3 Raconter la guerre : Monde hébreux

Un seul dieu, à la fois protecteur et destructeur

Les mythes guerriers des Hébreux ont la même vision du monde que les mythes guerriers des Grecs ou des Romains : le combat est décidé par la volonté divine ; le héros élu par le dieu sera vainqueur grâce à l’aide divine, puisque tout arrive par volonté divine. 

Nous avons vu à travers L’Iliade et L’Énéide que les dieux et déesses se choisissent un peuple et le font prospérer au détriment des autres peuples. Dans le conflit opposant les Troyens et les Grecs, Aphrodite (Vénus) aide les Troyens, tandis que Héra (Junon) protège les Grecs. Quand les Troyens survivants arrivent en Italie, Vénus continue à favoriser les Troyens, alors que Junon soutient les Latins, en faisant tout ce qu’elle peut pour détruire les Troyens.

Dans les mythes guerriers que contient la Bible, le point capital est que seul le dieu des Hébreux agit : il est le seul protecteur de son peuple, le seul destructeur des autres peuples et parfois, le destructeur de son propre peuple, quand il désobéit ! Les autres dieux n’agissent pas, preuve qu’ils n’existent pas !

Dieu le père, sculpture de la cathédrale Saint-Sauveur à Bruges, en Belgique. Photo Pixabay. Traditionnellement, les chrétiens représentent leur dieu comme un majestueux vieillard barbu. Les Juifs ne représentent pas leur dieu.

La promesse d’une terre fertile

Quand commence le livre de L’Exode, les Hébreux eux-mêmes ne connaissent pas le dieu qui va les faire sortir d’Egypte. Cela fait 400 ans que ce peuple vit en Egypte et le dieu qui se manifestait à Abraham et à Jacob a coupé le contact. 

Au début du récit, le dieu décide de s’occuper à nouveau de son peuple. Il choisit Moïse pour être l’interlocuteur qui recevra ses instructions. (Voir l’épisode du Buisson ardent, dans le thème “La rencontre avec le dieu”). La voix immatérielle qui transmet les instructions assure à Moïse que le peuple hébreux va réaliser un brillant parcours : 

“Je suis descendu pour le délivrer de la main des Égyptiens, et pour le faire monter dans un bon et vaste pays, dans un pays où coulent le lait et le miel, dans les lieux qu’habitent les Cananéens, les Héthiens, les Amoréens, les Phéréziens, les Héviens et les Jébusiens.” (Exode, chapitre 3) 

La première étape de la longue série de destructions guerrières réalisées par le dieu des Hébreux est l’engloutissement de l’armée égyptienne lancée à la poursuite des esclaves fugitifs.

L’armée de pharaon engloutie dans la Mer rouge, gravure de Gustave Doré. (Livre de L’Exode) 

Après le passage de la mer rouge, Moïse conduit le peuple vers la terre promise. 

(Six siècles après la rédaction de ce récit hébreux, Virgile racontera comment Zeus envoie les Troyens conduits par Enée conquérir la riche campagne où coule le Tibre.)

Un pays fertile mais dangereux

Après le récit de l’Exode, le livre des Nombres raconte la vie des Hébreux dans le désert. Moïse envoie des espions observer le pays à conquérir. Au bout de quarante jours, les espions reviennent et confirment la fertilité du pays en ramenant des fruits énormes.

La grappe de raisin prouvant la fertilité de la terre promise. Faience de Nevers vers 1640. Musée du Louvre.

Cette céramique illustre le passage où Moïse envoie des espions explorer le pays convoité : “ ils coupèrent une branche de vigne avec une grappe de raisin, qu’ils portèrent à deux au moyen d’une perche” (Livre des Nombres, 13-23)

Mais les espions disent aussi que c’est un pays dangereux : “tous ceux que nous y avons vus sont des hommes d’une haute taille ; et nous y avons vu les géants, enfants d’Enac, de la race des géants : à côté d’eux, nous étions comme des sauterelles.”

Le retour des envoyés dans le pays de Canaan, avec la grappe fabuleuse, par Gustave Doré.

Menace divine de destruction du peuple hébreux

Terrifié à l’idée de combattre des géants, le peuple pousse des cris et veut retourner en Egypte. Furieux de leur manque de confiance, le dieu menace de tous les exterminer :  “L’Éternel dit à Moïse : Jusqu’à quand ce peuple me méprisera-t-il ? Jusqu’à quand ne croira-t-il pas en moi, malgré tous les prodiges que j’ai faits au milieu de lui ? Je le frapperai par la peste, et je le détruirai ; puis je tirerai de toi une nation plus grande et plus puissante que lui.”

Moïse réussit à convaincre le dieu de ne pas mettre sa menace à exécution. Le peuple hébreux est épargné (ouf !) et simplement condamné à rester dans le désert pendant quarante ans, le temps que disparaisse la génération qui a douté de la puissance du dieu. 

Comme la vie est dure dans le désert, le dieu fait tomber de la nourriture qu’il suffit de ramasser : la manne. 

La récolte de la manne, par le Maître de la manne, vers 1460, Musée de la Chartreuse, Douai. Photo Jean-Louis Mazières/flickr.

Un dieu qui choisit ses prêtres

Ces quarante années de séjour dans le désert permettent au peuple hébreux de se familiariser avec les exigences morales et religieuses de son dieu. Ces exigences sont présentées dans les livres qui suivent L’Exode :  Lévitique, Nombres et Deutéronome.

Moïse est le seul humain à qui le dieu donne les instructions. Aaron, frère de Moïse, est le prêtre qui assure le service divin : offrandes d’encens et de parfums, toutes sortes de sacrifices…  Mais quelques Israélites sont jaloux de l’importance prise par les deux frères. Ils veulent eux aussi présenter l’encens. Moïse rapporte fidèlement au dieu les propos des trois meneurs de la révolte : Coré, Datan et Abiron. 

Par l’intermédiaire de Moïse, le dieu ordonne que les trois meneurs et les 250 Anciens qui les suivent se présentent le lendemain devant son sanctuaire avec leurs encensoirs à parfum.

Le lendemain, Moïse explique au peuple assemblé que le dieu va choisir lui-même les personnes autorisées à rendre le culte.

“Comme il achevait de prononcer toutes ces paroles, la terre qui était sous eux se fendit. La terre ouvrit sa bouche, et les engloutit, eux et leurs tentes, avec tous les gens de Coré et tous leurs biens. Ils descendirent vivants dans le séjour des morts, eux et tout ce qui leur appartenait ; la terre les recouvrit, et ils disparurent du milieu de l’assemblée. 

L’engloutissement de Coré et de ses biens, par Gustave Doré.

 

Tout Israël, qui était autour d’eux, s’enfuit à leur cri, en disant : – Fuyons, de peur que la terre ne nous engloutisse ! 

Un feu sortit d’auprès de l’Éternel, et brûla les deux cent cinquante hommes qui lui offraient le parfum.” (Livre des Nombres, chapitre 16)

La destruction des partisans de Coré, détail d’une fresque de Sandro Botticcelli, mur de la Chapelle Sixtine, Vatican. 1482.

La victoire grâce aux prêtres

La punition de Coré et des autres hébreux mécontents souligne l’énorme importance des religieux dans ces récits de guerre : de nombreux passages montrent que la vaillance des guerriers ne sert à rien si les religieux ne les soutiennent pas par la prière, comme pendant le combat contre l’armée du roi Amalek : 

“Moïse, Aaron et Hour étaient montés au sommet de la colline. Quand Moïse tenait la main levée, Israël était le plus fort. Quand il la laissait retomber, Amalec était le plus fort. Mais les mains de Moïse s’alourdissaient ; on prit une pierre, on la plaça derrière lui, et il s’assit dessus. Aaron et Hour lui soutenaient les mains, l’un d’un côté, l’autre de l’autre. Ainsi les mains de Moïse demeurèrent levées jusqu’au coucher du soleil. Et Josué triompha des Amalécites au tranchant de l’épée.” (Exode, 17, 8-13) 

La victoire de Josué sur les Amalécites, par Nicolas Poussin, 1625, Musée de L’Ermitage à Saint-Pétersbourg. En haut du tableau, Moïse soutient le combat en priant, bras levés et soutenus par ses aides.

Les ennemis : des païens méprisables

Outre  l’importance des prêtres dans ces récits guerriers, la grande différence par rapport aux récits d’autres peuples est la façon dont sont présentés les ennemis. Dans L’Iliade, tous les guerriers sont valeureux, aussi bien Grecs que Troyens. Sans tenir compte de la nationalité, Homère valorise tous les membres de la caste guerrière. Et bien entendu, Virgile présente comme valeureux les Latins qui combattent Enée et ses Troyens.

Dans les récits guerriers hébreux, les ennemis sont toujours présentés comme impurs et méprisables, car adorateurs de faux dieux. Ils ne sont que des silhouettes qu’on détruit.

Le déroulement de la conquête

Avant d’entreprendre la conquête, Josué envoie deux deux espions dans la première ville rencontrée : Jéricho. 

Les espions et la prostituée Rahab

Le chapitre 2 raconte que les espions sont poursuivis par les soldats du roi, mais une prostituée accepte de les cacher, car elle craint la puissance de leur dieu :

“nous avons perdu courage, car c’est votre dieu qui est Dieu en haut dans les cieux et en bas sur la terre. Et maintenant, je vous prie, jurez-moi par l’Éternel que vous aurez pour la maison de mon père la même bonté que j’ai eue pour vous. Promettez moi de laisser vivre mon père, ma mère, mes frères, mes soeurs, et tous ceux qui leur appartiennent, et de nous sauver de la mort. (… Les espions lui donnent un cordon de fil rouge en lui disant) : 

“A notre entrée dans la ville, attache ce cordon de fil cramoisi à la fenêtre par laquelle tu nous fais descendre, et recueille auprès de toi dans la maison ton père, ta mère, tes frères, et toute la famille de ton père.”

Elle les aide à sortir de la ville par une fenêtre, car sa maison est située sur le rempart de Jéricho et une fenêtre donne sur l’extérieur. (Le hasard fait bien les choses…)

Les espions de Josué donnent à Rahab un signe de reconnaissance, par un peintre italien du XVIIe siècle, Musée des Beaux-Arts de Nîmes.

Destruction des murailles de Jéricho 

Josué met le siège devant Jéricho. Son dieu lui conseille de faire porter l’Arche d’alliance qui contient les tablettes des Dix Commandements (parmi lesquels le célèbre “Tu ne tueras pas) pendant six jours autour de la ville. Puis…

“Sept prêtres sacrificateurs porteront devant l’arche sept trompettes retentissantes ; le septième jour, vous ferez sept fois le tour de la ville ; et les sacrificateurs sonneront des trompettes. Quand ils sonneront de la corne retentissante, quand vous entendrez le son de la trompette, tout le peuple poussera de grands cris. Alors la muraille de la ville s’écroulera, et le peuple montera, chacun devant soi.” (Chapitre 6)

La chute des murailles de Jéricho au septième passage de l’Arche, gravure du XIXe siècle.

Massacre à Jéricho : Rahab est épargnée

(Chapitre 6 versets 20 à 26)

“Ils s’emparèrent de la ville, et ils consacrèrent à Dieu par interdit, en le passant au fil de l’épée, tout ce qui y vivait, hommes et femmes, enfants et vieillards, jusqu’aux boeufs, aux brebis et aux ânes. (…) Ils brûlèrent la ville et tout ce qui s’y trouvait ; mais ils mirent dans le trésor de la maison de l’Éternel l’argent, l’or et tous les objets de bronze et de fer.

Josué laissa la vie à Rahab la prostituée, à la maison de son père, et à tous ceux qui lui appartenaient; elle a habité au milieu d’Israël jusqu’à ce jour, parce qu’elle avait caché les espions que Josué avait envoyés pour explorer Jéricho.” 

L’expression “dévouer par interdit” ou “consacrer à Dieu par interdit” est employée à de nombreuses reprises lors des destructions de villes. Elle signifie détruire entièrement toute trace de vie humaine (et parfois même animale), pour que le dieu hébreux puisse posséder pleinement un lieu débarrassé de toute impureté.

Josué épargne Rahab et sa famille, par Gustave Doré.

L’impiété d’Acan et sa punition

(Chapitre 7) Après la chute de Jéricho, les Hébreux pensent s’emparer facilement de la ville d’Aï, mais ils sont repoussés. 

“Josué déchira ses vêtements et se prosterna jusqu’au soir le visage contre terre devant l’Arche de l’Éternel, lui et les anciens d’Israël, la tête couverte de poussière.” 

(En réponse aux implorations de Josué, son dieu lui révèle pourquoi il ne le soutient plus dans les attaques)

“Israël a péché; ils ont transgressé l’alliance que je leur ai donnée, ils ont pris des choses dévouées par interdit, ils les ont volées et cachées parmi leurs bagages. C’est pour cela que les enfants d’Israël ne peuvent pas résister à leurs ennemis; ils tourneront le dos devant leurs ennemis, car ils sont sous l’interdit ; je ne serai plus avec vous, si vous ne détruisez pas l’interdit du milieu de vous.” 

(Le récit ne précise pas comment le coupable est identifié. On nous dit simplement que “le sort désigna Acan” qui avoue avoir conservé des objets du butin promis à la destruction : un manteau, de l’argent et de l’or.) 

“Josué et tout Israël avec lui prirent Acan, fils de Zérach, l’argent, le manteau, le lingot d’or, les fils et les filles d’Acan, ses boeufs, ses ânes, ses brebis, sa tente, et tout ce qui lui appartenait; et ils les firent monter dans la vallée d’Acor.

Josué dit : – Pourquoi nous as-tu troublés? L’Éternel te troublera aujourd’hui. 

Et tout Israël le lapida. On les lapida et on les brûla au feu ; et on éleva sur Acan un grand tas de pierres, qui subsiste encore aujourd’hui. Et l’Éternel calma sa colère.”

Purifiés de la présence d’objets païens, les Hébreux vont renouer avec la victoire.

Acan lapidé, par Gustave Doré

Destruction de la ville d’Aï

(Chapitre 8) Josué cache une partie de ses hommes en embuscade puis s’avance avec le reste de son armée devant la ville. Quand le roi sort avec ses troupes pour combattre, Josué et les siens s’enfuient. Aussitôt, tous les hommes quittent la ville pour poursuivre les Israélites, qui les entraînent loin de la ville laissée sans défense. 

“L’Éternel dit à Josué : – Étends vers Aï le javelot que tu as à la main, car je vais la livrer en ton pouvoir. Et Josué étendit vers la ville le javelot qu’il avait à la main.

Aussitôt qu’il eut étendu sa main, les hommes en embuscade sortirent de leur cachette ; ils entrèrent dans la ville, la prirent, et se hâtèrent d’y mettre le feu.

Les gens d’Aï, en regardant derrière eux, virent la fumée de la ville monter vers le ciel, et ils ne purent se sauver d’aucun côté. (Car après avoir incendié la ville, les hommes de l’embuscade prennent les habitants d’Aï à revers.)

Quand Israël eut achevé de tuer tous les hommes d’Aï dans la campagne, dans le désert, où ils les avaient poursuivi, et que tous furent entièrement passés au fil de l’épée, tout Israël revint vers Aï et frappa la ville du tranchant de l’épée. Il y eut au total douze mille personnes tuées ce jour-là, hommes et femmes, tous habitants d’Aï.

Josué ne retira pas sa main qu’il tenait étendue avec le javelot, jusqu’à ce que tous les habitants eussent été consacrés par interdit.

Mais Israël garda pour lui le bétail et le butin de cette ville, selon l’ordre que l’Éternel avait donné à Josué.”

La destruction de la ville d’Aï, par Gustave Doré.

La ruse des habitants de Gabaon

(Chapitre 9) Informés de la destruction de Jéricho et Aï, les habitants de Gabaon, la ville suivante qui se trouve sur la route des Hébreux, s’inquiètent de leur sort. Ils désignent des ambassadeurs qui vont au camp de Josué, vêtus d’habits usagés et chargés de vieux pain et de vieilles outres à vin. Quand ils proposent à Josué de faire alliance avec eux, celui-ci leur demande d’où ils viennent. Ils prétendent arriver de très loin :

“Voici notre pain: il était encore chaud quand nous en avons fait provision dans nos maisons, le jour où nous sommes partis pour venir vers vous, et maintenant il est sec et en miettes. Ces outres à vin, que nous avons remplies toutes neuves, les voilà déchirées ; nos vêtements et nos souliers se sont usés par l’excessive longueur de la marche.

Les hommes d’Israël partagèrent leurs provisions, sans consulter l’Éternel. Josué fit la paix avec eux, et conclut une alliance.” 

 

L’armée des Hébreux, illustration du site italien Sacra Bibbia Illustrata Antico Testamento.

Quelques jours après, apprenant que leurs nouveaux alliés sont des voisins qu’ils voulaient détruire comme tous les autres, Josué et les chefs sont furieux de la ruse mais décident de respecter le pacte de paix. Interrogés, les nouveaux alliés avouent : 

“En réponse à Josué, ils dirent : – On avait rapporté à tes serviteurs les ordres de l’Éternel, ton Dieu, à Moïse, son serviteur, pour vous livrer tout le pays et pour en détruire devant vous tous les habitants, et votre présence nous a inspiré une grande crainte pour notre vie.”

(Josué ne détruit pas la ville mais réduit les habitants en servitude.)

“Maintenant vous êtes maudits, et vous ne cesserez pas d’être dans la servitude, de couper le bois et de puiser l’eau pour la maison de mon Dieu.”

Destruction des Amorites par une grêle de pierres

Au chapitre 10, le dieu des Hébreux intervient de façon originale pour détruire les peuples suivants. (versets 5 à 11)  “Cinq rois des Amorites, le roi de Jérusalem, le roi d’Hébron, le roi de Jarmuth, le roi de Lakis, le roi d’Églon, se réunirent ainsi et montèrent avec toutes leurs armées ; ils vinrent camper près de Gabaon, et l’attaquèrent. (Les habitants de Gabaon viennent demander le secours de Josué, qui commence à combattre les cinq rois des Amorites.) Comme ils fuyaient devant Israël, et qu’ils étaient à la descente de Beth Horon, l’Éternel fit tomber du ciel sur eux de grosses pierres jusqu’à Azéka, et ils périrent ; ceux qui moururent par les pierres de grêle furent plus nombreux que ceux qui furent tués par  l’épée des enfants d’Israël.”

L’armée des Amorites détruite par un grêle de pierres, par Gustave Doré. 

Josué arrête le soleil pour avoir le temps de combattre

(Chapitre 10, versets 13 à 16)  “Alors Josué parla à l’Éternel, le jour où l’Éternel livra les Amorites aux enfants d’Israël, et Josué dit en présence d’Israël : – Soleil, arrête-toi sur Gabaon, Et toi, lune, sur la vallée d’Ajalon ! 

Et le soleil s’arrêta, et la lune suspendit sa course, jusqu’à ce que le peuple se soit vengé  de ses ennemis. Cela n’est-il pas écrit dans le livre du Juste? Le soleil s’arrêta au milieu du ciel, et ne se hâta pas de se coucher, pendant presque tout un jour. Il n’y a pas eu de jour comme celui-là, ni avant ni après, où l’Éternel ait écouté la voix d’un homme ; car l’Éternel combattait pour Israël. Et Josué, et tout Israël avec lui, retourna au camp à Guilgal.”

Le texte raconte ensuite comment les cinq villes des Amorites sont prises et détruites, leurs habitants passés au fil de l’épée.

La victoire de Josué sur les Amorites, par Nicolas Poussin, vers 1625. Musée Pouchkine à Moscou. L’artiste attribue au chef hébreux (au premier plan à gauche)la nudité héroïque propre aux Grecs.

Suite et fin de la conquête

Les chapitres 11 et 12 consistent en une énumération monotone de villes détruites, par exemple : “Josué prit Hazor, et frappa son roi avec l’épée. Hazor était autrefois la principale ville de tous ces royaumes. On frappa du tranchant de l’épée et l’on dévoua par interdit tous ceux qui s’y trouvaient, il ne resta rien de ce qui respirait, et l’on mit le feu à Hazor.”

Mais toutes ces destructions prennent du temps et enfin, au chapitre 13, le dieu conseille à Josué d’arrêter la conquête car il est vieux, maintenant. Les Hébreux se partagent les territoires vidés d’une bonne partie de leurs anciens habitants.

Après la conquête : la difficile cohabitation

Figurine d’un Baal, XIVe-XIIe siècle avant notre ère, trouvée sur le site de Ras Shamra, actuelle Syrie. Le terme Baal signifie Seigneur, il était suivi du nom de la ville qui honorait ce dieu.

Au service des Baals

Dès le chapitre 2 du Livre des Juges, le dieu se met en colère à cause de la mollesse de son peuple qui vit en paix, mêlé aux autres peuples du territoire. Il décide changer de tactique pour obliger les Juifs à pratiquer la guerre, afin de purifier le territoire des peuples qui ne croient pas en lui :

“Je ne chasserai plus devant eux aucune des nations que Josué laissa à sa mort.

Je les utiliserai pour mettre à l’épreuve Israël, pour savoir s’ils s’appliqueront à suivre la voie de l’Éternel, comme leurs pères l’ont fait.

L’Eternel voulait que les nouvelles générations des enfants d’Israël connaissent et apprennent la guerre, eux qui ne l’avaient pas connue auparavant.”

(Chapitre 3) “les enfants d’Israël habitèrent au milieu des Cananéens, des Héthiens, des Amorites, des Phéréziens, des Héviens et des Jébusiens ; ils prirent leurs filles pour femmes, ils donnèrent à leurs fils leurs propres filles, et ils servirent leurs dieux.

Les enfants d’Israël firent ce qui déplaît à l’Éternel, ils oublièrent l’Éternel, et ils servirent les Baals et les idoles. La colère de l’Éternel s’enflamma contre Israël…” 

Le dieu laisse alors divers rois étrangers asservir successivement les Israélites puis, après des supplications et des promesses de fidélité de leur part, il fait se lever un héros qui entraîne ses compatriotes à se révolter.  

Parmi les héros qui défendent les Hébreux contre la domination des peuples voisins, le plus célèbre est Samson. Et le plus célèbre peuple ennemi est celui des Philistins.

Samson brûle les récoltes des Philistins

(Chapitre 15) Samson est le compagnon d’une femme des Philistins mais son père la reprend pour la donner à un autre homme. En colère, il met le feu aux champs des Philistins, d’une manière très originale :

“Il attrapa trois cents renards, et prit des flambeaux; puis il mit les renards queue contre queue, et attacha un flambeau entre deux queues.

Il alluma les flambeaux, lâcha les renards dans les blés des Philistins ; il mit le feu aux  tas de gerbes, au blé sur pied, et jusqu’aux plantations d’oliviers.

Les Philistins demandèrent : Qui a fait cela? On répondit : Samson, le gendre du Thimnien, parce que celui-ci lui a pris sa femme et l’a donnée à son compagnon. Et les Philistins montèrent, et ils la brûlèrent, elle et son père.”

Samson prépare les 300 renards pour brûler les récoltes des Philistins, miniature du Moyen Age.

Samson tue mille Philistins avec une mâchoire d’âne

(Les Philistins lèvent une armée contre les Hébreux, qui, pour les calmer, leur livrent Samson, les mains liées.)

“Lorsqu’il arriva à Léchi, les Philistins poussèrent des cris en le voyant. Alors l’esprit de l’Éternel le saisit. Les cordes qu’il avait aux bras devinrent comme du lin brûlé par le feu, et ses liens tombèrent de ses mains.

Il trouva une mâchoire d’âne fraîche, il étendit sa main pour la prendre, et il en tua mille hommes. (…)

Pressé par la soif, il invoqua l’Éternel, et dit : – C’est toi qui a permis par la main de ton serviteur cette grande délivrance; et maintenant, mourant de soif, est-ce que je vais tomber  entre les mains des incirconcis ?

Dieu fendit la cavité du rocher qui est à Léchi, et il en sortit de l’eau. Samson but, son esprit se ranima, et il reprit vie. C’est de là que vient le nom de cette source : En Hakkore ; elle existe encore aujourd’hui à Léchi.

Samson fut juge en Israël, au temps des Philistins, pendant vingt ans.”

Samson et sa mâchoire d’âne au milieu des Philistins, par Hilaire Pader, XVIIe siècle. Cathédrale de Toulouse. Photo Didier Descouens.

La force surhumaine de Samson

Le début du chapitre 16 nous montre Samson avec ses deux particularités : une force surhumaine et l’amour des femmes étrangères :

“ Samson partit pour Gaza; il y vit une femme prostituée, et il entra chez elle.

On dit aux gens de Gaza : Samson est ici. Et ils se tinrent en embuscade toute la nuit à la porte de la ville. Ils restèrent tranquilles toute la nuit, disant : Au point du jour, nous le tuerons.

Samson resta couché jusqu’à minuit. Vers minuit, il se leva ; il saisit les battants de la porte de la ville et les deux poteaux, les arracha avec la barre, les mit sur ses épaules, et les porta sur le sommet de la montagne qui est en face d’Hébron.

Après cela, il aima une femme dans la vallée de Sorek. Elle se nommait Dalila.”

Comme vous le savez, cette Dalila est une traîtresse qui le vendra aux Philistins. Sur la fin héroïque de Samson, voir le thème “La mort des héros.”

Samson enlève les portes de la ville de Gaza, par Gustave Doré

David et le géant Goliath

L’autre héros célèbre de cette époque est David. Le récit nous le présente d’abord comme un enfant qui garde les troupeaux de son père, alors que la guerre s’apprête à reprendre entre les Juifs et les Philistins. (Premier livre de Samuel, chapitre 17)

 Goliath se moque de  David

“Les Philistins se tenaient sur une hauteur d’un côté, et Israël se tenait sur la colline de l’autre côté : la vallée les séparait. Un homme sortit du camp des Philistins et s’avança entre les deux armées. Il se nommait Goliath, il était de Gath, et il avait une taille de six coudées et un empan. Sur sa tête était un casque de bronze, et il portait une cuirasse à écailles du poids de cinq mille sicles de bronze.

Il avait des cuissard de bronze et un javelot de bronze entre les épaules.”

( Le géant provoque les Israélites en duel, mais personne n’ose s’avancer. Comme David vient au camp porter de la nourriture à ses frères qui sont soldats, il entend les moqueries et décide d’affronter Goliath.)

“Il prit en main son bâton, choisit dans le torrent cinq pierres polies, et les mit dans sa gibecière de berger et dans sa poche. Puis, sa fronde à la main, il s’avança contre le Philistin.

Le Philistin s’approcha peu à peu de David. 

L’homme qui portait son bouclier marchait devant lui. Le Philistin regarda, et lorsqu’il aperçut David, il le méprisa, ne voyant en lui qu’un enfant, blond et d’une belle figure.

Le Philistin dit à David : – Suis-je un chien, pour que tu viennes à moi avec un bâton ? Et, après l’avoir maudit par ses dieux, il ajouta: – Approche-toi, et je donnerai ta chair aux oiseaux du ciel et aux bêtes des champs.

Goliath se moque de David, lithographie de Osmar Schindler, 1888

David dit au Philistin : – Tu marches contre moi avec l’épée, la lance et le javelot ; et moi, je marche contre toi au nom de l’Éternel des armées, du Dieu de l’armée d’Israël, que tu as insultée.

Aujourd’hui l’Éternel te livrera entre mes mains, je t’abattrai et je te couperai la tête ; aujourd’hui je donnerai les cadavres du camp des Philistins aux oiseaux du ciel et aux animaux de la terre. Et toute la terre saura qu’Israël a un dieu. (…)

Il mit la main dans sa gibecière, y prit une pierre, et la lança avec sa fronde ; il frappa le Philistin au front, et la pierre s’enfonça dans le front du Philistin, qui tomba le visage contre terre. (…)

Il courut, s’arrêta près du Philistin, se saisit de son épée qu’il tira du fourreau, le tua et lui coupa la tête. Les Philistins, voyant que leur héros était mort, prirent la fuite. (Les Israélites les poursuivirent et pillèrent leur camp.)

David et la tête coupée de Goliath, par Andrea del Verrocchio, vers 1469, Musée du Bargello, Florence. Photo Rufus 46.

Par la suite, le dieu choisit David comme roi pour son peuple et charge le prophète Nathan de veiller à ce que le roi reste fidèle aux commandements donnés à Moïse. Et, par l’intermédiaire de Nathan, le dieu punira sévèrement David de sa désobéissance. (Vous pouvez consulter à ce sujet l’article “Voir une femme nue”)

Le dieu et ses prêtres combattent les impérialismes

LES IMPÉRIALISMES MÉSOPOTAMIENS

Au cours des siècles, le Moyen Orient a fait face à plusieurs impérialismes mésopotamiens : empires assyrien, puis babylonien, puis perse. La défaite des Juifs face à l’empire babylonien a eu des conséquences importantes pour la culture juive, car l’élite de Jérusalem a été déportée à Babylone. De nombreux récits bibliques tels ceux concernant Esther ou Daniel ou Tobie, se passent en Mésopotamie.

Des écrits témoignent de cette période de l’Exil, en particulier des psaumes (prières chantées) et le poème de la Création (la Genèse) qui contient des éléments de mythes mésopotamiens.

La dernière halte des Juifs emmenés en captivité à Babylone, par Louis de Planet, vers 1843.

Musée des Augustins, Toulouse.

L’artiste illustre le début du Psaume 137 :

Sur les bords des fleuves de Babylone,

Nous étions assis et nous pleurions, en nous souvenant de Jérusalem.

Nous avions suspendu nos harpes aux saules de ce pays.”

Qui lutte contre les impérialistes ?

À la fin de l’article sur les mythes guerriers des Grecs, nous avons vu que les cités grecques combattaient elles aussi l’envahisseur perse. À travers des récits tels que celui du coureur de Marathon ou  des Spartiates morts jusqu’au dernier aux Thermopyles, les historiens grecs ont valorisé la lutte des citoyens pour la liberté et la démocratie. 

Vous vous doutez que les valeurs pour lesquelles on combat sont un peu différentes dans les récits des Hébreux : c’est pour préserver sa pureté religieuse que ce peuple défend son indépendance jusqu’à la mort. Et les récits disent que ce n’est pas le courage qui fait gagner des citoyens, c’est la puissance du dieu, par l’intermédiaire des prêtres.

Destruction des envahisseurs syriens

Le Premier livre des Rois raconte au chapitre 20 que les immenses armées du roi de Syrie, Ben Hadad, et de 32 rois alliés ont été battues par les 7 000 hommes du roi d’Israël, Achab. Le roi de Syrie s’interroge sur les raisons de cette victoire inattendue :

“Les serviteurs du roi de Syrie lui dirent : – Leur dieu est un dieu des montagnes ; c’est pourquoi ils ont été plus forts que nous. Mais combattons-les dans la plaine, et l’on verra si nous ne serons pas plus forts qu’eux. (L’année suivante, le roi syrien forme une nouvelle armée et attaque à nouveau.)

“Les enfants d’Israël furent aussi passés en revue ; ils reçurent des vivres, et ils marchèrent à la rencontre des Syriens. Ils campèrent vis-à-vis d’eux, semblables à deux petits troupeaux de chèvres, tandis que les Syriens remplissaient le pays.

L’homme de Dieu s’approcha, et dit au roi d’Israël : – Ainsi parle l’Éternel : – Parce que les Syriens ont dit : L’Éternel est un dieu des montagnes et non un dieu des vallées, je livrerai toute cette grande multitude entre tes mains, et vous saurez que je suis l’Éternel.

Ils campèrent sept jours en face les uns des autres. Le septième jour, le combat s’engagea, et les enfants d’Israël tuèrent cent mille Syriens en un jour.

Le reste s’enfuit à la ville d’Aphek, et la muraille tomba sur les vingt-sept mille hommes qui restaient.” (Premier livre des Rois, chapitre 20.)

Achab tue cent mille ennemis en un jour, gravure de Gustave Doré.

Destructions des envahisseurs assyriens

Destruction de l’armée de Nabuchodonosor

Le Livre de Judith raconte l’histoire de Judith, pieuse veuve qui tue par ruse le général de l’armée assyrienne, Holopherne. Dans la panique qui suit cet assassinat, l’armée des assiégeants est mise en pièces par les Juifs. (Voir l’article “Les femmes fortes”) Cet épisode met un peu de variété dans ces récits où dominent les prêtres, parce que le personnage central est une femme, dont les qualités sont les mêmes que celles des héros grecs : le courage et la ruse.

Judith tue le général Holopherne, par Gustave Doré.

Destruction de l’armée de Sennachérib

Dans le deuxième livre des Rois, le royaume des Juifs est menacé par le roi assyrien Sennacherib. Celui-ci envoie un message au roi des Juifs, Ezéchias, lui rappelant qu’il a vaincu les autres nations et lui ordonnant de se soumettre.

(Chapitre 19) “Ézéchias prit la lettre de la main des messagers et la lut. Puis il monta à la maison de l’Éternel, et montra la lettre à l’Éternel, en lui adressant cette prière : – Éternel, Dieu d’Israël, assis sur les chérubins! C’est toi qui es le seul Dieu de tous les royaumes de la terre, c’est toi qui as fait les cieux et la terre. Éternel ! incline ton oreille, et écoute. Éternel ! ouvre tes yeux, et regarde. Entends les paroles de Sennachérib, qui a envoyé Rab Shaké pour insulter le Dieu vivant.

Il est vrai, ô Éternel! que les rois d’Assyrie ont détruit les nations et ravagé leurs pays, et qu’ils ont jeté leurs dieux dans le feu ; mais ce n’étaient point des dieux, c’étaient des ouvrages de mains d’homme, du bois et de la pierre ; et ils les ont anéantis.

Maintenant, Eternel, notre Dieu ! délivre-nous de la main de Sennachérib, et que tous les royaumes de la terre sachent que toi seul es Dieu, ô Éternel !”

(En réponse à la supplique du roi, et par l’intermédiaire du prophète Esaïe, le dieu fait savoir qu’il va protéger Jérusalem.)

“Cette nuit-là, l’ange de l’Éternel sortit, et frappa dans le camp des Assyriens cent quatre-vingt-cinq mille hommes. Et quand on se leva le matin, voici, c’étaient tous des cadavres. Alors Sennachérib, roi d’Assyrie, leva son camp, partit et s’en retourna ; et il resta à Ninive.”

L’ange de l’Eternel tue 185 000 hommes de l’armée de Sennachérib, par Gustave Doré.

L’IMPÉRIALISME GREC

Après la mort d’Alexandre le grand, ses généraux fondent des dynasties pour se partager le territoire conquis. Les Juifs se retrouvent sous l’autorité des rois Séleucides. 

Les Livres des Macchabées, appelés aussi Livres des Martyrs d’Israël racontent les conflits entre les prêtres du temple de Jérusalem, qui défendent la religion et la culture juive, et les autorités qui tentent d’imposer leur culture grecque. 

Dans le chapitre 3 du Deuxième Livre des Macchabées, le roi grec a chargé son ministre Héliodore de s’emparer du trésor du Temple. Outre la perte financière, c’est une profanation abominable au yeux des Juifs ; toute la ville de Jérusalem, en pleurs, implore son dieu de protéger le lieu saint.

Héliodore chassé du Temple par les anges

”Il était déjà là avec ses hommes en armes, près du Trésor, lorsque le Souverain des Esprits et de toute Puissance se manifesta, avec un tel éclat que tous ceux qui avaient osé entrer là, frappés par la force de Dieu, s’évanouirent de peur. Devant eux apparut un cavalier d’aspect redoutable, montant un cheval richement harnaché ; bondissant avec impétuosité, l’animal agitait contre Héliodore ses sabots de devant. L’homme qui le montait paraissait avoir une armure d’or.

Deux autres jeunes hommes apparurent en même temps, d’une force remarquable, éclatants de beauté, couverts d’habits magnifiques ; s’étant placés l’un d’un côté, l’autre de l’autre, ils se mirent à le flageller sans répit, lui portant une grêle de coups.

Héliodore, soudain tombé à terre, fut environné d’épaisses ténèbres. On le ramassa pour le mettre dans une chaise à porteur, et cet homme, qui venait d’entrer dans la chambre du Trésor avec une escorte nombreuse et tous ses gardes du corps, fut emporté, incapable de s’aider lui-même, par des gens qui reconnaissaient ouvertement la souveraineté de Dieu.”(Deuxième livre, chapitre 3, versets 24 à 28.)

Héliodore chassé du Temple, par Eugène Delacroix, 1861, chapelle des anges dans l’église Saint-Sulpice à Paris.

Les serviteurs d’Héliodore supplient le grand prêtre de le sauver car il est mourant. Pour que les Juifs ne soient pas accusés d’un attentat contre l’envoyé du roi, le grand prêtre accepte de faire un sacrifice pour lui. 

“Pendant le sacrifice, les mêmes jeunes gens apparurent à Héliodore, revêtus des mêmes habits et lui dirent : – Remercie le grand prêtre, car c’est à cause de lui que le Seigneur t’accorde la vie. Toi que Dieu a fouetté, proclame devant tous sa grande puissance.”

(Miraculeusement guéri, Héliodore revient auprès du roi, lui raconte sa mésaventure et conclut par un témoignage de foi .) “- Il y a véritablement en ce lieu une force divine. Celui qui a sa demeure dans le ciel veille sur ce Temple. Il le protège et frappe mortellement ceux qui y viennent avec des intentions mauvaises.”

L’ÉPOPÉE DE JUDAS MACCHABÉE

Dieu menace les impies

Le roi grec Antiochus IV qui règne sur la Syrie et la région appelée la Judée,  transforme le Temple de Jérusalem en un temple dédié à Zeus et commet de véritables persécutions, pour obliger les Juifs à adopter la culture grecque, y compris en matière de religion. Les Livres des Martyrs d’Israël (ou Livre des Macchabées) raconte deux formes de résistances à l’hellénisation forcée : les combats, menés par un chef de guerre nommé Judas Maccabée, et la résistance spirituelle. 

Au chapitre 5 du Deuxième Livre des martyrs, des signes surnaturels montrent que le dieu prépare une intervention :

“Il arriva que, dans toute la ville, pendant près de 40 jours, apparurent, courant dans les airs, des cavaliers vêtus de robes brodées d’or, des troupes armées disposées en cohortes, des escadrons de cavalerie rangés en ordre de bataille, des attaques et des charges conduites de part et d’autre, des boucliers agités, des forêts de piques, des épées tirées hors du fourreau, des traits volants, un éclat fulgurant d’armures d’or et des cuirasses de toutes sortes. Tous priaient pour que ces apparitions soient de bons signes.”

Les habitants de Jérusalem voient apparaître des armées dans le ciel, par Gustave Doré.

Dieu reçoit ceux qui meurent pour rester fidèles

Mais les persécuteurs ne voient pas les armées célestes et s’acharnent sur les Juifs qui restent fidèles à leurs croyances. Ainsi, un vieux scribe nommé Eléazar et une mère avec ses sept fils sont torturés parce qu’ils refusent de manger du porc. Ils endurent les supplices jusqu’à la mort, sans renoncer à leur intégrité religieuse. Avant de mourir, tous expliquent longuement à leurs bourreaux que la mort ne leur fait pas peur car s’ils restent fidèles à leur dieu jusqu’au bout, celui-ci les accueillera dans la joie de l’au-delà. 

Le martyre du scribe Eléazar, par Gustave Doré.

Le martyre des sept frères, enluminure de la Bible d’Etienne Harding, XIIe siècle. Bibliothèque municipale de Dijon.

Dieu mène ses fidèles à la victoire

Judas Macchabée réunit une petite troupe de Juifs pour combattre le tyran. Celui-ci meurt misérablement, frappé de maladie par le dieu des Juifs.

Bien que son successeur le roi Antiochus V reconnaisse le droit des Juifs à vivre librement leur foi et à reprendre possession du Temple de Jérusalem, Judas Macchabée continue le combat, car il veut l’indépendance pour son peuple. Le chapitre 12 du Livre 2 raconte ses brillantes batailles. 

L’ange de Dieu veille sur l’armée des Juifs, par Gustave Doré.

Comme au temps de Josué

Avec l’aide de son dieu, la petite troupe des révoltés détruit toutes les villes où les Juifs sont persécutés :

“Judas et les siens invoquèrent le grand Maître du monde, qui au temps de Josué, renversa les murs de Jéricho sans bélier ni machine de guerre ; puis ils s’élancèrent furieusement à l’assaut des remparts. Quand, par la volonté divine, ils se furent emparés de la ville, ils y firent un carnage indicible, si bien que l’étang voisin, large de deux stades, sembla rempli du sang versé. (…) Judas marcha ensuite sur Carnion et le temple de Atargatis et massacra 25 000 hommes. Après cette poursuite et ce carnage, il conduisit ses troupes devant Ephron (…) Les Juifs invoquèrent le Souverain qui a le pouvoir d’anéantir les forces ennemies, se rendirent maîtres de la ville et y tuèrent 25 000 hommes. 

Monnaie syrienne à l’effigie de la déesse Atargatis, IVe siècle avant notre ère. Photo site cngcoins.com.

Comme au temps d’Ezéchias 

Dans la suite de la guerre, les révoltés se retrouvent face à l’immense armée de Nicanor, l’envoyé du roi grec. Celui-ci dispose de nombreux éléphants et d’une cavalerie. 

“Judas savait bien que la victoire ne résulte pas de la puissance des armes, mais que Dieu l’accorde, comme il le juge bon à ceux qui en sont dignes. Voici quelle fut sa prière : – Seigneur, toi qui au temps d’Ezechias, roi de Judée, a envoyé ton ange qui a fait périr 185 000 hommes de l’armée de Sennachérib, envoie donc maintenant encore, ô Souverain des cieux, un bon ange qui nous précède en inspirant la crainte et la terreur. Que ton bras s’étende et frappe ceux qui le blasphème à la bouche, sont venus attaquer ton peuple saint.”

(Pendant la bataille) “Combattant des mains, priant dans leur coeur, ils abattirent au moins 35 000 hommes, tout à la joie de voir Dieu se manifester ainsi.”

Les Juifs (et leur dieu) remportent la bataille et ont même la joie de trouver Nicanor mort.  

La petite troupe de Judas Macchabée face à l’immense armée de Nicanor montée sur des éléphants, par Gustave Doré.

Prier Dieu pour les morts

La victoire sur Nicanor clôture le second (et dernier pour les Catholiques) Livre des Macchabées. Mais je voudrais souligner une intéressante évolution des mentalités. Comme dans tous les autres livres historiques de la Bible, le dieu est invoqué pour la victoire, mais ce Livre manifeste clairement des nouveautés : la notion de destin individuel, la notion de pardon et la foi en la résurrection. 

 (Chapitre 12) Après une bataille au cours de laquelle “quelques Juifs moururent” et après le repos du Sabbat, les Juifs organisent les funérailles de leurs compagnons morts dans la bataille :

“Or, sous la tunique de chacun, ils trouvèrent des objets consacrés aux idoles de Jamnia et interdits aux Juifs par la Loi. Alors il fut évident pour tous que c’était là la cause de leur mort. Ils bénirent donc la main du juste juge, du Seigneur qui fait apparaître les choses cachées ; et ils se mirent en prière pour lui demander de pardonner entièrement le péché commis.(…) Judas fit ensuite une collecte et envoya environ 2000 drachmes à Jérusalem, pour faire offrir un sacrifice pour le péché : belle et noble façon d’agir, découlant de sa croyance en la résurrection. Car s’il n’avait pas estimé que ceux qui étaient tombés allaient ressusciter, il eût été inutile et superflu de prier pour les morts.”

Judas Maccabée priant pour les morts, par Pierre-Paul Rubens, vers 1634. Musée d’Art de Nantes. Photo Jean-Louis Mazières/flickr. Au centre, le chef de guerre prie, les yeux levés vers le ciel. Au premier plan, des hommes fouillent les tuniques des morts pour enlever les objets impies et les donner à un prêtre. Derrière Judas Macchabée, ses soldats portent triomphalement les armes prises aux ennemis, ainsi que la tête de l’un d’eux. 

Si on compare ce passage avec le Livre de Josué, on se rappelle qu’au chapitre 7, les Juifs sont mis en déroute devant la ville d’Aï. Leur dieu fait savoir à Josué qu’il abandonne tout son peuple parce que l’un des soldats est impur. En fouillant la tente d’Acan, Josué trouve des objets conservés par Acan après la prise de Jéricho, alors que le dieu avait ordonné de “purifier” la ville en brûlant tout. Josué et les Israélites lapident Acan et sa famille pour supprimer toute impureté. Aussitôt, ils sont vainqueurs et détruisent la ville d’Aï. 

Ici, ce n’est pas le peuple tout entier qui est puni par une défaite ; seuls les soldats qui ont péché sont tués et ils le sont directement par le dieu lui-même. 

Ici, n’ayant pas besoin de verser le sang des coupables, Judas Macchabée fait faire un sacrifice : au lieu du sang du coupable (comme dans le cas d’Acan) c’est le sang d’un animal qui va “nettoyer” l’impureté provoquée par le contact avec les objets impurs. Et les coupables en seront les premiers bénéficiaires : purifiés, ils auront eux aussi droit à la résurrection. Grâce aux prières et aux sacrifices, ils seront pardonnés par leur dieu.

La résurrection des morts, vitrail de la Sainte Chapelle conservé au Musée de Cluny, Paris, vers 1200. Photo Selbymay. Les morts sortent de leur cercueil lorsque l’ange du Jugement dernier sonne de la trompette. La croyance en la résurrection est commune aux Juifs et aux Chrétiens.

Les femmes dans la guerre

Les rédacteurs des récits guerriers de la Bible insistent sur la nécessité de “purifier” le pays de tout ce qui a été en contact avec les faux dieux, et donc de tuer les femmes aussi bien que les hommes. Pourtant, on peut imaginer que les Hébreux agissaient envers les prisonnières comme le faisaient les Grecs : ils tombaient parfois amoureux. 

Les prêtres ne nous ont laissé aucun récit sur ce thème, mais un passage du Deutéronome autorise le mariage entre un soldat juif et une captive, à condition qu’elle se purifie pendant un mois : 

Deutéronome, chapitre 21, versets 10 à 14.

“Lorsque tu iras à la guerre contre tes ennemis, si l’Éternel les livre entre tes mains, et que tu fasses des prisonniers, si tu vois parmi les captives une femme belle de figure, et que tu veux la prendre pour femme, tu l’amèneras chez toi. Elle se rasera la tête et se coupera les ongles, elle quittera les vêtements qu’elle portait quand elle a été prise, et elle habitera dans ta maison ; et elle pleurera son père et sa mère pendant un mois. Après cela, tu iras vers elle, tu l’auras en ta possession et elle sera ta femme.

 Si elle cesse de te plaire, tu la laisseras aller où elle voudra, tu ne pourras pas la vendre pour de l’argent ni la traiter en esclave, puisque tu en auras fait ta femme.”

La fiancée juive, par Rembrandt, vers 1669, Rijksmuseum, Amsterdam.

Réalité historique/récit mythique

Le récit de la Conquête correspond-il à la réalité ?

À l’article Datation de la Bible, Wikipédia s’appuie sur les travaux du spécialiste  Mario Liverani pour noter “divers anachronismes et incongruités qui peuplent le récit, comme les listes des peuples soi-disant conquis par Josué, mais qui n’existent pas en Canaan à l’époque où se situe le texte, et dont certains sont même de pures inventions.” L’argumentation de Cline à propos de l’archéologie des villes du récit biblique  (Megiddo, Hazor, Bethel, Aï, Jéricho…) est assez technique : des traces de destructions existent mais comment les dater et à qui les attribuer ? Sa conclusion est que les sites de Megiddo, Lachish ou Jéricho “ne montrent aucun signe de destruction au cours du XIIIe siècle ou même du XIIe siècle av. J-C.” Et pas encore de trace du peuple hébreux…

Ces récits de l’arrivée des Hébreux dans le pays de Canaan et de leur cohabitation avec les autres peuples ont été écrits après le retour de l’exil babylonien, à partir du VIIe siècle avant notre ère. 

Le projet qui sous-tend les récits est clairement exprimé par les rédacteurs eux-mêmes : en remportant lui-même tous les combats, leur dieu s’empare de cette terre. En détruisant les peuples qui servent les faux dieux, c’est lui qui donne le pays de Canaan aux Hébreux. 

Ruines de Megiddo aujourd’hui

Qu’en est-il des récits des guerres contre les impérialismes ?

Les récits des guerres contre les impérialismes ont aussi des bases historiques. 

Pour ne parler que des écrits les plus récents, je précise que Judas Macchabbée a été tué dans une bataille en 160 avant notre ère. Les récits de ses exploits datent d’environ 100 avant notre ère. Ses frères ont fondé une dynastie qui a régné à Jérusalem de 140 à 37 avant notre ère. (Source :Wikipédia)

La vision des rédacteurs n’a pas changé depuis l’écriture des récits de la Conquête, puisque le Livre des Macchabée fait ouvertement référence aux exploits de Josué à travers ceux de Judas : le dieu se donne à lui-même, par la guerre, un pays et un peuple purs.

L’inauguration du Temple purifié, débarrassé des autels à Zeus et consacré à nouveau au dieu des Juifs a eu lieu en décembre 164 avant notre ère. Les Juifs continuent à célébrer l’événement à travers la fête de Hanoucca (Dédicace).

Allumage des chandelles pour la fête de Hanoucca, par Elena Flerova, sur le site judaica-art.com. 

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