La naissance des héros

Autour des héros mythiques se cristallisent les émerveillements et les angoisses de toute naissance humaine. La lutte entre le Bien et le Mal s’engage dès leur premier cri.

des naissances sans mère

Comme nous l’avons vu dans le thème “Paternités et maternités merveilleuses” pour les mythes, la semence masculine peut germer seule. Voici quelques exemples de naissances d’enfants qui se sont développés hors de l’utérus d’une mère.

Le dieu Mithra né de la roche

Ce dieu originaire de l’Inde était populaire en Iran et les armées romaines ont répandu son culte dans tout l’empire. Il s’agissait d’une religion à mystère contemporaine de la naissance du christianisme et aucun écrit sacré ne nous est parvenu. Les représentations imagées permettent de reconstituer le parcours du dieu. Deux scènes de sa vie sont bien connues grâce à des sculptures ou des fresques : sa naissance hors d’un rocher d’où il émerge par sa propre puissance, le bas du corps encore prisonnier, et le sacrifice d’un taureau, dont j’ai parlé dans le thème “Le sacrifice”.

Ses adorateurs ne croyaient pas que la Terre mère l’avait engendré, il était considéré comme “autogenitus”, né de lui-même, par sa propre puissance.

La naissance de Mithra, Musée des Thermes de Dioclétien, Rome.

Cent et un bébés dans des pots à couvercle

J’ai à plusieurs reprises évoqué la filiation divine des cinq frères élevés par le roi Pandu. Il est temps de vous raconter la naissance particulière de leurs cousins, nommés les Kauravas.

Dhritarashtra, frère aîné de Pandu, était né aveugle, il avait donc dû renoncer au trône. Son épouse, la vertueuse Gandhari était enceinte de lui depuis deux ans quand elle apprit la naissance du premier fils de Pandu. En colère, elle se mit à frapper son ventre à coup de poings. Les douleurs de l’enfantement se firent enfin sentir, mais ne sortit de son corps qu’une boule de chair dure.

Heureusement, le sage Vyasa, (père secret de Pandu et Dhritarashtra) savait comment réagir devant ce prodige. Il demanda qu’on lui apporte cent pots remplis de beurre fondu. Voici ce que raconte Serge Demetrian :

“Les pots devant lui, le sage divisa cent fois la boule de chair en morceaux de la grosseur d’un pouce et en plaça un dans chaque pot. – Voilà pour tes cents fils, expliqua-t-il à Gandhari, il me reste encore un morceau. À quoi le destines-tu ?”

Comme Gandhari souhaite avoir une fille, le sage dépose le dernier morceau de chair dans un pot supplémentaire. Puis il ordonne à la reine de :

“couvrir les cents un pots et de les déposer dans un endroit caché, dans l’obscurité, pendant deux ans, sans jamais chercher à l’intérieur. (…) Deux ans après, le premier-né apparut (…) La naissance de Duryodhana fut suivie de celle de ses quatre-vingt-dix-neuf frères : ils sortirent de leur pot, un à un, en l’espace d’un mois. Finalement, du cent-unième récipient apparut la fille promise.”

Ci-dessous, dans le paragraphe  “Une naissance maléfique”, vous aurez des détails sur les phénomènes étranges qui accompagnèrent sa sortie du pot à couvercle et qui annonçaient son caractère violent et jaloux.

Duryodana, l’aîné des Kaurava, montre ses milliers de soldats à son maître d’armes Drona, chef de l’armée contre les Pandava. Illustration de Ramanarayanadatta astri, Le Mahabarata numérisé par l’Université de Toronto, Canada.

Drona né dans un vase

Après la mort de Pandu, ses cinq fils sont élevés à la cour de leur oncle Dhritarashtra, en compagnie de ses cent fils. Leur maître d’arme est un héros invincible nommé Drona.

Avec une pointe d’humour, Catherine Clément nous raconte les circonstances particulières de sa naissance : “La naissance de Drona n’a plus rien qui puisse nous étonner. Il naît comme tout le monde de la semence que son père a laissé échapper à la vue d’une fille céleste, une Aspara. La semence de ce père est mise dans un vase (vase se dit droni en sanskrit) et neuf mois plus tard, pousse le petit Drona, qui tient son nom du vase où il a germé.”

Le bel Adonis né d’un arbre

Dans le thème “Le désir amoureux”, vous en saurez plus sur les raisons pour lesquelles les dieux ont métamorphosé en arbre la princesse Myrrha, coupable d’une liaison incestueuse avec son père. (En bref, c’est Aphrodite qui lui a inspiré cette passion interdite.) Au moment de sa métamorphose, elle était enceinte. Ovide nous raconte les détails de l’accouchement :

“Cependant le fruit de l’inceste a germé sous le bois maternel, et cherche à se dégager des liens qui l’emprisonnent. L’arbre en travail s’enfle, se tend. Le fardeau de l’amour déchire ses flancs douloureux, et la voix manque à l’expression de la souffrance. Myrrha ne peut invoquer le secours de Lucine (déesse romaine de l’accouchement) ; mais elle semble prête à enfanter. Elle se recourbe, elle pousse des soupirs profonds, et des larmes roulent sur son écorce humide. L’indulgente Lucine accourt : elle touche de la main les rameaux gémissants et prononce les paroles libératrices. L’arbre s’entr’ouvre, l’écorce fendue donne la vie à son tendre dépôt. L’enfant crie : les Naïades le reçoivent, le couchent sur l’herbe molle, et l’arrosent des larmes de sa mère.”

Les larmes de l’arbre sont les gouttes de résine qui coulent de son écorce : la myrrhe (qui doit son nom au prénom de la princesse) était très recherchée dans l’antiquité pour les offrandes aux dieux et aux morts.

Selon certains auteurs, Aphrodite a également assisté à la naissance d’Adonis et touchée par sa beauté, elle l’a emporté. Pour le mettre en sécurité, elle l’a enfermé dans un coffre qu’elle a fait apporter à Perséphone, la reine du royaume des morts, en lui demandant de le surveiller mais de ne jamais l’ouvrir.

La naissance d’Adonis, gravure de Nicolas André Monsiau,
fin XVIIIe début XIXe siècle.

Vous vous doutez que Perséphone s’empressa d’ouvrir le coffre confié à sa garde. Emerveillée de la beauté du bébé, elle le prit dans ses bras et décida de l’élever. Tout alla bien jusqu’à l’adolescence d’Adonis. Car, à ce moment, sa beauté se développa de façon si troublante que Perséphone en fit son amant. Mise au courant et jalouse, Aphrodite réclama le jugement de Zeus pour décider laquelle des deux possèderait le beau jeune homme.

Les deux puissantes déesses  argumentaient chacune à propos des droits qu’elles avaient sur Adonis et Zeus se garda bien de trancher. Il délégua l’affaire à un tribunal présidé par la muse Calliope.

Ce tribunal décida qu’Adonis devait diviser chaque année de sa vie en trois parties : un tiers qu’il passerait sous terre avec la reine des morts, un autre tiers qu’il passerait avec Aphrodite ; le troisième tiers, il pouvait le passer seul ou avec qui bon lui semblait. La déesse de l’amour usa de son pouvoir pour persuader le garçon de rester avec elle durant ce dernier tiers, ce qui lui donnait Adonis huit mois par ans, deux fois plus que le temps accordé à Perséphone.

Vénus (Aphrodite) et Adonis, par Cornelisz Van Haarlem, 1614.
Musée des Beaux Arts de Caen. Photo Jean-Louis Mazières.

Erichthonios dans un panier

Dans le thème “Paternités et maternités merveilleuses”, j’ai raconté comment le sperme d’Héphaïstos tombé sur la Terre mère a fait éclore un enfant. La Terre mère ne voulait pas s’en occuper mais Athéna e eu pitié de ce petit être. Les récits disent qu’elle le déposa dans un panier, en ferma le couvercle et le confia aux filles du roi d’Athènes, avec interdiction de l’ouvrir. Bien sûr, elles l’ouvrirent et furent terrifiées de découvrir un bébé dont le corps se terminait en forme de serpent ou bien, selon d’autres auteurs, un bébé accompagné d’un serpent.

Erichtonios sortant du panier ouvert par les filles du roi,
gravure d’Antonio Tempesta, 1606

Le site Polyxenia en Méditerranée nous précise que cet être né de la Terre est ensuite devenu roi : “Roi légendaire d’Athènes, Erichthonios a fait l’objet après sa mort d’un culte héroïque, et un sanctuaire a été construit en son honneur, dès l’époque archaïque, du côté nord de l’acropole. Il a été reconstruit entre 421 et 406 av.JC, par Mnésiclès et Phidias, en même temps que le Parthénon.”

Une partie de ce temple est encore visible : c’est le plus bel exemple antique de l’emploi de statues féminines en guise de colonnes, les caryatides.

Le Porche des Caryatides de l’Érechthéion. Photo Guillaume Piolle. Créées en l’honneur d’Erichthonios, ces statues veillent sur Athènes depuis 2500 ans.

Avant de connaître les récits de la mythologie hindoue, j’avoue que je ne comprenais pas pourquoi les bébés Adonis et Erechtonios étaient enfermés, l’un dans un coffre, l’autre dans un panier à couvercle, et confiés à des “nounous” qui avaient interdiction de les regarder. Dans ces conditions comment pouvaient-elles s’occuper des nouveaux-nés ?

Je pense que les “pots” et le “vase” où les cent fils de Dhritarashtra et Drona ont éclos sont les équivalents des “coffre” et “panier” de la mythologie grecque. Peut-être qu’à l’origine, Adonis et Erichtonios n’avaient pas fini leur développement et qu’ils devaient l’achever à l’abri, comme les bébés des mythes indiens.

Les personnes qui ont transmis ces mythes au fil des siècles ont oublié ce détail de la “prématurité” mais ont conservé le fait d’enfermer les enfants loin des regards.

La difficulté de l’accouchement

Quand l’enfant accomplit normalement son développement dans un utérus féminin (humain ou divin, peu importe), sa sortie n’est pas toujours facile. L’enfantement est, comme toute chose, soumis à la puissance des dieux, ou plus exactement, des déesses, car il s’agit d’un domaine purement féminin.

Les mâles (humains ou divins, peu importe) versent fièrement le sang à la guerre mais se tiennent à l’écart du sang des accouchements, sang typiquement féminin, donc impur, donc magiquement dangereux.

Monde biblique

La douleur en punition

Parce qu’elle a mangé du fruit de l’arbre de la connaissance du bien et du mal, son créateur bien aimé punit Eve (et toutes les femmes de l’humanité à venir !) en lui infligeant de la douleur pendant les grossesses et les accouchements, comme le raconte le livre de la Genèse, chapitre 3, verset 16 :

“Dieu dit à la femme : J’augmenterai la souffrance de tes grossesses, tu enfanteras avec douleur, et tes désirs se porteront vers ton mari, mais il dominera sur toi.”

L’impureté de l’accouchement

Chacun sait qu’un accouchement provoque une perte de sang. Or, pour les peuples qui inventèrent les mythes, le sang est chargé de force magique et il est toujours dangereux d’avoir un contact avec lui. Le Lévitique chapitre 12, versets 1 à 5 prescrit une forme de quarantaine pour tenir à l’écart les femmes qui viennent d’accoucher :  

“L’Éternel dit à Moïse : Parle aux enfants d’Israël, et dis : Lorsqu’une femme deviendra enceinte, et qu’elle enfantera un mâle, elle sera impure pendant sept jours ; elle sera impure comme au temps de son indisposition menstruelle.

Le huitième jour, l’enfant sera circoncis.

Elle restera encore trente-trois jours à se purifier de son sang ; elle ne touchera aucune chose sainte, et elle n’ira pas au sanctuaire, jusqu’à ce que les jours de sa purification soient accomplis.

Si elle enfante une fille, elle sera impure pendant deux semaines, comme au temps de son indisposition menstruelle ; et elle restera soixante-six jours à se purifier de son sang.”

Je ne fais pas de commentaire sur le fait que la naissance d’une fille rend la mère impure deux fois plus longtemps que la naissance d’un garçon.

Mythologie grecque

Malgré leur puissance, les déesses ou les reines aimées des dieux n’échappent pas à la difficulté de l’accouchement.

La difficile naissance d’Apollon et d’Artémis

Nous avons déjà vu plusieurs fois que Héra, déesse du mariage, persécutait les amantes humaines de son mari Zeus. La déesse Léto subit aussi sa haine, et pourtant Zeus avait été son amant avant d’être l’époux de Héra ! Héra décréta que Léto enceinte ne pourrait accoucher nulle part sur terre, en aucun lieu éclairé par le soleil. De plus, elle la faisait poursuivre par le dragon Python.

Heureusement, Léto, aidée de Zeus, put se réfugier sur une île qui dérivait sur la mer (une île flottante, miam…) et Poséidon, le frère de Zeus, provoqua une vague géante qui cachait le soleil. Les conditions étaient donc remplies pour que Léto échappe à la malédiction de Héra : elle n’était pas sur terre et n’était pas éclairée par le soleil.

Mais Héra, qui voulait toujours avoir le dernier mot, retint près d’elle la déesse des accouchements, Ilithyie. Alors les déesses amies de Léto envoyèrent Iris (l’arc-en-ciel) corrompre Ilithyie en lui offrant un très beau collier d’or et Ilithyie accepta enfin de venir aider Léto, qui attendait la délivrance depuis neuf jours. En plus, il s’agissait de jumeaux !

La naissance retardée d’Héraclès

Nous avons vu dans le thème “Mourir d’aimer” que la reine de Thèbes,  Alcmène, a failli payer de sa vie sa nuit d’amour avec Zeus, mais il a fait tomber la pluie pour arrêter les flammes du bûcher qui allait punir son infidélité.

Fier de la grossesse en cours, Zeus annonça aux dieux qu’allait naître un descendant du héros Persée et que cet enfant serait le maître et protecteur de la Grèce. En effet, Alcmène était la petite-fille de Persée.

Mais aussitôt, Héra mit au point une ruse pour priver Héraclès de son titre de roi. Elle hâta la naissance d’un cousin du héros, Eurysthée, qui naquit à seulement 7 mois. C’était lui le premier descendant de Persée qui venait au monde, et c’était donc lui le maître de la Grèce, pour obéir aux paroles de Zeus.

Alcmène venait de mettre au monde Iphiclès, engendré par la semence de son mari le roi Amphitryon. Alors, pour retarder la naissance d’Héraclès, Héra demanda l’aide d’Ilithye, la déesse des accouchements.

Le Grenier de Clio raconte ainsi la méthode employée : “Ilithyie se rendit à Thèbes, s’accroupit, les jambes croisées devant la porte de la reine, fit des nœuds à ses vêtements et serra ses doigts les uns contre les autres.”

Bel exemple de magie imitative : en multipliant les “noeuds” sur son corps, la déesse des accouchements provoque des “noeuds” dans le corps de la reine !

L’accouchement d’Alcmène. Gravure de Virgil Solis pour les Métamorphoses d’Ovide, livre XI, 285-323. Francfort, 1581.

Sur l’illustration ci-dessus, on voit au fond de l’image la servante qui parle à la déesse des accouchements pour la faire “se dénouer”. Tout à fait à droite au fond de l’image, Héra est en train de battre la rusée et il y a déjà la belette dans laquelle celle-ci va s’incarner, par la puissance de la déesse. Alcmène est accroupie et les femmes le sont aussi, ou bien sont agenouillées.

L’accouchement d’Alcmène, gravure illustrant le livre “L’accouchement dans les beau-arts” de Gustave-Joseph Witkowsky, 1894, Bibliothèque de l’Université de Toronto.

Dans cette gravure plus récente, l’accouchée est assise et la sage-femme est agenouillée pour recevoir l’enfant. D’autres images de cette naissance sont visibles sur le site Le Grenier de Clio, à l’article La naissance d’Héraclès, ce qui permet de comparer les postures d’accouchement avec celle d’aujourd’hui.

Les positions assise ou accroupie ont été utilisées pendant des millénaires, parce qu’elles favorisent l’accouchement, mais quand les médecins se sont mis à diriger les accouchements, vers le XIXe siècle, ils ont décidé de placer la future mère en position couchée, pour eux plus confortable et plus prestigieuse.

les plus merveilleuses naissances d’enfants divins

Danseuses célestes sculptées,
temple d’Udaipur, Inde.
Photo Gerd Eichmann.

La naissance de Krishna

Le Mahabarata (Serge Demetrian) raconte la naissance de Krishna. Sous ce nom, le dieu Vishnou a décidé de venir sur terre  pour lutter contre le Mal :

“L’enfant divin naquit une nuit d’été à minuit. Au moment où ce nouveau sauveur vint au monde, la mer joyeuse gonfla ses vagues écumantes et les montagnes de granit tremblèrent. Des flammes s’élevèrent des cendres mortes. Les doux zéphyrs parfumèrent l’air, la terre s’arrêta longuement dans sa course, les essaims d’étoiles brillèrent plus lumineux dans le ciel.

Les dieux se présentèrent et l’un après l’autre ils adorèrent l’enfant divin et lui offrirent des fleurs. Les nymphes, les êtres des nuages, tous les musiciens célestes dansèrent, chantèrent, jouèrent.”

La naissance d’Arjuna

C’est encore à Serge Demetrian que j’emprunte ces détails sur la naissance d’Arjuna, fils du dieu Indra et qui sera élevé par le roi Pandu :

“À sa naissance, une voix céleste retentit dans le ciel : – Heureuse es-tu entre toutes les femmes, Kunti ! Ton fils sera invincible comme Indra, il introduira à nouveau dans ta maison Lakshmi, la déesse de l’abondance. (…) Des timbales retentirent ; leurs vibrations remplissaient l’espace. Une pluie de fleurs multicolores descendit lentement des nuages. Tous les dieux descendirent de leur domaine pour honorer Arjuna. Les autres êtres célestes les accompagnaient : les musiciens des nuées, les sept grands sages, les créateurs des mondes, les nymphes du ciel, les grands serpents et leurs aides ; aucun habitant de l’éther ne resta à l’écart.”

La naissance de Bouddha

Les légendes bouddhistes racontent que la mère du Bouddha l’a conçu en songe, pénétrée au côté par un éléphant blanc à six défenses (voir le thème précédent “Paternités et maternités merveilleuses”.

Comme il y était entré spirituellement, l’enfant est sorti par le côté de sa mère, sans douleur pour elle. Elle se trouvait debout sous un arbre qui a abaissé l’une de ses branches pour qu’elle l’attrape en levant un bras, et par le côté ainsi dégagé, l’enfant est né. Signes traditionnels de la joie céleste dans les mythes indiens, une douce pluie de pétales de fleurs est tombée du ciel au moment de cette naissance.

Sitôt né, le futur Bouddha s’est mis debout et a pris possession symboliquement de l’univers en se tournant vers les points cardinaux.

Sa mère est morte sept jours après sa naissance et le petit Siddhartha sera élevé par Prajapati Gautami, sa tante maternelle et la coépouse du roi son père. C’est d’elle qu’il tiendrait la deuxième partie de son nom : Gautama.

La naissance du Bouddha, sculpture des I-IIIe siècle, région de Gandhara, Pakistan, Musée Guimet à Paris, photo Jean-Pierre Dalbéra.

La nativité de Jésus

Dans le chapitre 2 de son Evangile, Luc nous explique que l’empereur romain a ordonné le recensement de toute la population de l’Empire. Joseph quitte donc la ville où il habite, pour aller se faire recenser dans son village d’origine, Bethléem, ville de l’ancien roi David :

“Pendant qu’ils étaient là, le temps où Marie devait accoucher arriva, et elle enfanta son fils premier-né. Elle l’emmaillota et le coucha dans une crèche, parce qu’il n’y avait pas de place pour eux dans l’hôtellerie. Dans les environs, des bergers passaient la nuit aux champs pour garder leurs troupeaux.

Et voici, un ange du Seigneur leur apparut, et la gloire du Seigneur resplendit autour d’eux. Ils furent saisis d’une grande frayeur. Mais l’ange leur dit : Ne craignez point ; car je vous annonce une bonne nouvelle, qui sera pour tout le peuple le sujet d’une grande joie : aujourd’hui, dans la ville de David, un Sauveur vous est né, qui est le Christ, le Seigneur. Et voici à quel signe vous le reconnaîtrez : vous trouverez un enfant emmailloté et couché dans une crèche.

Et soudain une multitude de l’armée céleste se joignit à l’ange, louant Dieu en chantant :

– Gloire à Dieu dans les cieux très hauts, et paix sur la terre parmi les hommes qu’il aime !

Lorsque les anges les eurent quittés pour retourner au ciel, les bergers se dirent les uns aux autres : Allons jusqu’à Bethléhem, et voyons ce qui est arrivé, ce que le Seigneur nous a fait connaître.

Ils y allèrent en hâte, et ils trouvèrent Marie et Joseph, et le petit enfant couché dans la crèche. Après l’avoir vu, ils racontèrent ce qui leur avait été dit au sujet de ce petit enfant.”

La Nativité, par Giotto, chapelle de l’Arena à Padoue, XIVe siècle. Au premier plan, Saint Joseph sommeille près de l’âne et du bœuf ; les bergers sont venus avec quelques bêtes. Au centre, Marie est couchée avec l’enfant. Dans le ciel, les anges musiciens.

L’Evangile de Matthieu (chapitre 2) apporte une autre précision qui ajoute à cette naissance une dimension cosmique et royale.

“Jésus étant né à Bethléhem en Judée, au temps du roi Hérode, voici que des mages d’Orient arrivèrent à Jérusalem et dirent : – Où est le roi des Juifs qui vient de naître? car nous avons vu son étoile se lever en Orient, et nous sommes venus pour l’adorer.

Le roi Hérode, ayant appris cela, fut troublé, et tout Jérusalem avec lui. (…)

Et voici, l’étoile qu’ils avaient vue en Orient marchait devant eux. Etant arrivée au-dessus du lieu où était le petit enfant, elle s’arrêta. Quand ils aperçurent l’étoile, ils furent saisis d’une très grande joie.

Ils entrèrent dans la maison, virent le petit enfant avec Marie, sa mère, se prosternèrent et l’adorèrent ; ils ouvrirent ensuite leurs trésors, et lui offrirent en présent de l’or, de l’encens et de la myrrhe. Puis, divinement avertis en songe de ne pas retourner vers Hérode, ils regagnèrent leur pays par un autre chemin.”

Vitrail de l’adoration des mages, église Saint-Martin d’Egreville.

Une naissance maléfique

La naissance de Duryodhana

Je rappelle que dans l’épopée indienne du Mahabharata, Duryodhana est le premier fils du roi aveugle Dhritarashtra qui sort du pot où il a germé pendant deux ans. C’est encore Serge Demetrian qui est notre grand reporter :

“On dit qu’à sa naissance, Duryodhana, au lieu de crier comme tout autre enfant, se mit à braire comme un âne. Les chacals, les vautours et les ânes commencèrent alors à glapir, à croasser et à braire ; des vents secs soufflèrent en rafales, répandant des flammes violentes.”

Inquiet, le roi réunit ses conseillers, ses sages, ses astrologues. Pendant qu’ils parlent, les signes s’intensifient  et tous sont d’avis que ce sont de mauvais présages :

“Tout laisse prévoir que ce fils détruira ta dynastie. Ô roi, ne le reconnais pas ! Si tu le gardes parmi nous, une catastrophe menace. Il t’en reste quatre-vingt-dix-neuf, ô roi, ne le reconnais pas.”

Mais le roi n’écoute pas ses conseillers et garde Duryodhana, qui effectivement, par une guerre terrible, amènera la destruction des cent fils et de milliers de guerriers.

Les dangers des premiers jours

Autour de ces enfants divins nés pour protéger et sauver les humains, il y a tellement d’enjeux de pouvoir que le Mal ne tarde pas à s’approcher d’eux. Il prend des formes variées pour essayer de détruire ces bébés qui incarnent le Bien.

Les bébés Artémis et Apollon empêchés de boire

Les jumeaux divins enfantés par Léto sur l’île flottante ne furent pas allaités comme des enfants ordinaires, mais reçurent la nourriture des dieux : le nectar et l’ambroisie. Cette nourriture magique eut un effet immédiat : Apollon rejeta ses langes et choisit lui-même ses domaines d’action : la musique, l’arc et la prophétie, ce qui en langage divin s’exprime ainsi : «J’aimerai l’agréable cithare et l’arc recourbé, et j’annoncerai aux mortels les véritables desseins de Zeus.» Un surdoué du langage, ce petit ! Il sera donc le protecteur des poètes.

Léto quitta l’île en emportant ses deux bébés et chercha un lieu tranquille pour s’occuper d’eux. Mais Héra poursuivait de sa haine ces fruits d’un adultère. Un jour que Léto  voulait les laver et les abreuver avec l’eau pure d’un lac, Héra ordonne aux paysans du coin de l’en empêcher. Ils obéissent aussitôt, comme le raconte Ovide : “Ils plongent dans l’eau leurs pieds et leurs mains pour en troubler la pureté, ils y bondissent méchamment pour soulever la boue épaisse qui reposait au fond du lac.” Furieuse, Léto s’écrie : Vivez à jamais dans cette eau” et elle transforme les paysans en grenouilles.”

Latone (Léto) transforme les paysans lyciens en grenouilles, par Francesco Albani, XVIIe siècle, Musée de Dôle.

Bébé Héraclès et les serpents

Puisqu’elle n’avait pas pu empêcher la naissance du futur Héraclès, Héra décida de s’en débarrasser : elle envoya deux serpents dans son berceau, mais le nouveau-né était vraiment la semence de Zeus : de ses petites mains, il étrangla tout de suite les serpents. Lui aussi était un surdoué dans son domaine, celui de la force physique.

Bébé Héraclès étrangle les serpents, sculpture romaine du IIe siècle après notre ère, Musées Capitolins, Rome, photo Marie-Lan Nguyen.

Un échange d’enfants pour sauver la vie de bébé Krishna

Krishna, qui est, je le rappelle, une incarnation du dieu hindou Vishnou pour combattre le Mal, a été mis au monde par Devaki, épouse d’un ministre du méchant roi Kamsa. Une prophétie a prévenu le roi que le huitième enfant de Devaki le tuera. De peur de ne pas bien les compter et d’en manquer un, Kamsa a systématiquement mis à mort tous les enfants qui sont nés de la pauvre Devaki emprisonnée dans son palais.

Et voici que naît sans bruit le huitième enfant, Krishna. Notre reporter Serge Demetrian raconte comment il va être sauvé pendant la nuit :

“L’enfant céleste avait endormi les soldats de garde et ne poussait aucun cri. (son père terrestre, Vasudeva, parvient à le sortir du palais et l’emporte au bord du grand fleuve Yamuna, alors en crue) Aucune barque, aucun passeur. Vasudeva était là, saisi d’angoisse, lorsque soudain le fleuve se retira, laissant un passage à sec ; il s’engagea sans hésiter.”

(Vous avez reconnu le motif de l’eau qui se retire pour laisser passer les fuyards, comme dans le passage de la Mer rouge et dans de nombreux contes.)

De l’autre côté du fleuve, il y a un village où tout le monde dort. Sans bruit, l’enfant est déposé dans une maison, à la place d’une petite fille qui vient de naître. Vasudeva emporte la petite auprès de son épouse Devaki, laissant le bébé Krishna aux bons soins de la villageoise. Elle se nomme Yasoda et sera une mère très attentive.

Krishna tétant Yasoda, sa mère adoptive, sculpture en bronze, Inde, XIIe siècle.

Le lendemain, le méchant roi Kamsa vient pour tuer le bébé qu’il croit être l’enfant de Devaki.

À cet endroit du récit, les versions sont différentes.

Serge Demetrian dit : “Mais au moment où le roi empoigna la petite fille, celle-ci lui glissa des mains, prit la forme d’un être céleste et avant de s’envoler par la fenêtre, avertit le tyran : – Celui qui va soulager le monde vit non loin d’ici, ô Kamsa, tu ne lui échapperas pas.”

Selon Catherine Clément, l’horrible Kamsa accomplit bel et bien l’infanticide : “Toutefois, avant de disparaître, la déesse qui s’est échappée du corps de la fillette fracassée sur un rocher a eu le temps d’avertir Kamsa que son meurtrier est déjà né.”

Car cette fillette est en réalité une incarnation de la déesse Nidra amie de Vishnou et elle n’est venue sur terre que pour tromper le méchant roi. Ouf, sa mort n’est pas un drame mais un retour dans son vrai monde.

La déesse repart au ciel sous les regards terrifiés de Kamsa et ses soldats, par Raja Ravi Varma, 1890.

Un massacre d’innocents

Pour supprimer celui dont le destin est de le tuer, Kamsa décide de faire mourir tous les enfants nés en ce même mois. Pour cela, il fait appel à une sorcière nommée Putana. Sur son ordre, elle s’en va de maison en maison ; en se faisant passer pour une nourrice, elle offre le sein à tous les nouveaux nés qui boivent son lait et meurent empoisonnés. Elle arrive enfin à la maison où est caché Krishna et lui offre le sein…

Aïe, aïe, aïe, pensez-vous, lecteurs de peu de foi ! Rassurez-vous, non seulement le dieu incarné ne meurt pas, mais en tétant la sorcière, il provoque sa mort, bien fait pour elle !

Krishna va grandir paisiblement dans le petit village au bord de la rivière, parmi de modestes bouviers. Il y sera très heureux, gâté par Yasoda sa mère adoptive, malgré les nombreuses bêtises de ce petit coquin.

Comme le destin l’avait prévu, devenu adulte, il détruira Kamsa, et avant lui, bien d’autres méchants, nous aurons l’occasion d’en reparler.

Yasoda pare Krishna,
par Raja Ravi Varma.

La fuite pour sauver Jésus

Continuons à lire le récit de Matthieu, chapitre 2 :

“Un ange du Seigneur apparut en songe à Joseph, et lui dit : Lève-toi, prends le petit enfant et sa mère, fuis en Égypte, et restes-y jusqu’à ce que je te parle ; car Hérode cherchera le petit enfant pour le faire périr.

Joseph se leva, prit de nuit le petit enfant et sa mère, et se retira en Égypte. Il y resta jusqu’à la mort d’Hérode.”

Un autre massacre d’innocents

“Alors Hérode, voyant qu’il avait été joué par les mages, se mit dans une grande colère, et il envoya tuer tous les enfants de deux ans et au-dessous qui étaient à Bethléem et dans tout son territoire, selon la date dont il s’était soigneusement enquis auprès des mages.

Alors s’accomplit ce qui avait été annoncé par Jérémie, le prophète : On a entendu des cris à Rama, Des pleurs et de grandes lamentations ; Rachel pleure ses enfants, et n’a pas voulu être consolée, parce qu’ils ne sont plus.”

Le massacre des Innocents, par Nicolas Poussin, XVIIe siècle,
Musée Condé à Chantilly, Oise.

Dans tous ces récits,  les cas apparemment les plus dramatiques sont ceux où le danger vient de la mère elle-même. Nous retrouvons nos deux déesses mariées par obligation à des humains. Elles vont être fécondes mais… pas satisfaite de leur progéniture.

Thétis brûle ses six fils

Selon certaines versions des mythes grecs, Thétis enfanta sept enfants à son mari le roi Pelée.  La déesse voulut les débarrasser de leur part mortelle en les plongeant dans le feu. Mais les six premiers moururent  pendant cette entreprise de purification.

Dans sa Bibliothèque, livre III, 13, 6,  Apollodore ne parle que d’un enfant, le septième, lui aussi mis en danger par désir de pureté divine :

“Thétis mit au monde un enfant, elle voulut le rendre immortel ; aussi, à l’insu de Pélée, la nuit elle trempait le bébé dans le feu, pour détruire la partie mortelle qu’il avait reçue de son père, et, le jour, elle l’oignait d’ambroisie. Mais Pélée l’épia, il vit l’enfant se tordre dans les flammes, et poussa un cri : Thétis fut contrainte d’arrêter son projet ; elle abandonna l’enfant et retourna auprès des Néréides. Pélée amena son fils à Chiron. Le Centaure le nourrit d’entrailles de lion et de sanglier, et de moelle d’ours ; il l’appela Achille (son premier nom était Ligyron), parce que jamais il n’avait approché ses lèvres d’un sein. (Texte cité d’après le site d’Hugo Bratelli.) 

Je reviendrai sur l’éducation d’Achille dans le thème “L’éducation des héros”.

Selon le récit le plus connu (probablement parce que c’est le moins cruel) Thétis entreprit de purifier son fils de sa partie mortelle en le plongeant dans la rivière Styx, qui coule au royaume des morts et à laquelle les mythes attribuent de nombreux pouvoirs. L’opération réussit parfaitement… si ce n’est que le talon par lequel elle tenait l’enfant ne toucha pas l’eau purificatrice.

Lors de la guerre de Troie, le dieu Apollon ami des Troyen et qui connaissait cette faiblesse d’Achille, guida la flèche de Pâris vers le talon du héros grec. Rattrapé par sa part mortelle, le fils de Thétis ne survécut pas à cette blessure en apparence sans gravité.

Thétis plonge son fils dans les eaux du Styx, par Antoine Borel, XVIIIe siècle.

Ganga noie ses sept fils

Après son mariage avec le roi Shantanu, la déesse du Gange fut enceinte de lui. Serge Demetrian nous raconte : “Ils eurent sept enfants, sept fils, mais, à la stupeur du roi, de sa cour et de tout le peuple, dès qu’un enfant naissait, la reine le prenait dans ses bras, se dirigeait vers la rivière et le jetait dans les flots.”

Fidèle à sa promesse de ne jamais interroger sa femme sur ses origines et le pourquoi de ses comportements, Shantanu n’a jamais rien dit,  mais à la naissance du huitième fils, il se révolte :

“Celui-ci, tu ne le tueras pas! Qui es-tu et d’où viens-tu ? Pourquoi assassines-tu tes propres enfants ?”

Elle lui explique qui elle est en réalité, une déesse qui a pris forme humaine et a accepté de donner forme humaine à sept dieux condamnés eux aussi à une existence terrestre.

“Ayant promis de les libérer au plus tôt du joug de la vie, je noyais leur corps, tandis que leur âme, leur vraie nature étincelante, regagnait dans la joie sa demeure céleste.”

Comme il n’a pas respecté sa promesse de ne jamais l’interroger sur son comportement, elle disparaît en emportant le bébé, après avoir promis de le rendre plus tard. Shantanu reste seul, désespéré d’avoir perdu femme et enfant. 

Ganga quitte Shantanu en emportant leur fils, par Raja Ravi Varma,

Fidèle à sa promesse, Ganga ramène l’enfant seize ans plus tard : il est devenu un beau jeune homme aussi savant en saintes Écritures que dans l’art de la guerre. Shantanu le reprend avec joie, le nomme Devravata (ce qui signifie Voeux divin) et bientôt l’intronise prince héritier. Mais il ne sera jamais roi, nous verrons pourquoi avec le thème “Le désir amoureux”.

Ganga ramène son fils à Shantanu, gravure populaire.

Que conclure pour notre époque ?

Dans le thème “Paternités et maternités merveilleuses”, nous avons vu que, pour la pensée mythique, il y a toutes sortes de façons d’être parents. Cela est aussi le cas dans notre vie réelle d’aujourd’hui, et cela n’a rien d’effrayant puisque des millénaires de vie mythique nous y ont préparés : Jésus, aussi bien que Krishna, avait deux pères… Et Pasiphaé calinait son petit monstre comme n’importe quelle mère.

Les naissances merveilleuses des héros sont des messages d’espoir : ces bébés menacés  finissent toujours par vaincre le Mal. Il y a toujours une forme d’amour qui les sauve : mère réelle, mère adoptive, éducateur… Si les plus anciens mythes valorisent la semence masculine par ignorance de la génétique, dans toutes les cultures, les représentations de la femme nourricière et éducatrice compensent largement ce déséquilibre.

Yasoda et Krishna, peinture indienne contemporaine.

Vierge à l’Enfant par Lucas Cranach l’Ancien, vers 1518. Karlsruhe, Staatliche Kunsthalle. Photo Jean-Louis Mazières, Ipernity.

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