20. Le dieu parle

L’action du mari de la nourrice, nous en prenons connaissance le lendemain matin, quand Petit Dauphin arrive dans le bureau ; au lieu de s’asseoir pour travailler avec le commandant, il dit, très inquiet :

– Les soldats m’ont dit que cette nuit on a tenté de vous assassiner ! Par où est entré l’agresseur ?

Archer l’emmène dans la petite cour :

– Il est descendu par ce toit, il a forcé cette porte pour entrer dans le bureau. De là, il pouvait facilement arriver dans ma chambre, mais je me méfiais et j’avais posté des hommes dans le couloir. Ils l’ont arrêté tout de suite. 

Archer revient s’asseoir et fait signe à Petit Dauphin d’en faire autant :

– C’est comme cela que je me retrouve en possession de ce magnifique poignard dit-il en jouant avec une arme à la lame étroite et à la poignée d’or incrustée de rubis. C’est un travail ancien, de grande qualité : ce ne peut être qu’une arme de la famille du défunt prince-gouverneur. Et comme l’homme est le mari de la nourrice, l’enquête est facilement bouclée ! 

Petit Dauphin n’est plus inquiet, il est indigné : 

– Vous l’avez laissé repartir, cet assassin ! Les gardes me l’ont dit ! Mais pourquoi ?

– Mettez-vous à la place de cette femme désespérée par la mort de son mari, seule avec deux jeunes filles et un petit garçon, au milieu de soldats qui peuvent se croire tout permis parce qu’ils sont les plus forts. 

Impressionné par le calme de son chef, le comptable veut montrer que lui aussi peut raisonner sans se laisser emporter par les émotions. Il propose :

– Pourquoi ne pas parler avec cette femme ? Elle peut comprendre que vous n’aviez pas le choix, au combat. 

– Il ne s’agit pas seulement de la mort du mari, je pense, mais aussi du départ de son fils aîné, qu’elle doit craindre définitif. Et puis… Hier après-midi, son plus jeune fils est venu ici, par hasard. Nous avons parlé amicalement. Il est revenu le soir et je l’ai reconduit moi-même. Devant elle, il m’a témoigné de l’amitié… Le regard de haine de cette femme ! Et celui de la nourrice ! Elles sont folles d’inquiétude et de haine, ce n’est même pas la peine d’essayer de les raisonner !

– Commandant, dit Petit Dauphin d’une voix pressante, j’ai peur ! Pour vous et pour nous tous. Nous serions plus en sécurité dans la plaine.

– J’ai réfléchi à la même chose que vous. L’enfant m’a montré une porte cachée, là dans la cour. Ce matin, je l’ai ouverte, elle conduit à des salles d’où on peut gagner l’arrière du palais. Ce soir, nous passerons par là pour rejoindre discrètement l’armée hors de la ville. Si les tueurs de la veuve reviennent cette nuit, ils ne trouveront personne. 

Au lieu de préparer un combat facile à gagner, chercher le salut dans la fuite ! Cela peut paraître étrange, mais vous savez que ce n’est pas de la lâcheté : le commandant a promis au roi et s’est promis à lui-même d’épargner le maximum de vies. Sa décision est prise, alors laissons-le pour le moment, et allons voir ce qui se passe à Sanara en ce même matin.

Les étudiants de l’Ecole Royale de l’Union sont dans la bibliothèque du palais. Ceux qui représentent les diverses régions la connaissent déjà mais les garçons du Sud la découvrent avec stupéfaction. La grande salle est dominée par un dôme dont les fenêtres sont protégées par des rideaux qui filtrent les flots de lumière. Entre les ouvertures et sur tout le plafond environnant, des fresques représentent l’histoire du dieu soleil, incarné par un guerrier à l’armure dorée, dont l’épée fait jaillir des rayons lumineux. 

La tête renversée en arrière, bouche bée, les otages déchiffrent ces images et comprennent qu’ils sont dans un ancien temple solaire. En effet, après s’être converti à la religion lunaire, l’arrière-arrière-grand père de Rose s’est fait aménager un oratoire à la lune dans une autre partie du palais. Son ancien lieu de prière, il l’a transformé en bibliothèque, en fixant des rayonnages sur tous les murs, avec une galerie de bois à mi-hauteur pour faciliter l’accès aux étagères supérieures. 

A voix basse, Flamboyant commence à exciter ses amis : « Ces salauds se moquent de notre religion ! Il faut clamer notre indignation !» mais Dame Alinéa, la bibliothécaire, ne lui laisse pas le temps d’en dire plus.

 

Petite dame souriante sous son chignon gris dont s’échappent des mèches rebelles, elle salue amicalement les représentants du Sud, en précisant qu’elle vient elle-même de cette région, et qu’elle lui reste très attachée. Et elle invite tout de suite les élèves à explorer les rayons, en leur demandant de choisir des livres pour eux-mêmes mais aussi des livres qu’ils proposeront à leurs camarades. 

Aussitôt, les représentants des diverses régions se dispersent devant les rayonnages. Ardent et Montagne s’empressent d’entraîner Clair à la recherche de livres de botanique, tandis qu’Obsidienne grimpe directement à la galerie pour aller observer les fresques de près. Basalte, que Rose a exceptionnellement invité à venir puisqu’il ne s’agit pas d’un cours, s’installe confortablement dans un fauteuil, en déclarant qu’il y sera très bien pour continuer sa nuit. Le sourire aux lèvres, il savoure l’idée de choquer les élèves qui certainement se moqueraient de lui s’ils connaissaient son faible niveau de culture.

Comprenant qu’il ne peut rien faire faute de public, Flamboyant reste debout sans bouger, le nez au sol, les bras croisés, pour bien montrer que tout cela ne le concerne pas. 

Jour est profondément choqué de la désacralisation du temple, car il est très religieux, mais sa timidité et sa passion des livres l’empêchent d’exprimer ce qu’il ressent. Comme les autres, il part en exploration.

En s’avançant vers le fond de l’ancien temple, il se retrouve devant des marches en colimaçon. Levant la tête vers le haut de l’escalier qui se perd dans l’obscurité, il se sent irrésistiblement attiré, comme appelé par une voix que lui seul entend. Refoulant son envie de choisir des livres, il s’engage sur les marches sombres. Après le niveau de la galerie en bois, l’escalier continue et tout en haut, le garçon pousse une porte pour déboucher sur une minuscule terrasse éblouissante de lumière. Émerveillé de se trouver sur le lieu personnel de prière des anciens rois, il tend le visage vers son dieu qui rayonne au dessus de lui. Ses bras se lèvent et la prière de louange jaillit de ses lèvres : 

« O Dieu de beauté et de lumière, vos rayons illuminent tous les pays. A votre coucher, la terre est dans l’obscurité comme si elle était morte. A votre lever, les hommes se lèvent aussi et mettent leurs vêtements pour travailler, les plantes et les arbres verdissent, les animaux bondissent sur leurs quatre pattes. Votre puissance engendre les saisons et toute forme de vie n’existe que par vous… »

Sous la chaude caresse des rayons, il sent l’angoisse qui l’étreint depuis des jours se dissiper. Eperdu de bonheur, il s’abandonne à la prière, oubliant qui il est et où il est : il est en dialogue avec son dieu, l’espace et le temps n’existent plus. 

 

Mais, au rez-de-chaussée, le seigneur Temps a compté environ une demi-heure et les élèves reviennent vers Dame Arnica avec des livres. Quand elle demande si quelqu’un veut présenter le livre qu’il propose à ses camarades, Miroir-des-eaux prend la parole en montrant la couverture du roman qu’il a choisi :

– J’ai lu ce livre et je peux vous assurer que c’est passionnant. Ça raconte les exploits d’un guerrier qui est capable de choses extraordinaires.

Par exemple, il reste toute une journée caché dans une pièce, accroché sous le plafond, appuyé entre les poutres par les mains et les orteils. Il ne bouge pas, ne fait aucun bruit et personne ne se rend compte qu’il est là…

Et quand son ennemi se retrouve tout seul dans la pièce, là, il saute et il se bat avec son ennemi. Il est resté des heures dans une position inconfortable mais il est tout de suite très souple et il réussit à tuer son ennemi.

 

Aussitôt, Flamboyant affirme que cela n’est pas possible et que ce livre est un tissu de mensonges. « Comme probablement tous ceux de cette bibliothèque », ajoute-t-il en fixant la bibliothécaire d’un air insolent, mais Dame Alinéa confirme paisiblement les propos de Miroir :

– Ces guerriers extraordinaires existent vraiment. Dans leur pays, on les appelle des « ninjas ». Attendez un instant, s’il vous plaît.

 

Pendant que la bibliothécaire va fouiller dans les rayons, Etoile-du-matin lance un débat :

– Je ne vois vraiment pas quel est l’intérêt de ce genre d’exploit ! C’est bien des idées de garçons, toujours chercher le meilleur moyen de tuer les gens ! 

– Il ne s’agit pas de chercher à tuer, il s’agit d’être plus fort que les autres, répond Eridan. C’est ce que nous faisons tous, ici, n’est-ce pas ? Alors, il faut s’entraîner ! Travailler plus pour gagner sur les autres, c’est bien votre but, à vous aussi !

– Ah non ! s’exclame Etoile-du-matin. Je travaille parce que ça m’intéresse. Je ne cherche pas à être plus forte que les autres, à quoi ça me servirait ?

 

Dame Alinéa revient poser plusieurs livres sur une table et montre la couverture de l’un d’eux :

– Celui-ci détaille plus précisément les méthodes d’entraînement de ces combattants de l’ombre qui ont tant plu à votre camarade. Il a raison quand il dit qu’ils ont une parfaite maîtrise de leur corps, aussi bien dans l’immobilité que dans le mouvement, mais cela représente un entraînement de tous les jours dès le plus jeune âge. Pour vous, c’est déjà trop tard !

 

La bibliothécaire a dit les derniers mots en riant, mais Eridan lui prend le livre et se plonge aussitôt avec passion dans sa lecture. Le voyageur qui a enquêté dans ce pays lointain a su gagner la confiance de ces combattants, qui lui ont révélé leurs secrets.

Un simple coup d’œil sur le sommaire lui fait l’effet d’une révélation : comment se glisser dans n’importe quel lieu, par exemple nager sous l’eau en respirant grâce à un roseau, comment  grimper dans les endroits les plus inaccessibles sans être vu, comment fabriquer des armes originales contre lesquelles il n’y a pas de parade… Son rêve de guerrier-ouragan irrésistible est là, à portée de main !

 

La bibliothécaire continue de présenter les autres livres :

– Voici de quoi vous documenter sur ce pays qui se donne pour nom l’Empire du soleil levant.

– Ah ! Eux aussi, ils adorent le dieu soleil ! dit Flamboyant avec fierté. 

– Désolée de vous décevoir, mais dans ce pays, la divinité du soleil est une déesse, et la lune est un dieu.

– Le soleil, une déesse ? mais c’est n’importe quoi ! s’indigne Flamboyant. Alors non seulement vous confisquez un lieu saint de notre religion, mais en plus vous profanez notre divinité en la prenant pour une femelle ! 

– Ce n’est pas moi qui considère que le soleil est une déesse, c’est le peuple japonais, rétorque froidement Dame Arnica, coupant la parole à plusieurs élèves qui commençaient à réagir contre l’insolence de Flamboyant. 

Ouvrant un des livres qu’elle a apportés, elle présente aux élèves une gravure :

– Tenez, voici la déesse Amaterasu dans toute sa splendeur, sur une image très ancienne. Vous trouverez beaucoup de choses sur elle dans ce livre…

– Peuh, dit le garçon, je ne vais pas perdre mon temps à lire ces bêtises, mais nous avons quelqu’un de très compétent en matière de religion…

Son regard cherche Jour pour lui proposer de mener l’enquête sur le sexe de la divinité solaire, mais il ne le voit pas. Et alors que tous prennent conscience de son absence, le voici qui s’avance vers eux, venant du fond de l’ancien temple, le visage écarlate et rayonnant de bonheur. Il s’écrie avec une telle assurance que ses amis le reconnaissent à peine : 

– Il m’a parlé ! Oui, mes amis, le dieu suprême m’a répondu quand je l’ai prié, là-haut sur la terrasse du temple.

– Et que vous a-t-il dit ? interroge Rose en s’appliquant à ne mettre aucune ironie dans son ton.

– Je lui ai demandé pardon pour l’offense qu’il a subie quand on a supprimé le culte dans ce temple et il m’a dit « Tout est pardonné ». Alors mon esprit s’est ouvert et j’ai compris que Dieu est tellement puissant, tellement immense, qu’aucun mot, aucun geste humain ne peut jamais porter atteinte à sa divine majesté.  Je lui ai demandé ce que je devais faire à partir de maintenant. Il a dit « En toute occasion, cherchez la connaissance. » Oui, j’ai clairement entendu ces mots dans ma tête. Puisqu’il m’encourage à chercher la connaissance, ça veut dire qu’il n’est pas fâché que cet endroit soit une bibliothèque.

– Bien sûr qu’il n’est pas fâché, assure Dame Alinéa. Rien n’a été détruit. Les peintures sont intactes et le mobilier sacré a été donné à d’autres temples solaires. 

Jour reprend avec enthousiasme : 

– Il a éclairé mon esprit et j’ai compris que chercher la connaissance veut aussi dire que je dois chercher à connaître tout le monde, même ceux qui ne sont pas de la même religion que moi.

– Mais c’est n’importe quoi ! crie Flamboyant avec l’énergie du désespoir, Si vous faites ça, vous êtes un salaud, un traître ! 

Cette fois, Dame Arnica ne parvient pas à contenir les réactions des élèves : tous parlent à la fois, pour inciter Flamboyant à la modération et au respect. Jour bondit sur une table et mouline des bras pour attirer les regards. Quand tout le monde se tait, il répète d’un air émerveillé : 

– Cherchez la connaissance ! Ça veut dire tant de choses ! ça veut dire qu’on peut lire tout ce qu’on veut dans cette bibliothèque ou ailleurs… 

Flamboyant saute sur l’occasion de reprendre la direction des débats :

– Hé bien lisez ce livre, dit-il en faisant signe à l’orateur de descendre. Il parle d’un pays où on prétend que notre dieu Soleil est une déesse ! Avez-vous jamais entendu un pire blasphème ?

A la grande déception de Flamboyant, Jour n’est pas choqué. Il saute de la table et ouvre le livre avec intérêt en disant calmement : 

– Peut-être que leurs prophètes ont perçu des qualités divines que les nôtres n’avaient pas comprises. Peut-être que chaque peuple ne perçoit qu’une partie de Dieu et de la Vérité… et qu’il faut dialoguer pour tout connaître, pour comprendre qui Il est vraiment et…

Posant délicatement la main sur l’épaule de Jour, Rose interrompt son monologue avec son sourire le plus charmeur :

– Votre approche des questions religieuses est très intéressante. Je vous propose de rester ici au calme pour noter vos idées. Plus tard, vous pourrez nous présenter en cours de philosophie votre façon de comparer les religions.

Nous, nous partons en cours de mathématiques, je vous excuserai auprès de Messire Plume. Vous nous rejoindrez pour le repas. Mais d’abord, nous allons faire noter les livres que nous empruntons.

 

Voyant tous les élèves se diriger vers le bureau de Dame Alinéa, Flamboyant comprend qu’ils ont tous hâte de se trouver dans une ambiance moins orageuse. Il se tait, furieux et humilié, et la façon dont il fixe Rose exprime clairement qu’il la hait. 

Faisant semblant de ne pas remarquer ce qui est évident pour tout le monde, la princesse fait enregistrer des contes et un livre de zoologie ancien, qu’elle a choisi pour le prêter à Pivoine qui adore les animaux.

Clair a apporté un livre de botanique aux magnifiques gravures colorées mais, voyant que ni Flamboyant ni Obsidienne ni Basalte n’en prennent, il le repose. Montagne s’en empare aussitôt pour l’emprunter en même temps que des romans de chevalerie. Eridan a pris les deux livres parlant des guerriers de l’Empire du soleil levant, Flamme et Etoile-du-matin de la poésie. 

 

Les formalités d’emprunt des livres rapidement expédiées, les élèves quittent la bibliothèque, tandis que Jour note fiévreusement les réponses de son dieu à ses questions sur le bien et le mal, ce qu’il faut faire et ne pas faire :

– Cherchez la connaissance. 

– Respectez vos parents et tous vos semblables.

– Ne tuez pas.

– Ne volez pas.

– Ne faites pas de faux témoignage.

– N’ayez pas de désirs impurs. 

A ces mots, il s’arrête, troublé en repensant malgré lui à Rose. Oubliant de noter la suite, il se perd dans une rêverie sur la princesse. Au bout de longues minutes, quand il émerge de son état second, son esprit est vide. 

Malgré tous ses efforts, il n’arrive pas à se rappeler les autres paroles de son dieu. Furieux contre lui-même et contre Rose, il déchire violemment la page sur laquelle il a commencé à écrire.

Dame Alinéa se précipite : elle récupère les morceaux, les rapproche pour reconstituer la page et conseille à Jour de recommencer son travail qui, d’après ce qu’elle peut en lire, est très intéressant. Quand il a fini de recopier ses notes, elle lui propose de venir consulter les vieux manuscrits que conserve la bibliothèque. 

– Vous avez des livres anciens de notre religion solaire ? s’étonne Jour, en se rappelant l’affirmation de Flamboyant sur la destruction des livres solaires après la conversion du grand-père du roi actuel.

– Bien sûr ! La bibliothèque conserve de merveilleux manuscrits de textes sacrés, aussi bien solaires que lunaires, certains datant de plusieurs siècles… mais ils sont rangés à part car ils sont très fragiles. Venez. A vous, je sais que je peux les montrer. 

 

Pendant que, les yeux humides de joie, Jour tourne avec respect les pages d’un antique manuscrit solaire, Pivoine, dans sa chambre, découvre avec curiosité les gravures du livre de zoologie rapporté par Rose avant d’aller en cours. Et Eridan lit discrètement le livre des méthodes secrètes de combat posé sur ses genoux, tout en faisant semblant d’écouter Messire Plume parler de calcul des probabilités.

 

Tous les trois cherchent la connaissance, mais, dans cette quête, la plus avisée de ces trois personnes n’est pas forcément celle à qui on penserait en premier. 

Jugez plutôt :

 

Le soir, au retour de la princesse, Pivoine se précipite pour lui montrer une image, en disant d’un ton de reproche : 

– Il est joli ce livre, mais quand même, il mélange des animaux vrais et des animaux qui n’existent pas. 

Rose jette un coup d’oeil à la gravure qui représente naïvement une sorte de cheval avec une longue corne sur le front. Après sa rude journée, elle n’a pas envie de discuter de zoologie, mais la femme de chambre insiste, en assurant que les licornes n’existent pas.

Ne s’étant jamais interrogée sur ce sujet, la princesse cherche des arguments dans le texte et lit : “Les licornes vivent au plus profond des forêts. Ces animaux farouches ne se laissent pas voir. Seule une vierge peut les approcher, car ils aiment l’odeur de la virginité. Quand une vierge vient à leur rencontre, ils sortent de leur cachette pour venir vers elle et les chasseurs peuvent ainsi les capturer.”

Pivoine, qui poursuit sa réflexion de son côté, s’écrie alors :

– Et puis si elles existaient, on les mangerait comme les cerfs et les biches. Avez-vous jamais mangé du rôti de licorne ?”

– Vous raisonnez très bien, je vous félicite ! Je vous avoue qu’en feuilletant le livre à la bibliothèque, cette image ne m’avait pas choquée. Mais vous avez raison, elle n’a rien à faire dans un livre de zoologie. Continuez à lire ce livre, et si vous voyez d’autres choses qui ne sont pas vraies, dites-le moi.

 

Quelques heures plus tard, quand Pivoine sera couchée, Rose notera l’incident sur son cahier, comme exemple de questionnement sur la réalité du monde ! « La petite servante est plus exigeante sur ce questionnement que son Altesse moi-même ! » se dit-elle, avec ironie.

Cette affaire ravive des  interrogations permanentes chez elle : si elle ne connaît la réalité que par ce qu’en disent les ministres et conseillers, comment prendra-t-elle de bonnes décisions pour le bien du peuple ? Enfermée dans son palais et dans son rôle, comment pourra-t-elle connaître “la vraie vie” ?

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