Le pouvoir absolu

L’identité d’un dieu réside dans sa puissance : comment va-t-il manifester cette puissance, sur qui ou sur quoi va-t-elle s’exercer, telles sont les questions auxquelles les mythes répondent pour faire connaître aux fidèles l’identité des dieux qu’ils vénèrent. Souvent, dès l’origine du monde, les  diverses divinités affirment leur identité en se détruisant mutuellement.

Mythes

Les combats des dieux pour le pouvoir

Mythologie grecque

Il n’y avait à l’origine qu’un vide informe, le « Chaos » d’où finirent par émerger trois divinités primordiales : la Terre que les Grecs nommaient Gaïa, puis le Tartare (un lieu de désolation, très profond, une sorte de « trou noir » dont on ne peut s’échapper), puis Nyx, la nuit qui enveloppait le tout. Après encore un temps très long, Gaïa engendra seule Ouranos, le Ciel. 

Puis Gaïa et Ouranos inventèrent une activité appelée à un brillant avenir : l’accouplement !

De leurs rapprochements naquit une progéniture  nombreuse, monstrueuse et violente : les Hécatonchires (des géants aux cents bras et cinquante têtes), les Cyclopes (des géants n’ayant qu’un œil). Plus harmonieux mais aussi violents étaient les Titans et leurs sœurs-épouses les Titanides, caractérisés par une taille et une force gigantesque.

Pour s’assurer un pouvoir éternel sans partage, Ouranos enferma les Cent-bras et les Cyclopes dans l’affreux Tartare, ce qui déplut à Gaïa. Certes, Ouranos était son fils premier-né, engendré de sa seule volonté, et c’est par lui qu’elle avait ensuite enfanté, mais elle aimait tous ses enfants également. Elle demanda aux Titans de libérer les prisonniers. 

Premier combat cosmique : contre Ouranos

Le plus jeune, Cronos, prit la tête de la révolte. Gaïa lui ayant confié une faucille de silex, il attendit que son père vienne s’étendre  près de sa mère.  Alors, il coupa les organes génitaux d’Ouranos et les jeta dans la mer.

Le sang qui tomba sur Gaïa engendra les Erynies, impitoyables déesses de la vengeance. Bonne nouvelle dans ce monde de violence, le sperme tombé de la blessure féconda l’écume de la mer, faisant naître la belle Aphrodite, déesse de l’amour et de la sexualité que les Romains appellent Vénus. 

Les révoltés enfermèrent Ouranos dans le Tartare, et les Titans désignèrent Cronos pour le remplacer comme maître suprême.


La mutilation d’Ouranos par Cronos, par Vasari

La naissance de Vénus, par Botticelli, 1485, Musée des Offices, Florence. Ce thème a inspiré tous les artistes, mais cette représentation tout en douceur est la plus célèbre.

Deuxième combat cosmique : contre Cronos

Mais Cronos se révéla aussi avide de pouvoir absolu que son père, en renvoyant les Cent-Bras et les Cyclopes dans le Tartare. (Des révolutionnaires qui deviennent tyrans, il n’en manquera pas dans l’histoire humaine !) Et pour être sûr qu’un fils ne lui volerait pas son trône, il se mit à avaler tous les bébés que sa sœur-épouse la titanide Rhéa mettait au monde.

Après avoir vu disparaître dans le ventre de son mari trois filles et deux garçons, la pauvre Rhéa présenta à Cronos une pierre enveloppée de langes, au lieu de son troisième fils, Zeus (Jupiter pour les Romains).
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Rhéa donnant à Cronos la pierre enveloppée de langes. 

La pierre fut engloutie sans soupçon, tandis que le bébé Zeus était confié en secret à des nymphes qui prirent soin de lui. La chèvre Amalthée fut sa nourrice.

Zeus enfant nourrisson des nymphes et de la chèvre, par  Jacob Jordaens . Le bébé dieu tient dans sa main un biberon tel qu’ils étaient au XVIIe siècle !

Devenu grand, Zeus épousa sa cousine Métis (dont le nom signifie Prudence et qui personnifie la sagesse) qui fit prendre un vomitif à Cronos pour l’obliger à restituer ses enfants, qui, étant immortels, avaient continué à grandir dans son ventre (plus fort que le Petit Chaperon rouge sortie vivante du ventre du loup !). Cronos restitua aussi la pierre qui avait sauvé la vie de Zeus et qui fut conservée dans le temple de Delphes en Grèce.

Zeus libéra les prisonniers du Tartare et pour le remercier, les cyclopes lui offrirent l’arme qu’ils avaient fabriquée : la foudre.  Après une guerre cosmique entre les deux générations de dieux dans laquelle la foudre jouait le rôle de sabre-laser, Cronos fut destitué et jeté à son tour dans le Tartare.

Reconnu comme chef par les autres dieux, Zeus eut la sagesse de partager le pouvoir avec ses deux frères: il garda pour lui la maîtrise de la terre et des vivants, il donna à Poséidon (Neptune pour les Romains) l’empire des eaux douces et salées et à Hadès (Pluton pour les Romains) le gouvernement  des morts

Mythologie de la Mésopotamie

Dans l’ancienne mythologie des actuels Irak et Iran, plusieurs générations de dieux se disputèrent le pouvoir, au cours d’une guerre cosmique.

A l’origine du monde, il n’y avait qu’une masse d’eaux qui se séparèrent pour donner naissance au couple des dieux primordiaux : Apsou (dieu des eaux douces) et Tiamat (déesse des eaux salées). De cette première génération va naître une deuxième puis une troisième génération de dieux dont nous ne savons pas grand-chose.

De la quatrième génération de dieux, nous savons qu’elle était bruyante, puisque Apsou dit à Tiamat : « Le jour, je ne peux me reposer, la nuit, je ne peux dormir. Je veux les anéantir afin de mettre fin à leurs agissements et que règne le silence pour que nous puissions dormir ! »   A quoi Tiamat, poussant un cri de douleur, lui rétorque : « Quoi ! Nous-mêmes nous détruirions ce que nous avons créé ! Pénible, certes, est leur conduite, mais patientons avec douceur. »

Parmi les jeunes dieux, il y avait Ea qui s’empara de son arrière-arrière grand père en le paralysant d’un sommeil magique, puis qui le tua. Restée seule, Tiamat prépara sa revanche en se choisissant parmi les dieux un autre époux et chef de son armée : Kingou, et en enfantant onze espèces de monstres (dragons, serpents, lions, hommes-poissons, etc). Elle-même n’avait pas figure humaine, il faut plutôt se la représenter comme une sorte de dragon cosmique.

Le combat fut si terrible que dans un premier temps les jeunes dieux révoltés échouèrent. Seul Mardouk, fils d’Ea, se révéla capable d’affronter la terrifiante ancêtre, mais en échange, il réclama le pouvoir suprême. Mardouk déchaîna une tempête contre Tiamat : « Les vents furieux lui dilatèrent le corps. Elle en eut le ventre gonflé et resta la gueule béante. Il lança alors une flèche qui lui perça les entrailles et le coeur. Du corps coupé en deux de Tiamat se séparent les eaux célestes (le ciel) et les eaux terrestres (la mer) et Mardouk procède à la mise en place et à la création-façonnage du monde tel qu’il est devenu. » (Vladimir Grigorieff, Mythologies du monde entier). « Puis il perça les deux yeux de Tiamat pour créer les sources du Tigre et de l’Euphrate, et il plaça sa queue dans le ciel pour former la Voie lactée. » (Site internet Le Grenier de Clio).

Mardouk combattant Tiamat sous la forme d’un dragon. Sceau antique.

Ensuite, Mardouk, reconnu comme chef des dieux, demanda à son père Ea de créer un être intelligent, fidèle et soumis qui serait le serviteur des dieux. Hélas, pour donner à cette créature une part divine, Ea eut la malencontreuse idée d’utiliser le sang de Kingou, l’époux vaincu et tué de Tiamat.

Voilà pourquoi les hommes remplissent le monde de violence et ne cessent de s’entre-détruire pour le pouvoir : c’est le sang de Kinsou qui s’exprime en eux !

Mythologie égyptienne

Nous retrouvons une succession de deux générations nées du Chaos primordial. La deuxième génération, composée de Geb (la terre, ici de sexe mâle) et de Nout (le ciel, ici de sexe féminin) va engendrer deux couples de jumeaux : Osiris qui épousera sa sœur Isis et Seth qui épousera sa sœur Nephtys.

Mais Geb et Nout étaient si étroitement unis que les enfants qu’ils avaient engendrés ne pouvaient naître. Originalité de cette mythologie, la succession des générations se passa pacifiquement : sous la poussée de leur progéniture, Geb et Nout acceptèrent de se séparer et le monde se trouva tel qu’il est maintenant, avec le ciel loin de la terre.

En sa qualité de fils aîné, Osiris hérita sans combat du trône d’Egypte et fut un excellent roi, enseignant aux hommes l’agriculture, la justice, l’art de bâtir les villes et tout ce qui constitue la civilisation.

Les morts d’Osiris

Mais son frère Seth, méchant et jaloux, voulait le pouvoir… Sous prétexte d’offrir à Osiris un magnifique coffre sculpté, il le fit s’allonger dans ce coffre, puis cloua le couvercle et jeta le coffre devenu cercueil dans le Nil. Aussitôt, Isis partit à la recherche de son époux et comme elle était magicienne, elle trouva le cercueil où son mari était mort étouffé, mais Seth s’en rendit compte. Pour être sûr que rien ne pourrait ranimer Osiris, il le tua une deuxième fois, en découpant le cadavre en 14 morceaux qu’il dispersa dans toute l’Egypte.

Aidée de sa sœur Nephtis, l’inlassable Isis parcourut toute l’Egypte et retrouva tous les morceaux, sauf le sexe d’Osiris, jeté dans le Nil et dévoré par un poisson qui est maudit depuis lors. Avec l’aide d’Anubis, (qu’Osiris avait engendré par adultère avec Nephtis),  elle reconstitua le corps en faisant tenir les morceaux avec des bandelettes, procédant ainsi au premier embaumement. Par sa magie, elle redonna la vie à Osiris, une vie spirituelle, qui lui permit de devenir le dieu des morts, qu’il accueille désormais et juge avec bienveillance.

La légitime descendance d’Osiris

Mais Isis voulait absolument donner un héritier légitime à l’Egypte ! Comme elle était vraiment une grande magicienne, elle se transforma en milan, et en volant au dessus du corps momifié et castré de son mari, elle se fit féconder spirituellement. Horus naquit et Isis l’éleva en secret (comme Rhéa l’avait fait avec Zeus) pour qu’il combatte son oncle qui avait pris place sur le trône.

« Au terme d’une lutte atroce et épique, Horus reprit le trône paternel qui lui revenait. Au cours de la bataille qui les opposa, Horus perdit un œil et Seth sa virilité. Il chercha à reprendre le trône d’Egypte et porta plainte contre Horus devant le tribunal de Rê (dieu soleil qui parcourt le ciel le jour dans sa barque et lutte la nuit contre Apophis, un monstre qui veut le dévorer).

Le verdict divin confirma Horus dans ses fonctions royales. Seth, ligoté, fut livré à Isis. Comme il fit amende honorable, il fut libéré et Rê se l’attacha comme batelier de sa barque solaire. Installé à la proue de celle-ci, poussant des hurlements effrayants, Seth repousse de sa rame-pique les tentatives d’Apophis pour faire obstacle à la progression de Rê vers son lever. » (Vladimir Grégorieff, Les mythologies du monde entier)

La générosité manifestée envers Seth (qui était tout de même fratricide, régicide et usurpateur) est aussi une marque de l’originalité égyptienne. Dans le livre Les Dieux égyptiens, Dimitri Meeks détaille les relations conflictuelles d’Horus et de Seth, dont quelques unes sont plutôt étranges, étant donné leur caractère sexuel.

Statues de Seth et Horus couronnant le pharaon Ramsès III.

La forme animale sous laquelle Seth est incarné n’est pas clairement identifiée. Il semble combiner la forme de deux animaux différents puisqu’il a le fin museau d’un carnivore et les longues oreilles d’un âne. Il inspire au pharaon la violence qui lui sert à terrasser ses ennemis, tandis qu’Horus lui inspire la sagesse avec laquelle il gouverne l’Egypte.

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