27. Une tentative d’enlèvement

Au souvenir des soldats tués devant elle, Rose ne peut retenir ses larmes. Puis elle s’essuie les yeux, et se remet à écrire, d’une main qui se raidit pour ne pas trembler d’émotion :

Nos soldats ont été tués à coup de flèches par des hommes masqués à cheval. Ardent et Montagne ont été les premiers à réagir : ils ont pris l’épée d’un soldat tué et ont couru face aux agresseurs tandis que les autres m’entraînaient à l’écart.

Heureusement que Flamme avait décidé Obsidienne à l’accompagner ! Et Jour aussi, de lui-même, avait accepté de sortir avec nous. Tous les trois, ils sont allés se battre aux côtés de nos camarades, eux avec une épée récupérée sur des soldats tombés et elle avec son arme qu’elle emporte toujours dans nos sorties. 

Aulne me pressait de repartir vers Sanara, mais je ne voulais pas laisser Flamme et les quatre du Sud seuls. Je voulais me battre moi aussi, puisque j’avais mon épée, mais Aulne m’a crié de ne pas me mettre en danger. Il est parti à toute vitesse vers la ville, en entraînant Miroir-des-eaux, pour être sûr qu’au moins un des deux parviendrait à trouver du secours. J’enrageais de ne pas pouvoir intervenir. 

Eridan m’a déçue : lui qui prétend s’entraîner en dehors des cours pour devenir un guerrier hors pair, il restait près de moi, à regarder le combat de loin. Trois agresseurs ont quitté le combat pour venir m’encercler. J’ai tiré mon épée pour leur faire face et Eridan a fait de même. 

Jour est venu nous aider, Eridan et moi, à faire face aux trois qui tentaient de m’entraîner. Moi qui le prenais pour un garçon timide et effacé, j’étais surprise de sa fougue et de son audace : il a pris des risques incroyables pour obliger mes agresseurs à s’écarter de moi. Pendant ce temps, Flamme et les trois du Sud abattaient leurs adversaires.

Quand les soldats sont arrivés avec Aulne et Miroir, ils ont été stupéfaits de voir que tous les agresseurs étaient morts ou en fuite. Les soldats nous ont raccompagnés au palais et sont repartis s’occuper des morts.

Les cours du matin ont été annulés. Je voulais que mes sauveteurs se reposent mais ils ont passé la matinée à raconter l’affaire à Flamboyant et Clair. Est-ce que Flamboyant regrettait de ne pas avoir eu l’occasion de montrer sa bravoure, ou est-ce qu’il regrettait que ses camarades m’aient sauvée ? Il vaut mieux que je ne le sache pas. 

A ce moment, la reine elle-même vient chercher Rose. 

La nouvelle de l’attaque s’est répandue dans Sanara comme un incendie et, spontanément, le peuple s’est rassemblé devant le palais.

Très émue, Rose sort avec ses parents sur le balcon du salon d’honneur, pour saluer la foule : « C’est bouleversant ces cris et ces gestes de la main pour nous répondre. Les gens nous montrent leur soutien. Ils doivent être furieux à cause des soldats morts. Pauvres gens, ils m’accompagnaient depuis des mois !»

Elle continue à saluer de la main, sans chercher à retenir les larmes qui ruissellent sur ses joues, puisque seuls ses parents peuvent les voir. 

 

Le soir, Rose note que, d’après son père, l’attaque du matin est une tentative d’enlèvement.

 

Si les attaquants l’avaient voulu, ils auraient pu me tuer aussi facilement qu’ils ont tué les soldats. Ils me voulaient vivante. Père pense que le commanditaire voulait m’épouser ! C’est le moyen le plus simple pour accéder à la royauté, dit-il. 

Rose pense tout à coup aux regards de l’ancien ministre des finances et aux baisers sur sa main, « Et si c’était lui ? Un mariage après un enlèvement serait-il valable ? Les juges et les députés seraient bien capables de l’approuver, si le marié les paie assez ! Non, c’est trop fou, cette idée, il faut l’oublier ! Mais si ce n’est pas lui, c’est qui ? »

 

Bonne question : qui est derrière cette tentative d’enlèvement ? Moi aussi, je pense qu’il s’agit de Messire Coffre-fort, puisque ce ministre recevait des rapports de surveillance des sorties de Rose, sous le titre « Les promenades de la petite chèvre. » mais faute de preuves supplémentaires, je ne peux en dire plus. 

 

Continuons à lire le Cahier de la princesse :

 

Je dois reconnaître qu’Obsidienne et Jour ont largement contribué à me sauver. A cause de cela, je voulais informer Obsidienne de son départ, mais impossible de l’approcher.  En classe, il s’était mis entre Camélia et Flamme et dès la fin des cours, il a filé dans sa chambre. 

C’est pourtant un garçon intelligent. Comme Camélia s’étonnait qu’ils aient vaincu des attaquants deux fois plus nombreux, il a expliqué : « Ils ont eu une mauvaise stratégie.  Nous étions cinq (Ardent, Montagne, Jour, Flamme et moi) contre dix, nous étions perdus. Mais il y en a trois qui sont partis pour empêcher Rose de s’échapper. On s’est retrouvés à cinq contre sept, c’était jouable. Et après ils étaient trois et nous toujours cinq, plus Eridan et Rose. Nos agresseurs ont eu tort de se séparer. L’union fait la force ! ”

J’ai parlé moi aussi pour les remercier, en mon nom et au nom de mes parents, et pour leur annoncer deux nouvelles. La mauvaise nouvelle, c’est qu’il n’y  aura plus de sortie à cheval. La bonne, c’est que le roi leur autorise maintenant tous les entraînements physiques et qu’il fait retirer le garde qui était devant ma porte, pour montrer qu’il leur fait confiance. 

 

« Obsidienne doit penser que maintenant qu’il n’y a plus de garde, il va pouvoir faire n’importe quoi avec Flamme dans le jardin, mais il se trompe : il ne la verra plus. Il partira demain matin, sans savoir que c’est pour rejoindre l’équipe des décorateurs. Tant pis pour lui, il n’avait qu’à me laisser lui parler. Ce sera sa punition pour ce qu’il m’a fait subir avec ses dessins! »

 

Au matin du septième jour du mois des fleurs, le grand chambellan vient en effet demander à Obsidienne de rassembler ses affaires pour repartir à Tara. Le garçon refuse et demande à parler à Rose, mais le grand chambellan reste ferme :

– J’ai là l’ordre de transfert signé de la main du roi, il n’y a rien à objecter. Vous devriez être content de rentrer chez vous !

– Mais pourquoi ? Qu’est-ce qu’ils me veulent ?

– L’ordre de transfert ne précise pas le motif, vous verrez sur place. Ne faites pas attendre les soldats, la route est longue.

Visiblement inquiet, Obsidienne cherche du regard un soutien chez ses camarades mais ceux-ci ne bougent pas. Puis Flamboyant s’approche pour lui parler à voix basse, mais à la grande déception d’Obsidienne, ce n’est pas pour le soutenir dans son refus :

– Quoi qu’ils vous fassent, tenez-leur tête ! Montrez-leur comment nous résistons !

– C’est facile à vous de dire ça, rétorque Obsidienne. Vous, vous restez là bien tranquille, après m’avoir poussé à me moquer d’elle.

Mais le Résistant en chef n’est pas prêt à accepter sa part de responsabilité dans l’affaire des dessins indécents :

– Pour les dessins, on était tous d’accord, dit-il froidement, et oui, je vais me tenir tranquille, en attendant de savoir ce qu’ils ont fait de vous. Si la petite pute a parlé, ils vont vous punir. Soyez courageux, ne nous faites pas honte.

Montagne-de-lumière intervient avant qu’Obsidienne ait pu crier sa colère, en disant avec un grand sourire :

– On n’était pas toujours d’accord, mais je veux faire la paix avec vous, puisqu’on ne se reverra pas.

Obsidienne ouvre des yeux effarés, imaginant le pire :

– Vous croyez qu’ils vont m’exécuter ?

Totalement ignorant des affronts faits à la future reine, Montagne rit comme à une bonne blague :

– Mais ils n’ont aucune raison de vous tuer ! On ne se reverra pas parce que je ne rentrerai pas à Tara.

Devant l’air stupéfait des deux garçons, il ajoute :

– Quand je serai libéré, je compte rester ici. Bon retour et bonne chance !

Il lui tend une main que le jeune dessinateur serre avec hésitation, comme s’il craignait un piège. Puis, la tête basse, l’air aussi sombre qu’un condamné à mort, l’artiste suit en silence le soldat. Flamboyant se tourne vers Montagne :

– Qu’est-ce que c’est que cette histoire ? Vous voulez rester chez nos ennemis ?

– Oui, Monseigneur, ne vous déplaise ! Ici, j’aurai davantage de chances de faire ma vie. A Tara, je serai toujours le fils du palefrenier, le serviteur de votre famille. 

Dans la salle des ablutions, Flamboyant poursuit son interrogatoire, écouté avec intérêt par les autres garçons :

– Alors, que ferez-vous de beau, ici ?

– Hé bien, j’aime manger et faire la cuisine. Je vais apprendre le métier de cuisinier. 

– Cuisinier ! Peuh ! Où ça ?

– Ici, au palais.

– Ah oui ! Au service de la princesse que vous admirez tant ! Décidément, vous avez l’âme d’un serviteur : que ce soit pour ma famille ou pour la princesse, qu’est-ce que ça change ?

– Je travaillerai au palais pour commencer, parce qu’on y fait de la bonne cuisine, et que de toute façon je ne connais personne dans cette ville. Mais après, j’ouvrirai mon propre restaurant.

– Oh ! Je vous y vois très bien, inviter les clients à entrer, en leur faisant des courbettes et débitant des flatteries.

– Les courbettes et les flatteries, ce n’est pas mon genre, vous êtes bien placé pour le savoir, Monseigneur l’enquêteur ! Je traiterai mes clients comme des amis, tout simplement.

– Alors, je ne pourrai pas aller dans votre restaurant.

– Mais, si, Monseigneur ! Vous y serez toujours le bienvenu. J’aurai toujours à votre intention un plat de champignons… 

Et il ajoute avec un sourire qui découvre ses dents blanches dans sa barbe noire :

– Empoisonnés, bien sûr !

Montagne est satisfait d’avoir cloué le bec à « Monseigneur le Grand Résistant », mais il ne peut s’empêcher de ruminer son amertume : « C’est bien joli de rêver à mon futur métier, mais ça ne m’aide pas à obtenir ma libération. A part aider mon père aux écuries et aider ma mère à la cuisine, je ne faisais que me battre. Quelle action publique je peux mener à partir de ça ? Aucune, bon sang ! Combien de temps je vais rester coincé ici ? »

Le soir, Rose note sur son cahier :

 

Les affaires publiques : Père ne veut pas reconstituer le Petit Conseil tant qu’Archer n’est pas revenu du Sud. Pour ne pas être accusé de dérive autoritaire, il multiplie les consultations avec les groupes parlementaires : les trois partis religieux, les quatre régions (celle du Sud n’est pas concernée à cause de la rébellion), les dizaines de métiers… 

Quel système compliqué ! Quand je pourrai, je supprimerai les représentants des religions, ils n’ont pas à faire la loi.

L’école : Aulne a été acclamé par tous les élèves : il nous a apporté la solution pour empêcher le ballon de rebondir contre le mur : il a repris l’idée de la cage, il en a fait faire une par les menuisiers du palais mais sans fond et sans côtés, et sur ce cadre, il a tendu un filet de pêche qui garde le ballon prisonnier ! 

Flamme a été très contrariée par le départ d’Obsidienne. Elle m’a crié dessus parce que je ne l’avais pas prévenue, mais je lui ai expliqué qu’après son action de réparation, il sera libre et qu’ils pourront s’écrire en attendant de se revoir. Elle a aussitôt écrit une longue lettre que je vais joindre à ma réponse à Cendres Brûlantes.

Puis elle colle sur son cahier la première lettre de Cendres Brûlantes : 

Votre Altesse,

Votre lettre a été pour moi une surprise et une joie que vous ne pouvez imaginer. 

Avant toute chose, je veux vous expliquer mon nom. A ma naissance, le feu sacré du temple s’était malencontreusement éteint. Si j’avais été un garçon, on serait passé à l’étape suivante, on m’aurait nommé Feu renaissant, mais pour une fille, les cendres sont une image du foyer familial, donc un bon symbole. 

Moi aussi, j’aime lire, mais la bibliothèque du château contient surtout du droit et de la religion. Comme j’aime les romans, la poésie et par-dessus tout les contes, je relis souvent les mêmes livres. Je contais souvent pour Ardent et ses amis. 

A propos des besoins de Tara, ma sœur Braise et Dame Arnica se plaignent du mauvais fonctionnement de la pharmacie de l’hôpital. L’herboriste qui s’en occupe est très vieux et il n’y a personne pour le remplacer. Nous avons aussi besoin de maîtres d’école et de médecins, mais je ne vois pas qui parmi les camarades d’Ardent pourrait se proposer pour ces fonctions. 

Personnellement, je rêve qu’on développe les arts du spectacle, c’est-à-dire le conte, le chant, la danse, le théâtre, il n’y a pratiquement rien de tout cela, c’est grand dommage, mais là non plus, je ne vois pas les camarades d’Ardent s’occuper de ces questions. Et puis est-ce que cela correspondrait à ce que vous souhaitez ?

A part lire, je passe beaucoup de temps à broder. J’ai commencé quelque chose pour vous, je le joindrai à un autre courrier.

Je ne sais pas quelle formule de politesse il faut employer quand on s’adresse à la plus haute jeune fille du Royaume, alors je vous dis seulement merci beaucoup et à bientôt.

Votre bien dévouée,

                                           Cendres Brûlantes

 

Cette lettre réveille en Rose des désirs inassouvis de culture et de divertissement. Elle se dit : « Au palais non plus, il n’y a pas de spectacles. Il doit y en avoir en ville, mais je n’y ai pas droit. A moins que je me donne le moyen de sortir comme Mademoiselle Tout-le-Monde… Ou plutôt, comme Monsieur Tout-le-Monde, la différence n’est pas immense. Féminin, masculin…. La différence la plus visible, ce sont les cheveux, mais ça c’est facile à arranger…»

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