Le désir amoureux II Monde hindou, Monde biblique

Monde hindou

Divinités et symboles du désir amoureux

Kama dieu de l’amour

Sur cette sculpture du temple de Khajuraho, en Inde, le dieu Kama (l’amour) et son épouse, Rati (le désir) sont enlacés. Un des bras gauches du dieu enlace son épouse, l’autre tient son arc.

Un de ses bras droits présente un fruit (une grenade ?) et l’autre les cinq flèches avec lesquelles il perce le coeur des humains pour les rendre amoureux.

Photo Jean-Pierre Dalbéra. 

Le Lingam ou Linga est  une pierre verticale à l’extrémité arrondie qui, en symbolisant le phallus du dieu Shiva, exprime la puissance et la créativité. Dans le culte du dieu, les dévots arrosent le lingam de beurre fondu, de miel ou de lait et lui offrent des fleurs ou des fruits. Il est souvent posé au milieu du Yoni. 

Dans le temple de la Trimurti (trinité hindouiste) à Mahabalipuram, en Inde, ce bas-relief représente le dieu Shiva entouré de dévots en prière. Devant le dieu, son lingam, pierre verticale sculptée qui symbolise son phallus. Photo Jean-Pierre Dalbéra/Flickr.

Le Yoni est la représentation symbolique de l’organe reproducteur féminin. Il est composé d’une partie ronde (ou carrée) qui représente l’utérus et d’une sorte de bec verseur qui dessine le vagin. 

Sculpture représentant le Yoni, au Népal. Dans son centre, le lingam qui lui est presque toujours associé. Photo Suraj Belbase.

Les apsaras 

Les apsaras sont des être féminins célestes, éternellement jeunes, belles et très désirables. Elles sont comparables aux nymphes gréco-romaines, mais vivent dans les cieux, à la cour du roi des dieux, Indra. Leur fonction principale est de danser pour distraire les dieux, au son de la musique jouée par les Gandharvas, les musiciens célestes. Elles offrent également les plaisirs de l’amour aux âmes des morts qui, après une vie particulièrement vertueuse et pieuse, ont droit à cette forme de paradis. De ce point de vue, on peut les comparer aux Houris du paradis musulman. 

Elles sont parfois envoyées sur terre en mission pour tester le sérieux des sages en méditation. Ou bien elles viennent sur terre pour se distraire, ce qui les expose à des rencontres agréables…. ou pas !

Apsaras sur un mur du Bayon (Angkor Thom, Cambodge). Photo Flickr

Récits mythiques du désir amoureux

Dans le thème “Paternités et maternités merveilleuses”, j’ai raconté plusieurs mythes indiens dans lesquels le besoin d’enfant empêche les relations amoureuses d’être spontanées : les deux jeunes veuves qui acceptent de coucher avec le frère de leur époux pour remplir leur devoir d’enfantement,  ont peur de cet homme et les fils naissent “marqué” par leur peur : l’un est aveugle, l’autre anormalement pâle “pandu”. 

Devenu roi à la place de son frère aîné aveugle, Pandu, menacé de mourir s’il fait l’amour avec ses épouses, demande à sa première épouse de faire appel à des dieux et Kunti se soumet à sa demande pour remplir elle aussi son devoir d’enfantement. Puis la seconde épouse fait de même.

Pourtant, de nombreux mythes célèbrent l’amour, parmi lesquels je choisis quelques histoires célèbres :

Le désir amoureux réciproque

Comme dans la mythologie grecque, certaines histoires d’amour de la mythologie hindoue ne sont pas durables parce que le désir amoureux rapproche  un être surnaturel et un humain.  

Rencontre d’amour entre une apsara et un roi

Le roi Pururavas et l’apsara Urvashi

Le sage et vaillant roi Pururavas entendit un jour des appels au secours. Il se précipita et vit un démon qui tentait d’emporter une femme. Sans hésiter, il combattit le démon et sauva la belle. Ce n’était pas une femme, mais une apsara, une nymphe céleste, qui repartit vers le ciel, laissant son sauveur éperdu d’amour pour elle. Mais, avant de le quitter, elle avait eu le temps d’être prise d’amour elle aussi ! Elle resta si troublée par cette rencontre que cela perturba son travail artistique au service des dieux. 

Indra la réexpédia sur terre retrouver celui qu’elle aimait, mais en y mettant trois conditions : elle emportait avec elle deux moutons que le roi devrait protéger ; elle se nourrirait exclusivement de beurre clarifié (offrande traditionnelle aux dieux hindous) ; jamais il ne la verrait nue et jamais elle ne le verrait nu, en dehors des moments où ils faisaient l’amour. Si une seule de ces conditions n’était pas respectée, l’apsara reviendrait aussitôt au ciel.

Pururavas et Urvashi vécurent une belle histoire d’amour pendant plusieurs années. Mais les dieux s’ennuyaient de leur danseuse préférée. Pour l’obliger à revenir, une nuit, ils volèrent les moutons. 

En entendant du bruit, Urvashi demande à Pururavas d’aller voir ce qui se passe. Sans prendre le temps de mettre un vêtement, il court nu à la poursuite des voleurs de moutons. À ce moment, alors que l’orage ne menaçait pas, les dieux envoient un éclair qui illumine la nuit et Urvashi voit Pururavas nu ! 

Bien que toujours très amoureux et bien que n’ayant commis aucune faute, Pururavas ne put retenir la belle qui repartit vers les cieux ! 

Urvashi quitte Pururavas, par Raji Rava Varma. 

Il la chercha avec désespoir dans tout son royaume et un jour, enfin, il la revit qui se baignait dans un lac en compagnie d’autres apsaras. Elle accepta de passer la nuit avec lui mais elle le quitta au matin, en lui donnant rendez-vous au même endroit dans un an. 

Au bout d’un an, il fut fidèle au rendez-vous et elle lui remit l’enfant qu’elle avait conçu lors de leur dernière rencontre. Ils passèrent la nuit ensemble. Au matin, elle repartit en lui fixant encore rendez-vous dans un an. Ils eurent ainsi six fils conçus en six nuits espacées d’un an, mais ils ne vécurent plus ensemble et finalement, elle partit pour toujours. Elle lui laissait six fils dont l’un est l’ancêtre des héros du Mahabharata.

Rencontre d’amour entre une démone et un héros

Bhimasena et Hidimbâ

Après une tentative d’assassinat subie de la part de leurs cousins Kaurava, les cinq frères Pandava et leur mère Kunti se cachent dans la forêt. Pas de chance, le seigneur des lieux est un féroce démon amateur de chair humaine. Reniflant la présence d’hommes, il ordonne à sa soeur Hidimbâ d’aller les tuer et de les ramener à la maison pour un bon repas.

C’est bien normal qu’une femelle se charge d’approvisionner la famille, me direz-vous. Certes, mais sur ce coup-là, le démon a mal joué : la soeur tombe en extase devant l’un des Pandava, Bhimasena. Tandis que ses frères et sa mère dorment, épuisés par la longue marche, il monte la garde, bien éveillé. C’est le deuxième frère de l’équipe des cinq Pandava. Son père divin est Vayu, le dieu Vent. Comme le Vent, il est très fort, bagarreur et impulsif. Et la démone le trouve très beau, comme l’explique Serge Demetrian :

“Elle pensa : “Quel bel homme, avec son teint d’or fondu ! Quelle force ! Il a des épaules de lion. Et ses yeux : des fleurs de lotus ! Je le veux pour époux.” 

Elle se transforme en gracieuse jeune fille et explique aussi pudiquement que possible son désir à celui qu’elle aime déjà. Il l’écoute patiemment mais la repousse avec politesse, expliquant qu’il ne peut abandonner ses frères et sa mère. 

Transformée en belle jeune fille, la démone Hidimbâ tente de séduire le beau Bhima, lithographie de Ravi Varma.

Combat du héros et mort d’un démon

Pendant toutes ces palabres, le démon frère de Hidimbâ s’impatiente et finit par venir aux nouvelles de son dîner. Voyant sa soeur transformée en jeune fille aux yeux brillants d’amour, il rugit :

“- Tu es folle ? Tu parles avec mon repas ? Au lieu de l’égorger, tu essaies de le séduire ?” Les dents grinçantes, le démon se jeta sur sa soeur.”

Bhima tente de le raisonner en lui rappelant qu’un homme ne doit jamais battre une femme. Encore plus furieux, le démon engage avec lui un combat terrible dont Bhima finira par sortir vainqueur. Au bout de deux ou trois jours à soupirer en vain, la démone obtient de Kunti (la mère) et de Yudhisthira (le frère aîné) la permission de s’unir à Bhima, une union qui durera  jusqu’à ce qu’elle soit enceinte. “Hidimbâ accepta. Elle remercia sa belle-mère et ses beaux-frères, puis elle hissa aisément le fort Bhimasena sur ses épaules et s’envola vers les nuages.”

Les ivresses de l’amour partagé

Pendant plusieurs mois, Hidimbâ et Bhimasena vont s’envoler chaque jour vers un endroit enchanteur où ils s’aiment intensément, loin de tous. Et tous les soirs, elle ramène son mari aux Pandava. Après la naissance de leur fils Ghatotkacha, elle restera encore un peu,  puis la mère et le fils s’envolent vers les nuages, tandis que les Pandava reprennent leur vie d’ermites. Ils ne savent pas encore qu’il vont bientôt vivre l’aventure sentimentale de leur vie : la rencontre avec la sublime Draupadi. Bhimasena retombera amoureux et, pour Draupadi, il mènera des combats difficiles. 

Son fils Ghatotkacha reviendra quand il l’appellera lors de la bataille finale. Grâce à ses super pouvoirs de démon, il sauvera les Pandava, en sacrifiant généreusement sa vie.

Rencontre d’amour entre une apsara et un sage

L’apsara Ménaka et le sage Vishvamitra

Le sage Vishvamitra accomplissait de telles abstinences et tant de méditations que la force morale qu’il en retirait grandissait de jour en jour. Indra lui-même, le roi des dieux, jugea que la puissance du sage devenait menaçante pour les dieux. Il chargea l’apsara Ménaka d’aller troubler la méditation du sage pour diminuer le pouvoir spirituel de celui-ci. 

Pour s’assurer de la réussite, Ménaka se fit accompagner par le Vent et Kama, dieu de l’amour. Elle s’approcha du sage en médiation et, pendant qu’elle dansait, le Vent souffla de façon à dévoiler le corps de l’apsara. Quand le sage la regarda, Kama s’empressa de lui envoyer une flèche. 

La mission réussit, c’est à dire que le sage abandonna sa méditation surhumaine et se laissa aller au désir, comme un homme normal. Ce qui n’était pas prévu, c’est que Ménéka aussi tomba amoureuse de lui. Elle resta auprès de lui plusieurs années, puis Vishvamitra revint à ses austérités. Je laisse Serge Demetrian nous raconter la suite :

“ Ménaka conçut une fille et, considérant sa mission terminée, s’en revint au ciel d’Indra. Suivant la coutume des nymphes, elle avait déposé sa fille dans une forêt où rôdaient les lions et les tigres. Mais, avant l’approche des fauves, des aigles aperçurent le petit être, descendirent des airs et le protégèrent de leurs ailes. Or, passant par là, le sage Kanva entendit les pleurs de la petite fille ; il accourut, la prit dans ses bras et, l’emportant dans son ermitage, l’éleva comme si elle était sienne. ” Il l’appela Shakuntala, ce qui signifie “Sauvée par les aigles”.

Ménaka séduit le sage Vishvamitra, par Raja Ravi Varma, 1890. Photo Nathan Hughes Hamilton/Flick.

Shakuntala et le roi Dushyanta

Enfin une histoire d’amour qui dure, même si c’est après bien des épreuves !

Devenue adulte, Shakuntala, la fille abandonnée par l’apsara et adoptée par un ermite, rencontra dans sa forêt un roi. Comme vous avez une grande culture en matière de contes et de mythes, vous devinez qu’il s’était égaré au cours d’une partie de chasse et qu’il tomba tout de suite amoureux de Shakuntala, qui avait hérité de sa mère la beauté parfaite. 

De son côté, elle n’avait jamais vu, dans son ermitage ni dans tous ceux de la forêt, un homme aussi séduisant que ce roi et elle accepta sans hésiter de l’épouser. Par un de ces tours que joue le Destin, le papa adoptif Kanva était parti en visite dans un autre ermitage. Rien ni personne ne s’opposa à ce que les amoureux consomment leur union la nuit même. 

Au matin, le roi Dushyanta repartit, après avoir passé son anneau au doigt de son épouse, en lui promettant de revenir très vite la chercher pour célébrer officiellement leurs noces dans sa capitale.

Shakuntala resta seule, tellement pensive, tellement absorbée dans le souvenir de son mari, qu’elle ne se rendit pas compte qu’un visiteur arrivait devant elle. C’était Durvasa, un sage au caractère irritable. 

S’estimant offensé, le sage reprocha vivement à Shakuntala de ne pas l’accueillir avec les honneurs dus à un visiteur. Il lui déclara :  “Puisque tu te perds dans tes pensées au point d’oublier les devoirs de l’hospitalité, toi-même tu seras oubliée par celui à qui tu penses.”

Était-ce une malédiction, ou simplement le constat que nos actes entraînent des conséquences ? Vous avez le choix de l’interprétation.

La jeune femme a beau demander pardon, elle a beau s’empresser auprès de Durvasa en le suppliant de changer le destin, rien n’y fait : les paroles prononcées  se réaliseront, on ne peut rien y changer. 

Quand son père adoptif revient, Shakuntala lui raconte tout et il pardonne tout. Au bout de quelques jours, comme personne n’est venu chercher sa fille de la part de son mari, il décide de l’accompagner à la ville pour aller rafraîchir la mémoire du roi. Hélas, quand le cortège des ermites vient demander au roi d’accueillir Shakuntala comme son épouse officielle, celui-ci ne la reconnaît pas et la traite de menteuse.  

Déçue, furieuse, humiliée, Shakuntala repart dans la forêt. En passant, elle jette dans un lac l’anneau offert par celui qu’elle croyait son mari. Et elle s’enferme dans l’ermitage, pour y pleurer nuit et jour son amour perdu et sa confiance bafouée. Mais peu de temps après son retour, elle reçoit la visite d’une dame à la merveilleuse beauté : c’est sa mère, qui, du haut du ciel, l’a entendue pleurer et qui revient pour l’aider. Ménaka la prend dans ses bras et l’emporte dans son pays magique, où elle pourra élever sereinement l’enfant qui va naître de son unique nuit d’amour avec le roi. 

Shakuntala secourue par sa mère l’apsara Ménaka, par Raja Ravi Varma, Académie des arts et de la culture Birla, Kolkata, Bengale occidental.

Le temps passa. L’enfant, nommé Bharata, grandit en force et en sagesse sous la tendre autorité de sa mère et de sa grand-mère, au pays magique des apsaras. 

Sur terre, son père, le roi Dushyanta, eut un jour la surprise de voir des policiers lui amener un pêcheur qui avait été trouvé en possession d’un anneau portant son sceau. Interrogeant l’homme, il apprit que celui-ci avait trouvé l’anneau dans le ventre d’une énorme carpe pêchée dans le lac. Il récompensa largement le pêcheur, car, en voyant l’anneau, il s’était rappelé l’avoir donné à une femme merveilleusement belle qui l’aimait et qu’il aimait. 

 

Mais, malgré tous ses efforts, sa mémoire refusait de lui livrer le nom de son épouse, et l’endroit où elle vivait. Il se souvenait d’elle comme d’un rêve, mais ce n’était pas un rêve, il en était sûr. Ne pouvant rien faire pour la retrouver, il se contenta d’attendre en priant les dieux de l’aider. 

Et justement, les dieux avaient besoin de lui, car des démons les avaient attaqués. Sans craindre les forces obscures, il participa à un grand combat qui permit de chasser les démons.

Statue d’un démon à l’entrée d’un temple, ville de Mysore, Inde. Photo Jean-Pierre Dalbéra/Flickr.

Après la victoire contre les démons, en redescendant du ciel sur le char d’Indra, le roi aperçut un pays merveilleux et demanda au cocher de bien vouloir y faire halte, car il avait envie de visiter l’endroit. Il tomba en arrêt devant un beau petit garçon, en train de jouer avec un lionceau, comme avec un petit chat. 

Le petit Bharata jouant avec un lionceau, illustration de Ramnadayandatta Shastri Pandey, Open library.

Puis Dushyanta rencontra la mère de l’enfant, qui dit son nom : Shakuntala. Ces quelques syllabes déchirèrent le voile d’oubli qui recouvrait le coeur du roi. 

Il se jeta aux pieds de son épouse pour lui demander pardon de son oubli. Il lui expliqua que, malgré tous ses efforts pour retrouver la mémoire, il était comme pris dans un mauvais sort mais qu’il n’avait jamais cessé de l’aimer. Voulait-elle encore de lui ?

Et tout se finit bien : le roi repartit avec sa femme et son enfant. Ils vécurent longtemps heureux et amoureux. Leur fils Bharata unifiera l’Inde et fondera une illustre dynastie. Le Mahabharata raconte les aventures de ses descendants.

Le désir masculin violent

Dans la culture hindoue, le statut d’épouse protège la femme des désirs des autres hommes. Mais il y a des hommes qui ne respectent pas les règles, quand ils sont en position de force, comme le montrent ces deux épisodes du Mahabarata :

 

Draupadi insultée

Dans une des scènes les plus célèbres du Mahabarata, que j’ai évoquée dans le thème “Voir une femme nue”, les cousins ennemis des cinq frères Pandavas s’amusent à les humilier en déshabillant publiquement leur épouse commune Draupadi. Le dieu Krishna la protège en rajoutant magiquement des longueurs de sari au fur et à mesure que Dushasana le déroule. Alors Bhimasena, l’un des Pandava époux de Draupadi se lève et clame ce serment terrible : 

“Un temps viendra où j’éventrerai ce chien de Dushasana et boirai son sang.”

Durant cette exhibition, Duryodhana fait le geste de se découvrir la cuisse, exprimant par là qu’il a l’intention de coucher avec Draupadi. 

Bhimasena, exprime violemment son intention de venger l’insulte par la mort de son cousin : 

“Bhimasena ne rejoindra le ciel de ses ancêtres qu’après avoir brisé la cuisse de Duryodhana dans un duel à mort.” 

Le duel au cours duquel Bhimasena va briser la cuisse de Duryodhana d’un coup de massue, illustration de Ramanarayanadatta astri.
Selon les règles du combat courtois, les coups en dessous de la ceinture sont interdits, mais Bhimasena va enfreindre volontairement les règles pour punir son cousin là où il a péché.

Draupadi harcelée

Au cours de leur dernière année d’exil, les Pandavas sont obligés de se déguiser en hommes ordinaires et de travailler. Leur épouse, qui les suit fidèlement malgré tous les dangers, travaille comme femme de chambre pour une reine, tandis que les Pandavas occupent divers emplois dans le palais : Bhimasena est cuisinier, Arjuna est maître de danse eunuque, un autre est cocher, etc.

Kichaka, chef de l’armée du roi et frère de la reine, trouve Draupadi fort à son goût et essaie de la séduire par de douces paroles, mais elle refuse en disant qu’elle est mariée. Il se moque de cette affirmation et continue à la harceler. Il a même le culot de demander à sa soeur la reine de l’aider à vaincre la résistance de sa servante. 

Draupadi essayant d’échapper à  Kichaka, par Ravi Varma, vers1910.

Draupadi humiliée

Un jour, le chef de l’armée tente d’abuser de Draupadi, comme nous le raconte Serge Demetrian : 

“L’épouse des Pandavas s’arracha à son étreinte, s’enfuit dans la salle du trône et se plaignit au roi. Mais son agresseur la poursuivit, l’insulta, la molesta en présence de toute la cour. Personne n’avait le courage de s’opposer à Kichaka, pas même le roi Virata, car le chef de l’armée était son beau-frère et l’homme le plus fort du royaume.” 

Draupadi humiliée devant le roi Virata, par Ramanarayanadatta astri, Open library, université de Toronto.

Draupadi vengée

“Offensée dans son honneur de femme, Draupadi se sauva dans les cuisines du palais”. 

Là, elle supplie Bhimasena d’intervenir pour qu’elle ne soit plus harcelée. Ils décident qu’elle fera semblant de céder au désir de Kichaka et lui donnera un rendez-vous secret pendant la nuit, dans la salle de bal du palais.

Draupadi et Bhimasena mettent au point la ruse pour tuer Kichaka, illustration de Ramanarayanadatta astri, Openlibrary, université de Toronto.

Bien entendu, c’est Bhimasena qui attend Kichaka dans la salle de bal.  

“Une lutte à mort s’engagea dans le noir. En peu de temps, Bhimasena réussit à terrasser son adversaire. Le Pandava brisa la poitrine et la tête de Kichaka. Puis, enragé, il sauta sur le cadavre et le transforma en une masse informe. Le jour commençait à poindre. Bhimasena se glissa hors de la salle et rejoignit en hâte la cuisine. Ainsi l’honneur de Draupadi fut-il vengé et personne n’osa plus l’aborder pendant les derniers jours de l’exil des Pandavas.” (Serge Demetrian)

L’homme   chaste

La chasteté est très valorisée dans la culture indienne. Elle fait partie des vertus cultivées par les sages qui se retirent dans les forêts pour méditer en vivant de mendicité. 

Bhishma le chaste

Bhishma est le héros le plus chaste du Mahabarata. Je raconte son histoire dans le thème suivant : “Les Changements d’identité”.

 

Le héros Arjuna et l’apsara Urvashi

Au cours de son séjour dans le ciel d’Indra son père, Arjuna rencontre l’apsara Urvashi. Elle se rend dans sa chambre et lui déclare son amour. Aussi poliment que possible, il refuse de répondre à sa demande : Urvashi ayant été la compagne de son ancêtre le roi Pururavas, comme je l’ai raconté plus haut, il lui donne le titre de mère. (Si on compte en générations humaines, elle n’est pas sa mère mais une lointaine  aïeule.)

Elle tente de lui expliquer que dans le Ciel, les valeurs morales ne sont pas les mêmes que sur terre : 

“Nous les nymphes, nous n’avons pas d’âge, ni liens de parenté avec quiconque. Ici, dans les royaumes des cieux, nous sommes libres de nos choix. Tous les petits-fils et arrière- petits-fils de tes ancêtres ont goûté ici la récompense de leurs peines terrestres. Dans les mondes d’en haut, l’ombre même du péché a disparu. Ne me rejette pas, je brûle d’amour pour toi.” 

 Comme il ne cède pas à son désir, elle lui lance une malédiction qui supprime ses attributs virils :

“Je te maudis ! Privé de ta virilité, tu traîneras une vie sans dignité, eunuque danseur parmi les femmes.” 

La malédiction de Urvashi contre Arjuna, par Raja Ravi Varma.

Le héros est assommé par une telle punition, et il se confie à son père Indra qui le félicite d’avoir maîtrisé ses sens et le rassure : cette malédiction lui sera utile pour sa dernière année d’exil, car ce sera un déguisement parfait. Personne ne pensera qu’un eunuque est en réalité le fier héros. Mais une fois cette année finie, Arjuna retrouvera toute sa virilité.

Le démon Ravana et la princesse Sita

Dans le Ramayana, la belle apsara Rambla est violée par le démon Ravana. Alors, le dieu Brahma lance une malédiction sur lui : sa tête éclatera s’il viole à nouveau une femme. 

Quand le prince Rama part en exil dans la forêt avec sa belle épouse Sita, Ravana aperçoit la pure princesse et ne peut s’empêcher de la désirer. Grâce à une ruse, il éloigne Rama et enlève Sita. 

Le démon Ravana coupe l’aile de Jatayu qui tentait de l’empêcher d’enlever Sita, huile sur toile de Raja Ravi Varma, 1895, Galerie d’art Sri Chitra, Thiruvananthapuram , Kerala, Inde.

Ravana enferme Sita dans sa forteresse du Sri Lanka, mais à cause de la malédiction de Brahma, il ne la viole pas. Au contraire, il se présente à elle comme un sage, un ascète pieux et sincèrement amoureux. Faussement vertueux pour sauver sa vie, il la courtise patiemment, en espérant qu’elle finira par se donner volontairement à lui. 

Ravana rend visite à Sita sa prisonnière, sous la forme d’un vertueux ascète, oléographie de Raja Ravi Varma, Galerie d’art Baroda.

Après bien des péripéties, Rama tuera le démon et délivrera Sita. Mais, n’étant pas au courant de la malédiction de Brahma, Rama ne veut pas croire que Sita n’est pas souillée. Pour prouver sa pureté, Sita se jette dans le feu, et le feu ne la brûle pas. Les deux amoureux reprendront leur vie de couple. De nombreuses images popularisent leur modèle de couple.

Rama et Sita, illustration santabanta.com.

Monde biblique

Les récits bibliques sont bien moins variés que ceux de l’Inde ou du monde gréco-romain, ce qui est logique puisque le peuple hébreux n’est pas comparable en nombre aux mosaïques de peuples qui constituent le sous-continent indien ou qui constituaient le monde gréco-romain : chaque ville voulant avoir ses héros légendaires, les récits foisonnent. 

Les Hébreux n’ont qu’un seul dieu, ce qui limite encore les possibilités de récits. Ce dieu s’affirme tout de suite favorable à la procréation : ayant créé l’homme et la femme, il les bénit et leur dit : “ Soyez féconds, multipliez-vous, remplissez la terre, et soumettez-la”. (Genèse 1-28)

Mais, à cause d’un fruit mangé malgré l’interdiction, le dieu change sa bénédiction en malédiction. Pour permettre aux humains de remplir la terre comme il le veut, il les chasse honteusement du merveilleux jardin où il les avait installés au départ ; et pour ce qui est de la fécondité, il la fait vivre dans la douleur, en lui imposant la domination du mâle et les douleurs de l’enfantement : “J’augmenterai la souffrance de tes grossesses, tu enfanteras dans la douleur, et tes désirs se porteront vers ton mari, mais il te dominera.”(Genèse, 3-16) 

Puis le dieu se désintéresse de ses créatures qui se révèlent tellement insupportables qu’il tente de les noyer dans le Déluge, à l’exception de Noé réfugié dans une “arche” avec un couple de chaque espèce animale. 

L’humain avec lequel le dieu va reprendre contact s’appelait Abram. Il vivait dans l’actuel Irak mais le dieu lui demanda de quitter ce pays pour la région de l’actuelle  Palestine. Le dieu lui promit que ses descendants formeraient un peuple nombreux dans cette région.

Le désir masculin dominateur

Abraham a pour fils Isaac et plusieurs autres enfants mais seul Isaac a droit d’héritage. Le principal petit-fils s’appelle Jacob. Ces patriarches sont vertueux, mais ils vivent en nomades dans des régions où la vie sexuelle masculine ne s’embarrasse pas de morale. 

Les soeurs-épouses

Dans le livre de La Genèse, trois récits nous racontent comment Abraham puis son fils Isaac font croire que leur épouse est leur soeur. Dans le cas d’Abraham, ce n’est qu’un demi-mensonge, car Sarah est sa demi-soeur, “née du même père mais non de la même mère.” Rebecca n’est pas la soeur d’Isaac, seulement sa cousine germaine. Ces deux hommes mentent parce que les mâles de l’époque tuent les maris pour disposer des femmes, tandis que  pour prendre une belle femme qui n’a pas de mari, ils offrent généreusement des richesses à sa famille (voir le thème La Richesse). 

Sarah enlevée par le pharaon

Abraham qui s’appelle encore Abram s’installe en Egypte parce que c’est la famine au pays de Canaan. Saraï son épouse est très belle et il craint qu’on ne le tue pour la prendre. Il lui demande donc de se présenter comme sa soeur. Le livre de la Genèse, au chapitre 12, nous raconte que ce que craignait Abram se réalise : 

 “Lorsque Abram fut arrivé en Égypte, les Égyptiens virent que la femme qui l’accompagnait était très belle. Les grands de Pharaon la virent aussi et parlèrent de sa beauté à Pharaon ; et la femme fut emmenée dans la maison de Pharaon. Il traita bien Abram à cause d’elle et lui donna des brebis, des boeufs, des ânes, des serviteurs et des servantes, des ânesses, et des chameaux.

 Mais l’Éternel envoya de grands malheurs à Pharaon et à sa maison, à cause de Saraï, femme d’Abram. Alors Pharaon appela Abram, et dit : Qu’est-ce que tu m’as fait ? Pourquoi ne m’as-tu pas déclaré que c’est ta femme ?  Je l’ai prise pour femme parce que tu m’as dit – C’est ma soeur. Maintenant, je te la rends, prends-la, et va-t-en !

Et Pharaon donna ordre à ses gens de le renvoyer, lui et sa femme, avec tout ce qui lui appartenait.”

Sarah enlevée par Abimélec

De retour en pays de Canaan, Abraham répète cette tricherie face au roi Abimélec : il  prétend que Sarah est sa soeur, et le roi la fait prendre par ses serviteurs (chapitre 20).

“Alors Dieu apparut en songe à Abimélec pendant la nuit, et lui dit : – Voici, tu vas mourir à cause de la femme que tu as enlevée, car elle a un mari.

Abimélec, qui ne s’était pas approché d’elle, répondit : – Seigneur, ferais-tu périr même une nation juste ? Ne m’a-t-il pas dit : – C’est ma soeur ? et elle-même n’a-t-elle pas dit : – C’est mon frère ? J’ai agi avec un coeur pur et avec des mains innocentes.

Dieu lui dit en songe : – Je sais que tu as agi avec un coeur pur ; aussi t’ai-je empêché de pécher contre moi. C’est pourquoi je n’ai pas permis que tu la touches.

Maintenant, rends la femme de cet homme ; car il est prophète, il priera pour toi, et tu vivras. Mais, si tu ne la rends pas, sache que tu mourras, toi et tout ce qui t’appartient. (…) 

Abimélec prit des brebis et des boeufs, des serviteurs et des servantes, et les donna à Abraham ; et il lui rendit Sara, sa femme. Abimélec lui dit : -Voici, mon pays est devant toi ; demeure où il te plaira.  Et il dit à Sarah : – Voici, je donne à ton frère mille pièces d’argent ; cela te sera un voile sur les yeux pour tous ceux qui sont avec toi, et auprès de tous tu seras justifiée.

Abraham pria Dieu, et Dieu guérit Abimélec, sa femme et ses servantes; et elles purent enfanter.”

Abimelec réprimande Abram de lui avoir fait croire que Saraï était sa soeur et la lui rend. D’une main, le roi présente la femme, de l’autre une bourse pleine de pièces.  Gravure de Wenceslaus Hollar, graveur tchèque du XVIIe siècle. 

Rébecca et le peuple d’Abimélec

Dans le livre de la Génèse, au chapitre 26, Isaac, fils d’Abraham et marié à sa cousine Rébecca,  a planté ses tentes en un lieu appelé Guérar.

“ Lorsque les gens du lieu posaient des questions sur sa femme, il disait : – C’est ma soeur ; car il craignait, en disant ma femme, que les gens du lieu le tuent, parce que Rebecca était belle de visage. Comme son séjour se prolongeait, il arriva qu’Abimélec, roi des Philistins, regardant par la fenêtre, vit Isaac qui embrassait Rebecca, sa femme.

 Abimélec fit appeler Isaac, et lui dit : – Certainement, c’est ta femme. Pourquoi  as-tu dit: – C’est ma soeur? Isaac lui répondit : – J’ai parlé ainsi, de peur de mourir à cause d’elle.

Et Abimélec dit : – Qu’est-ce que tu nous as fait ? Si quelqu’un de mon peuple avait couché avec ta femme, tu nous aurais tous rendus coupables.

Alors Abimélec fit cette ordonnance pour tout le peuple : – Celui qui touchera à cet homme ou à sa femme sera mis à mort.”

Abimélec surprend Isaac embrassant sa femme Rébecca, gravure de Badalocchio d’après une peinture de Raphaël, 1638. Musée des Beaux-Arts de San Francisco.

Des commentateurs juifs ou chrétiens analysent ces récits pour leur trouver une interprétation théologique. Des commentateurs anti-cléricaux jugent négativement la conduite d’Abraham : incestueux, il tire profit du fait que son épouse-soeur est prise par deux autres hommes, autrement dit il serait proxénète. 

D’un simple point de vue narratif, je remarque juste que les copié-collé sont fréquents dans les récits bibliques, car cela étoffe le scénario : comme il n’y a qu’un dieu et que les rédacteurs s’interdisent des éléments magiques, le roman national hébreux serait bien maigre sans ces copiés-collés ; le deuxième enlèvement de Sarah est totalement invraisemblable car âgée d’environ 70 ans, elle ne devait plus être une “top model”. 

Dans ces trois récits, les affaires se règlent entre hommes, on ne sait rien des sentiments de ces deux femmes prises et échangées contre du bétail, comme si elles mêmes étaient une forme de bétail… 

Les récits que je viens de citer montrent le désir dominateur  comme étant propre aux peuples étrangers. Mais les livres de la Bible contiennent aussi des récits de violence sexuelle chez les Hébreux :

Le lévite et sa concubine

Un lévite, c’est à dire un membre du clergé, cheminait avec sa concubine pour rentrer chez lui. Comme la nuit tombait, il s’arrêta sur le territoire de la tribu des Benjaminite, dans la ville de Guibea. Là, il reçut l’hospitalité d’un brave homme qui l’invita dans sa maison. Mais les hommes de la ville vinrent frapper à la porte en criant qu’ils voulaient avoir des relations avec l’étranger hébergé là. Le Livre des juges, chapitre 19, versets 23 à 29 raconte la suite ainsi :

“Le maître de maison se présenta à eux et leur dit : «Non, mes frères, ne faites pas le mal, je vous en prie. Puisque cet homme est entré chez moi, ne commettez pas cet acte odieux.

Ecoutez ! J’ai une fille vierge et cet homme a une concubine. Je vous les amènerai dehors. Vous les déshonorerez, vous leur ferez ce qu’il vous plaira. Mais ne commettez pas sur cet homme un acte aussi odieux.»

Ces hommes ne voulurent pas l’écouter. Alors le Lévite prit sa concubine et la leur amena dehors. Ils eurent des relations avec elle, ils la violèrent toute la nuit jusqu’au matin. Puis, au lever de l’aurore, ils la renvoyèrent.

Au petit matin, cette femme alla s’écrouler à l’entrée de la maison de l’homme qui hébergeait son mari, et elle resta là jusqu’à ce qu’il fasse jour. Le matin, son mari se leva, ouvrit la porte de la maison et sortit pour continuer son chemin. Mais voici que la femme, sa concubine, était étendue à l’entrée de la maison, les mains sur le seuil. Il lui dit: «Lève-toi, allons-nous-en.» Elle ne répondit pas. Alors son mari la mit sur son âne et partit pour retourner chez lui.

Le lévite découvre sa concubine violée et battue à mort, illustration de Gustave Doré, 1866.

Arrivé chez lui, il prit un couteau, s’empara de sa concubine et la coupa membre par membre en 12 morceaux, qu’il envoya dans tout le territoire d’Israël.”

Le lévite coupe le corps de sa concubine en douze morceaux qu’il met dans les paniers des messagers qui vont informer les autres tribus. Gravure de Otto Elliger, XVIe siècle.

Les autres tribus israélites furent indignées par les viols ayant entraîné la mort de la concubine ; ils levèrent une armée pour envahir le territoire de la tribu des Benjaminites. Ils envoyèrent ce message à la ville de Guibea :

“ Livrez-nous maintenant les hommes mauvais qui se trouvent à Guibea, afin que nous les fassions mourir pour éliminer le mal du milieu d’Israël. Mais les Benjaminites ne voulurent pas écouter leurs frères, les Israélites. Les Benjaminites sortirent de leurs villes et se rassemblèrent à Guibea pour combattre les Israélites.” (Chapitre 20, versets 13-14)

Cette guerre fratricide amènera la tribu des Benjaminites au bord de l’extinction.

Guibea et Sodome, même situation narrative

Cet épisode particulièrement dramatique est un copié-collé du chapitre 19 de la Genèse où des anges matérialisés en humains viennent chercher Loth et sa famille pour qu’il ne périssent pas en même temps que les autres habitants de Sodome que Dieu va détruire : un groupe d’hommes assaille la maison la maison de Loth, pour avoir des relations sexuelles avec les étrangers. Pour épargner les deux étrangers qu’il héberge, Loth offre ses deux filles vierges au groupe d’hommes qui les refuse. Tout se finit bien, parce que les anges rendent aveugles les assaillants et font partir Loth et sa famille loin de la ville.  

À Guibea, le maître de maison offre aussi deux femmes pour épargner l’honneur de l’étranger hébergé chez lui : sa propre fille et la concubine du voyageur. Les commentateurs modernes considèrent que les deux maîtres de maison agissent ainsi parce que le devoir d’hospitalité était sacré. Certes, mais il apparaît clairement que pour eux, l’honneur d’une femme est moins important que l’honneur d’un homme.

La froideur de la narration, purement factuelle, ajoute à l’horreur de l’histoire ; on peut s’en consoler en se disant qu’on parcourt les notes aide-mémoire d’un récit que le raconteur agrémentera à l’oral de détails exprimant sa sensibilité.

Les commentateurs soulignent un détail de la première phrase du récit: “En ce temps-là, alors qu’il n’y avait pas de roi en Israël, un lévite….” et, après la guerre contre la tribu des Benjaminites, cette phrase revient en écho conclure le livre des Juges : “En ce temps-là, il n’y avait pas de roi en Israël, chacun faisait ce que bon lui semblait.” 

Après l’intermède du Livre de Ruth, l’histoire des tribus d’Israël continue dans le Premier Livre de Samuel qui raconte comment la royauté va être instituée pour aider les tribus à s’unir dans la guerre contre le peuple des Philistins. D’après les spécialistes, l’horreur de ce récit du lévite et de sa concubine sert à souligner le besoin d’un pouvoir fort et centralisé pour empêcher de tels abus. 

On se trouverait donc dans un schéma utilisant les mêmes éléments que ceux de l’histoire de Rome : un désir masculin pervers et violent entraîne la mort d’une femme d’où découle un changement politique majeur. Dans le cas de Rome, les récits disent clairement que la mort de Lucrèce provoque l’abolition de la royauté. Dans le cas de la Bible, l’enchaînement n’est pas souligné par les textes, mais déduit par les commentateurs et il aboutit à un changement inverse : l’établissement de la royauté.

Tamar violée par Amnon

Pour répondre à la volonté des Hébreux d’avoir un roi, leur dieu choisit Saül pour les diriger. Puis le dieu choisit comme deuxième roi le berger David, qui prit plusieurs femmes et eut plusieurs fils. 

Selon le récit qu’en fait le Deuxième Livre de Samuel (chapitre 13) Amnon, fils aîné et héritier de David, se prend de passion amoureuse pour sa soeur Tamar. Afin qu’elle s’approche de lui, il fait semblant d’être malade et lui demande de venir lui faire des gâteaux :

“Tamar alla dans la maison d’Amnon, son frère, qui était couché. Elle prit de la pâte, la pétrit, prépara devant lui des gâteaux et les fit cuire ; prenant ensuite la poêle, elle les versa devant lui. Mais Amnon refusa de manger. Il dit : – Faites sortir tout le monde. 

Et tout le monde sortit de chez lui.

Alors Amnon dit à Tamar : – Apporte le mets dans la chambre pour que je le mange de ta main. Tamar prit les gâteaux qu’elle avait faits et les porta à Amnon, son frère, dans la chambre. Comme elle les lui présentait à manger, il la saisit et lui dit : – Viens, couche avec moi, ma soeur.

Elle lui répondit : – Non, mon frère, ne me déshonore pas, car on n’agit pas ainsi en Israël ; ne commets pas cette infamie. Où irais-je, moi, avec ma honte ? Et toi, tu serais comme l’un des infâmes en Israël. Maintenant, je te prie, parle au roi, et il ne s’opposera pas à ce que je sois à toi.

Mais il ne voulut pas l’écouter ; il lui fit violence, la déshonora et coucha avec elle.”

Amnon et Tamar, par un peintre inconnu, fin du XVIIe siècle. High museum of art, Atlanta.

“Puis Amnon ressentit pour elle une haine plus forte que n’avait été son amour. Et il lui dit : – Lève-toi, va-t’en !

Elle lui répondit : – N’augmente pas, en me chassant, le mal que tu m’as déjà fait.

Il ne voulut pas l’écouter, et appelant son serviteur, il lui dit : – Eloigne de moi cette femme et jette-la dehors. Et ferme la porte après elle !

Elle avait une tunique de plusieurs couleurs ; car c’était le vêtement que portaient les filles du roi, aussi longtemps qu’elles étaient vierges. Le serviteur d’Amnon la mit dehors, et ferma la porte après elle.

Tamar répandit de la cendre sur sa tête, et déchira sa tunique bigarrée; elle mit la main sur sa tête, et s’en alla en poussant des cris. Absalon, son frère, lui dit : – Amnon, ton frère, t’a-t-il fait violence ? Maintenant, ma soeur, tais-toi, car c’est ton frère ; ne prends pas cette affaire trop à coeur. Et Tamar, désolée, demeura dans la maison d’Absalon, son frère.

Le roi David apprit toutes ces choses, et il fut très irrité.

Absalon ne parla ni en bien ni en mal avec Amnon ; mais il le prit en haine, parce qu’il avait déshonoré Tamar, sa soeur.”

Tamar vient se plaindre à Absalon qui jure de la venger, par Alexandre Cabanel, 1875, Musée d’Orsay. Photo JPJ.

Absalom laissera passer deux ans, avant de faire tuer son frère Amnon par ses serviteurs au cours d’un festin, pour venger sa soeur. La suite de l’histoire nous apprend qu’il va comploter pour prendre la place du roi. Le meurtre de son frère aîné visait peut-être autant à lui dégager l’accès au trône qu’à venger l’honneur de sa soeur. 

Encore une fois, violence sexuelle et violence politique se suivent… 

Absalom ne réussira pas sa révolution et sera tué par un soldat de son père.

L’homme  chaste

Joseph et la femme de Putiphar

Joseph est l’avant dernier fils de Jacob. Jaloux de son intelligence, dix de ses frères  projettent de le tuer. Mais Juda, le quatrième fils de Jacob, conseille de l’épargner et de le vendre comme esclave à des Egyptiens. Envoyé en Egypte, le jeune homme est acheté par un nommé Putiphar. Cet homme très riche lui fait confiance et le nomme intendant de tous ses biens. Comme Joseph est beau, l’épouse de son maître lui demande tous les jours de coucher avec elle, mais il refuse, par respect pour son maître.

“Elle parlait tous les jours à Joseph, mais il refusait de coucher avec elle, d’être avec elle. Un jour qu’il était entré dans la maison pour son travail, et qu’il n’y avait personne dans la maison, elle le saisit par son vêtement, en lui disant : Couche avec moi ! 

Il lui laissa son vêtement dans la main, et s’enfuit au dehors. Lorsqu’elle vit qu’il lui avait laissé son vêtement dans la main et qu’il s’était enfui dehors, elle appela les gens de sa maison, et leur dit : -Voyez, il nous a amené un Hébreu qui a essayé de coucher avec moi ; mais j’ai crié à haute voix.” 

(Elle fait le même récit à son mari, qui punit Joseph en le jetant en prison. Mais Dieu protège Joseph, qui est bien traité par le responsable de prison. Il deviendra finalement le ministre du pharaon. Donc, comme les récits que nous avons vus jusqu’ici, l’histoire de Joseph rapproche sexualité et politique : en tant que Juif, Joseph ne peut pas accéder à la royauté sacrée des Egyptiens, mais, grâce à son comportement chaste,  il finit par être le personnage le plus important du pays après le pharaon.)

Joseph et la femme de Putiphar, gravure de Rembrandt, bibliothèque municipale de Lyon.

Quand le besoin d’enfant remplace le désir amoureux

Dans les mythologies que nous avons déjà explorées, les actes contraires à la morale tels que l’inceste ou l’adultère sont provoqués par le désir amoureux ; dans les récits bibliques, c’est le désir d’enfant qui entraîne des écarts de conduite. 

Plus qu’un désir d’enfant, il s’agit d’un besoin d’enfant, peut-être suite à l’ordre initial du dieu : “Soyez féconds, multipliez-vous”. Ce qui compliquait les choses, c’est que les Hébreux évitaient le mariage avec des personnes extérieures à leur peuple. 

Abram (Abraham) a quitté sa ville d’Ur (dans l’actuel Irak) pour venir en pays de Canaan (Palestine) avec son neveu Loth.  Le temps passe mais il n’oublie pas ses racines.  Il envoie donc un serviteur chercher une épouse pour son fils Isaac dans sa famille, et c’est ainsi qu’Isaac épouse sa cousine Rebecca (A propos de l’échange de cadeaux qui scelle l’alliance, voir le thème La Richesse).

Loth et ses filles

De son côté, Loth, neveu d’Abraham, s’est installé dans la ville de Sodome mais il la quitte précipitamment avec sa femme et ses deux filles quand le feu du ciel la détruit. Sa femme est pétrifiée pour avoir voulu regarder le feu malgré l’interdiction énoncée par les anges qui les ont sauvés du châtiment divin.

Loth se retrouve donc seul avec ses filles, au chapitre 19 de La Genèse :

 “L’aînée dit à la plus jeune : – Notre père est vieux  et il n’y a pas d’homme dans la contrée, pour venir vers nous, selon l’usage de tous les pays. Viens, faisons boire du vin à notre père, et couchons avec lui, afin que nous conservions la race de notre père. Elles firent donc boire du vin à leur père cette nuit-là ; et l’aînée alla coucher avec son père : il ne se rendit compte de rien, ni quand elle se coucha, ni quand elle se leva.

 Le lendemain, l’aînée dit à la plus jeune : Voici, j’ai couché la nuit dernière avec mon père; faisons-lui boire du vin encore cette nuit, et va coucher avec lui, afin que nous conservions la race de notre père. Elles firent boire du vin à leur père encore cette nuit-là ; et la cadette alla coucher avec lui : il ne se rendit compte de rien, ni quand elle se coucha, ni quand elle se leva.

Les deux filles de Lot devinrent enceintes de leur père. L’aînée enfanta un fils, qu’elle appela du nom de Moab : c’est le père des Moabites, jusqu’à ce jour. La plus jeune enfanta aussi un fils, qu’elle appela du nom de Ben Ammi : c’est le père des Ammonites, jusqu’à ce jour.”

Quand les descendants d’Abraham reviendront en pays de Canaan après leur séjour en Egypte, ils combattront leurs lointains cousins les Moabites et les Ammonites.

Loth et ses filles, par Metsys, XVIe siècle, Musée royal d’Anvers, Belgique. Photo Jean-Louis Mazières/Flickr.

Avoir des enfants même après sa mort

Avoir des enfants était tellement important qu’une loi du Deutéronome (chapitre 25, versets 5-10) déclare que si un homme meurt sans enfant, son frère doit épouser la veuve et les enfants nés de ce mariage seront réputés être la descendance du premier mari dont ils porteront le nom. Cette coutume appelée le lévirat, du mot latin levir qui signifie “frère du mari” était également pratiquée en Mésopotamie, en Egypte, en Syrie. 

Dans la mythologie indienne, nous avons vu que c’est de cette façon qu’ont été engendrés les rois Pandu et Dhiritarashtra. Le lévirat est encore parfois en usage en Afrique, où des juristes luttent contre cette façon de considérer la veuve comme faisant partie de l’héritage de son mari. 

Dans les récits de la Bible, au contraire, les femmes agissent pour faire appliquer cette loi qui leur assure une position sociale honorable, alors qu’être veuve et sans enfant est une honte insupportable. Dans ces récits, le désir amoureux est absent, les femmes couchent avec un homme pour combler leur besoin d’enfant.

Tamar et ses deux maris

Juda est un des douze fils de Jacob. Après avoir vendu son frère Joseph comme esclave en Egypte, il s’est marié et a eu trois fils : Er, Onan et Schéla. Il donne pour épouse à son premier fils une jeune femme nommée Tamar, mais, selon le chapitre 38 de la Genèse : 

“Er, premier-né de Juda, était méchant aux yeux de l’Éternel ; et l’Éternel le fit mourir. Alors Juda dit à Onan : – Va vers la femme de ton frère, prends-la, et engendre une postérité à ton frère.” 

Le péché d’Onan

“Onan, sachant que cette postérité ne serait pas à lui, se répandait à terre lorsqu’il couchait avec la femme de son frère, afin de ne pas donner de postérité à son frère. Ce qu’il faisait déplut à l’Éternel, qui le fit aussi mourir.

Alors Juda dit à Tamar, sa belle-fille : – Habite en tant que veuve dans la maison de ton père, jusqu’à ce que Schéla, mon fils, soit grand. Il parlait ainsi dans la crainte que Schéla ne mourût comme ses frères. Tamar s’en alla, et elle habita dans la maison de son père.”

(Le temps passe et Tamar est toujours veuve dans la maison de son père. N’ayant ni mari ni enfant, elle n’a aucun statut social, elle est comme inexistante. Entre temps, Juda est devenu veuf.) 

Tamar et Juda

Un jour qu’il s’éloigne pour aller s’occuper de son troupeau, Tamar se couvre d’un voile et s’assied au bord du chemin ; Juda ne la reconnaît pas et la prend pour une prostituée qui attend un client. Il s’arrête et négocie un rapport sexuel contre un chevreau qu’il lui enverra plus tard. Comme il lui demande ce qu’elle veut en gage,  

“Elle lui dit  : “- Ton cachet, ton cordon, et le bâton que tu as à la main. 

Il les lui donna et coucha avec elle et elle devint enceinte de lui.”

Tamar et Juda, par Horace Vernet, 1840, Wallace Collection, Londres.

(Quand Juda fait apporter un chevreau par un ami, il apprend qu’il n’y a pas de prostituée à cet endroit…)

“Environ trois mois après, on vint dire à Juda : – Tamar, ta belle-fille, s’est prostituée, et même la voilà enceinte à la suite de sa prostitution. Et Juda dit : – Faites-la sortir, et qu’elle soit brûlée.

Comme on l’amenait dehors, elle fit dire à son beau-père : – C’est de l’homme à qui ces choses appartiennent que je suis enceinte ; reconnais, je te prie, à qui sont ce cachet, ces cordons et ce bâton. Juda les reconnut, et dit : – Elle est moins coupable que moi, puisque je ne l’ai pas donnée à Schéla, mon fils. Mais il ne coucha plus avec elle.”

Libérée, Tamar mettra au monde des fils jumeaux reconnus par Juda et dont l’aîné Perets est l’ancêtre du roi David.

Tamar et Juda par Cornelis van Haarlem, 1596, Musée Frantz Hals à Haarlem, Pays Bas. 

À la suite de ses démêlés avec Tamar, Juda aura un comportement irréprochable. Vers la fin du livre de la Genèse, c’est lui que Jacob désigne comme chef des Hébreux, alors qu’il n’est que le quatrième fils : 

“Juda, tu recevras les hommages de tes frères ; ta main sera sur la nuque de tes ennemis. Les fils de ton père se prosterneront devant toi. Juda est un lion.” 

Ruth et Boaz

Quand un homme n’avait pas de frère pour reprendre son héritage et sa veuve, le plus proche parent pouvait exercer un droit de rachat. Dans le thème « La Pauvreté », j’ai raconté comment la jeune veuve Ruth vit avec Naomi, sa belle-mère, veuve elle aussi. En allant glaner (ramasser les épis tombés par les moissonneurs) dans un champ, Ruth a rencontré Boaz, riche propriétaire et parent de son mari décédé. A cause de ce lien de parenté, il a un droit de rachat sur une pièce de terre qui appartenait au mari décédé. S’il accepte de racheter la terre, il rachètera aussi la veuve de l’ancien propriétaire et l’enfant qui naîtra de leur union sera considéré comme le fils du premier mari de la veuve. S’il veut l’épouser, il le signifiera  aux témoins de la transaction en posant un pan de son manteau sur la veuve.

Le soir venu, Naomi conseille à sa belle-fille d’aller discrètement se coucher près de Boaz qui dort dans son champ, près du tas de gerbes. Livre de Ruth, chapitre 3 :

“Au milieu de la nuit, cet homme eut une frayeur ; il se pencha, et voici, une femme était couchée à ses pieds. Il demanda : – Qui es-tu ? Elle répondit : – Je suis Ruth, ta servante ; étends ton manteau sur ta servante, car tu as droit de rachat.

Et il dit : – Sois bénie de l’Éternel, ma fille ! Ta demande témoigne en ta faveur, car tu n’as pas recherché des jeunes gens, pauvres ou riches. À partir de maintenant, ma fille, sois sans crainte ; je ferai pour toi tout ce que tu demanderas ; car tout le monde ici sait que tu es une femme vertueuse. Il est bien vrai que j’ai droit de rachat, mais il en existe un autre plus proche que moi. Passe ici la nuit. Et demain, s’il veut utiliser pour toi son droit de rachat, à la bonne heure, qu’il le fasse ; mais s’il ne le fait pas, je te rachèterai, moi, je le jure par l’Eternel ! Repose-toi jusqu’au matin.

Elle resta couchée à ses pieds jusqu’au matin, et elle se leva avant qu’on pût se reconnaître l’un l’autre. Boaz se disait : Il ne faut pas qu’on ne sache que cette femme est entrée dans mon champ.”

(Le plus proche parent renonce à exercer son droit de rachat.)

“Alors Boaz dit aux anciens et à tout le peuple : – Vous êtes témoins aujourd’hui que j’ai acquis de la main de Naomi tout ce qui appartenait à Elimélec, à Kiljon et à Machlon, et que je me suis également acquis pour femme Ruth la Moabite, femme de Machlon, pour relever le nom du défunt dans son héritage.

Tout le peuple qui était à la porte et les anciens dirent : – Nous en sommes témoins! Puisse la postérité que l’Éternel te donnera par cette jeune femme rendre ta maison semblable à la maison de Pérets, qui fut enfanté à Juda par Tamar !”

Ruth et Boaz endormi, par Frédéric Bazille, 1870, Musée Fabre à Montpellier.

Une croyance universelle : le bonheur dans le mariage

Tout au long des mythologies que nous avons parcourues, la passion amoureuse entraîne des drames. Les héros et les héroïnes les plus admiré(e)s des civilisations où sont nés ces récits sont vertueux, tendres, fidèles. Il en résulte que, pour les mythologies, la relation amoureuse idéale est la tendresse née dans le mariage. 

Au lieu de rester avec la belle nymphe Calypso qui lui offre de partager son immortalité,  Ulysse prend le risque de repartir sur la mer, car il veut retourner vivre auprès de Pénélope. De son côté, Pénélope lui est restée fidèle pendant les vingt années de son absence.  

Malgré les situations de polygamie (Pandu et ses deux femmes, Draupadi et ses cinq maris), la bonne entente des familles de la mythologie hindoue n’est jamais troublée par la jalousie, car tout le monde veille à pratiquer la Vertu, c’est à dire la maîtrise des passions.

Quant aux récits de la vie des patriarches hébreux, ils valorisent aussi la vie conjugale, dont le bonheur simple et durable est résumé dans le Livre des Proverbes, chapitre 5 :

“Que ta source soit bénie, et trouve ta joie dans l’épouse de ta jeunesse, biche des amours, gazelle pleine de grâce : sois en tout temps enivré de ses charmes, sans cesse épris de son amour.”

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