moïse portant les Tables de la Loi, ou Les Dix Commandements, vitrail XIXe siècle. Photo Pixabay.

Le partage impossible

Qu’il s’agisse d’une femme (Hélène dans L’Iliade) ou d’une terre (Bible, Enéide, Mahabharata), les mâles s’affrontent pour être seuls propriétaires d’un bien. L’impossibilité de partager une terre est centrale dans la Bible et dans le Mahabharata, mais aussi dans L’Enéide.

Ce n’est pas moi le tueur, c’est le dieu

Bien que prêts à toutes les violences pour assouvir leurs convoitises, les humains n’assument pas leurs actes de guerre : les récits montrent toujours que c’est un dieu qui tue : les humains ne sont que ses instruments. Pourtant, dans deux cas, un texte d’origine divine, proclamant la compassion pour le prochain et l’interdiction de tuer, est inséré au milieu des descriptions de tueries : Les Dix Commandements dans les récits de la conquête de la terre promise (Bible) et la Bhagavad Gita dans le Mahabharata. 

La contradiction entre ce que dit le dieu et ce qu’il fait ne semble gêner personne…

Aujourd’hui, sur nos écrans, l’actualité reste fidèle à cette disproportion entre les récits de guerre et les récits de solidarité. Doit-on en conclure que, au fil des millénaires, l’homme reste un loup pour l’homme ? L’urgence des migrations de masse et des bouleversements climatiques va nous obliger à choisir entre tuer ou aider l’Autre. Comme l’a dit André Malraux, « Le XXIème siècle sera spirituel, ou ne sera pas. »

La ruse : un permis de tuer sans restriction

Le dieu des Hébreux emploie surtout la violence, mais dans les autres récits, dieux et humains ont recours à la ruse… et ça marche ! C’est par ruse que les Grecs prennent Troie et que les Pandava gagnent la bataille. 

Cette méthode encore plus perverse que la violence des combats : dans un duel, chaque combattant a sa chance, et le meilleur gagne. Mais quand dieux ou humains emploient la ruse, la victime est sans défense : ce genre de récit peut être interprété comme un permis d’attaquer, sans que la ou les personnes agressées puissent se défendre.

Dire que la fin justifie les moyens revient à justifier les actes terroristes. 

Une métaphore de tous les combats humains ?

“La guerre est une métaphore des confusions, des doutes, des craintes et des conflits qui préoccupent toute personne à un moment ou un autre de sa vie.”(Article de Wikipédia sur la Bhagavad Gita)

C’est aussi l’interprétation que les chrétiens font des récits de guerre hébreux : ils comparent l’aide que le dieu accorde aux guerriers hébreux à celle qu’il accorde à ses dévots, quand ils le prient pour leurs difficultés personnelles.

Les récits de guerre peuvent être utiles à lire (et faire lire aux enfants) si on les prend comme une métaphore des luttes que chacun mène dans sa vie : le courage de David face à Goliath ou l’intelligence d’Ulysse sont attractifs pour toutes les générations. Ils nous incitent à nous donner du mal pour mener nos combats personnels.

D’autres combats à mener ?

Sur le thème de la guerre, j’ai largement eu de quoi écrire quatre longs articles ; sur le thème de la solidarité, je n’aurais presque rien à dire :  les récits sacrés montrant comment aider les autres sont infiniment moins nombreux que ceux qui nous montrent comment les exterminer… Nous manquons cruellement de modèles héroïques dans ce domaine : le modèle de solidarité le plus célèbre de la chrétienté n’a même pas de nom, on sait juste qu’il appartenait au peuple des Samaritains…

Le bon Samaritain, par Aimé Morot, 1880. 

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