La création de la femme

La création des êtres humains constitue une énigme que toutes les mythologies du monde tentent de résoudre. Et le mystère s’épaissit si on cherche à expliquer la différence des sexes : comment classer la femme ? Elle est perçue comme tellement différente des hommes !

Mythologies du monde

Statuette rituelle utilisée lors de funérailles dans une société initiatique féminine. Art Sénoufo, Côte d’Ivoire. Musée africain de Lyon, photo Vassil.

Le Dictionnaire critique de mythologie énumère des dizaines de mythes classés en trois sections : la création simultanée des hommes et des femmes, la femme créée avant l’homme (et qui engendre tous les humains) et la femme créée après l’homme.

Même quand il y a création simultanée des deux sexes, ils ne sont pas de même matière : dans la mythologie scandinave, ils naissent de deux arbres différents, l’homme est fait de frêne et la femme d’orme. Dans un mythe africain, ils naissent de deux poissons différents, etc.

Il faut reconnaître que les récits sur l’origine de la femme accumulent des trésors d’imagination. J’en cite deux, d’après le Dictionnaire, pour ce que notre vision moderne y perçoit d’humour involontaire : “Chez les Bobos, la première femme a été créée pour aider le premier forgeron à attiser le feu, après que le vautour, chargé de cette tâche, eût quitté son poste. (…)

Dans un récit d’origine turque, une grotte située aux confins de la Chine se remplit d’eau et déverse de la glaise dans une fosse de forme humaine, ce qui, sous l’action de la chaleur solaire, donne naissance à un homme au bout de neuf mois. Il reste seul quarante ans, et le processus recommence, mais cette fois incomplètement et cela donne alors naissance à un être imparfait : la première femme.”

Quelle que soit la façon dont elle est créée, le rôle mythique de la femme est celui d’une assistante.

La pensée mythique n’arrive pas à concevoir la notion d’égalité : une différence doit forcément se classer dans les dualités supérieur/inférieur, pur/impur, parfait/imparfait, etc !

Mythologie hébraïque

Dans le livre de la Genèse, la Bible raconte que Dieu a d’abord créé l’homme seul, puis :

“Le Seigneur  Dieu dit : – Il n’est pas bon que l’homme reste seul, je vais lui procurer une aide qui lui sera assortie. (Le dieu fait défiler devant l’homme tous les animaux qu’il a déjà créés). L’homme imposa des noms à toutes les bêtes, à tous les oiseaux des cieux et à tous les animaux des champs, mais pour lui, il ne se trouva pas d’aide qui lui fût assortie.

Alors le Seigneur Dieu fit descendre une torpeur sur l’homme qui s’endormit. Il lui prit une côte à la place de laquelle il referma la chair. De cette côte qu’il avait enlevée à l’homme, le Seigneur Dieu fit une femme qu’il amena près de l’homme.

– “Voilà maintenant, dit l’homme, l’os de mes os, la chair de ma chair. Elle sera appelée femme car elle a été prise de l’homme.”

C’est pourquoi l’homme quitte son père et sa mère pour s’attacher à sa femme et ils ne font plus qu’une chair. L’homme et la femme étaient nus tous les deux sans en ressentir de honte.”

(Genèse, chapitre 2, versets 18 à 25)

La création d’Eve par Michel-Ange, chapelle Sixtine, Rome.

J’ai évoqué la suite de cette création dans le thème “Interdit et transgression” : la femme désobéit à l’interdiction divine de manger du fruit de l’arbre de la connaissance du bien et du mal, elle entraîne son mari à désobéir lui aussi et Dieu les punit en les chassant du Paradis. Et depuis, au lieu de se nourrir des fruits qu’il suffisait de cueillir sur des arbres généreux, leurs descendants sont obligés de se soumettre au dur travail de la terre.

Quant à la femme elle-même, une punition supplémentaire l’affecte, comme l’explique le dieu : “J’agraverai les souffrances de ta grossesse, tu enfanteras dans la douleur. Cependant, tes désirs te porteront vers ton mari, et il te dominera.”

Ce n’est pas seulement Eve qui est ainsi punie, mais toutes les femmes après elle, jusqu’à la fin des temps. La notion d’individu responsable est inconnue de la pensée mythique : quand un membre d’une catégorie agit, tous les membres de cette catégorie sont solidaires de ses actes, sans limite de temps ou d’espace.

Cette pensée mythique est encore active dans certaines régions du monde : Si un membre d’une communauté dominée a un comportement qui déplait à la communauté dominante, c’est toute la communauté dominée qui en subit des représailles.

Adam et Eve chassés du paradis

Adam et Eve chassés du paradis, gravure du XIXe siècle. 

Dans la mythologie grecque

Pandore  et la boîte contenant les malheurs que Zeus envoie à l’humanité par l’intermédiaire de la première femme.

Statue dans la cour carrée du Louvre, par Pierre Loison, 1861.

Comme la mythologie hébraïque, la mythologie grecque considère que l’humanité n’a d’abord existé que sous forme mâle, à cette différence près qu’il y en avait plusieurs exemplaires, nés spontanément de la terre : “La terre, naguère masse grossière et indistincte, prit forme et se modela en figures d’êtres humains” nous raconte Ovide.  

Mais les hommes causent du souci au dieu suprême Zeus : ils se permettent de garder pour eux la meilleure part des viandes dans les sacrifices (voir le thème du sacrifice, en lien avec l’épisode 6 du roman) ; grâce au titan Prométhée, ils se sont emparés du feu céleste que Zeus leur refusait… Alors Zeus ordonne au dieu forgeron Héphaïstos de façonner avec de l’argile une nouvelle créature. Magnifique et désirable, elle reçoit des talents de tous les dieux , ce qui lui vaut le nom de Pandore (tous les dons).

Offerte comme épouse au frère de Prométhée, elle ouvre la boîte que Zeus lui avait offerte avec interdiction de l’ouvrir. Mais la boîte ne contenait que des malheurs, et depuis, l’humanité est en proie à tous les désastres !

Sans surprise, on retrouve le concept mythique de la punition collective et éternelle (voir les thèmes de la justice, à l’occasion de ce même épisode.)

Le déluge et la nouvelle création 

Grâce à la Femme, les humains se mirent à se reproduire, mais ils se comportaient très mal, si mal que le Maître suprême décida de noyer la surface de la Terre sous un Déluge, pour les anéantir.

Le Dictionnaire critique de mythologie consacre plus de seize pages bien tassées au thème du Déluge, pages qui s’appuient sur de nombreuses études : une seule de ces compilations, celle d’un savant allemand du début du XXe siècle nommé Riem, passe en revue 303 mythes du monde entier ! Et les discussions sur l’universalité du Déluge sont encore ouvertes…

Mon propos est beaucoup plus simple : une fois l’humanité détruite, comment s’est-elle reconstituée ? Les versions les plus connues, parmi lesquelles celle de la Bible, estiment qu’un dieu, (celui qui a planifié le cataclysme ou un autre) conseille à un homme juste de préparer un bateau qui lui permettra d’être sauvé avec sa famille (sans oublier les animaux, dans la Bible et en Mésopotamie antique.) 

Le Déluge, par Jean-François Comerre, 1911, Musée des Beaux-Arts de Nantes.

SELON la mythologie hébraïque

Le bateau porteur de la famille de Noé, le seul humain que le dieu des Hébreux a jugé digne d’être épargné, s’échoue sur une montagne. La famille sauvée et les couples d’animaux repeupleront la terre quand les eaux se retireront.

L’arche de Noé, mosaïque russe, photo Pixabay. Comme sur une bande dessinée, l’histoire se lit de gauche à droite. À gauche, Noé reçoit les instructions du dieu. À droite, il fait entrer dans le bateau les animaux sagement alignés par couples, conduits vers lui par la puissance divine.

Selon la mythologie grecque

Deucalion protège Pyrrha pendant le déluge, par Paul Merwart, XIX siècle.

Je vais seulement détailler la re-création des hommes et des femmes , car nous avons sur ce sujet fascinant les écrits d’un reporter digne de nos chaînes d’information en continu : Ovide lui-même ! Son reportage est trop détaillé pour que je le cite en entier, j’en extrais seulement quelques phrases qui nous montrent comment Deucalion et son épouse Pyrrha ont recréé l’humanité.

La barque sur laquelle Deucalion et Pyrrha s’étaient réfugiés pendant le déluge s’est échouée au sommet du mont Parnasse. Les dieux les ont sauvés  du cataclysme car ils sont tous les deux vertueux et respectueux des rites. Quand les eaux se retirent, ils se rendent au temple de la déesse Thémis, patronne de la Justice.

“Dès que leurs pieds ont touché le seuil du temple, prosternés l’un et l’autre la face contre terre, ils baisent le marbre humide avec une sainte frayeur. « Si les dieux, disent-ils, se laissent fléchir aux humbles prières des mortels, s’ils ne sont pas impitoyables, apprends-nous, ô Thémis, quelle vertu féconde peut réparer la ruine du genre humain, et montre-toi propice et secourable au monde abîmé sous les eaux ».

Touchée de leur prière, la déesse rendit cet oracle : « Éloignez-vous du temple, voilez vos têtes, détachez les ceintures de vos vêtements, et jetez derrière vous les os de votre aïeule antique ». Ils demeurent frappés d’un long étonnement.”

(Après avoir réfléchi, Deucalion dit à Pyrrha) :

Notre aïeule, c’est la terre, et les pierres renfermées dans son sein sont les ossements qu’on nous ordonne de jeter derrière nous.”

(Un peu hésitants) ils s’éloignent, et, le front voilé, laissant flotter leurs vêtements, selon le vœu de Thémis, ils marchent en jetant des cailloux en arrière. Ces cailloux (qui le croirait, si l’antiquité n’en rendait témoignage ?), perdant leur rudesse première et leur dureté, s’amollissent par degrés, et revêtent une forme nouvelle. À mesure que leur volume augmente et que leur nature s’adoucit, ils offrent une confuse image de l’homme, image encore imparfaite et grossière, semblable au marbre sur lequel le ciseau n’a ébauché que les premiers traits d’une figure humaine. Les éléments humides et terrestres de ces pierres deviennent des chairs ; les plus solides et les plus durs se convertissent en os ; ce qui était veine conserve sa forme et son nom. Ainsi, dans un court espace de temps, la puissance des dieux change en hommes les pierres lancées par Deucalion, et renouvelle, par la main d’une femme, la race éteinte des femmes. C’est de là que nous venons : race dure et laborieuse, nous témoignons sans cesse de notre origine.

La terre enfanta d’elle-même et sous diverses formes les autres animaux. Quand les feux du soleil eurent échauffé le limon qui la couvrait et mis en fermentation la boue des marais, les germes féconds qu’elle renfermait dans son sein y reçurent la vie comme dans le sein d’une mère, se développèrent par degrés et revêtirent tous une forme différente.”

Deucalion et Pyrrha jettent des pierres derrière eux,

par Pierre-Paul Rubens, 1636, Musée du Prado, Madrid.

Aujourd’hui, toujours la femme fatale ?

Après la destruction de la première humanité méchante, on pouvait logiquement espérer que la nouvelle humanité, issue d’un couple vertueux, soit elle aussi pleine de vertus. Hélas, par une fatalité de la génétique, les hommes nouveaux ont conservé la violence des mâles antédiluviens ; et les femmes nouvelles ont hérité de leurs aïeules Eve, Pandore ou autres, la curiosité, l’esprit de désobéissance et une incroyable capacité à éveiller les désirs des mâles…

Bref, tout ça pour ça…

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