Voir une femme nue

Voir une femme nue (si on est un homme) ou se mettre nue (si on est une femme) sont des actes potentiellement porteurs de malédiction, voire de mort, dans les récits mythologiques ou légendaires. Si ces épisodes sont parmi les plus représentés dans l’art, on peut supposer que c’est parce qu’ils donnent aux artistes l’occasion de peindre de beaux corps féminins.

Mythes

Monde mésopotamien

La descente aux Enfers d’Inanna

Le récit suivant est un des plus anciens exemples de ce thème mythologique, qui considère que la nudité est un état profond de faiblesse.

Inanna, la déesse de l’amour, est la patronne de la ville d’Uruk. Avide de pouvoir, elle décide un jour de visiter les Enfers, c’est à dire le monde des morts, dont la reine est sa soeur Ereshkigal, pour voir si elle ne pourrait pas y étendre son pouvoir.

Elle prévient sa confidente, Ninsubur, pour que celle-ci demande l’aide des dieux, au cas où elle tarderait à revenir. Elle pose sur elle-même les sept parures porteuses de pouvoir et commence à descendre au pays des morts.  Le gardien ouvre une à une les sept portes successives, mais il exige que la déesse abandonne une parure à chaque porte (couronne, collier, boucles d’oreilles, brassière, ceinture, anneaux de mains et de pieds, manteau royal). Après avoir enfin passé la septième porte, elle est nue et privée de tout pouvoir. Elle tente malgré tout d’agresser sa soeur, mais celle-ci est plus forte qu’elle et la condamne à mort en faisant se déchaîner contre elle soixante maladies. Puis elle ordonne qu’on suspende le cadavre d’Inanna à un clou.

Ishtar descend aux Enfers en retirant ses vêtements, illustration du livre Mythes et légendes de Babylonie et d’Assyrie, de Lewis Spence, 1916. 

(Dans les mythes de langue akkadienne, la déesse de l’amour a pour nom Ishtar et Tammuz est son époux, leurs aventures sont les mêmes. Des extraits des textes originaux se trouvent sur le site Littérature mythologique d’Aly Abbara.)

 

Prévenu du non retour d’Inanna par la fidèle suivante Ninsubur, le dieu Enki envoie deux messagers ressusciter Inanna grâce à “la nourriture et à la boisson de vie”. Ereshkigal en est furieuse, mais elle est obligée de céder au grand dieu. Inanna va donc faire le chemin inverse et retrouver une à une ses parures et ses pouvoirs, mais elle est escortée par des démons chargés de faire respecter une règle : le nombre de sujets de la reine des morts ne peut pas diminuer. Puisque, par exception, Inanna remonte du monde souterrain, elle doit y renvoyer quelqu’un à sa place.

Tous ceux qu’elle approche (à commencer par sa suivante Ninsubur) se jettent à ses pieds en la suppliant de ne pas les choisir pour remplaçant. Quand elle arrive dans son palais, elle y trouve Dumuzi, le berger qu’elle avait pris comme époux et avec qui elle partageait le pouvoir. Assis sur le trône et richement vêtu, il fait la fête car il jouit du pouvoir tout seul, en l’absence d’Inanna. Furieuse, elle ordonne aux démons de l’emporter chez les morts !

Monde hébraïque

Adam et Eve, vitrail, photo Falco sous Pixabay

La nudité d’Adam et Eve

Selon la Bible, la nudité est devenue honteuse après la consommation du fruit défendu. Après leur création, “L’homme et sa femme étaient tous deux nus, et ils n’en avaient point honte.” (Genèse, chapitre 3)Mais après avoir désobéi à l’interdiction de manger le fruit de l’arbre de la connaissance du bien et du mal, “les yeux de l’un et de l’autre s’ouvrirent, ils se rendirent compte qu’ils étaient nus, et ayant cousu des feuilles de figuier, ils s’en firent des ceintures.” Et quand le dieu veut lui parler, Adam se cache parce qu’il a honte d’être nu. C’est à ce comportement que le dieu se rend compte de la désobéissance de sa créature.

La nudité de Noé

Ce récit est le seul que je connaisse mettant en scène les malheurs engendrés par une nudité masculine. 

Ayant planté une vigne puis fait du vin, Noé s’ennivre et se montre nu sous sa tente. Son fils Cham, qui était le père de Canaan,  rapporte cet acte à ces deux frères. En tournant la tête pour ne pas voir la nudité de leur père, il viennent poser sur lui un manteau. À son réveil, Noé apprend l’attitude de ses fils : il bénit ses fils qui l’ont couvert et maudit la descendance de l’autre : “Maudit soit Canaan, qu’il soit le dernier des esclaves de ses frères.” (Genèse, chapitre 9, versets 20 à 26.

L’ivresse de Noé, par Giovanni Bellini, vers 1515, Musée des Beaux-Arts de Besançon. 

David voit Bethsabée au bain

Toujours dans la Bible, le deuxième livre de Samuel (chapitre 11) nous raconte une vision de nudité qui va avoir de graves conséquences :

“Un soir, David se leva de son lit. Comme il se promenait sur le toit du palais royal, il aperçut de là une femme qui se baignait et qui était très belle. ”

S’étant renseigné pour savoir qui elle était, David envoya des messagers la chercher et coucha avec elle, bien que sachant qu’elle était mariée à Urie, un soldat parti assiéger une ville ennemie des Hébreux. Quelque temps après cette rencontre, Bethsabée fit savoir à David qu’elle était enceinte.

David fit alors revenir de la guerre le mari de Bethsabée pour qu’il dorme avec sa femme et endosse la paternité de l’enfant à naître, mais, par solidarité avec ses camarades restés au combat, le soldat refusa de rentrer prendre du bon temps chez lui, et passa la nuit en dormant par terre, à la porte du palais royal.

David l’invita alors à manger et à boire avec lui et l’enivra pour le pousser à rejoindre son épouse, mais de nouveau, Urie se contenta de coucher à la dure, sans rentrer chez lui.  David le renvoya alors au front, porteur d’une lettre pour le commandant de son armée, Joab. La lettre ordonnait : « Place Urie au plus fort du combat, puis retire-toi loin de lui afin qu’il soit frappé et meure. » Joab obéit et Urie fut tué comme David le souhaitait.

Après la période de deuil, David épousa Bethsabée et l’enfant naquit, mais Dieu envoya le prophète Nathan reprocher à David son comportement et lui apprendre qu’en punition, son fils allait mourir. « L’Eternel frappa l’enfant que la femme d’Urie avait donné à David et il fut gravement malade. »

David eut beau jeûner pendant sept jours en suppliant Dieu d’épargner son fils, celui-ci mourut. Mais Bethsabée lui donnera un autre fils que David appellera Salomon (Pacifique) et qui sera un grand roi, ami de Dieu.

Bethsabée au bain reçoit une lettre du roi David, par Rembrandt, 1654, photo Pixabay.

monde grec et romain

Actéon surprenant Artémis au bain

On retrouve dans ce récit la déesse Artémis, qui chassa sans pitié la pauvre Callisto enceinte, sans chercher à comprendre ce qui s’était passé. Ici, c’est un chasseur égaré qui lui paraît un criminel méritant la peine de mort. En introduction à son récit, le poète latin Ovide (Premier siècle) s’interroge :

“En quoi une erreur est-elle un crime ?”

Au cours d’une partie de chasse, le prince Actéon se perd seul dans la forêt et arrive sans l’avoir voulu près d’une grotte où la déesse Artémis est en train de se baigner avec ses compagnes les nymphes . “Comme on voit un nuage placé vis-à-vis du soleil, et frappé de ses rayons, se nuancer de mille couleurs, comme brille la pourpre de l’aurore ; ainsi rougit Diane lorsqu’elle se vit exposée toute nue aux regards d’un homme. Bien que la foule de ses compagnes l’environne, elle se dépêche de se mettre de côté et de détourner le visage. Que n’a-t-elle ses flèches sous la main ! Elle s’arme de l’eau qui coule devant elle, la jette au visage d’Actéon, et, répandant sur ses cheveux ces ondes vengeresses, elle ajoute ces mots, présage d’un malheur prochain : « Maintenant, va raconter que tu m’as vue sans voile ! ».

En s’enfuyant, Actéon s’étonne de courir si vite, puis il comprend son malheur en se voyant dans le reflet d’une rivière : la déesse l’a transformé en cerf ! Ses chiens le rattrappent et le dévorent vivant.

Ovide ajoute en commentaire : “Pour les uns, dans sa cruauté, la déesse a dépassé les règles de la justice ; les autres l’approuvent et disent que sa réaction est digne de son austère chasteté.”

Actéon surprend Artémis au bain, par Titien, vers 1556,

Galerie nationale écossaise, Edimbourg.

Tirésias surprenant Athéna au bain

Autre exemple de la sévérité des déesses quand il s’agit de défendre leur pudeur, voici la mésaventure du devin grec Tirésias,telle que la rapporte la Bibliothèque d’Apollodore, dans son  livre III, chapitre 6 (site Remacle.org) :

“Tirésias étant survenu, [comme Athéna et Chariclo la mère de Tirésias étaient au bain ensemble ] il vit la déesse absolument nue. Athena alors lui mit les mains sur les yeux, et le rendit aveugle sur-le-champ. Chariclo la pria de lui rendre la vue ; la déesse ne le pouvait pas, mais elle lui purifia l’ouïe de manière à ce qu’il comprenne le langage des oiseaux, et elle lui donna un bâton de cormier, avec lequel il se conduisait aussi sûrement que ceux qui voyaient.

(Pour une autre version de l’origine de la cécité de Tirésias, voir le commentaire sur les jugements dans l’épisode 7)

Trois déesses nues

Au IIe siècle de notre ère, donc des siècles voire des millénaires après la naissance des mythes, les intellectuels avaient pris un peu de recul avec le respect qu’on doit aux dieux tout puissants. Certains se permettait même de les mettre en scène dans des sketches, comme nos modernes humoristes le font avec les “stars” !

Voici, par exemple, comment le poète Lucien met en scène dans un de ses Dialogues des dieux le jugement de Pâris, le jeune prince troyen chargé par Zeus lui-même de donner une pomme d’or à la déesse qu’il trouvera la plus belle. Pour ce premier concours de beauté de l’histoire, les candidates sont au top : Athéna, Aphrodite, Héra !

Sur ordre de Zeus, Hermès conduit les trois déesses devant leur juge qui, sous prétexte d’être impartial, se permet de demander à les voir nues, ce qu’Hermès accepte sans difficulté :

“Hermès. — Déshabillez-vous, déesses : toi, examine ; moi, je détourne la tête. 
Aphrodite. — Très bien, Pâris, et je serai la première à me déshabiller, pour que tu voies que je n’ai pas seulement les bras blancs, que je ne me vante pas outre mesure d’avoir de grands yeux, mais que je suis également belle en tout et partout. 
Athéna. — Pâris, qu’elle ne se déshabille pas avant d’avoir enlevé sa ceinture : c’est un talisman à l’aide duquel elle pourrait bien te séduire ! En plus, il ne faut pas qu’elle vienne ainsi parée, le visage tout enluminé comme une courtisane, mais qu’elle montre sa beauté toute nue !”

(Pour les résultats du concours, veuillez consulter sur ce site le thème “La justice : les jugements”  en lien avec l’épisode 7 du roman ou directement le site de Philippe Remacle.)

Le jugement de Pâris par Pierre-Paul Rubens, vers 1632, Gemäldegalerie Alte Meister Dresde, Allemagne. Contempler les nus féminins  de Rubens est vivement recommandé aux  dames qui craignent qu’un peu de cellulite n’altère leur beauté : ça fait du bien au moral !

La femme du roi Candaule

L’historien grec Hérodote raconte une autre version de l’histoire de Gygès dont nous avons évoqué l’anneau d’invisibilité. Dans cette version, Gygès est le garde du corps du roi Candaule. Le roi est tellement fier de la beauté de sa femme qu’il oblige son garde à se cacher (forme tout à fait naturelle d’invisibilité) pour la voir nue.

Malgré la discrétion de Gygès, la reine s’aperçoit de sa présence et, comprenant que c’est le roi qui l’a mise dans cette situation qui choque sa pudeur, elle décide de se venger. Aussi déterminée qu’Artémis ou Athéna, elle oblige Gygès à choisir entre l’épouser ou mourir. Pour rester en vie, Gygès accepte de tuer le roi à l’endroit même où avait eu lieu l’offense faite à la reine, après s’être caché de la même façon que la première fois.

La fin du récit est la même : Gygès épouse la veuve et devient roi à la place de Candaule.

La femme du roi Candaule par Léon Gérôme, 1859, Musée de Ponce, Porto Rico.

Mythologie indienne

La mythologie hindoue nous parle aussi du danger d’être vu nu(e), ou de voir quelqu’un de nu. 

La honte de Gangâ

Un épisode du Mahabhârata raconte que lors d’une cérémonie céleste en l’honneur de Brahmâ, le dieu créateur, tous les habitants du ciel défilaient devant le dieu pour lui présenter leurs hommages. “Leur compagnie rassemblait aussi plusieurs sages, parmi lesquels Mahâbhisha admis au rang des dieux pour avoir accompli sur terre d’innombrables sacrifices. Chacun défilait devant Brahmâ et lui présentait ses hommages. Le tour était à Gangâ, la belle déesse du fleuve Gange, lorsqu’un coup de vent releva son vêtement tissé de rayons blancs de la Lune. Par pudeur, l’assistance détourna les yeux. Seul Mahâbhisha la regarda, ravi par sa beauté.”

Brahmâ observa ce manquement et décida :

“- Tu renaîtras sur terre, Mahâbhisha, tu gagneras par de durs efforts ton retour ici, près de moi. Quant à toi, Gangâ qui éveillas le désir de Mahâbhisha, tu renaîtras avec lui et tu l’affligeras et ton séjour sur Terre ne s’achèvera qu’à l’instant d’une colère de Mahâbisha contre toi.

Les deux coupables, les yeux baissés, écoutèrent la sentence de Brahmâ ; puis, abandonnant sans murmurer le bonheur des cieux, ils descendirent sur la Terre où règne la souffrance, chacun de son côté.”

Ce texte de Serge Demetrian est fidèle à la pensée mythique des conteurs indiens qui encore aujourd’hui racontent le Mahâbhârata : il ne peut pas y avoir de porosité entre pudeur et impudeur, et si quelqu’un se place, même un instant seulement et même involontairement  dans le pôle “impudeur”, il doit quitter le monde de la pureté.

Notre vision occidentale nous porterait plutôt à penser que Gangâ n’est coupable de rien, car elle n’est pas responsable du désir qu’elle inspire sans le savoir. Quant à ce désir chez le sage Mahâbisha, il ne nous semble pas non plus mériter une lourde punition puisqu’il n’a pas été suivi d’un passage à l’acte.

La descente de Gangâ, lithographie de Ravi Varma, vers 1910. Sur terre, le dieu Shiva, son épouse Parvati, sa monture le taureau Nandi et un ascète assistent à l’événement.

La suite du récit est également en rapport avec le thème de la nudité et de la frontière à ne pas franchir entre les deux pôles de dualité pudeur/impudeur :

En chemin, Ganga rencontre huit jeunes dieux qui ont l’air soucieux. Interrogés par la déesse sur leur problème, ils expliquent : “Nous avons croisé par mégarde le chemin de Vasishtha, le grand sage, qui venait d’accomplir ses ablutions de l’aube. Et Vasishtha nous a  maudits, il nous a jeté un sort : que nous naissions dans le monde des hommes. Mais il nous faut une mère. Or personne, pas une déesse ne daigne revêtir forme humaine en notre faveur. Toi, Gangâ, consentirais-tu à être notre mère ?”

Gangâ accepte de les enfanter quand elle sera sur terre, mais elle sera une très étrange mère, ce qui vous sera raconté dans l’épisode 11, à propos du thème de la maternité merveilleuse… Pour rester sur le thème de la nudité, on peut remarquer que la mésaventure des huit jeunes dieux indiens est la même que celle d’Actéon avec Artémis ou de Tirésias avec Athéna : ils ont surpris sans le vouloir quelqu’un de chaste à sa toilette et en sont lourdement punis.

Le sari infini de Draupadi

Dans l’épopée du Mahâbhârata, la princesse Draupadi a épousé les cinq frères Pandava. Elle va donc subir avec eux les persécutions des frères Kaurava, leurs cousins qui refusent de leur accorder une part du royaume. Provoqué au jeu de dés par l’aîné des Kauravas, Yudhisthira l’aîné des Pandava accepte de jouer, mais son adversaire triche.  Yudhisthira perd successivement sa part du royaume, sa fortune, ses frères et finalement sa femme, Draupadi. Sans pitié, les Kaurava envoient l’un d’eux la chercher dans l’appartement des femmes. Comme elle refuse de venir, il la traîne violemment, en lui tirant les cheveux.

Draupadi traînée par les cheveux hors de l’appartement des femmes, 1911, Illustration de Evelyn Paul, Monro, W. D. Editeur, New York Public Library

Le récit de Catherine Clément précise : “Elle est dans sa période de menstruation, on l’a sortie de sa réclusion rituelle, elle est donc particulièrement vulnérable. L’un des frères Kaurava déroule le sari pour la voir nue, et la malheureuse est effrayée à l’idée qu’on voie ses cuisses pleines de sang.”

Sans défense face à la violence du guerrier, sans la protection de ses époux qui ont perdu tout pouvoir au jeu de dés, Draupadi se met à prier avec ferveur Krishna. Il entend son appel et au fur et à mesure que Dushashan déroule le sari qui cache son corps, Krishna lui  envoie de nouvelles longueurs de sari pour la protéger des regards.

Dushashan déroule le sari de Draupadi, Mahabharata Tej Kumar, Livre Depot Mahavir Prasad Mishra, Inde. À l’arrière plan, les maris assis par terre, humiliés autant que leur épouse. En haut à droite, Krishna envoie des longueurs de sari.

Les longueurs de tissu s’accumulent et, malgré ses efforts,  Dushashan ne parvient pas à dénuder Draupadi. Les spectateurs de la scène comprennent qu’un dieu la protège et le vieux roi aveugle qui préside le concours de dés ordonne à Dushashan de la laisser tranquille. En compensation à ce qu’elle a subi,  il accorde à la jeune femme le droit d’exprimer trois souhaits et elle demande la liberté pour elle et les cinq Pandava. Ils sont autorisés à partir en exil. Après bien des aventures, ils reviendront pour un ultime combat dont ils sortiront vainqueurs, avec l’aide des dieux leurs pères.

monde chrétien 

Salomé et la danse des sept voiles

Selon les évangiles de Matthieu, chapitre 14 et de Marc, chapitre 6, le prophète Jean-Baptiste avait critiqué le mariage du roi Hérode Antipas avec sa nièce Hérodiade. (Outre leur lien de parenté, le scandale venait aussi du fait que chacun des deux était déjà marié et qu’ils avaient répudié, lui sa femme, elle son mari, pour pouvoir s’unir.) N’acceptant pas d’être critiqué, le roi avait fait jeter en prison le prophète, mais n’osait pas le mettre à mort, car le saint homme avait de nombreux disciples.

De son premier mariage, la reine Hérodiade avait une fille.  Lors de la fête d’anniversaire du roi (qui était donc à la fois son grand oncle et son beau-père depuis qu’il avait épousé sa mère, vous suivez ?) elle dansa avec tant de grâce que le roi proclama qu’il allait lui offrir en  récompense tout ce qu’elle voudrait. La jeune fille prit conseil auprès de sa mère qui lui dit de demander la tête de Jean-Baptiste, car elle le haïssait pour l’avoir critiquée. Comme le roi avait fait un serment devant ses convives, il n’osa pas revenir sur sa parole et ordonna d’aller décapiter le prophète et d’offrir sa tête sur un plateau à la jeune fille.

Cette histoire trouve sa place ici parce que la tradition (mais pas la Bible) précise que, tout au long de sa danse, la jeune fille enleva ses voiles jusqu’à la nudité complète. 

L’historien juif Flavius Josèphe précise que le nom de la belle-fille d’Hérode est Salomé, mais ne parle pas de l’enlèvement des voiles.

Le roi et Salomé, chapiteau signé Gilabertus, époque romane, Musée des Augustins, Toulouse.  Sur ce décor d’un édifice religieux, la jeune fille est pudiquement représentée. Sur Google images, au nom de Salomé, vous trouverez de nombreuses illustrations plus ou moins érotiques de ce supposé premier streap tease de l’histoire.

La chaste Agnès

Née à la fin du IIIe siècle à Rome, Agnès était chrétienne. Elle fut remarquée par le fils du préfet de Rome mais elle rejeta ses avances en lui disant qu’elle était déjà fiancée à quelqu’un de bien plus noble que lui. En voyant son fils malade d’amour, le préfet interrogea Agnès. Apprenant qu’elle rejetait son fils parce qu’elle s’était promise à Jésus-Christ, il lui ordonna de sacrifier aux dieux romains, sous peine d’être enfermée dans un lieu de prostitution.

Comme elle avait refusé d’honorer les dieux païens, la jeune fille (qui n’avait que douze ans) fut mise nue et conduite ainsi à travers les rues jusqu’au lieu de prostitution, mais ses cheveux se mirent à pousser miraculeusement jusqu’à recouvrir entièrement son corps pour  préserver sa pudeur.

Alors que le fils du préfet se rendait dans le lieu de prostitution pour enfin assouvir son désir, un démon l’étrangla. Fou de colère, le préfet ordonna qu’Agnès soit brûlée comme une sorcière, mais le feu ne toucha pas la jeune fille et détruisit ses bourreaux ; finalement, Agnès fut égorgée.

Sainte Agnès, par José de Ribera, 1641.

La généreuse Lady Godiva

Au XIe siècle, la belle et généreuse lady Godiva était l’épouse du seigneur de Coventry en Angleterre, qui accablait d’impôts les habitants de sa ville. À plusieurs reprises, lady Godiva supplia son mari de diminuer les taxes, mais en vain. Enfin, fatigué de son insistance, il prétendit accepter sa demande si elle traversait la ville nue sur son cheval.

Parce que le bien-être de ses sujets était le plus important pour elle, lady Godiva releva le défi et traversa la ville, vêtue seulement de ses longs cheveux. Pour préserver la pudeur de leur dame, les habitants de Coventry s’enfermèrent tous chez eux pendant son passage. Seul un curieux osa jeter un coup d’œil en cachette, mais il devint aveugle immédiatement, preuve du danger qu’il y a à voir une femme nue !

Son mari tint parole et supprima les impôts.

Lady Godiva of Coventry, par John Collier, 1897, Herbert Art Gallery and Museum, Coventry. Les peintres qui représentent cette légende choisissent toujours de faire retomber les longs cheveux du côté opposé à celui d’où le spectateur regarde la toile !

La belle Mélusine

La légende de Mélusine nous est connue par un roman du XIVe siècle.

Victime d’une malédiction lancée par sa propre mère, la fée Présine, Mélusine voyait le bas de son corps se transformer en serpent tous les samedis. Cette transformation devait rester secrète, sous peine de devenir permanente et définitive. Comme Mélusine était belle et fille de roi, le seigneur Raymondin de Lusignan la demanda en mariage et accepta de ne jamais chercher à la voir le samedi.

Ils vécurent heureux et eurent 10 fils. Grâce aux pouvoirs de Mélusine, les domaines de son époux prospérèrent et s’agrandirent. Mais le frère de Raymondin, jaloux de ce bonheur à la fois conjugal et matériel, l’incita à douter de la fidélité de sa femme et lui conseilla de vérifier ce qu’elle faisait, enfermée dans sa chambre tous les samedis.

Quand Raymondin vit Mélusine sous sa forme maudite, la malheureuse, comme l’avait ordonné la malédiction de sa mère, se transforma en serpent ailé et s’enfuit par la fenêtre. Elle ne reparut jamais sous forme humaine et son mari, désespéré, s’enferma dans un couvent.

Avant d’être définitivement transformée en serpent, et grâce aux pouvoirs magiques qu’elle tenait de sa mère, Mélusine avait eu le temps de construire de nombreuses églises et forteresses, dont nous reparlerons dans le thème “Les constructions magiques”.

Die Schöne Mélusine, par Julius Hübner, 1844, Photo Tripod.com.

mythes et réalités d’hier et d’aujourd’hui 

Il y a bien d’autres exemples de pudeur ou d’impudeur féminine, volontaires ou pas,  dans les mythes ou légendes… Les quelques récits que j’ai cités sont intéressants pour l’image qu’ils donnent du corps de la femme : un objet potentiellement dangereux. 

Face au danger que représente la simple vision du corps des femmes, les différentes parties du monde n’ont pas réagi de la même façon. L’Orient (proche, moyen ou extrême) cachait les femmes dans les appartements privés d’où elles ne sortaient pas, offertes aux seuls regards de leurs légitimes propriétaires et de leur famille.

L’Occident les laissait sortir des maisons, mais dans les représentations imagées qu’il se faisait d’elles, il leur assignait clairement à un statut d’objet sexuel : à partir du Moyen Age, la peinture et la sculpture, avec beaucoup de talent, ont exposé les corps dénudés des femmes, en jouant avec le désir des hommes.

De nos jours, la publicité et la pornographie ont aggravé cette façon d’exposer les femmes, avec de plus en plus de nudité et de moins en moins de talent.

En résumé, les femmes ne sont pas libres de gérer leur exposition à la lumière et aux regards : en Orient elles sont sous-exposées, en Occident, elles sont sur-exposées.

Quant aux hommes, diverses affaires de vidéos supposées intimes et pourtant publiées sur Internet, ont montré que la nudité est encore une malédiction : dans cette situation, l’homme est fragile, sans défense face aux moqueries. Cet état est jugé  incompatible avec l’exercice de hautes fonctions, qui exigent une image de force morale. 

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