Le désir amoureux I Monde gréco-romain

Divinités et symboles du désir amoureux

Comme beaucoup de mythologies, celles des Grecs et des Romains représentent le désir amoureux comme un dieu ou une déesse et lui rendent un culte ; car, au delà de l’aspect purement sexuel, le désir est perçu comme une énergie vitale, une force créatrice qu’il faut attirer à soi. 

Eros (Cupidon), dieu de l’amour

Selon certains récits mythiques, Eros est le premier dieu venu à l’existence : “Il est sorti de l’oeuf qui, en se partageant, a formé la terre et son couvercle, le ciel. (…) Il est le désir, la puissance de l’instinct, la violence du sexe. Il est associé à Aphrodite qui tempère quelque peu sa puissance.” (Fernand Comte, Les Grandes figures des mythologies.)

Aphrodite (Vénus), déesse de l’amour

Aphrodite a d’abord été vénérée dans le Proche et le Moyen Orient où elle était “une divinité lunaire, principe de la fertilité et de la fécondité animale. Elle était Atargatis chez les Philistins, Mylitta chez les Babyloniens, Ishtar chez les Assyriens, Astarté chez les Sémites.” (Fernand Comte).

Etoile à huit branches symbolisant Ishtar-Vénus, sur une stèle babylonienne du XIIe siècle avant notre ère. Musée du Louvre.

Dessin incisé sur un vase, représentant la déesse Ishtar, équivalent assyrien d’Aphrodite. Début du IIe millénaire avant notre ère. Musée du Louvre. Le triangle pubien sur dimensionné souligne sa fonction de déesse de l’amour. 

C’était une divinité puissante et très populaire, comme on le voit par cet extrait d’un hymne mésopotamien qui chante ses louanges, au XVIIe siècle avant notre ère (cité d’après Wikipédia) :

“C’est la déesse à qui l’on peut demander conseil.

Le sort de toutes choses, elle le tient en mains !

De sa contemplation naissent l’allégresse,

La joie de vivre, la gloire, la chance, le succès !

Elle aime la bonne entente, l’amour mutuel, le bonheur,

Elle détient la bienveillance !”

 Fernand Comte précise que dans le monde gréco-romain, “Elle est la grâce, la séduction, la tendresse, la douceur, le plaisir suave. Eros lui cède la place et lui fait cortège comme on le doit à une dame. On a cru alors qu’il était son fils.”

Selon les auteurs, le père d’Eros serait Héphaïstos (mari officiel de la déesse) ou Arès (dieu de la guerre et amant en titre) ou Hermès (amant occasionnel parmi d’autres). 

On voit par la multiplicité des récits que les mythologies évoluent en même temps que les civilisations qui les font vivre et mourir. Dans les mythes les plus anciens, Eros est un être primordial, un dieu créateur : en poussant Gaïa la terre et Ouranos le Ciel à s’unir, il permet  que viennent à l’existence les autres dieux, puis les humains. Quand se répand le culte de la déesse originaire du Proche Orient, Eros se laisse supplanter et s’intègre à son cortège, en tant que son fils. La personnalité d’Aphrodite devient complexe, elle peut être jalouse et méchante.

De l’étoile à la femme coquette

Les représentations imagées évoluent en même temps que les représentations mentales : d’abord schématique ou symbolisée par une étoile à huit branches (la planète qui porte son nom romain, Vénus), la représentation de la déesse se fait de plus en plus humaine. 

Statue d’Aphrodite trouvée en 1820 sur l’île de Milo. Son visage d’une beauté classique et sereine, son superbe déhanchement et le mystère de ses bras absents lui valent une renommée mondiale. Elle date du IIe siècle avant notre ère. Musée du Louvre.

A la fin de l’Antiquité, on tombe même dans l’anecdote décorative : les statues montrent la déesse qui se contemple dans un miroir, se peigne, s’essuie après le bain, comme une simple mortelle coquette… 

Quant à Eros, d’abord représenté comme un beau jeune homme, il rajeunit jusqu’à devenir un enfant et même un bébé. Il perd alors sa toute-puissance au profit de sa mère, dont il exécute fidèlement les ordres.

Aphrodite et Pan, accompagnés d’Eros. Groupe en marbre trouvé sur l’île de Délos, daté d’environ 100 avant notre ère. Musée archéologique national d’Athènes.
Pour repousser les assauts du dieu Pan, la déesse protège son intimité d’une main et de l’autre menace de le frapper avec sa sandale. Eros est un bébé rieur qui volette au dessus de sa mère.

Priape

Ce dieu est fils d’Aphrodite. Selon les versions, son père serait Zeus ou bien Dyonisos. Dans les deux cas, il est victime dès sa conception de la punition que Héra (déesse du mariage) veut infliger à sa mère à cause de ses adultères : il est laid et doté d’organes sexuels surdimensionnés qui le rendent grotesque. Horrifiée, sa mère l’abandonne dès sa naissance. Il est recueilli et élevé par des bergers et depuis, il est honoré en tant que protecteur des troupeaux et des jardins. 

Les satyres

Mi hommes mi boucs, ces personnages mythiques symbolisent le désir sexuel libéré des cadres du mariage. Ils vivent dans la nature et tentent de s’accoupler avec toute forme féminine qui se présente : nymphe, femme, chèvre… Ce sont des amoureux universels, mais ils sont rarement payés de retour car peu séduisants !

Nymphes et satyre, par Adolphe Bouguereau, 1873. Sterling & Francine Clark Art Institute, Williamstown, Massachusetts, USA. Dans cette représentation moderne, les nymphes profitent de leur supériorité en nombre pour harceler un satyre.

Les nymphes et les sirènes

Les nymphes sont créatures surnaturelles, dotées de pouvoirs divers, un peu analogues aux fées. Elles sont représentées comme de charmantes jeunes filles qui protègent la nature : certaines vivent dans les arbres, d’autres dans les eaux, d’autres dans des grottes. Elles  peuvent aimer hommes ou dieux sans les contraintes du mariage et sont donc des symboles du désir amoureux libre et suave. 

Les sirènes étaient à l’origine représentées comme des femmes ayant des ailes, puis on les a dotées de queues de poisson. Elles attirent les hommes par leurs chants merveilleux mais c’est pour les dévorer. Elles sont les symboles de la féminité dangereuse, du désir amoureux féminin qui entraîne l’homme à sa perte.

Cette idée est bien exprimée par la sculpture moderne ci-contre : le garçon passif, au corps gracile comme celui d’une fille, le sexe offert aux regards, représente le masculin soumis à la puissance féminine dangereuse. Le sculpteur mêle les deux représentations de la sirène, puisque sa créature possède à la fois des ailes et une queue de poisson. 

Sirène enlevant un jeune homme, par Denys Puech, 
Musée d’Orsay, XIXe siècle. 

Récits mythiques du désir amoureux

Preuve de l’universelle puissance d’Eros et d’Aphrodite aux mille noms, il me faudrait écrire une encyclopédie pour présenter tous les récits gréco-romains où le désir amoureux joue un rôle ! Dans beaucoup de cas, il est lié à la reproduction, plus exactement, il permet la naissance des héros. Mais le refus du désir, c’est à dire la chasteté, est également valorisé en ce qui concerne les femmes, à l’imitation des deux grandes déesses Athéna et Artémis, qui ne se sont jamais soumises au désir de quelqu’un.

Voici quelques récits, parmi les plus célèbres, qui vont nous permettre d’explorer la difficulté de faire couple. 

Mythologie    grecque

Le désir masculin dominateur

Dans de nombreux mythes, les dieux imposent leur désir à des déesses, à des nymphes, à des femmes ou à des jeunes garçons. Le rapport de force est tout de suite posé : nul ne peut s’opposer au désir d’un dieu. Dans la plupart des cas, le rapport imposé par la violence ou par la ruse est fécond, ce qui permet aux cités d’avoir des héros protecteurs.

Sur ce modèle du désir imposé par volonté divine, les demi-dieux ou les rois considèrent que tout leur est permis en matière de sexe. Dans les thèmes « Mourir d’aimer » ou « Les femmes vierges », j’ai déjà raconté la violence ou la ruse dont les mâles font usage et qui ne leur permettent pas de fonder un couple. Voici un personnage à ajouter  à cette galerie de mâles dominateurs : le dieu Pan.

Pan et Syrinx

Le dieu Pan est le plus puissant des satyres. Un jour qu’il poursuivait Syrinx, une nymphe qui refusait de s’unir à lui, ils se retrouvèrent devant une large rivière que la nymphe ne pouvait traverser. Elle implora les nymphes du fleuve de lui épargner le viol.

Quand Pan voulut la saisir, il ne serra dans ses bras que des tiges : la rivière avait transformé Syrinx en une touffe de roseaux. Pour conserver la belle près de lui, Pan coupa les tiges de différentes longueurs, les assembla avec de la cire d’abeilles et en fit un instrument de musique auquel on donne leurs noms : soit la flûte de Pan, soit la syrinx.

Pan et Syrinx par Rubens, vers 1619, Galerie d’art ancien, Kassel, Allemagne.

Apollon et Daphné

La relation de Pan et Syrinx est bâtie sur le même modèle que celle du dieu Apollon avec la belle Daphné : pour empêcher le viol de la jeune fille, les dieux la transforment en laurier (voir l’article « Les femmes vierges »). Et le dieu fait de cet arbre son végétal sacré, qui sera tressé en couronne pour récompenser les vainqueurs (guerriers, athlètes ou poètes). 

Dans les deux cas, le désir violent ne s’accomplit pas, il est sublimé. La femme est réinventée sous une forme immortelle, avec laquelle Pan ou Apollon ne peuvent pas s’unir sexuellement, mais à qui ils resteront éternellement attachés. 

Le mythe semble nous dire que le désir masculin ne doit pas s’accomplir violemment : la femme doit être perçue comme une récompense (la couronne de laurier) ou une source de beauté (la flûte de pan). A ce prix seulement, la relation sera durable.

Apollon et Daphné, par Piero Pollaiolo, XVe siècle. National Galerie, Londres.

Sublimer pour durer

Pour notre vision moderne, dans ces deux récits, la femme perd son rang d’humaine et est rabaissée au statut vulgaire de végétal. Pour nos lointains ancêtres  inventeurs de mythes, les humains faisaient partie de la nature et les végétaux étaient des êtres très respectables, qui manifestaient leur force par leur capacité à renaître sans cesse.

En se végétalisant, l’humain ne s’abaisse pas, il accède à l’immortalité, comme nous allons le voir également dans d’autres mythes. 

Des dieux et des garçons

Chacun sait que les Grecs anciens pratiquaient sans complexes l’amour au masculin, mais il s’agissait toujours d’une relation dominant/dominé : le couple se composait d’un adulte qui jouait son rôle viril, actif, et d’un adolescent, voire d’un enfant, qui était le partenaire passif. 

Ces relations étaient officielles et codifiées : l’adulte était appelé “éraste”, le jeune était l’“éromène”. Le jeune représentant la partie féminine du couple, il fallait que son corps soit doux comme celui d’une femme :  les relations cessaient quand l’adolescent commençait à avoir de la barbe. C’était le signe qu’il était adulte, continuer son rôle passif deviendrait un déshonneur pour lui, aussi les amants se séparaient-ils. Le garçon ne conservait aucune honte sociale d’avoir été un “éromène”,  un “mignon”. Il se mariait et remplissait son devoir de donner des enfants à la Cité.

Deux hommes dans un banquet, Fresque de la tombe du plongeur, Paestum Salerno Italie. Photo Pixabay.
Comme sur les scènes de banquet des céramiques, l’adulte est identifié par sa barbe.

Zeus emportant Ganymède, statue en terre cuite peinte, vers 480 avant notre ère. Musée archéologique d’Olympie, Grèce. La représentation souligne bien qui, dans ce couple, est viril et possessif et qui est soumis, passif.

Zeus et Ganymède

Ganymède était un prince troyen, et “le plus beau des mortels”. Zeus se transforma en aigle géant pour l’enlever et en faire son “éromène”.

Selon l’article consacré à ce personnage sur Wikipédia, une version tardive raconte que Ganymède a d’abord été enlevé par Eos (l’Aurore) dont j’évoque ci-dessous l’amour pour les garçons. L’Aurore l’aurait ensuite cédé à Zeus qui en était tombé amoureux. Je détaillerai ce motif narratif dans le thème “L’Enlèvement”.

Cette relation amoureuse a été très représentée et très commentée dès l’Antiquité. Le philosophe Platon a écrit : « Tout le monde accuse les Crétois d’avoir inventé la fable de Ganymède. Persuadés que leurs lois venaient de Zeus, ils ont imaginé cette fable sur son compte afin de pouvoir eux aussi goûter ce plaisir, à l’exemple du dieu » (Cité d’après Wikipédia) 

Il est intéressant de constater que, dès le IVe siècle avant notre ère, un philosophe considère qu’un récit mythique n’est qu’une “fable” inventée pour justifier des pratiques humaines… 

Zeus embrassant Ganymède, par Raphaël Mengs, 1760. 
Cette fresque est un faux imitant l’art antique. Le grand archéologue Johann Joachim Winckelmann lui-même s’y est laissé tromper, à l’époque où elle fut peinte.  Elle est aujourd’hui conservée dans la Galerie nationale d’art antique à Rome.

Apollon et les garçons

Hyacinthe

Hyacinthe était un prince de la ville de Sparte en Grèce. Il était si beau qu’Apollon en tomba amoureux. Le vent Zéphyr était lui aussi sur les rangs pour devenir son “éraste” mais  Hyacinthe choisit de se donner à Apollon. 

Un jour qu’ils jouaient tous deux au lancer de disque, un souffle de Zéphyr dévia le disque qu’Apollon venait de lancer : le disque alla frapper violemment le jeune homme à la tête. Selon les auteurs, le dieu fit naître une jacinthe ou un iris du sang de son “éromène”mort.

La mort de Hyacinthe par Jean Broc, 1801, Musée Sainte-Croix de Poitiers.

Cyparis 

Cyparis était lui aussi un “éromène” d’Apollon. Il avait recueilli et élevé un faon. Devenu adulte, l’animal était tellement apprivoisé qu’il acceptait de servir de monture au garçon. Mais un jour de chasse, en lançant son javelot, Cyparis tua involontairement son cerf. Il en eut tellement de remords qu’Apollon ne réussit pas à le consoler. 

Le garçon demanda au dieu de lui permettre de pleurer son cher animal pour toujours, et le dieu le changea en cyprès. Selon les auteurs, les gouttes de résine qui coulent de cet arbre sont les larmes de Cyparis qui continuent à couler, ou bien cet arbre planté près des tombeaux est associé au deuil, en souvenir du garçon inconsolable.

Apollon, Hyacinthe et Cyparis, jouant et chantant, par Alexander Ivanov, XIXe siècle, Galerie Tretiakov, Moscou. 

Le désir féminin dominateur

Dans les récits précédents, nous avons vu que la conception antique de l’amour implique un rapport de force, pas forcément un rapport de violence, mais un déséquilibre entre les deux partenaires : l’un est fort, prestigieux, actif, l’autre modeste, doux, soumis. 

Le rapport de force s’inverse quand l’élément féminin est une déesse. Cette fois, c’est l’élément féminin qui est dominant et l’élément masculin se soumet.

Les mythes attribuent un jeune compagnon aux puissantes déesses de la Mésopotamie et du Moyen-Orient : la déesse Astarté (Aphrodite) avait choisi Adonis ; le jeune berger époux de la déesse Ishtar s’appelait Tammuz à Babylone et Dumuzi à Sumer ; originaire de l’actuelle Turquie, la déesse Cybèle avait élu le jeune et beau Attis. 

Mais aucun de ces couples ne dure et aucun n’est fécond, comme si ces puissantes déesses ne pouvaient pas s’abaisser à faire fructifier dans leur corps la semence d’un mortel. 

Dans tous ces mythes, le jeune homme meurt, soit parce qu’il a provoqué la colère de la déesse, soit parce qu’un dieu jaloux envoie un sanglier provoquer sa mort. 

Dans le thème “Voir une femme nue”, j’ai raconté comment Ishtar envoie Tammuz dans le royaume des morts pour y prendre sa place.

Le cas le plus lourd de conséquences pour les humains est celui d’Attis : en colère parce qu’il l’a trahie avec une nymphe, Cybèle le rend fou et il se castre lui-même. Il meurt, et de son sang naît un pin. À l’image d’Attis, les prêtres de Cybèle se castraient.

Statuette en bronze d’Attis, découverte à Maastricht, datant du Ier ou IIème siècle. Musée du Limbourg, Pays-Bas. Comme sur beaucoup de représentations antiques, son vêtement ouvert met en valeur sa castration. Il a l’air très jeune.

Sur le  modèle des mythes des grandes déesses, d’autres déesses et de simples nymphes se révèlent aussi prédratrices que les personnages masculins.

Les nymphes des eaux et Hylas

Lors d’une escale du bateau des Argonautes en route pour la conquête de la Toison d’Or, le jeune et beau Hylas est chargé d’aller chercher de l’eau dans la campagne. Pas de chance, la source sur laquelle il se penche avec sa cruche est habitée par une nymphe qui tombe instantanément amoureuse de lui :

“La nymphe, brûlant d’appliquer un baiser sur sa bouche délicate, lui passe une main autour du cou et le tire de l’autre par le bras. L’infortuné est entraîné au fond des eaux et jette en tombant des cris perçants”.

Selon les auteurs, ce n’est pas une seule nymphe, mais tout un groupe qui entraîne le jeune homme au fond des eaux. Rassurez-vous, par la magie des nymphes, il ne meurt pas noyé, mais devient comme elles un habitant des eaux. Forcé d’oublier son mode de vie précédent, il s’assimile à ses ravisseuses.

Hylas et les nymphes des eaux, mosaïque romaine, IVe siècle de notre ère, Palais Massimo alle terme, Rome. 

Hylas et les Nymphes des eaux, par John William  Waterhouse, 1896, © Manchester city Art Gallery.

Séléné et Endymion

Endymion était roi d’un petit royaume grec. Il était si beau que Séléné, la déesse Lune, en tomba amoureuse. Elle eut de lui cinquante filles et un fils, Narcisse, dont je parlerai plus loin. Mais Endymion était, comme tout humain, destiné à vieillir et à mourir. Pour ne jamais le perdre, la déesse obtint de Zeus qu’il dorme sans mourir, éternellement jeune et beau.  

Pour être seule à profiter de sa beauté, elle le transporta dans une grotte de l’actuelle Turquie. Aussi  immobile que dans la mort, il s’offre passivement aux regards, aux baisers, aux caresses de sa maîtresse qui lui rend visite toutes les nuits. De nombreux poètes et peintres ont été inspirés par cette passion féminine éternelle mais impossible à assouvir réellement puisque l’amant reste passif. 

Le sommeil d’Endymion, par Louis Girodet, 1791, Musée du Louvre. Le peintre traduit bien la beauté passive du jeune homme offert à la Lune.

L’Aurore et ses jeunes amants

Eos, l’Aurore, était une Titanide, c’est à dire une divinité du temps des origines, comme Cronos, le père de Zeus. Elle était soeur d’Hélios, le Soleil, et de Séléné, la Lune. Un jour, Aphrodite la trouva couchée avec Arès, son amant préféré. Folle de jalousie, la déesse la condamna à aimer sans fin des humains. L’Aurore se mit donc à enlever de beaux jeunes gens.

Eos et Céphale

Elle prit d’abord Orion, qui mourut à la suite de diverses péripéties et fut enlevé parmi les constellations ; puis elle enleva le beau Céphale.

Eos (l’Aurore) enlevant Céphale, vase grec, Ve siècle avant notre ère, Musée archéologique national à Madrid. Ce thème est très représenté dans la céramique antique.

Céphale était marié à la princesse athénienne Procris. Il refusa l’amour de l’Aurore parce qu’il voulait rester fidèle à sa femme. L’Aurore lui proposa alors un marché : sous l’apparence d’un autre homme, il allait rendre visite à son épouse, et lui offrir de beaux bijoux pour qu’elle accepte de coucher avec lui. Persuadé que sa femme lui serait fidèle, Céphale accepta de la mettre à l’épreuve. Si elle le trahissait pour des bijoux, il deviendrait l’amant de l’Aurore. 

Hélas, Procris ne résista pas bien longtemps aux beaux bijoux et accepta de devenir l’amante du bel inconnu qui les lui offrait. Au matin, Céphale reprit son visage réel et chassa son épouse infidèle. Puis il retourna auprès de l’Aurore, avec qui il eut un fils. 

L’Aurore et Céphale par Pierre-Narcisse Guérin, Musée du Louvre. Comme pour la représentation d’Endymion endormi, on retrouve l’image d’un beau jeune homme dominé par une divinité féminine.

De son côté, Procris, qui aimait toujours Céphale malgré son moment de faiblesse, se réfugia à la cour du roi de Crète, Minos. En échange d’une nuit d’amour, Minos lui offrit un chien qui attrapait toujours sa proie et un javelot magique qui ne ratait jamais sa cible. Il tenait ces cadeaux de la déesse de la chasse Artémis en personne. 

Déguisée en séduisante jeune fille, Procris retrouva son mari et obtint de lui une nuit d’amour en échange du chien et du javelot, car il était passionné de chasse. Quand elle lui révéla sa véritable identité, il reconnut que la faiblesse humaine face aux cadeaux l’habitait lui aussi. 

Ils se pardonnèrent mutuellement leur infidélité passagère. Céphale quitta l’Aurore pour vivre à nouveau avec Procris qu’il n’avait jamais cessé d’aimer. (Vous lirez la fin de leur histoire un peu plus loin, dans la section Amours tragiques.)

Eos et Tithonos

Après le départ de Céphale, Eos l’Aurore était à nouveau seule, ce qu’elle ne pouvait supporter. Alors, elle enleva Tithonos, fils du roi de Troie. Elle eut de lui deux enfants. Comme elle l’aimait son beau Tithonos ! Elle était bien décidée à le garder, comme sa soeur Séléné la Lune gardait son bel Endymion endormi. Elle supplia Zeus d’accorder aussi à Tithonos l’immortalité, mais elle oublia de lui demander l’éternelle jeunesse ! Il se mit à vieillir, à se dessécher, à se recroqueviller sur lui-même, répugnant à voir, mais immortel ! Elle finit par l’abandonner et certains auteurs affirment qu’il se changea en cigale.

Une cigale, photo pxhere.

Salmacis et Hermaphrodite 

Hermaphrodite était le fils d’Hermès, messager de Zeus, et d’Aphrodite, déesse de l’amour. Comme il était aussi beau que ses parents, on lui donna leurs deux noms associés. Il fut élevé par les nymphes et les bergers, en toute innocence. Vers l’âge de 15 ans, il partit découvrir le vaste monde. Il voyagea en Asie mineure, dans l’actuelle Turquie qui était alors constituée de royaumes de culture grecque. 

Un jour, le voilà devant un lac dont l’eau est d’une merveilleuse pureté. Salmacis, la nymphe qui règne sur ce lac lui apparaît et lui offre son amour. Ne connaissant rien de ce sentiment, il la repousse. Docile en apparence, elle fait semblant de partir. En réalité, elle s’est cachée et ne le quitte pas des yeux, car elle est déjà folle amoureuse de lui, comme le raconte Ovide :

“L’enfant, avec toute l’innocence de son âge, persuadé qu’aucun œil ne l’observe en ces lieux solitaires, va et vient sur le gazon, plonge dans l’eau pure la plante de ses pieds, et les baigne jusqu’au talon. Bientôt, saisi par la douce tiédeur des eaux, il retire le tissu léger qui couvre ses membres délicats. Salmacis tombe en extase ; la vue de tant de charmes allume dans son âme de brûlants désirs. » (Elle se jette sur lui en le suppliant de s’unir à elle.) 

Salmacis et Hermaphrodite, par Giovanni Carnovali, 1856, collection particulière, Web gallery of art.

Hermaphrodite, statue antique.

« Le petit-fils d’Atlas résiste et refuse à la nymphe le bonheur qu’elle attend ; elle le presse de tous ses membres ; et, s’attachant à lui par la plus vive étreinte, lui crie : « – Tu te débats en vain, cruel, car tu ne m’échapperas pas. O Dieux, ordonnez que jamais rien ne le sépare de moi, et que rien ne me sépare de lui ».

Les dieux ont exaucé sa prière : leurs deux corps réunis n’en forment plus qu’un seul : comme on voit deux rameaux attachés l’un à l’autre croître sous la même écorce et grandir ensemble, ainsi la nymphe et le berger, étroitement unis par leurs embrassements, ne sont plus deux corps distincts : sous une double forme, ils ne sont ni homme ni femme : ils semblent n’avoir aucun sexe et les avoir tous les deux.” (Ovide, Les Métamorphoses, livre IV, Wikisource)

Désespéré de se voir ainsi dépossédé de son identité de garçon, furieux de cette féminité qui s’est incorporée à lui, Hermaphrodite implore ses parents pour qu’à l’avenir, tout homme qui se baignera dans cette eau perde lui aussi sa virilité. Et depuis, les eaux de ce lac ont la réputation d’être mauvaises, d’amollir les corps.

L’histoire d’Hermaphrodite s’arrête à sa métamorphose, on ne sait rien de la suite de sa vie. L’Antiquité l’a beaucoup représenté, étant donné les possibilités érotiques qu’offre son corps… 

Amours tragiques

On peut concevoir que l’écart entre immortel(le)s et humain(e)s est tellement grand qu’une relation amoureuse durable ne peut pas s’établir. Mais qu’en est-il entre humains ?  Le désir amoureux leur permet-il de se rapprocher durablement ? Hélas, les amours impossibles sont majoritaires parmi les récits mythiques grecs, ce qui alimente la littérature et les arts européens depuis des millénaires. 

Je vous rappelle les plus célèbres de ces histoires d’amour tragiques.

Narcisse et Echo

Narcisse (fils d’Endymion et de la Lune) était si beau que garçons et filles, humains et nymphes, tous ceux qui le voyaient, le sollicitaient pour une relation amoureuse. 

La plus touchée d’amour était une belle nymphe nommée Echo. Il la repoussa avec tant de cruauté qu’elle perdit toute joie de vivre. Incapable de renoncer à son amour, elle cessa de fréquenter les autres nymphes, pour rester près de lui comme une ombre. Perdue dans une solitude de plus en plus morose, elle se vida de toute son énergie et finit par perdre sa substance physique : il ne resta d’elle qu’une voix faible, qui ne savait que répéter les derniers mots qu’elle entendait : Echo s’est chosifiée, elle est devenue un écho. On peut encore l’entendre dans les grottes et autres lieux fréquentés par les nymphes.

Echo et Narcisse, par John William Waterhouse, 1903, Walker Art Gallery.

Narcisse et lui-même

Enfin, un amoureux repoussé implora les dieux de punir cet arrogant en le condamnant à subir lui aussi un refus. Les dieux entendirent cette prière.

Un jour que Narcisse se penchait sur une source pour boire, il vit son reflet dans l’eau et en tomba immédiatement amoureux. À de multiples reprises, il tenta de serrer dans ses bras celui qu’il désirait si fort, mais il ne saisissait que le vide. Ayant enfin compris qu’il était face à lui même, il se laissa mourir en contemplant son reflet, désespéré de ne pouvoir assouvir son désir. De son corps naquit une fleur au coeur jaune et aux pétales blancs auquel on donna son nom.

Les psychologues modernes trouvent dans l’histoire d’Echo et Narcisse le schéma d’une relation amoureuse toxique assez fréquente : une “femme soumise” se laisse “effacer”  par un homme “pervers narcissique” qui la domine au point de détruire son psychisme. Et parfois, il ne s’agit pas seulement d’un effacement psychique, mais bien d’une destruction physique.

Narcisse symbole du renouveau dans l’être humain

Selon le philosophe Fabrice Midal (dans son livre “Narcisse n’est pas égoïste”) le héros n’est pas coupable d’égoïsme : pourquoi serait-il coupable de refuser de répondre à des sollicitations amoureuses ? N’étant pas coupable, sa métamorphose n’est pas une punition divine, c’est une mort symbolique, une étape dans un processus de renouveau de son être.

Après sa métamorphose, Narcisse est immortel. Il renaît à chaque printemps, et chaque fois il est magnifique. Le narcissisme n’est pas un défaut, une marque d’égoïsme, c’est une qualité : “Être narcissique, c’est permettre à la fleur du printemps, la fleur de la vie nouvelle, d’éclore à nouveau. Et c’est là un travail sans cesse à reprendre pour chacun de nous.”

Selon Fabrice Midal, Narcisse nous incite à nous observer avec bienveillance et à renaître sans cesse. Cette interprétation du mythe comme une incitation au renouveau de l’être est bien plus intéressante que l’interprétation moralisante de la punition pour égoïsme. 

Narcisse, par Le Caravage, fin XVIe siècle, palais Barberini à Rome. Penché sur lui-même, le jeune homme cherche sa propre vérité. Il nous incite à être à l’écoute de nous-même pour savoir nous renouveler, renaître sans cesse au cours de notre vie.

Achille et Penthésilée

Penthésilée était la reine des Amazones, peuple mythique d’Asie mineure, uniquement composé de femmes. Elle vint combattre avec ses troupes du côté des Troyens pendant la guerre de Troie. Au cours d’un duel, elle affronta le héros grec Achille. Le combat dura longtemps car les deux adversaires étaient de valeur équivalente. Mais l’Amazone finit par ressentir la fatigue et Achille réussit à l’abattre. 

 

Achille poursuivant Penthésilée, Musée archéologique national de Madrid, fin du Ve siècle avant notre ère. Photo Marie-Lan Nguyen.
Le combat d’Achille et Penthésilée ou Achille tenant la belle Amazone morte dans ses bras sont parmi les scènes  les plus représentées dans l’Antiquité.

Puis, comme la coutume l’y autorisait, il entreprit de la dépouiller de son armure. En lui retirant son casque, il découvrit un visage aux traits parfaits, aux magnifiques yeux figés à tout jamais et une chevelure d’or ruisselante. Au fur et à mesure qu’il retirait les pièces de l’armure, en un macabre streap tease, il prenait conscience que cette reine était comme sa jumelle, corps divin et vaillance au combat inégalée. Réalisant qu’il venait de tuer la seule femme digne de lui sur terre, il se mit à sangloter, pris d’un amour impossible à assouvir.

Des auteurs moins romantiques disent qu’au lieu de pleurer la mort de la belle, il assouvit son désir d’elle, sur le cadavre encore tiède… Sanglots ou nécrophilie, le comportement d’Achille lui valut les moqueries d’un soldat grec nommé Thersite. Vous découvrirez dans le thème “La Moquerie” comment Achille réagit à ces moqueries…

Achille et Penthésilée morte. Détail du sarcophage du combat des Amazones. Musée du Louvre.

Myrrha et son père

Pour punir l’orgueil de la mère de Myrrha (ou celui de la princesse elle-même), la déesse Aphrodite inspire à la jeune fille une passion dévorante pour son propre père. Arrivent les fêtes de Cérès : le rite exige que pendant cette période, les femmes ne couchent plus dans le lit de leur mari. 

La nourrice de Myrrha profite de la solitude du roi pour organiser un rendez-vous nocturne. Et le roi va recevoir sa fille dans son lit pendant douze nuits consécutives, sans savoir qui elle est. 

Pour connaître la suite du drame, lisons Ovide (Les Métamorphoses, livre X)

“Mais enfin le roi veut connaître son amante, après tant de doux plaisirs ; un flambeau la montre à ses yeux : il voit sa fille et son déshonneur. La parole expire sur sa bouche ; furieux, il saisit son épée suspendue au mur. Le fer brille hors du fourreau. Myrrha s’enfuit dans les ténèbres ; la nuit sombre la dérobe à la mort.” 

Pris de pitié devant son errance éperdue, les dieux finissent par la transformer en arbre. C’est sous cette forme qu’elle mettra au monde Adonis, son fils si beau que Perséphone et Aphrodite se disputeront son amour, jusqu’à ce qu’un accident de chasse mette fin à sa jeune vie.

Transformée en arbre, Myrrha met au monde son fils Adonis, gravure de Bernard Picart, XVIIe siècle. 

Byblis et son frère

Autre victime de la passion incestueuse, mais cette fois sans malédiction divine, Byblis a un frère jumeau si beau qu’elle en tombe amoureuse. Elle lui avoue sa passion par écrit mais il jette les tablettes sur lesquelles elle a gravé sa déclaration d’amour. Plus elle s’accroche à lui en le sollicitant, plus il la rejette. Finalement, pour échapper à sa soeur, il part en exil. Désespérée de ne plus le voir, elle pleure sans fin, seule au fond des bois. Ses larmes intarissables la font se transformer en source. 

Byblis pleure, par Jean Camus, sculpteur clermontois, 1905, Jardin Lecoq à Clermont-Ferrand. Perchés sur la grotte où Byblis s’abandonne à la mort, deux jeunes satyres l’observent, comme s’ils avaient envie d’intervenir face à ce gâchis, eux qui sont l’incarnation de la vitalité sexuelle… (Photo JPJ)

Pasiphaé et le taureau

Minos le roi de Crète avait promis de sacrifier au dieu Poséidon un superbe taureau sugi magiquement des flots. Mais il préféra le conserver vivant et sacrifia à sa place un taureau ordinaire. Pour couvrir de honte le roi parjure, Poséidon inspira une passion vertigineuse à Pasiphaé, l’épouse de Minos. L’objet de sa passion n’était autre que le taureau ! 

Dans sa folie, Pasiphaé demanda l’aide de Dédale, l’architecte royal. Il fabriqua une statue de vache creuse, dans laquelle la reine se cacha pour assouvir son désir du taureau. Et quand un monstre à corps d’homme et tête de taureau naquit de cet accouplement, Dédale fut chargé de lui construire un palais d’où il ne pouvait s’échapper, le Labyrinthe.

Pasiphaé est l’une des plus célèbres victimes des passions maudites envoyées par les dieux. Pour une analyse détaillée de ce mythe, je vous conseille l’article “Les amours de Pasiphaé problèmes d’analyse et d’interprétation mythologiques” par Laurent Gourmelen sur le site openedition faculté de Nanterre.

Pasiphaé embrassant le taureau, miniature du Moyen-Age.

Céphale et Procris

Nous avons quitté le couple Céphale et Procris réconcilié après l’épreuve de la séparation. Ils vivent heureux, mais Procris soupçonne son mari de continuer à voir l’Aurore en cachette, alors qu’il lui est fidèle. Un jour, elle le suit secrètement à la chasse, pour l’espionner.

Entendant un bruit dans un fourré, il lance le javelot qu’elle lui a  offert. Et le javelot magique d’Artémis remplit son devoir : il atteint sa proie. Découvrant son épouse transpercée, Céphale se perce avec la même arme, pour l’accompagner dans la mort.

La mort de Procris, par le peintre allemand Alexander Macco, vers 1793. 

Iphis et Anaxarete

Cette variation sur le thème de la femme fatale nous est racontée par Ovide. 

À Chypre, le jeune Iphis est plein d’un amour sincère pour la belle Anaxarete. Il lui fait une cour assidue, tresse des couronnes en son honneur et les suspend à sa porte, mais la jeune fille reste insensible. Désespéré, Iphis se pend à la porte qu’il a si souvent honorée de ses témoignages d’amour. Apprenant que son amoureux est mort, la belle se met à sa fenêtre, curieuse de voir passer le cortège funèbre. Au moment où ses yeux se posent sur le cadavre porté sur la civière, “ce rocher qu’elle portait depuis longtemps dans son coeur insensible envahit ses membres.” , raconte Ovide.

Iphis et Anaxarété. Gravure de Virgil Solis pour les Métamorphoses d’Ovide,1581. La même image mêle deux moments différents de l’histoire. À gauche, le jeune homme est pendu à la porte décorée de couronnes. À droite, on porte son cadavre en cortège funéraire. À la fenêtre de sa maison, Anaxarété se transforme en rocher. 

Pyrame et Tisbé

Tisbé est une belle jeune fille, Pyrame est un beau jeune homme, ils vivent à Babylone dans des maisons qui se touchent. Ils s’aiment et voudraient se marier, mais leurs parents respectifs s’y opposent. À cause du conflit entre leurs familles, ils ne peuvent se voir, mais peuvent se parler à travers une fissure dans un mur entre leurs deux maisons.

Tisbé écoutant les mots d’amour de Pyrame, par John William Waterhouse, 1909, collection privée.

Un soir, ils se donnent rendez-vous hors de la ville, sous un mûrier. Tisbé arrive la première au rendez-vous. Non loin de là, se trouve une source à laquelle une lionne vient s’abreuver après son repas. Voyant l’animal à la gueule barbouillée de sang, Pyrame prend peur et s’enfuit en perdant son voile. La lionne saisit le voile et le déchire, en y laissant des traces de sang puis s’en va. 

Vous devinez la suite : quand Pyrame arrive, il ne trouve qu’un voile déchiré et taché de sang, et des traces de pas de lion. Désespéré à l’idée que sa bien-aimée a été victime du fauve, il se suicide d’un coup d’épée.

Sa peur calmée, Tisbé revient près du mûrier et trouve le corps sans vie de son aimé. Vous connaissez la fin de l’histoire : Tisbé se suicide avec l’épée de Pyrame. La plus célèbre adaptation de ce récit antique s’intitule Roméo et Juliette ; Shakespeare a transposé leur drame dans la Vérone du XIIe siècle.

Acis et Galatée

Acis est un jeune et charmant berger de Sicile. Il aime et est aimé par Galaté, belle nymphe marine. Mais le cyclope Polyphème est lui aussi amoureux de Galaté. Un jour, il surprend les deux amoureux en tête-à-tête et leur signale sa présence en poussant des cris de haine semblables à des coups de tonnerre. Aussitôt, Galatée plonge dans la mer et Acis s’enfuit de son côté. Le cyclope arrache un rocher à la montagne et le jette sur le berger. De sous le rocher, sort un filet de sang qui fait comprendre que le jeune homme est mort.

Galatée implore les dieux, qui transforment le petit filet de sang en fleuve qui gagne la mer : Acis est devenu un Fleuve, un élément naturel immortel.

Polyphème surprenant Galatée dans les bras d’Acis, groupe sculpté par Auguste Ottin, 1859, fontaine Médicis du jardin du Luxembourg, Paris. Photo JPJ.

une histoire d’amour heureux !

Allons, pour ne pas vous plonger dans la déprime après tant de drames passionnels, je vous raconte tout de même une histoire avec “happy end” , celle de Psyché. Et dans le thème “Les changements d’identité”, vous pourrez lire deux autres histoires d’amour positives, celle d’Iphis et Ianthé et celle de Pygmalion et Galatée.

Eros et Psyché

Psyché était une si belle jeune fille que la déesse de la beauté et de l’amour, Aphrodite elle-même, en fut jalouse. Elle ordonna à son fils Eros de lancer à sa rivale une flèche qui lui inspirera un amour violent pour un être ignoble, le plus hideux de la terre. Eros s’envole aussitôt pour accomplir sa mission, mais, voyant Psyché, il est troublé au point de se blesser lui-même avec une de ses flèches, volontairement ou involontairement, selon les auteurs. Et voilà l’Amour amoureux ou l’arroseur arrosé !

Le père de Psyché va consulter l’oracle de Delphes pour savoir quel est l’époux qui conviendra à sa fille. À la demande d’Eros, Apollon inspire à la prêtresse chargée de rendre les oracles une réponse terrible : Psyché doit être conduite sur une montagne en vêtements de deuils et abandonnée là, car un monstre viendra la chercher. Désespéré de la mettre à mort, mais soumis au dieu, le père expose sa fille chérie, comme il en a reçu l’ordre. 

Soumise elle aussi à la volonté du dieu, Psyché attend le monstre, seule sur la montagne. Mais c’est un souffle délicat qui  la soulève et l’emporte jusqu’à un palais merveilleux. Elle y trouve tout le confort dont elle peut rêver, mais elle est seule. Et c’est seule qu’elle se couche. Dans le noir complet, elle entend arriver quelqu’un… sans doute le monstre qui vient la dévorer. Mais l’inconnu lui parle d’une voix merveilleusement douce en se couchant près d’elle. Elle découvre des plaisirs qui n’ont rien de monstrueux, bien au contraire. Au matin, son compagnon la quitte sans qu’elle ait pu le voir. 

Et le temps passe, composé de nuits merveilleuses et de journées de plus en plus languissantes, pour une jeune femme seule et oisive, car tout ce dont elle a besoin lui est offert sans qu’elle ait le moindre travail à réaliser.

Une nuit, Psyché demande à son compagnon la permission de revenir voir sa famille, ce qu’il lui accorde à regret, pour quelques jours seulement. Magiquement emportée, Psyché se retrouve chez elle.

Il est facile d’imaginer la joie de son père en retrouvant celle qu’il croyait morte ! Mais ses soeurs sont jalouses du beau palais rempli de richesses et de serviteurs invisibles dont Psyché leur parle, et surtout de l’être adorable qui lui rend visite toutes les nuits. Elles affirment que, puisqu’il ne se laisse pas voir, le visiteur nocturne est certainement le monstre dont parlait l’oracle. 

De retour dans le palais magique, Psyché attend avec impatience son visiteur. Les retrouvailles sont émouvantes. Puis, quand elle sent que son compagnon dort, Psyché prend la lampe que ses soeurs lui ont donnée et l’allume. En la levant au dessus du lit, la jeune fille découvre un jeune homme plus beau que tout ce qu’elle aurait pu imaginer. Perdue dans sa contemplation, elle penche involontairement la lampe et une goutte d’huile brûlante tombe sur le bras d’Eros. 

Eros et Psychée par Jacopo Zucchi, 1589, Galerie Borghèse, Rome. La jeune fille tient à la main le couteau donné par ses soeurs pour tuer le « monstre » dès qu’elle le verra.

Réveillé en sursaut, Eros disparaît et tout le palais magique avec lui. Psyché est seule sur la montagne. D’abord désespérée, elle décide ensuite de partir à la recherche de celui qu’elle aime plus que tout.

Il faudra bien du temps et des épreuves infligées par Aphrodite mais accomplies avec l’aide d’êtres bienveillants, animaux ou dieux, pour que Psyché (dont le nom signifie Ame) retrouve Eros (l’Amour). Finalement, Psyché sera jugée digne d’être pour toujours l’épouse de l’Amour et elle intègrera le palais des dieux avec lui.

Depuis l’Antiquité, de nombreux commentateurs voient dans ce récit une allégorie de l’attrait que l’âme humaine éprouve pour l’amour divin.

Eros et Psychée par Canova. Musée du Louvre.

L’ homme chaste

Au milieu de ce déferlement de passions destructrices, il y a tout de même quelques héros qui restent maîtres de leurs sens. 

Selon le Dictionnaire critique de mythologie, le motif narratif de la femme amoureuse qui se venge de celui qui l’a repoussée est présent dans des mythes de tous les continents. Cet ouvrage de référence cite des dizaines de récits à l’entrée “Putiphar”, du nom d’un personnage de la Bible dont la femme avait injustement accusé un jeune et beau serviteur (voir le thème Le désir amoureux, récits bibliques).

Le Dictionnaire cite quatre héros grecs victimes de cette calomnie, je n’en retiens qu’un, Bellérophon.

La chasteté de Bellérophon 

Fils du roi de Corinthe en Grèce, Belllérophon tua involontairement son frère au cours d’une partie de chasse. Il s’exila chez un roi voisin qui l’accueillit avec bonté et le purifia du meurtre. Mais l’épouse du roi tomba amoureuse du jeune homme et s’offrit à lui. 

Il la repoussa car il ne voulait pas trahir le roi qui l’avait protégé. Pour se venger, elle fit croire à son mari qu’il avait tenté de la violer. Le roi voulait punir Bellérophon mais les voyageurs accueillis sous un toit étaient sacrés. Renonçant à faire justice lui-même, le roi demanda à Bellérophon de porter un message au père de son épouse, dans un autre royaume. 

En fait, ce message répétait l’accusation portée contre Bellérophon et demandait au roi de venger sa fille en tuant son agresseur. Mais le père de la méchante épouse se trouva dans la même situation que son gendre, incapable de tuer un invité sacré. 

Pour s’en débarrasser sans le tuer directement, il l’envoya combattre la Chimère, un monstre jusque là invincible. Avec l’aide de la déesse Athéna qui lui permit de dompter Pégase le cheval volant, le pieux jeune homme sortit vivant de l’affrontement avec la Chimère. 

Bellérophon envoyé combattre la chimère, par Alexandre Ivanov, peintre russe du XIXe siècle. À gauche, le roi assis sur son trône, à droite, la déesse protectrice du héros.

Après d’autres aventures, Bellérophon va apprendre le mensonge de la reine. Pour se venger, il revient la voir, fait semblant de se laisser séduire et propose une promenade à deux sur le dos du cheval ailé. Quand ils sont assez haut pour que la chute soit fatale, il fait tomber la reine dans le vide. 

(Sur la mort de Bellérophon lui-même, voir le thème La mort des héros.)

Mythologie romaine

Les Romains ayant adopté les mythes grecs, je ne cite dans cette section que des récits légendaires typiquement romains. Je m’appuie sur le livre passionnant de Virginie Girod “Les Femmes et le sexe dans la Rome antique.” L’auteur présente très clairement et de façon très documentée la façon romaine de concevoir la sexualité : elle est assez différente de la nôtre ! La place me manque pour entrer dans les détails, mais je peux souligner deux traits principaux :

– La sexualité est phallocentrée. La seule sexualité honorable est celle du mâle viril qui répand sa semence ; peu importe en quel réceptacle il s’épanche, le mâle reste toujours pur et glorieux dans une activité sexuelle. Au contraire le mâle passif est réputé “infâme”.

C’est le rôle officiellement assigné à l’esclave, mais un citoyen romain qui manifesterait un comportement “effeminé” s’exposerait à de lourdes sanctions telles que le bannissement.

Les partenaires sont souillé(e)s par la semence, à l’exception de l’épouse légitime, si l’accouplement est à but reproducteur, c’est à dire vaginal. Même dans le cadre du mariage, la sexualité qu’on pourrait qualifier de récréative (dans laquelle le réceptacle de la semence ne permet pas la reproduction), est une souillure pour l’épouse qui accepte de la pratiquer. 

– L’Etat promulgue des lois pour garantir les bonnes moeurs, c’est à dire punir les femmes adultères et régler la prostitution : la fonction féminine la plus noble étant de mettre au monde des citoyens romains, les épouses doivent rester pures. Les esclaves mâles ou femelles, les affranchi(e)s et les prostitué(e)s ont pour fonction de permettre l’expression de la virilité à but non reproducteur. 

Le désir masculin dominateur

Les récits mythiques des origines de Rome mettent en scène des femmes qui inspirent du désir aux hommes. Quel modèle de comportement face au désir masculin ces mythes transmettaient-ils aux générations de jeunes Romaines ?

Rhéa Silvia la vestale violée

Dans le thème “Violences en famille”, j’ai raconté l’histoire de Rhéa Silvia, vestale vouée à la chasteté et pourtant rendue enceinte par le dieu Mars des jumeaux Romulus et Rémus. Elle fut mise à mort, selon certains auteurs,  ou jetée en prison à vie, selon d’autres, pour avoir enfreint la règle de chasteté. 

Le dieu Mars et Rhéa Silvia, par Jacques Blanchard, vers 1630, Musée d’art de Nouvelle Galle du sud, Sydney, Australie.

Acca Larentia la prostituée au grand coeur

 les jumeaux abandonnés sur le Tibre dans un panier s’échouèrent au bord de l’eau et une louve les allaita. Puis un berger les recueillit et les apporta à sa femme Acca Larentia qui fut leur seconde nourrice. Plus tard, Romulus institua des fêtes en l’honneur de cette femme, non parce qu’elle fut sa nourrice (métier extrêmement banal à l’époque) mais parce qu’elle fit don à Rome d’une somme d’argent très importante. 

Ce qui est original, c’est la façon dont cette patriote exemplaire avait amassé son magot : en se prostituant ! Selon Virginie Girod “Elle devint ainsi un modèle de générosité pour les prostituées romaines en mettant son corps puis sa richesse au service des hommes et de la patrie.”

Le berger apportant Romulus et Rémus à sa femme, par Nicolas Mignard, 1654, Musée d’art de Dallas.

Les Sabines, faiseuses de paix 

Je présenterai ce récit en détail dans le thème “L’Enlèvement”. Dans sa ville nouvellement fondée, Romulus accueillit tous ceux qui cherchaient une nouvelle vie, dont beaucoup de laissés-pour-compte venus des villages voisins, de pauvres, voire d’esclaves en fuite. Et pas une seule femme pour eux… “La pauvreté et l’origine obscure du peuple de Romulus ne suscitait que le mépris des peuples voisins. Déterminé à s’allier aux Sabins, Romulus décida d’enlever les jeunes femmes sabines lors d’une fête. (Son but était) de faire d’elles des matrones et des mères de famille (matres familias) respectées et donc dévouées à leur foyer. Il ne s’agissait pas d’en faire des esclaves reproductrices.”

 Il s’en suivit une longue guerre, car les Sabins voulaient récupérer leurs filles. Ce furent les Sabines elles-mêmes, maintenant Romaines, qui arrêtèrent le conflit en se jetant au milieu d’une bataille : comme ni leurs maris ni leurs pères et frères ne leur voulaient du mal “les peuples sabin et romain s’unirent sous la domination politique de Rome.”

Les Sabines arrêtant le combat entre les Romains et les Sabins, par Jacques-Louis David, 1799, Musée du Louvre. 

Tarpéia la traîtresse

Dans le thème “La Trahison”, j’ai raconté l’histoire de Tarpéia, la fille du commandant de la citadelle de Rome, qui ouvrit les portes aux ennemis Sabins. Selon certains, elle était amoureuse d’un beau Sabin, selon d’autres, elle avait négocié que les assaillants lui offrent “ce qu’ils portaient à leurs bras gauches”. Elle voulait parler des bracelets d’or, mais ils jetèrent sur elle les boucliers qu’ils tenaient de la main gauche. Elle mourut sous le poids de tant de boucliers entassés, juste punition de sa trahison !

Lucrèce la vertueuse épouse

L’histoire se passe aux premiers temps de Rome, à l’époque de la royauté. Aussi belle que vertueuse, Lucrèce était une épouse fidèle. Elle appartenait à la classe sociale la plus élevée, celle des Praticiens. 

Sextus Tarquin, l’un des fils du roi Tarquin le Superbe tomba fou amoureux d’elle. 

Profitant de l’absence de son mari, il entra une nuit dans sa chambre, avec une épée à la main. Il lui dit qu’il l’aimait et la supplia de se donner à lui, la menaçant de mort dans le cas où elle refuserait. Comme elle repoussait aussi bien ses douces paroles que ses menaces, il lui fit un odieux chantage : il allait abuser d’elle, la tuer et tuer aussi un esclave pour le mettre dans son lit. Ainsi, tout le monde croirait qu’ils avaient été égorgés tous les deux en punition du crime d’adultère. 

Lucrèce ne pouvait pas laisser croire qu’elle avait perdu le sens de l’honneur au point de coucher avec un esclave. Si Sextus la tuait, elle ne pourrait pas se défendre contre une accusation aussi infâme. Pour conserver la vie, elle se laissa violer par Sextus. Son désir satisfait, il s’en alla, persuadé qu’elle ne parlerait jamais de son malheur. 

Tarquin et Lucrèce, gravure sur cuivre par le graveur lyonnais Georges Reverdy, XVIe siècle, Musée de Dresde.

Mais Lucrèce était bien décidée à ne pas le laisser profiter en paix de sa victoire. Elle envoya des serviteurs chercher son mari et son père. Elle leur raconta la violence qu’elle avait subie, leur demanda de la venger et, ne voulant pas survivre à son déshonneur, se suicida devant eux d’un coup de couteau. 

Le père et le veuf firent le serment de la venger. Ils réunirent leurs amis et marchèrent sur Rome. En racontant la violence faite à Lucrèce, ils soulevèrent la population et chassèrent le roi et sa famille. 

C’est à la suite du viol de Lucrèce que Rome cessa d’être une monarchie pour devenir une République. Selon l’historien romain du premier siècle de notre ère Tite-Live cité par Virginie Girod, Tarquin “tire son plaisir du déshonneur infligé à une femme belle et pudique”. Quant à Lucrèce, selon Tite-Live, elle refuse de vivre en étant “impudica”, ce qui signifie “sans pudeur, débauchée, souillée.” Virginie Girod précise : “Toutes les femmes qui se livraient à la sexualité en dehors du mariage, de gré ou de force, n’avaient que le suicide pour regagner leur pudeur, preuve que la souillure sexuelle, une fois contractée, était symboliquement ineffaçable aux yeux des Romains.”

La Mort de Lucrèce ou Le Serment de Junius Brutus, par Alexandre-Evariste Fragonard, 1818. Coll. Villa-musée Jean-Honoré Fragonard, Grasse. Photo William Chevillon/Flickr.

Virginie la vierge convoitée

Après la suppression de la royauté à Rome, le pouvoir est remis entre les mains d’un groupe de magistrats appelés les “décemvir”. 

50 ans après la mort de Lucrèce, un de ces décemvirs, nommé Appius Claudius, se prend de passion pour une jeune fille très belle nommée Virginie. Dans son livre “Les femmes et le sexe dans la Rome antique”, Virginie Girod considère que “Virginie était sans doute plus proche de douze ans que de quinze”, étant donné les quelques détails rapportés par les historiens. 

L’orgueilleux décemvir Appius n’envisagea pas un instant de l’épouser car son père Virginius n’était qu’un modeste centurion. Pour assouvir son désir, il mit au point une machination particulièrement perverse.

Un complice porta plainte contre Virginius, en demandant qu’il lui rende  Virginie car elle était une de ses esclaves, que le centurion lui avait enlevée. Virginius était absent à cause de son travail de soldat, mais la famille protégea la jeune fille, le temps qu’il revienne. Virginie, son père et leur accusateur se retrouvèrent donc devant le magistrat, qui n’était autre que Appius lui-même.

Histoire de Virginie la Romaine, par Sandro Botticelli, vers 1500, Académie Carrara, Bergame. Détail : Virginie devant le tribunal. 
Appius trône en haut des marches. Virginie est montrée de dos : on ne voit d’elle que ses longs cheveux blonds.
Photo William Chevillon/Flickr.

La mort de Virginie

Devant le magistrat, son complice confirma son accusation : Virginie était son esclave volée ; le centurion affirma que Virginie était sa fille née libre et Appius rendit la justice ainsi : Virginie était bien une esclave qui devait revenir chez son maître. On imagine facilement ce loup se lécher les babines en pensant à la tendre agnelle que son complice va mettre à sa disposition… 

Mais le père de Virginie s’approcha d’elle et lui planta un couteau dans le coeur. 

Face au peuple et à l’armée, il expliqua avoir agi en père aimant, soucieux d’épargner à son enfant le déshonneur de l’esclavage. Alors le peuple se souleva contre l’injustice : 

“Et le peuple et l’armée mirent fin à un régime politique où, à l’instar des rois, une dizaine d’hommes trop puissants se moquaient de la dignité et des droits du peuple romain.”

Histoire de Virginie la Romaine, par Sandro Botticelli, vers 1500, Académie Carrara, Bergame. Détail : Virginius tue sa fille d’un coup de sabre, au milieu de femmes éplorées. Le peintre a choisi de donner à Virginius un sabre, arme plus spectaculaire qu’un couteau.

Éduquer les pulsions érotiques féminines

Je cite encore Virginie Girod : “Afin d’éduquer et de maîtriser l’éros féminin, la mythologie politique a formé un moule dans lequel la personnalité des femmes devait se couler.” 

De la plus chaste (la vestale) à la plus engagée sexuellement (la prostituée), de la vierge à l’épouse, chaque catégorie de femmes avait un modèle et l’État veillait à ce que les infractions au bon comportement de chaque catégorie de femme soient sévèrement punies. En témoigne un récit que Virginie Girod nous fait d’après l’historien judéo-romain Flavius Josèphe (1er siècle) : 

La noble Paulinia et le dieu Anubis

“La noble matrone Paulinia, reconnue pour ses vertus, exerçait une prêtrise au temple d’Isis de Rome. (…) Un prêtre l’invita à passer une nuit au temple à la demande du dieu Anubis. (…) Seule dans le temple, toutes lumières éteintes, elle se laissa approcher par celui qu’elle croyait Anubis et se donna à lui. Pauline se vanta auprès de ses amis d’avoir été l’élue du dieu.”

Hélas, un chevalier nommé Mundus, qui l’avait longtemps courtisée en vain, lui fit comprendre que c’était lui qui avait bénéficié de cette nuit d’amour. Il avait organisé ce piège avec la complicité d’une affranchie de son père, nommée Idé, et des prêtres d’Isis. 

Comprenant que, sous couvert de religion, elle avait été contrainte de commettre un vulgaire adultère, Pauline réclama vengeance auprès de son mari, qui porta plainte devant l’empereur Tibère lui-même. “L’empereur prit des sanctions exemplaires. Il fit crucifier les prêtres complices, ainsi qu’Idé, raser le temple et jeter la statue d’Isis dans le Tibre. Mundus, quant à lui, fut condamné à l’exil.” 

Le message était clair pour tout le monde : la vertu d’une matrone romaine est plus sacrée qu’une déesse égyptienne !

Prêtres au cours d’une cérémonie religieuse, fresque du temple d’Isis, Pompéi.

Sexualité, sacrifice des femmes et politique

D’un point de vue plus large que le comportement des femmes, on peut remarquer que, selon les historiens romains, les étapes qui jalonnent la vie politique de Rome sont marquées par la mort d’une femme pour des raisons sexuelles :

– Mort de Rhéa Silvia pour que naisse le fondateur de Rome,

– Mort de Tarpéia durant les guerres qui vont permettre à Rome de s’affirmer contre les cités voisines, 

– Mort de Lucrèce qui va être le déclencheur du mouvement populaire fondant la République,

– Mort de Virginie qui va être le déclencheur du mouvement populaire réformant la gouvernance républicaine.

La nourrice de Romulus est mythifiée vivante, mais pour servir de modèle à la plus basse catégorie sociale, les prostituées.

Quant aux Sabines, elles sont le rayon de lumière dans ces origines bien sombres, puisqu’elles affirment que vivre ensemble est possible.

De manière moins marquée, nous retrouverons ce lien entre sacrifice d’une femme et évolution politique dans les récits hébreux du thème suivant.

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