La richesse

Depuis que les hommes savent façonner les métaux (or, argent, cuivre et étain dont l’alliage produit le bronze), ils les considèrent comme des richesses. Tout en continuant à accumuler le bétail et les textiles, principales richesses de l’époque néolithique, les humains de l’Âge du Bronze se sont mis à accumuler les objets en métal. Les mythes reflètent cette conception de la richesse.

La première mondialisation

Les communautés qui vivaient dans les régions de l’Inde et du Bassin méditerranéen à l’époque lointaine où les mythes florissaient n’étaient pas repliées sur elles-mêmes.

Entre le pays des Hittites (actuelle Turquie) l’Egypte, la Grèce, l’Afrique du Nord (actuelle Lybie) et la Mésopotamie (actuels Iran et Irak) circulaient largement les biens et les humains, on le sait par les archives de ces royaumes et par les trouvailles archéologiques. Les spécialistes considèrent qu’il y avait déjà  une mondialisation des échanges, dans les limites du monde alors connu, bien sûr.

La réalité des échanges à l’Âge du Bronze récent

Pour donner à comprendre quelles richesses circulaient et dans quelles conditions, je vais m’appuyer sur le travail de l’archéologue américain Eric Cline. Dans son livre passionnant “1177 avant J.-C., Le jour où la civilisation s’est effondrée”, il étudie en détail les échanges qui se pratiquaient autour du Bassin méditerranéen du XVe au XIIe siècle avant l’ère commune.

En introduction à cet article sur la place des richesses dans les récits antiques, je vais citer quelques exemples de la réalité sur laquelle les mythes ont prospéré.

Un des 143 bijoux répartis dans les bandelettes de la momie de Toutankhamon, qui reposait dans un cercueil en or massif. Le tombeau contenait beaucoup d’autres bijoux. Photo Jean-Pierre Dalbéra/Flickr.

Les  échanges  commerciaux

Le navire marchand d’Uluburun

Parmi les chantiers archéologiques évoqués par Eric Cline, le cas le plus parlant est le naufrage d’un navire marchand,  au sud de la Turquie, vers 1300 avant l’ère commune. C’est la plus vieille épave jamais fouillée. Dans ses flancs, les archéologues ont trouvé :

“dix tonnes de cuivre chypriote, une tonne d’étain et une tonne de résine de térébenthine, deux douzaines de rondins d’ébène de Nubie ; environ deux cent barres de verre brut de Mésopotamie, la plupart bleu foncé (…) trois cent quarante jarres cananéennes de deux ou trois tailles différentes, contenant de l’essence de térébenthine, des restes de raisin, de grenades et de figues, mais aussi d’épices comme la coriandre et le sumac ; de la poterie neuve, chypriote ou cananéenne, des lampes à huile, des bois, des cruches et des amphores ; des scarabés égyptiens et des sceaux cylindriques venus d’autres lieux du Proche-Orient ; des épées et des poignards d’Italie et de Grèce (…) un sceptre-massue en pierre des Balkans. Il y avait aussi des bijoux en or, des boucles d’oreilles, un calice ; deux petites boîtes en ivoire en forme de canard destinées à contenir des cosmétiques ; parmi la vaisselle, des bols en cuivre, en bronze et en étain ; vingt-quatre ancres en pierre ; quatorze dents d’hippopotame et une défense d’éléphant.”

Cline précise que l’étain venait d’Afghanistan. On imagine la complexité des circuits commerciaux pour rassembler dans un port de Syrie (d’où venait sans doute ce bateau) ces marchandises en provenance de sept pays différents des trois continents connus alors, et leur trouver des acheteurs en Grèce, où l’on pense qu’il se rendait. Qui avait organisé ce transport ? Un riche marchand ? Un roi ? On ne le sait pas.

Selon Cline, la cargaison contenait assez de métal “pour équiper trois cent hommes d’épées de bronze, de boucliers, de casques et d’armures, sans compter le précieux ivoire et les produits exotiques.” Quant aux autres produits, ils permettaient de “fabriquer des biens très demandés, comme les parfums et les huiles, ou des bijoux comme les colliers en perles de verre.”

En résumé, la “mondialisation” des échanges d’il y a trois mille ans concernait les armes et les produits de luxe, ce qui n’a pas vraiment changé !

Maquette du bateau naufragé à Uruburum. Il mesurait 15 mètres de long et son mât 5 mètres de haut. Musée d’archéologie sous-marine de Bodrum, Turquie.

Les  échanges  politiques

Les cadeaux diplomatiques

Tout le monde a entendu parler du pharaon Toutankhamon. Son père était le fils d’Aménophis III. Il régna donc d’abord sous le nom d’Aménophis IV,  puis il prit le nom d’Akhénaton. Il est connu pour sa révolution religieuse qui lui fit fermer tous les temples d’Egypte, interdisant l’adoration d’un dieu autre que Aton, le disque solaire. Son fanatisme religieux ne l’empêcha pas de poursuivre la politique diplomatique très active de son père. Ils échangèrent tous les deux de fréquents cadeaux avec les rois voisins. Les archives de ces échanges diplomatiques  découvertes par hasard en 1887 et aussitôt mises sur le marché des antiquités sont aujourd’hui dispersées entre plusieurs musées européens ou américains.

Dans une de ces lettres, Akhénaton énumère sur 300 lignes les cadeaux diplomatiques qu’il envoie au roi de Babylone (actuel Irak) : “des objets en or, en cuivre, en argent, en bronze, des récipients contenant du parfum ou de l’huile douce, des bagues, des bracelets de cheville, des colliers, des trônes, des miroirs, des vêtements en lin, des bols en pierre, des boîtes en ébène.”

Il ne s’agit là que d’un exemple parmi des dizaines d’envois de cadeaux, durant les trois siècles présentés dans le livre de Cline. Et les archives de ces époques sont très rares, ce qui ne nous permet pas de mesurer la réalité, seulement de l’estimer.

Boîte en forme de canard, bois et ivoire, Egypte, Nouvel Empire
(XVIe – XIe siècle avant notre ère), Musée du Louvre.

 Les mariages

Dans les lettres accompagnant les cadeaux, les rois et les pharaons s’appellent fréquemment  “frère”. Le plus souvent, ce terme est simplement un signe de paix. Parfois, il s’agit de réels liens de parenté mis en oeuvre par des mariages.

J’emprunte à Cline l’exemple de la venue en Egypte d’une princesse hittite, qui quitte l’actuelle Turquie pour venir intégrer le harem de Ramsès II. Les archives du palais de Ramsès précisent qu’elle lui apportait “de nombreux tributs comprenant or, argent, bronze en grande quantité, serviteurs, chevaux dont le nombre était sans limite, bétail, chèvres, béliers innombrables…”.

Le chancelier Meketre surveille le comptage du bétail, maquette,
Musée Egyptien du Caire, photo Gérard Ducher.

Les  richesses  obtenues  par  la violence

Guerres et pillage

Un moyen simple d’obtenir des richesses était d’aller les prendre là où elles se trouvaient, dans les villes. C’est ainsi que la région de l’actuelle Syrie a été pendant des millénaires alternativement pillée par l’empire hittite (actuelle Turquie), assyro-babylonien (actuels Iran et irak) et par l’empire égyptien. Dans toutes les villes qui font l’objet de fouilles archéologiques, les couches successives mettent à jour des destructions violentes suivies de reconstructions.

Le pillage le plus célèbre de l’Antiquité est celui de Persépolis (actuel Iran) par Alexandre le Grand, en 331 avant notre ère : d’après l’historien grec Hérodote, les trésors furent emportés sur cinq mille mulets et trois mille chameaux, puis la ville fut incendiée et abandonnée. 

Ruines de Persépolis, capitale de l’Empire perse, bas-relief des guerriers. Photo Hansueli Krapf. Les guerriers ont la lance à la main, l’arc et le carquois dans le dos.

Guerre et impositions forcées (tributs)

En général, les vainqueurs ne détruisaient pas complètement les villes, ils se contentaient de les soumettre pour leur faire ensuite payer un impôt appelé tribut. À la différence de nos impôts modernes, ces taxations n’avaient pas de compensation sous forme de routes ou d’hôpitaux ou d’écoles publiques. D’un point de vue actuel, ces méthodes s’apparentaient plutôt à l’impôt des mafias modernes sur les commerçants : “Payez ce que nous demandons, ou nous vous détruirons, car nous sommes plus forts que vous” !

Ougarit riche et soumise

Au nord de l’actuelle Syrie, la ville antique d’Ougarit est un bon exemple de ces villes marchandes (donc riches) dont les empires voisins se disputaient la suzeraineté. Les fouilles ont permis de retrouver de nombreuses archives sur des tablettes de terre cuite. Pour le XIVe siècle avant notre ère, Eric Cline nous dit que “Nous savons que les Ougaritiens étaient suffisamment riches pour payer aux Hittites leur tribut annuel : cinq cent shekels d’or, de la laine teinte et des vêtements, ainsi que des coupes en or et en argent destinées au roi hittite, à la reine et aux hauts dignitaires.”

Ramsès II maître d’un empire

Dans un document appelé par les archéologues Papyrus Harris, Ramsès II présente tous les peuples voisins qu’il a vaincus et précise “Je les ai tous taxés chaque année en vêtements et en grains stockés dans des trésors et des enclos à grains”.

Récolte des épis à la faucille par des moissonneurs. Peinture murale de la tombe d’Ounsou, scribe comptable des grains (détail) vers 1450 av. J.-C. Musée du Louvre.
Aujourd’hui encore, le blé est une richesse parfois stockée par des spéculateurs.

Les  richesses dans  les  récits mythiques

Mythologie grecque

Piller  les  richesses  des  villes

Pilleurs et fiers de l’être

Dès le chant 1, l’illiade évoque les pillages des Grecs dans les cités de la région de Troie. Grâce à ces pillages, ils ont ramené des richesses et de jolies femmes dans le campement où ils assiègent Troie. La prisonnière concubine du roi Agamemnon est la fille d’un prêtre d’Apollon. Son père a essayé de la racheter en offrant une magnifique rançon, mais Agamemnon a refusé.

La peste à cause d’une femme

Le père a alors demandé l’aide de son dieu, et Apollon a envoyé la peste parmi les Grecs. Pour arrêter l’épidémie, le roi accepte de rendre la jeune fille mais il veut une autre captive à la place, ce que lui refuse son compatriote Achille en ces termes :

« Glorieux fils d’Atrée, toi le plus avide de tous les mortels, pourquoi ces Grecs généreux te donneraient-ils une autre récompense ? Nous savons qu’il n’existe plus en réserve de nombreuses dépouilles à partager entre nous tous ; celles des villes détruites ont été distribuées, et il serait injuste que le peuple les rassemblât de nouveau pour un second partage. Renvoie ta captive, puisqu’un dieu l’ordonne ; et les Grecs te dédommageront trois fois et quatre fois, si jamais Zeus nous permet de conquérir Troie, cette ville aux fortes murailles.»

Une femme en vaut une autre

En colère, Agamemnon menace de venir prendre la concubine d’Achille pour remplacer la sienne. Achille se plaint alors d’être bien mal récompensé de tout le mal qu’il se donne dans les combats :

“Jamais je ne reçois un butin égal au tien, quand les Grecs s’emparent d’une superbe ville troyenne. C’est mon bras qui soutient tout le poids de cette guerre impétueuse. Mais, quand se fait un partage, tu reçois toujours les plus riches dépouilles ; et moi, quoique je me sois fatigué à combattre, je rejoins mes navires chargé d’un modeste présent.”

Après avoir vivement argumenté, et suite à l’intervention personnelle de la déesse Athéna, Achille accepte de céder sa prisonnière à Agamemnon, la belle Briséis.

Achille confie Briséis à son ami Patrocle pour qu’il la remette aux soldats envoyés par Agamemnon. Entourée d’hommes, la jeune femme rabat son voile sur son visage. Fresque de la maison du poète tragique à Pompéi, Ier siècle de notre ère.
Musée archéologique national de Naples.

Garder ses richesses coûte que coûte

Mais Achille est un roi et son prestige dépend de ses richesses : il se fait menaçant en ce qui concerne le reste de son butin :

“Je ne veux pas me battre pour garder ma captive, ni avec toi, ni avec aucun autre, puisque vous voulez me reprendre ce que vous m’avez donné. Quant aux richesses que je possède dans mon navire rapide et sombre, nul de vous ne me les volera malgré moi. Ose-le donc ; et tes guerriers me connaîtront; et ton sang noir ruissellera bientôt sur ma lance!”

Profondément blessé de l’affront que lui fait Agamemnon en lui prenant sa captive, Achille se retire du combat, ce qui mettra les Grecs en grave danger, car il est le plus vaillant combattant. Le héros ne rejoindra la bataille que pour venger la mort de son ami Patrocle tué par le Troyen Hector. Il finira tué au combat lui aussi, mais cela n’est pas raconté dans L’Iliade.

Achille mort pleuré par sa mère Thétis et les Néréides, vase grec, vers 550 avant notre ère, Musée du Louvre. Devant le lit mortuaire, le casque du héros, ses protections d’épaules et son bouclier orné d’une tête de Gorgone.

Des regrets pour les compagnons tués au combat

En visite au palais de Ménélas roi d’Argos quelques années après la guerre de Troie (ville appelée aussi Ilion),Télémaque fait remarquer les richesses du palais à un ami :

“- Contemple donc, ô Pisistrate, ami cher à mon cœur, l’éclat du bronze dans ce palais sonore ; vois comme brillent ici l’or, l’ambre, l’argent et l’ivoire. Tel doit être le palais de Zeus Olympien. Quelles innombrables richesses ! A leur aspect je suis frappé d’étonnement !”

En entendant ces paroles, Ménélas rappelle d’où viennent ces richesses :

“Après avoir erré longtemps sur les mers, je suis enfin revenu dans ma patrie à la huitième année, apportant toutes ces richesses dans mes navires. (…) J’ai détruit une demeure pleine d’attraits pour ses habitants, et qui renfermait d’immenses trésors. Plût au ciel que je ne possédasse dans ce palais que la troisième partie de mes richesses et que fussent restés vivants ceux qui périrent dans les plaines d’Ilion, loin d’Argos où paissent les coursiers ! Tous ces guerriers, je les regrette et je les pleure.” (Odyssée Chant 4)

Ulysse aussi pilleur que les autres

Au chant 9 de l’Odyssée, Ulysse raconte ses aventures aux Phéaciens qui l’ont recueilli après son naufrage. Le premier exploit qu’il cite est passé sous silence dans les résumés de l’Odyssée car il choque nos sensibilités modernes :

“En quittant Troie, les vents me poussèrent vers le pays des Cicones, près de la cité d’Ismare. Je ravageai cette ville et je fis périr ses habitants : les jeunes femmes et les richesses furent partagées également entre nous, afin que personne ne restât privé de butin. Puis j’exhortai mes compagnons à fuir d’un pas rapide, mais ces insensés ne m’écoutèrent pas.”

Ulysse explique ensuite que des Cicones rescapés du massacre vont chercher du secours dans l’arrière pays. Alors que les Grecs festoient sur le rivage, les Cicones reviennent les attaquer. Ulysse perd des hommes dans la bataille mais parvient à reprendre la mer, loin d’imaginer les épreuves qu’il va subir avant de retourner chez lui.

Ulysse attaché au mât de son bateau pour résister au chant des sirènes, mosaïque romaine du IIIe siècle. Photo Dougga.

Agamemnon est-il mort pour des richesses ?

Dans le chant 11 de l’Odyssée, Ulysse descendu au pays des morts rencontre l’âme de certaine de ses anciens compagnons. En voyant Agamemnon, il l’interroge pour savoir comment il est mort. Pour lui, il ne peut y avoir que deux manières de périr : dans un naufrage ou dans un combat entrepris pour voler des richesses, ce qu’il exprime ainsi :

“Poséidon ta-t-il fait périr sur tes navires en t’envoyant le souffle impétueux des tempêtes ? Des ennemis t’ont-ils frappé sur la terre pendant que tu dérobais leurs bœufs et leurs riches troupeaux de brebis, et que tu combattais autour de leur ville pour t’emparer de leurs épouses ?”

Apprenant que le roi a été tué par sa propre épouse, Ulysse est très étonné. Et les deux hommes de pleurer ensemble sur la perfidie des femmes…

Masque mortuaire trouvé dans une tombe royale à Mycène, appelé masque d’Agamemnon, bien que sa datation soit plus tardive.

Prendre  les  armes  des  morts

Avant de piller les villes, les combats sont une première occasion de se procurer des richesses, car les armes et armures des ennemis tués reviennent aussitôt au vainqueur. Celles des princes ont une grande valeur matérielle et symbolique.

Combattre ou dépouiller l’ennemi mort ?

Dans le chant 11 de L’Iliade, Agamemnon combat un Troyen jeune marié qui le menace d’une lance :

“Le puissant Agamemnon, saisissant cette lance, l’attire à lui, furieux comme un lion, et l’arrache des mains du guerrier ; alors de son épée il le frappe à la tête, et le prive de la vie : Iphidamas tombe pour dormir un sommeil d’airain. L’infortuné, pour la défense de la patrie, périt loin de sa chaste épouse, dont il reçut à peine les caresses (…) Ensuite, Agamemnon le dépouille et s’éloigne, en portant à travers la foule des Grecs la superbe armure de ce guerrier.”

 

Soldats armés de lances et de boucliers, amphore grecque, VIe siècle avant notre ère.
Musée des Beaux-Arts de Lyon.

Le texte énumère les péripéties des combats en précisant de temps en temps comment les vainqueurs dépouillent les cadavres de leurs ennemis : “Le vaillant fils de Tydée, Diomède, leur arrache la vie et se décore de leurs armes brillantes. Dans le même temps, Ulysse enlevait aussi les dépouilles d’Hypeirochos et d’Hippodamos.”Mais le Chant 11 précise qu’il ne faut pas perdre du temps en s’arrêtant pour dépouiller les cadavres : “Nestor, s’adressant aux Grecs, s’écrie d’une voix forte : – Amis, braves héros, enfants de Danaos, guerriers chers au dieu Arès, qu’aucun de vous, trop avide de butin, ne reste en arrière pour emporter dans les vaisseaux de riches dépouilles. Exterminons nos ennemis, puis vous aurez tout le temps de dépouiller dans la plaine les corps des guerriers immolés. »

Un suicide pour de belles armes

À la mort d’Achille, le héros Ajax ramène son corps et ses armes dans le camp des Grecs. À qui iront ces armes ? Elles ont un prestige immense non seulement grâce au héros qui les a portées mais aussi parce qu’elles ont été forgées par Héphaïstos en personne, à la demande de la déesse Thétis, mère d’Achille.

Cet épisode ne figure pas dans L’Iliade. Plusieurs versions de cette “Querelle entre Ulysse et Ajax pour les armes d’Achille”nous sont parvenues, car pour l’Antiquité, ce mythe était important ; il permettait d’interroger des notions telles que la démocratie, la justice, le respect des lois humaines ou divines : qui devait décider de l’attribution de ces précieuses armes, les chefs ou le peuple ? Les Grecs ou les Troyens ? Et sur quels critères ? Et que penser de la réaction des chefs grecs qui refusent la sépulture à Ajax à cause de son suicide ? Son frère qui veut absolument l’enterrer, a-t-il raison de dire que les lois divines sont supérieures aux lois des chefs humains ? Vous trouverez sur le site mediterranees.net un passionnant compte-rendu de ces analyses antiques du mythe.

Personnellement, je préfère la version d’Ovide :  Les Grecs ont demandé aux héros eux-mêmes de leur donner des arguments pour justifier qu’on leur attribue les armes. Ulysse a gagné parce qu’il était le meilleur orateur. Vous devinez que ce n’est pas par hasard que le poète a choisi de faire triompher la maîtrise du langage sur la valeur guerrière. Au premier siècle de notre ère, le goût poétique n’était plus à la glorification de la vaillance au combat…

Profondément blessé dans son honneur de guerrier, Ajax fait une crise de délire durant laquelle il tue des moutons parqués dans le camp, en croyant tuer les chefs qui lui ont refusé les armes. Puis il se suicide en se transperçant avec l’épée que le Troyen Hector lui a offerte lorsqu’ils ont fraternisé après leur duel, comme je le raconte un peu plus bas.

Le suicide d’Ajax. Détail d’un vase antique, vers 400–350 av. J.-C.
British Museum. Photo Jastrow.

Des  richesses  pour  rançon

Dans ces récits, personne ne trouve choquant de négocier une vie humaine pour des richesses. Les rançons sont très présentes dans l’Iliade, puisque dès le début, il est question de celle offerte pour la prisonnière d’Agamemnon. Le poète ne la détaille pas, on sait seulement qu’elle est magnifique.

Le prêtre Chrysès supplie Agamemnon d’accepter la rançon et de libérer sa fille Chryséis. Détail d’un vase grec, vers 350 avant notre ère. Musée du Louvre.

Pas de rançon pour Adraste

Parmi les rançons ordinaires, je ne cite que celle-ci, extraite du Chant 6 :

Dans ce passage, le poète parle du troyen Adraste dont le char s’est renversé et que le grec Ménélas menace :

“Debout devant lui, Ménélas est armé de sa forte lance ; alors Adraste, embrassant les genoux du guerrier, l’implore, avec ces mots : – Accorde-moi la vie, fils d’Atrée, et tu recevras de magnifiques présents. Mon père possède de nombreux trésors dans ses palais, du bronze, de l’or, et du fer richement travaillé. C’est sûr, il te comblera de dons immenses s’il apprend que je respire encore sur les bateaux des Grecs.”

Intéressé par la rançon, Ménélas est prêt à appeler ses aides pour qu’ils emmènent Adraste prisonnier sur son bateau, mais son frère Agamemnon se moque de sa faiblesse et tue Adraste.

Une rançon pour le cadavre d’Hector

La rançon la plus célèbre de L’Iliade est celle que le vieux roi de Troie Priam a apportée à Achille pour racheter le cadavre de son fils Hector. Au cours d’un combat, Hector a tué Patrocle, l’ami d’Achille. Pour venger son ami, Achille a repris le combat et tué Hector. Mais cela ne suffisait pas à assouvir sa haine. Après l’avoir mutilé et traîné attaché à son char, il laissait volontairement sans sépulture le cadavre, offense terrible qui décide Zeus lui-même à intervenir pour que soient respectés les rites sacrés des funérailles.

Par l’intermédiaire de Thétis, il ordonne à Achille d’accepter une rançon et il envoie sa messagère Iris prévenir Priam qu’il peut sans crainte se rendre dans le camp des Grecs :

“Priam alors ouvre des coffres précieux ; il en retire douze voiles brillants, douze couvertures simples, autant de tapis, autant de robes superbes, et enfin autant de tuniques ; ensuite, il pèse et apporte dix talents d’or, deux trépieds éblouissants, quatre vases et une coupe superbe, que jadis lui donnèrent les Thraces lorsqu’il se rendit chez eux en ambassade, présent d’un grand prix : le vieillard ne veut plus la conserver dans son palais, car tout son désir est de racheter le corps de son fils.”

Grâce à l’action d’Hermès qui le guide, endort les gardes et ouvre la lourde porte de l’enceinte du camp grec, Priam parvient auprès d’Achille, tandis que tout le camp grec dort, sans se douter de rien.

Priam supplie Achille de lui rendre le cadavre d’Hector, sarcophage trouvé à Tyr, IIIe siècle. Musée national d’archéologie, Beirut, Liban.

D’abord obstiné dans son refus et même menaçant, le héros grec finit par accepter la rançon. Puis il invite Priam à manger et à se reposer avant de rentrer chez lui avec le corps de son fils. Le roi troyen accepte mais Hermès vient le chercher en secret, lui disant :

– Ô vieillard, tu n’as aucun souci du péril, en te reposant ainsi parmi tes ennemis, après qu’Achille t’a épargné. Il est vrai que pour délivrer ton fils, tu donnes aujourd’hui de nombreux présents ; mais tes enfants devraient donner une rançon trois fois plus forte pour te racheter vivant, si le fils d’Atrée te découvrait, si les Grecs venaient à l’apprendre. »

Grâce à ses pouvoirs divins, Hermès fait sortir Priam aussi facilement qu’il l’a fait entrer. Avant de se coucher, Achille a promis à Priam que le combat cessera le temps des funérailles, et il tiendra promesse.

Les   amendes   de  guerre

La plus célèbre guerre de la mythologie grecque est la guerre de Troie, actuellement en Turquie. Il y avait des villes grecques dans ce qui est aujourd’hui la Turquie, et dans tout le Bassin méditerranéen. (Je rappelle que Marseille a  été fondée vers 600 avant notre ère par des colons grecs venus de la ville de Phocée en Asie mineure.)

Dans la Grèce continentale, il n’y avait pas d’unité. Il suffisait d’un incident (un meurtre même involontaire, un vol de bétail, une rivalité entre frères pour un trône…) et c’était la guerre entre cités voisines. Les nombreux récits mythiques de guerre sont l’écho de cette réalité.

Une amende de 100 boeufs pendant 20 ans

Apollodore, dans sa Bibliothèque nous raconte comment un habitant de la ville de Thèbes a tué un habitant de la ville de Mynios ; il s’agissait d’un accident mais avant de mourir le Mynien a demandé à son roi Erginos de le venger :

“Alors Erginos fit la guerre contre Thèbes. Il tua de nombreux Thébains, et il leur imposa un traité solennel, sur la base duquel ils devraient lui payer un tribut pendant vingt ans, qui consistait en cent têtes de bétail chaque année. Héraclès, donc, rencontra les ambassadeurs d’Erginos, qui se rendaient à Thèbes pour toucher l’impôt ; il les attaqua, et les mutila en leur coupant les oreilles, le nez et les mains, qu’ensuite il attacha à leur cou avec une corde, en leur disant que c’était là le tribut qu’ils porteraient à Erginos et aux Minyens. Le roi Erginos, ne supportant pas cet outrage, marcha contre Thèbes. Héraclès, avec les armes qu’il avait reçues de la déesse Athéna, prit le commandement ; il tua Erginos, mit en fuite les Minyens et leur imposa de s’acquitter d’un tribut deux fois plus lourd que celui qu’ils avaient imposé.”

Un tribut de jeunes gens voués à la mort

Suite au meurtre de son fils par des jeunes gens d’Athène, Minos, roi de Crète, imposa aux Athéniens une amende consistant à livrer tous les ans sept jeunes hommes et sept jeunes filles, destinés à être dévorés par le Minotaure. Cet horrible tribut fut payé pendant trois ans, puis Thésée, fils secret du roi d’Athènes arriva et se porta volontaire pour faire partie du groupe envoyé à la mort. Il parvint à tuer le monstre, à sortir de son palais le Labyrinthe et à ramener les jeunes gens à Athènes.

Les  riches  cadeaux  d’amitié

Le goût pour les beaux objets et pour les dons d’amitié était tel que même L’Iliade, qui ne parle que de la guerre de Troie, trouve le moyen de raconter des échanges de cadeaux au milieu des combats.

Les cadeaux entre le troyen Hector et le grec Ajax

Ainsi, dans le Chant 7, un duel est organisé entre Hector, champion des Troyens, et Ajax, champion des Grecs. Ils sont d’égale valeur et la nuit tombe sans que nul des deux n’ait tué l’autre. Alors Hector propose à Ajax d’échanger des cadeaux d’amitié :  

“- Cependant, faisons-nous l’un à l’autre des présents glorieux, et que chacun des Grecs et des Troyens dise : Ils combattirent animés d’une rage meurtrière, mais ils se séparèrent unis par l’amitié. En achevant ces mots, Hector donne une épée enrichie de clous d’argent, avec le fourreau et le superbe baudrier ; Ajax donne une ceinture éclatante de pourpre. Ils se séparent : l’un retourne dans l’armée des Grecs, et l’autre se mêle à la foule des Troyens.”

C’est avec l’épée offerte par Hector qu’Ajax se suicidera, par désespoir de n’avoir pas reçu en héritage les armes d’Achille.

Hector et Ajax échangent des cadeaux, illustration d’Andreas Alciatus, 1591.  Bibliothèque royale des Pays-Bas, La Haye.

Les cadeaux entre le troyen Glaucos et le grec Diomède

Dans le Chant 6, le grec Diomède, touché par le courage d’un adversaire troyen nommé Glaucos, lui demande qui il est. Le Troyen raconte sa généalogie et Diomède apprend ainsi que leurs aïeux respectifs Oeneos et Bellérophon se connaissaient. Aussitôt, le Grec plante sa lance en terre en signe de paix et rappelle comment leurs ancêtres échangèrent des cadeaux d’amitié :

“- Il le retint pendant vingt jours dans son palais, et tous deux s’offrirent mutuellement les gages précieux de l’hospitalité. Oeneos fit présent d’un riche baudrier éclatant de pourpre, Bellérophon d’une large coupe d’or, que j’ai laissée dans mes demeures en venant ici. (…) Mais échangeons nos armes, afin que tous apprennent combien nous honorons cette hospitalité qui jadis unissait nos pères. Tous deux, à ces mots, s’élancent de leurs chars, se prennent mutuellement la main, et se jurent une foi constante. Alors, le fils de Cronos prive Glaucos de sa raison, puisque, en échangeant son armure avec Diomède, il lui donne des armes d’or valant cent boeufs contre des armes de bronze  qui ne valent que neuf taureaux.”(Texte cité d’après le site Kulturica)

Diomède et Glaucos échangent leurs armes, détail d’une céramique antique, vers 420 avant notre ère, Musée archéologique régional de Gela. Photo Jastrow.

Les cadeaux reçus et donnés par Ménélas

Dans le Chant 4 de l’Odyssée, le jeune Télémaque, fils d’Ulysse, se rend avec un ami au palais du roi Ménélas pour lui demander des nouvelles de son père. Ménélas est en train de donner un festin à l’occasion du mariage de son fils. Le texte donne de nombreux détails sur l’opulence du palais et le bon accueil qui est fait aux visiteurs :

“Des captives les baignent, les oignent d’huile parfumée, leur donnent de moelleuses tuniques, de somptueux vêtements ; et ils vont s’asseoir sur des trônes auprès de Ménélas, fils d’Atrée. Une esclave s’avance avec une magnifique aiguière d’or, verse l’eau qu’elle contient dans un bassin d’argent pour baigner leurs mains.”

Aiguière et son bassin, orfèvrerie indienne, alliage métallique incrusté d’argent. Musée du Louvre-Lens, Pas-de-Calais. Photo Pierre André.
Base de l’hygiène pendant des millénaires, le couple aiguière-bassin a été fabriqué dans toutes sortes de matériaux, du plus riche au plus modeste.

La belle Hélène, que Ménélas a ramenée de Troie avec tous les honneurs, vient rejoindre les convives du repas. On s’empresse autour d’elle :

“Adraste lui avance un siège élégant ; Alcippe lui apporte un tapis d’une laine moelleuse, et Phylo lui présente une corbeille d’argent qu’Hélène reçut d’Alcandre, l’épouse de Polybe, qui demeurait à Thèbes, ville d’Égypte, où les palais renferment de grandes richesses. Polybe lui-même donna à Ménélas deux bassins d’argent, deux trépieds et dix talents d’or. Alcandre fit à Hélène de magnifiques dons, une quenouille d’or et cette corbeille circulaire en argent, dont les bords extérieurs sont enrichis d’or.”

Après une nuit de repos, Ménélas donne à Télémaque des informations sur Ulysse et l’invite à rester au palais quelques jours avant de repartir à la recherche de son père : “Je préparerai tout pour ton départ, et je te ferai des présents magnifiques. Je te donnerai trois coursiers, un char richement travaillé ; et j’ajouterai à ces dons précieux une belle coupe pour qu’en offrant des libations aux dieux immortels tu te souviennes toujours de moi. »

Mais Télémaque refuse les chevaux, en disant que son île n’a pas de riches pâturages convenant aux chevaux, seules des chèvres peuvent y brouter. Alors Ménélas a une autre idée de cadeau :

“De toutes les choses précieuses que renferme mon palais, je choisirai pour toi la plus estimée et la plus belle ; je te donnerai une coupe artistement faite, tout en argent, et dont les bords sont couronnés d’un or pur : c’est l’œuvre d’Héphaïstos. Je reçus cette coupe du héros Phydime, roi des Sidoniens, lorsqu’à mon retour il m’accueillit dans sa demeure. Tel est le présent que je veux t’offrir.”   

Cratère de Vix. Musée du Châtillonais, Châtillon-sur-Seine. Diamètre maximal : 1,27 m ; poids : 208,6 kg ; hauteur : 1,64 m ; capacité : 1 100 litres. Il a été trouvé en 1953 à Vix, dans la tombe d’une princesse celte. Fabriqué en Italie du Sud, il date d’environ 525 avant notre ère. L’article très détaillé que Wikipédia consacre à cet objet précise : “Ce vase de grand prestige était certainement bien trop grand pour être utilisé. Ce fut très certainement un cadeau relevant de dons mutuels entre princes et puissants.”

Ulysse sollicite des cadeaux

Dans le Chant 6 de l’Odyssée, Ulysse est accueilli dans l’île des Phéaciens, mais il n’a plus rien, pas même son radeau que la tempête a disloqué. Après avoir payé l’hospitalité en racontant ses aventures, qui ont fasciné le roi Alcinoos et tous les Phéaciens,  il leur demande de le ramener dans son île natale, mais pas les mains vides :

“Puissant Alcinoos, toi le plus illustre des Phéaciens, si tu m’ordonnais de rester ici une année entière, je l’accepterais, pourvu que tu veuilles bien préparer tout ce qu’il faut pour mon départ et me combler de dons magnifiques ; car il me serait agréable de rentrer dans ma douce patrie les mains remplies de présents. Je serais alors chéri et honoré de tous ceux qui me verraient revenir à Ithaque.”

Les  transferts  de  richesse  par  le  mariage

Les récits évoquent souvent les mariages. La coutume grecque veut qu’un homme obtienne une épouse en échange de cadeaux qu’il remet à sa belle-famille.

La beauté se paie !

Dans L’Iliade, l’ambiance est plus au combat qu’à la noce, mais le Chant 11, en racontant la mort du jeune Troyen Iphidamas, évoque son récent mariage : “ Iphidamas tombe pour dormir un sommeil de fer. L’infortuné, pour la défense de la patrie, périt loin de sa chaste épouse, dont il reçut à peine les caresses, et lui laissa de grands biens ; il lui donna cent bœufs, et lui promit mille chèvres ou brebis, qui paissaient dans ses pâturages.”

Dans le  chant 11 de l’Odyssée, Ulysse raconte sa descente au Royaume des morts pour interroger le devin Tirésias sur son destin. Il rencontre les ombres d’hommes et de femmes célèbres. Quand il s’agit d’hommes, il évoque leurs combats, quand il s’agit de femmes, il parle de leurs brillants mariages ou de leurs illustres amants : “Je vis aussi la belle Chloris, que jadis Nélée prit pour épouse à cause de sa beauté, et qu’il obtint en échange d’immenses présents.”

Une femme peut-elle résister aux beaux cadeaux ?

Au chant 15 de l’Odyssée, la déesse Athéna vient auprès de Télémaque pour lui recommander de ne pas s’attarder chez Ménélas : “Ne reste pas plus longtemps loin de ta maison, toi qui as abandonné tes richesses et laissé dans ton palais des hommes remplis d’insolence. Les prétendants pourraient dévorer ton héritage en se partageant tes biens, et alors tu aurais fait un voyage inutile. Demande à Ménélas de te renvoyer rapidement afin que tu retrouves chez toi ta mère encore irréprochable. Déjà son père et ses frères la pressent de se marier avec Eurymaque, qui l’emporte sur tous les prétendants par les dons les plus riches et qui promet le plus beau cadeau de fiançailles. Prends garde que, malgré toi, des trésors ne soient enlevés de ta  maison. Tu sais quelle est la pensée d’une femme ; elle veut toujours augmenter les richesses que donne celui qu’elle épouse, et ne se souvient plus ni du mari qu’elle aima dans sa jeunesse, ni de ses premiers enfants, elle ne s’en inquiète plus.” (Texte cité d’après le site Kulturica.fr)

De retour à Ithaque, Télémaque et Ulysse tueront Eurymaque et les autres prétendants  de Pénélope.

Le massacre des Prétendants par Ulysse et Télémaque, vase antique,
IVe siècle avant notre ère. Musée du Louvre.

Zeus emportant Ganymède, statue en terre cuite, IVe siècle avant notre ère.
Musée archéologique d’Olympie. Photo Joanbanjo.

Pour un garçon, des cadeaux aussi !

Dans l’Hymne à Aphrodite, la déesse raconte comment Zeus fit un magnifique cadeau à Tros, père du beau Ganymède dont le roi des dieux était tombé amoureux :

“Ainsi jadis Zeus enleva le blond Ganymède à cause de son admirable beauté (…) Cependant Tros, ignorant en quel lieu la tempête avait emporté son fils, éprouvait un chagrin profond : ses gémissements étaient continuels. Zeus en eut pitié ; il lui donna pour la rançon de son fils des chevaux rapides destinés à porter les dieux. Tel fut le présent de Zeus. Par son ordre, Hermès, le messager des dieux, lui annonça en outre que ce fils était pour jamais affranchi de la vieillesse et de la mort. Tros, ayant reçu le message de Zeus, cessa de gémir ; son âme ressentit une joie extrême.” (Texte cité d’après le site Kulturica.fr)  

Des  richesses  pour  les  dieux 

Cette représentation de l’impératrice chrétienne Théodora, bien que datant du VIe siècle de notre ère, donne une idée de la somptuosité des parures féminines antiques. Mosaïque à fond d’or, basilique de Ravenne, Italie.
Photo Peter Milosevic.

Dans l’Antiquité, la richesse est tellement associée à la puissance qu’il est évident que les dieux sont riches. Les mythes précisent qu’ils possèdent des armures d’or artistiquement travaillées, se déplacent sur des chars richement décorés et vivent dans des palais plus somptueux que tout ce que les humains peuvent imaginer. Quant aux déesses, ce sont des publicités vivantes pour la haute  joaillerie, à l’exception d’Athéna et d’Artémis les deux déesses vierges.

Les beaux bijoux d’Aphrodite

Voici comment Aphrodite apparaît à Anchise, le beau jeune homme qu’elle veut séduire :

“Le héros est frappé de surprise et d’admiration à la vue de cette beauté, de cette taille et de ses superbes vêtements. Sa tête était couverte d’un voile plus brillant que l’éclat de la flamme ; elle portait des bracelets recourbés et de riches pendants d’oreilles. Autour de son cou s’arrondissaient de superbes colliers d’or ; sur sa poitrine magnifique une parure admirable à voir brillait comme les rayons de la lune. Anchise est aussitôt pénétré d’amour.” (Hymne à Aphrodite, cité d’après le site Kulturica.fr)

Les trésors

Outre les sacrifices d’animaux sans cesse renouvelés, les anciens Grecs offraient à leurs dieux des richesses qui étaient conservées dans les temples. Dans les sanctuaires fréquentés par tous les Grecs, comme celui de Delphes, les cités les plus puissantes construisaient de petits édifices destinés à contenir ces offrandes. Le contenant comme le contenu étaient appelés un trésor.

Le trésor des Athéniens dans le sanctuaire de Delphes, photo Yair Haklai.

Riche comme Crésus

Grâce aux paillettes d’or que charriait le fleuve Pactole, Crésus était le roi le plus riche de l’Antiquité ; son royaume était situé dans l’actuelle Turquie. Il a réellement existé mais la légende s’est emparée de son nom  en augmentant probablement la quantité de ses richesses ! Il fut très généreux envers le sanctuaire de Delphes. Wikipédia nous dit :

“D’après Hérodote, il offrit trois mille têtes de bétail, des lits recouverts de lames d’or, des coupes d’or, des vêtements teints de pourpre, cent briques en or pur, deux grands bassins pour mélanger l’eau et le vin, en argent et en or, quarante barils d’argent, une statue de sa boulangère également en or, les bijoux de son épouse et enfin un lion tout en or. Ce lion fit longtemps l’admiration des visiteurs à Delphes. Lors d’un incendie, il perdit la moitié de son poids. Le reste encore respectable fut placé dans le Trésor des Lacédémoniens.”

Crésus montrant ses richesses à Solon, XVIIe siècle, Musée Calvet d’Avignon. Solon était un homme d’état athénien connu pour ses réformes ; il a notamment aboli l’esclavage pour dettes et libéré ceux qui étaient victimes de cette pratique à Athènes.

Le trésor de Berthouville

En 1830, à Berthouville près de Bernay en Normandie, un laboureur découvrit un trésor. Il s’agissait d’une centaine de pièces d’argenterie et de statuettes offertes à un temple en l’honneur du dieu Mercure (Hermès). Elles avaient été enterrées, probablement pour les protéger d’une invasion barbare, et oubliées… jusqu’à ce que la charrue de Prosper Taurin se bloque sur une tuile du toit effondré. Le trésor n’était qu’à une vingtaine de centimètres de profondeur. Prévenus par le laboureur, les archéologues locaux fouillèrent le site et achetèrent le trésor qui est aujourd’hui à la Bibliothèque nationale.

Ce détail d’une des coupes aux centaures du trésor de Berthouville montre une Centauresse tourmentée par deux Amours, l’un jetant des glands, l’autre se servant dans son panier. Argent repoussé, Italie, milieu du Ier siècle ap. J.-C. Département des monnaies, médailles et antiques de la Bibliothèque nationale de France.
Photo Marie-Lan Nguyen.

Une inscription sur cette cruche du trésor de Berthouville en argent rehaussé d’or précise que Q. Domitius Tutus l’a offerte à Mercure.

Des richesses pour les morts

Bague égyptienne, entre 1150 et 1069 av. J.-C. Musée du Louvre

Les rois  emportaient dans la tombe les signes de leur puissance, c’est-à-dire des richesses.

Le seul récit mythique mettant en scène cette réalité est le mythe de Gygès, que j’évoque plus en détail dans le thème “Anneaux et autres objets magiques”.

Un jour d’orage, un berger voit s’entrouvrir une tombe. Il vole la bague du mort et découvre, en tournant la bague vers l’intérieur de sa main, qu’elle le rend invisible.

Il va utiliser ce pouvoir pour tuer le roi et prendre sa place.

Monde romain et gallo-romain

Dans ces légendes mettant en scène des Romains, ils sont du côté des vaincus, pour une fois !

Vae victis

En 390 avant notre ère, une troupe de Gaulois menée par un chef nommé Brennos (ou Brennus) mit le siège devant Rome. Au bout de sept mois, devant la résistance acharnée des Romains, Brennus proposa un accord : il acceptait de lever le siège moyennant une rançon qui équivaudrait aujourd’hui à 327 kgs d’or. Il fit préparer une grande balance sur une place de Rome : du côté gaulois, Brennus remplit le plateau de la balance avec de faux poids, plus lourds que les vrais, pour augmenter la quantité d’or que les Romains allaient devoir mettre dans leur plateau pour équilibrer la balance.  Les Romains protestèrent contre la tricherie. Alors Brennus jeta son épée sur la balance, pour alourdir encore le côté gaulois. En faisant ce geste, il cria : “Vae victis” ! c’est à dire “Malheur aux vaincus”.

Au cours d’une autre guerre, le général romain Camille tuera Brennus, pour venger l’honneur de Rome, et plus tard encore, un dénommé Jules César mettra définitivement les Gaulois sous l’empire des Romains… jusqu’à ce que les Francs les soumettent à leur tour !

Le Gaulois Brennus et le Romain Camille, illustration extraite de l’Histoire de France en cent tableaux de Paul Lehugeur, Paris, 1886. À gauche, le chef gaulois jette son épée sur son plateau, tandis que les Romains versent des pièces d’or sur l’autre plateau.

Le vase de Soissons

Clovis humilié

Au IVe siècle de notre ère, un peuple venu d’Europe centrale, les Francs envahissent la gaule romanisée. Ils amassent un riche butin en pillant les villes du Nord Est. En 386, l’évêque de Reims demande à leur chef Clovis de bien vouloir lui restituer un vase pillé dans une église et auquel il tient particulièrement.

Clovis invite l’évêque à assister au partage de tout le butin qui aura lieu dans la dernière ville conquise, Soissons ; il lui promet de se faire donner cet objet par ses soldats et de le lui rendre ensuite. Au moment du partage, il demande donc le fameux vase. Les soldats acceptent de le lui céder, sauf un qui s’écrie : “Tu n’auras que ce que le sort te donnera” et il frappe le vase en question avec sa hache.

L’historien Grégoire de Tours qui a noté ce récit ne précise pas en quel matériau était le précieux vase, mais nous savons que Clovis l’a restitué pour tenir sa promesse, même s’il était abîmé. Mais il était terriblement blessé de l’affront subi.

La vengeance de Clovis

Un an plus tard, en faisant l’inspection de ses troupes, Clovis constate que les armes du  soldat insolent sont mal entretenues. Il les lui arrache et les jette sur le sol.Comme l’homme se penche pour les ramasser, le chef lui brise la nuque avec sa hache en disant : “Ainsi as-tu fait au vase, à Soissons”.

La vengeance de Clovis, illustration du XIXe siècle

Dans les récits hébraïques

Les  richesses  pillées  dans  les  villes  ennemies 

Pour que les Hébreux obtiennent l’aide de leur dieu pendant la conquête de Canaan, ils doivent lui consacrer les richesses des villes pillées :

Les richesses sont réservées à L’Eternel

Le Livre de Josué, chapitre 6, raconte la prise de Jéricho par les Hébreux : “Ils brûlèrent la ville et tout ce qui s’y trouvait ; seulement ils mirent dans le trésor de la maison de l’Éternel l’argent, l’or et tous les objets d’airain et de fer.”

Au chapitre suivant, les Hébreux qui jusque là étaient invincibles connaissent la défaite. Josué interroge son dieu qui lui dit :

“Israël a péché ; ils ont transgressé l’alliance que je leur ai prescrite, ils ont pris des choses consacrées, ils les ont volées et dissimulées, et ils les ont cachées parmi leurs bagages. C’est pour cela que les fils d’Israël ne peuvent résister à leurs ennemis ; ils tourneront le dos devant leurs ennemis, car ils sont sous l’interdit ; je ne serai plus avec vous, si vous ne détruisez pas l’interdit du milieu de vous.”

Josué mène une enquête par tirage au sort et le sort finit par désigner un dénommé Acan, qui avoue :

“- J’ai vu dans le butin un beau manteau de Schinear, deux cent sicles d’argent, et un lingot d’or du poids de cinquante sicles; je les ai convoités, et je les ai pris; ils sont cachés dans la terre au milieu de ma tente, et l’argent est dessous. (…) Josué et tout Israël avec lui prirent Acan, fils de Zérach, l’argent, le manteau, le lingot d’or, les fils et les filles d’Acan, ses boeufs, ses ânes, ses brebis, sa tente, et tout ce qui lui appartenait; et ils les firent monter dans la vallée d’Acor.

Josué dit: – Pourquoi nous as-tu troublés? L’Éternel te troublera aujourd’hui. Et tout Israël le lapida. On les brûla au feu, on les lapida, et l’on éleva sur Acan un grand monceau de pierres, qui subsiste encore aujourd’hui. Et l’Éternel revint de l’ardeur de sa colère.”

L’emploi du pluriel “on les brûla, on les lapida” semble indiquer que toute la maisonnée du coupable est punie en même temps que lui. Après cet épisode, plus personne ne conserve des richesses pour lui-même, et les Hébreux achèvent la conquête du pays.

Gravure biblique, XVIe siècle, Bibliothèque publique de Boston.

Les richesses sont partagées

Quelques générations après la conquête, les Hébreux sont bien installés dans leur nouvelle patrie, mais ils subissent à leur tour une invasion, celle de soldats venus d’Assyrie (actuel Iran). Alors que des Assyriens assiègent la ville de Béthulie, une jeune veuve juive nommée Judith tue par ruse le général assyrien Holopherne (voir le thème Les femmes fortes). Affolés, les soldats assyriens s’enfuient en abandonnant leur butin et sont poursuivis jusqu’à leur frontière par les soldats hébreux.

 

Judith, par August Riedel, 1840, Nouvelle Pinacothèque, Munich.

Le chapitre 15 du Livre de Judith raconte comment les Hébreux vont reprendre le butin et se le partager :

« Ceux qui étaient restés à Béthulie entrèrent dans le camp des Assyriens, où ils prirent tout le butin que les Assyriens avaient laissé dans leur fuite, et ils revinrent tout chargés. Et ceux qui rentrèrent vainqueurs à Béthulie apportèrent avec eux tout ce qui avait été aux Assyriens.

De sorte qu’il y avait une quantité innombrable de troupeaux, de bestiaux et de bagages, et que tous s’enrichirent de leurs dépouilles, depuis le plus petit jusqu’au plus grand. Trente jours suffirent à peine au peuple d’Israël pour recueillir les dépouilles des Assyriens. »

Et tout ce qu’on reconnut avoir appartenu à Holopherne, l’or, l’argent, les vêtements, les pierreries et en toutes sortes de meubles, fut donné à Judith par le peuple.”

Mais Judith, qui est très pieuse, refuse de garder pour elle ces richesses et les consacre à son dieu.

Les cadeaux de mariage

Chez les Hébreux, comme chez les Grecs, le marié doit offrir de beaux cadeaux à celle qui accepte de devenir son épouse, et à la famille qui lui cède la jeune fille. Je ne donne qu’un exemple, celui du mariage d’Isaac, le fils d’Abraham. À l’époque évoquée par le récit, les personnages sont encore des nomades vivant sous la tente, ce qui limite les richesses aux bijoux, aux vêtements et au bétail.

Les cadeaux de mariage de Rebecca

Abraham a perdu sa femme Sarah, mère d’Isaac. Il ne veut pas que son fils épouse une fille du pays de Canaan. Il envoie  son plus vieux serviteur dans son pays d’origine, la Mésopotamie (actuel Irak) pour qu’il trouve une épouse à son fils dans sa famille.

Le serviteur rencontre Rébecca à une source et elle accepte de puiser de l’eau pour faire boire ses chameaux. Ayant appris que son père est le frère d’Abraham, il lui offre des cadeaux : “Quand les chameaux eurent fini de boire, l’homme prit un anneau d’or, du poids d’un demi-sicle, et deux bracelets, du poids de dix sicles d’or.” (Genèse chapitre 24, verset 22)

Rébecca court prévenir sa mère et son frère Laban, qui invitent l’étranger à venir chez eux. Le serviteur d’Abraham se présente, leur parle de son maître, du voyage qu’il a fait, de ses prières à l’Eternel pour qu’il assure la réussite de ce voyage. Il  demande officiellement que Rébecca accepte d’épouser son cousin Isaac.

Laban et sa mère ne mettent pas en doute la parole du serviteur, ils croient comme lui que c’est L’Eternel, leur dieu commun, qui a organisé sa rencontre avec Rébecca. Pour obéir à leur dieu, ils acceptent de la donner comme épouse à Isaac. “Et le serviteur sortit des objets d’argent, des objets d’or, et des vêtements, qu’il donna à Rebecca; il fit aussi de riches présents à son frère et à sa mère.”(Genèse chapitre 24, verset 53)

Le serviteur d’Abraham attache un bracelet au bras de Rébecca, par Benjamin West, 1775, Centre d’art de Yale.

Monde de l’Inde

Voici quelques passages extraits de l’épopée du Mahabharata traduite par Serge Demetrian (Editions Albin Michel), qui permettent d’apprécier la représentation de la richesse : elle est proche de celle que nous venons de voir dans des mythologies du bassin méditerranée, en ce qui concerne la définition même des richesses (bétail, objets en matériaux rares) et leurs modes d’acquisition.

Les  richesses  acquises  par  la  guerre

Portrait d’un roi en tenue de guerre,  par Raja Ravi Varma, Inde, XIXe siècle.

La grande bataille au cours de laquelle le clan Pandava va détruire le clan Kaurava n’est pas une guerre de conquête mais une querelle entre héritiers du trône. Le livre de Serge Demetrian ne contient pas de scènes de pillages de villes conquises ou de dépouillement des ennemis tués comparables à celles de l’Iliade.

Il précise tout de même que, après son mariage, le roi Pandu “entreprit une importante expédition à la conquête du continent indien. Marchant contre ses ennemis à l’est, à l’ouest, au nord et au sud, il remporta victoire sur victoire. Par la puissance de ses armes, il soumit les souverains rivaux et revint de cette campagne couvert de gloire et chargé d’un riche butin.”

Les  tributs  et  les  riches  cadeaux

Un riche palais pour montrer la puissance

Yudhisthira, l’aîné des Pandava, a été reconnu roi par ses cousins les Kaurava. Grâce à son frère Arjuna qui a fait prisonnier puis a libéré un démon architecte, le nouveau roi se fait construire, avec les plus riches matériaux,  une merveilleuse salle d’assemblée, édifice “ouvragé dans le moindre détail : pas un seul endroit, si dérobé aux regards soit-il, qui ne fût sculpté, doré ou incrusté de nacre ou de pierres précieuses. À l’intérieur, en son milieu, s’épanouissait un bassin de marbre blanc où flottaient des lys et des fleurs de turquoise aux feuilles de jaspe vert.”

Une salle du palais du roi de Jaisalmer, dans le Rajastan, Inde. Photo Pixabay.

Un impôt religieux qui assure l’unité

Sur le conseil de son entourage, le nouveau roi décide de  faire un râjasûya, un sacrifice royal. Il envoie donc ses quatre frères lever un impôt sur les royaumes voisins, qui vont accepter de reconnaître l’autorité supérieure de Yudhisthira : “Ils devaient lever pour le râjasûya un tribut en or, en pierres précieuses, en armes, en animaux et en grains de tous les royaumes qu’ils traversaient. Les quatre Pandava conquirent, par la douceur plus que par la force, tout le pays de l’Inde ancienne et y apportèrent la paix.(…)”

Des milliers d’invités pour un sacrifice

“Le tribut étant levé, (…) des messagers partirent dans toutes les régions de l’empire pour inviter les rois et leurs conseillers, les savants et les sages, les brahmanes et les représentants des autres castes. (…) Les invités furent hébergés non loin du lieu où allait se dérouler la partie la plus sacrée du rite, dans de riches maisons spécialement construites pour eux. (…Tous les invités apportent des cadeaux.)”

Un sacrifice vraiment royal

“Au son des flûtes et des tambours rituels, le sacrifice commença. Des centaines de prêtres jetèrent simultanément, dans six immenses feux, des grains, des fleurs, du beurre fondu, en prononçant des incantations et des formules sacrées. Les flammes et la fumée emportaient au ciel les offrandes agréables aux dieux. (…)”

Rassemblement contemporain en Inde pour une cérémonie religieuse.

Les échanges de cadeaux

“Après le sacrifice royal, les invités partirent un à un. Chacun recevait de riches cadeaux, car la fortune de Yudhisthira, déjà immense, se trouvait encore augmentée par le tribut collecté et les offrandes des participants. Des centaines de milliers de personnes avaient été logées et nourries. Toutes s’en allaient satisfaites.”

Après la grande bataille qui va permettre aux Pandava de reprendre leur royaume, Yudishthira organise un autre sacrifice et “conclut la cérémonie par de riches offrandes aux prêtres : pièces d’or, bijoux, pierres précieuses et maints objets merveilleux.”

Des richesses qui provoquent l’envie

Suivant la tradition, la famille de Yudhisthira l’a aidé à organiser le sacrifice royal. Son cousin Duryodhana était chargé de recevoir les cadeaux apportés par les invités. Mais cette fonction n’a fait qu’attiser sa jalousie. Il va voir son père, le vieux roi aveugle : “Et l’envieux énuméra les richesses de Yudhisthira, en commençant par les cadeaux fabuleux reçus des invités au sacrifice royal. (…) – Mes mains étaient fatiguées de compter, tant il y avait de biens, dit-il. Ah ! Ces trésors, il me les faut, sans quoi la vie n’a plus de sens pour moi. D’autant plus qu’il est un moyen facile d’obtenir la fortune des Pandava.”

La destruction totale pour des richesses

À regret, le vieux roi accepte d’organiser une partie de dés entre son neveu et son fils, qui va tricher pour gagner. Yudhisthira va tout perdre et seul un miracle de Krishna (incarnation du dieu Vishnou) lui épargnera l’humiliation mortelle de voir son épouse Draupadi mise nue publiquement, comme je l’ai raconté dans le thème “Voir une femme nue”.

Après un exil de 13 ans et des épreuves, les Pandava retrouveront leur royaume, jusqu’à ce que Duryodhana, plus que jamais décidé à s’emparer des biens de ses cousins, provoque une guerre qui sera fatale à lui-même, à ses 99 frères et à ses centaines de milliers de guerriers.

L’armée des Kaurava face à celle des Pandava, illustration de Bhishma Parva, 1700, Inde. Dans la partie gauche, Duryodhana est sous un parasol blanc symbole de dignité.

Une croyance universelle :
la richesse par la bénédiction divine

Toutes les mythologies du monde Indo-européen considèrent que la richesse est un signe de protection divine.

Monde   grec

Dans l’Iliade, les Troyens ont l’appui d’Apollon et d’Aphrodite, les Grecs celui d’Athéna. Zeus essaie de rester neutre, mais Ménélas ou Ulysse sont souvent appelés “Aimé de Zeus”. Au bout du compte, les Grecs gagneront sans aide divine, par leur intelligence : la fameuse ruse du Cheval de Troie.

Puisque les dieux peuvent accorder des richesses, les Grecs les priaient en ce sens :

L’Hymne à Zeus déclame cette prière : “Salut, salut fils de Cronos, Zeus très haut qui donne tout bien, toute prospérité. (…) Salut Ô Père, donne-nous vertu et richesse. Fortune sans vertu ne saurait mettre l’homme en haut point, ni vertu sans richesse. Donne-nous la vertu et donne-nous la fortune.”

Dans L’hymne à Aphrodite, le prince Anchise prie ainsi :

“Sois pleine de bienveillance pour moi : fais que je sois un héros illustre parmi les Troyens, que ma postérité soit florissante dans l’avenir, que moi-même je jouisse longtemps encore des lumières du soleil, que comblé de biens parmi les peuples, j’arrive au seuil d’une longue vieillesse.” (Textes cités d’après le site Kulturica.fr)

Vous pouvez toujours lire ces invocations en vous concentrant devant une image de Zeus ou d’Aphrodite, peut-être qu’ils vous entendront !

Aphrodite, parc de sculptures de Ayia Napa, Chrypre.

Monde hébraïque

La richesse d’Abraham

Dans la Bible, le serviteur envoyé par Abraham chercher une épouse pour Isaac affirme que la prospérité de son maître lui est accordée par son dieu :”Je suis serviteur d’Abraham. L’Éternel a comblé de bénédictions mon seigneur, qui est devenu puissant. Il lui a donné des brebis et des boeufs, de l’argent et de l’or, des serviteurs et des servantes, des chameaux et des ânes.” (Genèse chapitre 24, verset 35)

L’appel d’Abraham, dessin de Otto Semler/Flickr.

La richesse d’Isaac

Après son mariage avec Rébecca, Isaac s’installe au pays des Philistins.

“Isaac fit des semailles dans ce pays, et il récolta le centuple de ce qu’il avait semé, car l’Éternel le bénit. Cet homme devint riche, et il alla s’enrichissant de plus en plus, jusqu’à devenir fort riche. Il avait des troupeaux de menu bétail et des troupeaux de gros bétail, et un grand nombre de serviteurs ; alors, les Philistins devinrent jaloux de lui. Tous les puits qu’avaient creusés les serviteurs de son père Abraham, les Philistins les comblèrent et les remplirent de poussière. Et Abimélec dit à Isaac : Va-t-en de chez nous, car tu es beaucoup plus puissant que nous.” (Genèse, chapitre 26)

Isaac va s’installer ailleurs et son dieu continue à veiller sur sa prospérité.

La richesse de Jacob

Un peu plus loin, dans le chapitre 30, au verset 43, la Génèse parle de Jacob, fils d’Isaac en des termes très proches : “Cet homme devint de plus en plus riche ; il eut du menu bétail en abondance, des servantes et des serviteurs, des chameaux et des ânes.”

La richesse de tout un peuple

Outre la protection personnelle des hommes vertueux, le dieu des Hébreux assure la protection de tout le groupe. Il permet aux Hébreux esclaves en Egypte de quitter ce pays pour se constituer en peuple autonome et conquérir la terre de Canaan “qui ruisselle de lait et de miel”, comme nous le verrons dans l’article “Raconter la guerre”.

Monde hindou

Tout au long du Mahabharata, les dieux protègent les Pandava, qui sont fils de dieux et suivent le chemin de la Vertu. Quand ils sont condamnés à l’exil, l’aîné Yudhishtira  implore l’aide du dieu Soleil. Le dieu lui offre un vase en cuivre qui se remplira tout seul de nourriture aussi longtemps que durera leur exil.

Quand Duryodhana déclare la guerre à ses cousins, Krishna (incarnation de Vishnou) lui propose de choisir une aide pour cette bataille terrible : soit Krishna lui-même, soit des milliers de guerriers. Duryodhana choisit les milliers de guerriers. Mauvais choix ! Car Krishna devenu le cocher et le conseiller d’Arjuna, le conduira à la victoire, par la destruction totale du clan des Kaurava.

Krishna envoyé de paix auprès de Duryodhana, peinture de Raja Ravi Varma, 1906, Inde. Le fils aîné du vieux roi aveugle se tient sur les marches du trône de son père, dans une posture arrogante. À droite, Krishna reconnaissable à sa peau bleue, regarde paisiblement le spectateur.

Les  richesses  aujourd’hui  et  demain

Aujourd’hui, les métaux traditionnellement considérés comme rares et donc précieux, c’est à dire l’or et l’argent, sont encore valorisés, mais les états ne déclenchent plus de guerres pour en obtenir. Quand au bronze, simple alliage de cuivre et d’étain, il n’allume plus de passions depuis longtemps. De nouveaux métaux rares sont apparus, qui sont utilisés pour fabriquer les appareils électroniques.

Depuis la deuxième moitié du XXe siècle, le pétrole est le produit naturel le plus convoité et des batailles pour le contrôle des puits d’extraction ont lieu dans des zones du Moyen Orient ou d’Afrique du Nord où il est exploité.

A ma connaissance, jamais l’eau n’a été considérée comme une ressource méritant des guerres, mais des batailles ont déjà lieu localement pour des points d’eau ; des experts estiment que, demain, de véritables guerres pourraient avoir lieu, si le désordre climatique continue à raréfier cette ressource naturelle.

En résumé, les richesses que convoitent les humains évoluent au fil de l’histoire, mais la convoitise est toujours là.

Richesse  et  pauvreté

Pour bien cerner la valorisation de la richesse dans les mythes, il faut observer la façon dont est traitée la pauvreté dans ces récits. Je vous invite donc à lire le thème suivant : La pauvreté.

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