Les changements d’identité

Dans les mythes comme dans les contes, des forces surnaturelles peuvent modifier l’identité des humains, pour les aider dans leurs épreuves, ou pour les punir d’un mauvais comportement. 

Le Dictionnaire critique de mythologie consacre plus de 17 pages au thème de la métamorphose, présent dans toutes les mythologies du monde. Pour nos ancêtres des cinq continents, les êtres animés “ne diffèrent entre eux que par leurs enveloppes charnelles variées alors qu’au fond leur “intériorité” reste identique, qui est souvent humaine.” À cause de (ou grâce à) cette identité profonde entre les formes du vivant, l’identité humaine est instable. Un humain peut, dans les récits mythiques, devenir un loup ou un lion, un oiseau ou un végétal et continuer à vivre sous cette forme.

Outre le passage d’une forme de vie à une autre, le vivant né sous forme humaine peut devenir minéral, ce qui permet d’expliquer les particularités d’un paysage, telles que des rochers aux formes particulières, une montagne ou une source.

Et les êtres peuvent poursuivre leur voyage de vie d’une façon plus extraordinaire encore, car, selon le Dictionnaire, “les constellations résultent d’une transformation d’êtres terrestres à peu près chez tous les peuples.” 

Mythologie grecque

Métamorphoses  divines

On appelle “métamorphose” un changement d’identité rapide et produisant une apparence très différente de celle de départ : une chenille se métamorphose en papillon.

Les formes de Zeus

Tous les dieux et toutes les déesses peuvent changer d’apparence à volonté, sans perdre leurs pouvoirs. Les plus célèbres métamorphoses sont celles de Zeus venant féconder des humaines.

Zeus et Io, par Antonio Allegri, dit Le Corrège, XVIe siècle, Musée d’histoire de l’art de Vienne, Autriche.

Selon le spécialiste Fernand Comte, “Zeus met en oeuvre une stratégie qui cache sa majesté proprement insoutenable pour une mortelle.” J’ai déjà évoqué ces changements dans plusieurs thèmes : pour tromper la nymphe Callisto, il prend l’apparence de la déesse Artémis, pour s’approcher de Léda qui se baigne, il se présente sous la forme d’un cygne et il enlève la princesse Europe sur son dos puissant de taureau. 

Pour le plaisir des belles peintures, je cite ci-contre et ci-dessous deux formes originales : un nuage pour féconder la princesse Io et une pluie d’or pour la princesse Danaé. 

Tous ces changements prouvent la puissance de l’identité divine, puisque le dieu reste lui-même quelle que soit l’apparence qu’il se donne.

Détail du visage de Zeus caché dans le nuage.

Zeus et Danaé, par Titien, XVIe siècle, Musée du Prado, Madrid. Titien et son atelier ont produit au moins six versions de ce sujet, qui diffèrent par de légers détails, tels que la présence du petit chien.

Les héros conçus grâce à l’intervention de Zeus se chargeront de supprimer les désordres provoqués par des monstres ou de méchants rois, l’exemple le plus célèbre étant celui des travaux d’Héraklès (Hercule).

Autres métamorphoses divines

Tous les dieux se métamorphosent à un moment ou un autre pour s’approcher des humains, pour leur jouer un méchant tour (c’est souvent le cas de la jalouse Héra) ou pour les aider. Les messagers de Zeus, c’est à dire le plus souvent Hermès (Mercure) et Athéna (Minerve), prennent souvent forme humaine pour servir ses projets. 

Sosie

Dans le but d’engendrer un super héros qui sera plus tard appelé Héracklès, Zeus prend la forme du roi Amphitryon et fait croire à l’épouse de celui-ci qu’il rentre de guerre plus tôt que prévu. Pour rendre plus réaliste ce retour inattendu, Hermès prend l’apparence de Sosie, le serviteur du roi, et accompagne Zeus-Amphitryon. La ressemblance est telle que la reine croit que ces deux personnages sont bien son époux et son serviteur. 

Depuis, le terme de “sosie” désigne une personne qui ressemble trait pour trait à quelqu’un, sans lien de parenté.

Mentor

Mentor est le conseiller et ami d’Ulysse, qui lui a confié l’éducation de son fils et la gestion de ses biens avant de partir à la guerre de Troie. Dans le Chant II de l’Odyssée, Athéna prend la forme de cet homme pour aider le fils d’Ulysse devenu jeune homme, qui rêve devant la mer de partir à la recherche de son père : 

“Télémaque, le voyage que tu médites ne peut être plus longtemps repoussé. Moi, le vieil ami de ton père, je te préparerai un navire rapide et je t’accompagnerai. Maintenant retourne à ton palais et mêle-toi à la foule des prétendants. Prépare les provisions de la route ; renferme-les dans des vases ; mets le vin dans des amphores, ainsi que la farine dans des outres épaisses. Je réunirai par la ville des compagnons de bonne volonté. Plusieurs navires vieux et neufs sont dans l’île d’Ithaque ; j’examinerai celui qui me paraîtra le meilleur, et, dès qu’il sera équipé, nous le lancerons sur la vaste mer.” 

Sous l’apparence de Mentor, Athéna conseille le jeune Télémaque qui médite sur le rivage, illustration du Chant 2 de l’Odyssée sur le site de Philippe Remacle.

(Pour réaliser ce projet) “Athéna, la déesse aux yeux d’azur, utilise une nouvelle ruse. Sous les traits de Télémaque, elle parcourt la ville entière, adresse la parole à chaque homme qu’elle rencontre, et lui ordonne de se rendre le soir sur un navire rapide ; puis elle demande un vaisseau léger à Noémon, fils illustre de Phronius, qui le lui accorde aussitôt. (…)

Alors Athéna, reprenant la taille et la voix de Mentor, appelle ainsi le fils de Pénélope : – Télémaque, tes compagnons aux belles jambières sont assis sur les bancs des rameurs et attendent tes ordres. Allons, ne repoussons pas notre départ. (…) Télémaque s’embarque ; Athéna, qui le conduit, s’assied à la poupe, et le jeune héros se place à ses côtés. » (Texte adapté de la version du site Remacle)

En changeant à volonté d’apparence, la déesse va guider alternativement le père, Ulysse, et le fils, Télémaque, jusqu’à ce qu’ils se retrouvent après 20 ans de séparation.

En souvenir de ce personnage de l’Odyssée, on appelle un mentor celui qui conseille et guide quelqu’un dans la réalisation d’un projet.

Le bateau de Télémaque, illustration publiée sur le site de Philippe Remacle pour le chant 15, le retour de Télémaque à Ithaque.

Métamorphoses   humaines

Les humains ne peuvent pas se changer eux-mêmes : ils subissent des transformations décidées par les dieux. 

La métamorphose, remède au désordre

Les dieux interviennent généralement pour arrêter un désordre : ainsi, quand le dieu Apollon pourchasse la belle Daphnée qui refuse de se donner à lui, la Terre et le Fleuve permettent à la jeune fille d’échapper au viol en la changeant en laurier. Le même secours est offert à Syrinx : elle échappe à Pan en étant métamorphosée en roseau. 

Pour éviter le viol, les dieux auraient pu frapper d’impuissance l’agresseur, momentanément du moins. Mais les dieux ne peuvent pas porter atteinte à la puissance d’un autre dieu. Alors, c’est l’objet du désir qui s’adapte pour empêcher le désordre. L’individu humain n’a pas d’importance pour la pensée mythique, être un homme, une femme ou une plante, qu’importe, vu du cosmos ?

Pan et Syrinx, par Rubens, vers 1636. Musée Bonnat-Helleu de Bayonne. L’artiste exprime bien le désordre provoqué par la passion violente du satyre.

La métamorphose, punition d’un désordre

Quand le désir désordonné ne concerne que des humains, c’est l’individu déviant qui est transformé : après s’être livrée à l’inceste avec son père, Myrrha est métamorphosée en arbre, et Byblis qui soupire d’amour pour son propre frère est transformée en source. 

Le poète latin Ovide a réécrit des centaines de mythes grecs dans lesquels la métamorphose termine le parcours humain de personnages animés par des émotions hors normes : trop fiers de leur propre beauté ou de celle de leur progéniture, ou trop violents, ou accablés de trop de malheurs, ces humains sont changés en animal, en plante ou en minéral. 

Dans cette représentation mentale du monde, les humains sont des êtres parmi d’autres. Et s’ils ne se conduisent pas avec la dignité que les dieux attendent d’eux, les dieux les expédient dans une forme de vie mieux adaptée à leur comportement.

La métamorphose, récompense de la piété

Je ne connais que deux métamorphoses positives, c’est-à-dire qui permettent au personnage de continuer son parcours sous forme humaine. Dans les deux cas, ce changement d’identité est obtenu par une supplication intensive de la divinité.

Iphis fille devenue garçon

Ovide est le seul à raconter cette histoire, dans le neuvième Livre de ses Métamorphoses.

En Crète, le premier enfant d’un couple honorable mais de modeste condition est sur le point de naître. Le mari Ligdus déclare à son épouse Téléthuse :

“La charge d’une fille est trop pesante, et la Fortune m’a refusé les moyens de la supporter. Si le sort te rend mère d’une fille (puissé-je éviter ce malheur ! ), je t’ordonne à regret… ô Pitié, pardonne !… de la tuer ». Il dit, et cette décision fait verser d’abondantes larmes à celui qui la  prend et à celle qui l’entend ; cependant, par d’inutiles prières, Téléthuse supplie son époux de ne pas limiter ainsi ses espérances. Ligdus, inébranlable, persiste dans son idée.”

La nuit même, Téléthuse voit en rêve la déesse Isis et un cortège de divinités qui lui dit de laisser en vie l’enfant à naître, sans tenir compte de son sexe. Quand une fille naît, Téléthuse fait croire au père que c’est un garçon, et par chance, il décide de l’appeler Iphis, prénom qui convient aux deux sexes. 

La déesse Isis apparaît à la mère d’Iphis, Gravure de Picart pour  Les Métamorphoses d’Ovide, 1732. L’artiste interprète à sa façon les dieux à têtes d’animaux et les instruments de musique.

Iphis est donc élevé(e) comme si elle était un garçon et dès l’âge de 13 ans, son père “le” fiance à la belle Ianthé. Les deux jeunes gens sont amoureux l’un de l’autre, mais Ianthé ne se doute pas du tout que “celui” qu’elle aime n’est pas un garçon. Iphis, au contraire est bouleversée par les sentiments qui l’habitent, car elle sait qu’une fille ne peut pas épouser  une fille :

“Iphis aime, mais sans l’espérance du bonheur ; son désespoir attise encore sa flamme, car vierge elle-même, elle brûle pour une vierge. Elle peut à peine retenir ses larmes : « Que dois-je attendre, dit-elle, moi que Vénus tourmente d’un amour inconnu jusqu’ici, d’un amour si étrange et si bizarre ?” 

Téléthuse, sa mère, retarde autant qu’elle peut le mariage, mais arrive le jour où le père exige qu’il soit célébré. Désespérée, la mère emmène sa fille devant l’autel d’Isis et supplie la déesse :

“Ô déesse, c’est toi que j’ai vue autrefois avec le cortège qui t’accompagne ; j’ai tout reconnu, tes flambeaux, le son de tes sistres, tes ordres ; tout est resté gravé dans ma mémoire. Si ma fille est vivante, si j’ai moi-même échappé aux remords, je le dois à tes conseils et à tes avertissements. Prends pitié de nous deux, et aide-nous ». Elle accompagne cette prière de ses larmes. Elle croit voir la déesse agiter ses autels ; ce n’était pas une illusion : les portes du temple tremblent, le croissant de la déesse brille de l’éclat de la lune, et le sistre sonore frémit. 

Inquiète encore, mais réjouie par cet heureux présage, Téléthuse sort du temple : Iphis la suit d’un pas plus hardi que de coutume ; son teint perd sa blancheur délicate, ses forces s’accroissent, ses traits sont plus mâles, ses cheveux détachés deviennent plus courts ; elle sent une vigueur supérieure à celle de son sexe. 

Jeune fille il y a peu de temps, tu es devenue un homme, Iphis ! Portez au temple vos offrandes et livrez-vous à la joie avec une entière sécurité ! 

Ils portent au temple des offrandes et y laissent cette inscription contenue dans un vers : Jeune fille, Iphis le promit ; homme, il tient sa promesse. 

L’Aurore avait ouvert les vastes portes du monde, en l’éclairant de ses rayons. Vénus, Junon et Hyménée couronnent leur flamme mutuelle, et le jeune Iphis possède enfin sa chère Ianthé.”

La déesse Isis change le sexe d’Iphis. Gravure de Bauer pour une édition de 1703 du livre IX des Métamorphoses d’Ovide.

Pygmalion et la statue d’ivoire

Le sculpteur Pygmalion vivait à Chypre, l’île d’Aphrodite (Vénus). Les temples consacrés à la déesse de l’amour mettaient à la disposition des pèlerins des prostituées. Méprisant les femmes à cause de ces pratiques vénales, Pygmalion avait décidé de rester célibataire. 

Vexée, Aphrodite usa de son pouvoir : elle le rendit fou amoureux d’une statue de femme qu’il avait sculptée dans de l’ivoire. Il lui parlait, la caressait, l’embrassait, lui offrait des cadeaux. Et plus il aimait cet objet, plus il souffrait de savoir que cet amour n’était qu’une illusion.

Un jour de fête en l’honneur d’Aphrodite, Pygmalion se rendit au temple et pria ardemment la déesse de lui permettre de vivre un amour réel. Satisfaite de le voir enfin se soumettre à elle, Aphrodite accepta sa demande. Quand Pygmalion rentra chez lui, la statue était vivante ! Et merveille des merveilles, elle l’aimait autant que lui l’aimait ! Il l’épousa et la déesse elle-même honora la cérémonie de sa présence.

Pygmalion découvre que sa statue est vivante, par Jean Raoux, 1717, Musée Fabre de Montpellier. En partie haute, la déesse de l’amour apparaît sur un nuage, accompagnée d’un couple de colombes se becquetant. Au centre, la statue devenue vivante est pudiquement protégée d’une draperie par un petit amour, tandis qu’Eros brandit le flambeau du mariage. Des enfants ailés, symboles du dieu Eros, jouent avec les fleurs et les bijoux jadis offerts à la statue par Pygmalion, qui tombe à genoux devant le miracle.

La métamorphose ruse destructrice

À côté des changements d’identité définitifs voulus par les dieux, les mythes racontent de nombreuses métamorphoses qui ne sont que passagères. Dans l’Odyssée, une métamorphose célèbre est réalisée par une magicienne qui, comme la déesse Athéna et comme les fées des contes, utilise une baguette magique. 

Circé change en porcs les compagnons d’Ulysse

Dans le Chant 10 de l’Odyssée, Ulysse et ses compagnons abordent à une île inconnue qui est celle de la magicienne Circée. Ulysse envoie un groupe de Grecs explorer l’île. Quand ils arrivent au palais de la magicienne, l’un d’eux, méfiant, reste dehors, alors que tous les autres acceptent l’invitation : 

“Circé les introduit, et les fait asseoir sur des trônes et sur des sièges ; puis elle mélange du fromage, de la farine d’orge et du miel nouveau avec du vin, et elle ajoute ensuite à cette préparation des plantes funestes afin que mes compagnons perdent entièrement le souvenir de leur patrie. Quand elle leur a donné ce breuvage, qu’ils boivent avec avidité, elle les frappe de sa baguette et les enferme dans l’étable ; car mes guerriers étaient devenus semblables à des porcs par la tête, la voix, les poils et le corps, mais leur esprit conserva toujours la même force. Malgré leurs gémissements, ils sont enfermés dans une étable. Circé leur jette pour nourriture des glands, des faines et des fruits du cornouiller, seuls mets que mangent les porcs qui couchent sur la terre.” (D’après le site Remacle)

Circé et les cochons, par Gustav Adolph Mossa (1883-1971), Bruxelles, Musées Royaux des Beaux Arts de Belgique, Photo Jean-Louis Mazières/Flickr.

Prévenu par le seul guerrier qui n’est pas entré dans le palais, Ulysse part aussitôt pour aller délivrer ses compagnons. En chemin, il rencontre le dieu Hermès qui se présente à lui “sous les traits d’un jeune homme à la fleur de l’âge et brillant de grâce et de fraîcheur.” Le dieu lui offre une plante qui le protègera contre les charmes de la magicienne et lui donne quelques conseils : menacer la magicienne avec son arme mais accepter de coucher avec elle, si elle le lui demande.

Ainsi que l’avait annoncé Hermès, Circé tente de transformer Ulysse en porc, mais le charme échoue grâce à la plante protectrice et il la menace d’une arme. Alors, elle le supplie de coucher avec elle, ce qu’il accepte de faire après lui avoir fait promettre par le serment des dieux qu’elle ne tentera plus de lui jouer un mauvais tour.

Circé et Ulysse, par Batholomaus Spranger, vers 1585. Musée d’art et d’histoire de Vienne. Photo Jean-Louis Mazières/Flickr. Entourée d’animaux étranges qui sont peut-être des humains qu’elle a transformés, la magicienne menace Ulysse de sa baguette.

(Puis le héros obtient qu’elle rende figure humaine aux cochons.)

“A ces mots Circé traverse la salle du palais, en tenant sa baguette à la main ; elle ouvre les portes de l’étable, et elle fait sortir tous mes compagnons qui sont semblables à des porcs âgés de neuf ans. La déesse les enduit tour à tour d’une nouvelle essence, et soudain tombent de leurs membres les poils qu’avaient fait naître les funestes charmes de la puissante Circé. Mes guerriers redeviennent plus jeunes qu’auparavant, et me paraissent plus beaux et plus grands que je ne les avais jamais vus ; ils me reconnaissent aussitôt, me serrent les mains, en poussant des cris d’allégresse.” 

Les Grecs resteront une année entière sur l’île accueillante de Circé, puis ils repartiront car une nouvelle épreuve attend Ulysse : il doit descendre au royaume des morts interroger le devin Tirésias, comme je le raconte dans le thème “La vie après la mort”, en lien avec le chapitre 18 du roman.

La métamorphose ruse protectrice

Ulysse transformé en vieux mendiant par Athéna

Après bien des péripéties, Ulysse a été déposé endormi sur son île natale par des marins phéaciens qui sont repartis aussitôt. (chant 13) Quand il se réveille, 

“Athéna lui apparaît sous les traits d’un jeune berger à la taille souple et délicate, elle ressemble à un fils de roi et porte sur ses épaules un large manteau ; de riches brodequins entourent ses pieds brillants, et elle tient un javelot dans une de ses mains. Ulysse se réjouit à la vue de cet étranger.  (Préférant ne pas se faire reconnaître, Ulysse raconte au berger qu’il a dû fuir sa Crète natale après avoir tué un homme qui voulait lui voler ses richesses.)

A ces mots la déesse aux yeux d’azur sourit et caresse de sa main le divin Ulysse. Tout à coup elle paraît sous les traits d’une femme belle, majestueuse et savante dans les travaux les plus délicats. (La déesse félicite le héros pour l’habileté avec laquelle il s’est inventé une fausse identité et se moque gentiment de lui, car il ne l’a pas reconnue)

Le prudent Ulysse lui répond aussitôt : – Ô déesse, il serait difficile même au plus habile de tous les hommes de te reconnaître ; car tu peux prendre, toi, toutes les formes qu’il te plaît. 

(La déesse lui conseille de se cacher sur l’île en attendant le retour de Télémaque, qu’elle va aller chercher pour le protéger des Prétendants qui lui tendent une embuscade.)

En disant ces mots, Athéna le frappe d’une baguette, et ride la peau délicate d’Ulysse sur ses membres flexibles ; elle dépouille la tête du héros de sa blonde chevelure et donne au fils de Laërte tout l’extérieur d’un vieillard cassé par l’âge ; puis elle ternit les yeux d’Ulysse, autrefois si vifs, si brillants. La déesse lui jette ensuite sur les épaules un manteau hideux, une mauvaise tunique sale, déchirée et noircie par une fumée épaisse ; elle lui fait présent de la dépouille usée d’un cerf agile, d’un bâton et d’une pauvre besace toute trouée : à cette besace pend une courroie qui sert de bandoulière.”

Ulysse transformé en mendiant par Athéna, par Giuseppe Bottani, 1775, Musée de Pavie. Photo Bibliothèque d’art Bridgeman.

Au Chant 16, Télémaque, de retour à Ithaque après avoir en vain cherché son père, vient demander au gardien de porcs Eumée de prévenir discrètement sa mère Pénélope. Eumée part aussitôt et le jeune homme reste seul face à un vieux mendiant réfugié dans la bergerie. Athéna apparaît à Ulysse seul pour lui faire signe de sortir. Elle lui dit qu’il est temps de se faire connaître à son fils :

“Athéna, en touchant Ulysse de sa baguette d’or, le couvre aussitôt d’une riche tunique, d’un manteau superbe, et elle rend à son corps toute la vigueur et toute la jeunesse qui l’animaient et l’embellissaient autrefois. Soudain les traits du héros prennent une teinte brunie, ses joues se raffermissent, et une barbe bleuâtre ombrage son menton ; puis la déesse s’éloigne. Ulysse rentre dans la bergerie ; son fils, en l’apercevant, reste stupéfait ; il détourne les yeux, craignant de voir un immortel. 

(Ulysse se révèle à son fils et tente de l’embrasser mais le jeune homme ne le croit pas)

– Non, tu n’es pas Ulysse ; tu n’es pas mon père : une divinité me trompe pour augmenter encore mes peines ! Il n’est pas un mortel qui, par sa puissance, puisse opérer ce prodige, à moins qu’un dieu ne l’assiste et ne le rende à son gré jeune homme ou vieillard. Tout à l’heure tu étais vieux et couvert de haillons, et maintenant tu ressembles aux immortels qui habitent les vastes régions de l’Olympe ! 

L’ingénieux Ulysse lui parle en ces termes :

– Télémaque, ne sois pas surpris du retour de ton père. Un autre Ulysse ne viendra pas à Ithaque ; c’est bien moi qui arrive en ces lieux chéris, après avoir erré et souffert de grands maux pendant vingt années. Reconnais l’œuvre d’Athéna protectrice, qui me fait paraître, tantôt comme un pauvre mendiant, tantôt comme un jeune homme revêtu d’habits magnifiques, car elle peut tout. Il est facile aux divins habitants de l’Olympe d’embellir ou d’enlaidir les faibles mortels. 

A ces mots, il s’assied. Télémaque serre son père dans ses bras et soupire en répandant des larmes. Tous deux alors, éprouvant le désir de pleurer, poussent des gémissements, comme des aigles ou des vautours lorsque les laboureurs leur ont ravi leurs jeunes petits.”

Après avoir bien pleuré, tous les deux organisent le combat contre les Prétendants. Athéna redonne à Ulysse son apparence de vieux mendiant pour que personne ne le reconnaisse.

Ulysse et Télémaque, par Lionel Royer, 1880. Mairie de Castellane.

Mythologie hindoue

Comme la mythologie grecque, la mythologie hindoue exprime le besoin d’interventions divines pour mettre le monde en ordre, mais au lieu d’engendrer des fils destructeurs de monstres et de tyrans, le dieu intervient directement, en prenant la forme qui convient le mieux pour chaque problème. 

Changements  d’identité  chez  les  dieux

Avatara de Vishnou

Vishnou prend des formes qu’on appelle des “avatars”. Il y en a  principalement dix, dont la liste est citée dans tous les articles sur Vishnou, livres ou internet.  Je vous présente mes préférés.

Avatar du poisson Matsya

Alors qu’il pratiquait ses ablutions quotidiennes dans le Gange, le sage Manu vit un petit poisson. Il le prit délicatement et le ramena chez lui, heureux d’avoir un compagnon qui ne troublerait pas ses méditations. Le lendemain, le poisson avait tellement grandi qu’il ne contenait plus dans le pot où Manu l’avait déposé. Le sage le logea donc dans une cruche, mais dès le lendemain, il dut l’installer dans une bassine qui fut vite remplacée par un tonneau. Et le poisson grandissait, grandissait toujours… Apporté dans un étang, il en dépassa vite les limites et il en fut de même pour un lac. 

Obligé de se séparer de son compagnon devenu gigantesque, Manu n’eut pas d’autre solution que de l’abandonner  en pleine mer.  

Un poisson de rivière ne peut pas vivre dans l’eau salée, mais Manu avait compris que ce n’était pas un poisson ordinaire. La preuve : l’animal se mit à lui parler, pour l’avertir qu’un déluge allait s’abattre sur terre et lui donner des conseils. 

Suivant les instructions de Vishnou (puisque en réalité c’était lui le poisson), Manu construisit un grand bateau dans lequel il s’installa avec sa famille, des échantillons de graines et un couple de chaque espèce animale. 

C’est ainsi que, grâce à son premier avatar, Vishnou sauva la vie sur terre, malgré le terrible Déluge.

Avatar du poisson Matsya, dessin coloré, vers 1820, Inde. British museum

Avatar du poisson Matsya, par Ravi Varma, avant 1945, site oldindianarts.

A travers les enfants de couleurs différentes, l’artiste symbolise l’humanité entière placée sous la protection de Vishnou.

Avatar de la Tortue Kurna

Après le Déluge, la terre était recouverte d’une épaisse couche d’un liquide qui ressemblait à du lait, et bien des trésors de vie avaient disparu. Alors les dieux décidèrent de baratter “l’océan de lait”. Pour baratter du vrai lait, on l’agite avec une machine équipée d’un battoir. À force de battre le lait, ses composants se séparent : le gras forme des grumeaux de beurre qui flottent dans un liquide un peu acide appelé “petit lait”.

Vous vous doutez que pour baratter l’océan de lait, il fallait un battoir de grande taille ! Les dieux choisirent une montagne mais comment la poser sur un socle solide ? Alors Vishnou se transforma en tortue géante et descendit au fond de l’océan de lait. Sur sa carapace, les dieux posèrent la montagne. Ils prirent le grand serpent Vasuki et l’enroulèrent autour de la montagne. Puis ils firent deux groupes, l’un qui tenait la tête et l’autre la queue de Vasuki. En tirant alternativement sur les deux extrémités du serpent, ils faisaient pivoter la montagne, ce qui agitait le lait. 

Dans cet avatar, Vishnou ne semble pas faire grand chose, mais son rôle de stabilisateur de la montagne est capital, car bien des trésors vont émerger de ce barattage : le premier cheval, le premier éléphant, la lune, la déesse de la santé, etc mais surtout la liqueur d’immortalité indispensables aux dieux. 

Avatar de la tortue : le barattage de l’océan de lait. Posée au fond de l’océan de lait né du Déluge, la tortue soutient fermement les équipes de dieux qui s’affairent à faire tourner l’axe du baratage.  XIIe siècle. Fragment d’un temple d’Ankor Vat, Cambdoge. Musée Guimet, Paris. Photo JPJ.

Avatar de l’homme lion Narasimha

À la suite de nombreuses ascèses, le démon Hiranyakashipu avait réussi à obtenir du dieu Brahma une assurance vie : nul ne pouvait le tuer, ni un humain, ni un dieu ni un animal, ni de jour ni de nuit, ni dedans ni en dehors de son palais, ni au sol ni en l’air. 

Hiranyakashipu se croyait invulnérable et en profita pour persécuter les dévots de Vishnou, parmi lesquels son propre fils, Prahlada. Malgré les menaces de son père, Prahlada refusait d’abandonner le culte de Vishnou, alors le démon ordonna de le mettre à mort. Comme on conduisait le fils au supplice, Vishnou sortit d’une colonne (ni dedans ni hors du palais), sous la forme d’un homme à tête de lion (ni homme ni animal), au crépuscule (ni le jour ni la nuit), et saisit Hiranyakashipu. Il lui déchira le ventre en le tenant sur ses genoux (ni au sol ni en l’air). 

Prahlada fut sauvé et devint roi à la place de son père.

L’homme lion tient le démon sur ses genoux pour l’étriper, sculpture du temple de Chennakeshava à Belur, en Inde, XIIe siècle. Photo Jean-Pierre Dalbéra.

Rama et Krishna

Les deux avatars qui ont donné lieu aux plus nombreux développements littéraires et artistiques sont ceux des héros Rama, dont le Ramayana conte les aventures, et Krishna qui joue un rôle capital dans le Mahabharata, en tant que conseiller d’Arjuna.

Dans ces deux avatars, le dieu mène une vie humaine complète : il est porté dans le ventre d’une femme, il naît, grandit, se marie, devient roi et combat victorieusement de nombreux ennemis. Extérieurement, il semble un homme normal, mais il possède des pouvoirs surnaturels qui lui permettent d’aider ses amis et de punir les méchants. 

Deux exemples seulement, parmi des dizaines d’exploits : dans le thème “Voir une femme nue” j’ai raconté comment Krishna envoie magiquement, depuis une ville lointaine, des longueurs de sari supplémentaires quand la malheureuse Draupadi est déshabillée de force par le méchant Dushashana. Et vous lirez ci-dessous comment Krishna a tué le méchant Shishupala.

Changements  d’identité  chez  les  humains

Au fil de mes promenades à travers les mythes hindous, je n’ai pas vu de métamorphoses brutales faisant passer un humain dans une forme de vie inférieure (végétal, animal, minéral), comme il y en a des dizaines dans la mythologie grecque. L’identité des humains apparaît comme instable, mais il me semble que les récits montrent plutôt une tendance vers l’amélioration, vers une identité plus harmonieuse, plus prestigieuse. Le parcours de Shishupala est un modèle du genre, jugez plutôt :

Shishupala, un monstre qui devient normal

À sa naissance, Shishuspala avait trois yeux et quatre bras. Pour un dieu, il s’agirait d’une situation normale, mais les parents de l’enfant sont des humains. Ils pensent abandonner à la mort leur petit monstre, mais une voix venue du ciel leur dit de ne pas le faire : un jour, quelqu’un le tuera, mais il faut d’abord que son futur assassin le rende normal. Et ce sera très simple : il lui suffira de le prendre sur ses genoux. 

La mère pose donc l’enfant à quatre bras sur les genoux de tous les visiteurs. Et un jour, ça marche enfin : quand Shishupala est sur les genoux de son cousin Krishna, les bras en trop et l’oeil supplémentaire tombent. Ouf ! Shishupala est devenu un enfant normal ! 

Mais la mère sait que celui qui a normalisé son fils doit le tuer un jour. Elle supplie Krishna d’épargner son fils, quoi qu’il fasse. Et Krishna promet de lui pardonner jusqu’à cent péchés. 

Shishupala est tué

Shishupala se croit invulnérable. Fort de la promesse de Krishna, il mène une vie de violence. Un jour, dans une assemblée, il insulte et menace d’une arme Krishna qui est désarmé. Et là, c’est le cent-unième péché, le péché de trop, qui libère Krishna de sa promesse de l’épargner. Le dieu rappelle d’abord au public quelques forfaits de Shishupala : 

“Il a tué par ruse de nobles rois, en évitant de vrais combats. Il a enlevé contre leur gré des épouses fidèles. Il a troublé les rites sacrés, en volant les offrandes sanctifiées. (Shishupala l’insulte et le menace de plus belle)

Krishna pensa au Chakra, son arme préférée ; il apparut aussitôt dans sa main. D’un geste rapide, Krishna lança l’infaillible projectile contre Shishupâla. Le disque partit en tournoyant sur lui-même avec un sifflement aigu. Il décapita Shishupâla et revint dans la main de Krishna.”(conté par Serge Demetrian) 

Krishna décapite Shishupala, miniature indienne du XIXe siècle, photo Wikicommons. L’artiste a donné au mystérieux Chakra une forme de fleur munie d’ailettes. 

Shishupala devient dieu

“Shishupala tomba comme un rocher foudroyé. Quand il toucha le sol, une lumière ardente quitta son corps ; la vapeur luminescente flottant au dessus du sol se dirigea vers Krishna, se prosterna devant lui et s’absorba en lui.” (Serge Démétrian)

Pour nous, Shishupala a  subi une mort violente ; pour les Hindouistes, il a été libéré de la vie, il a intégré la gloire divine. Comment un criminel endurci à-t-il pu obtenir ce que les dévots espèrent en menant une vie de prière et de sacrifices ?

Le site hindouiste askfrance.me commente ainsi cet épisode mystérieux : “Cela montre que même la personne qui a une haine extrême envers Dieu est libérée, en pensant constamment à Dieu. Shishupala, dans une haine extrême, pensait constamment au Seigneur alors il fusionna avec Dieu à la fin.”

La phrase des Chrétiens “Les voies du Seigneur sont impénétrables” me semble pouvoir aussi s’appliquer à la théologie hindoue…

Satyavati, de l’odeur nauséabonde au parfum délicieux

Dans les thèmes précédents, j’ai raconté l’histoire de la belle Satyavati : née du ventre d’une poissonne, elle est affligée d’une épouvantable odeur de poisson, qui éloigne d’elle tous les prétendants. En échange d’une nuit d’amour, un sage doté de grands pouvoirs la débarrasse de cette tare et lui donne au contraire une odeur délicieuse, qui fait tourner la tête du roi Shantanu dès qu’il la respire. 

La rencontre du roi Shantanu et de la fille parfumée, par Raja Ravi Varma.

Le chef des pêcheurs, père adoptif de la belle, accepte de la lui donner pour épouse, à condition que le fils qu’elle mettra au monde soit le seul héritier du royaume. 

Ayant déjà un fils d’un précédent mariage, le roi renonce à son odorante et rentre chez lui très triste. 

Devravata devient Bishma

Le fils du roi (et de la déesse Ganga qui s’était incarnée en mortelle quelques années plus tôt) s’appelle  Devavrata (voeu divin). Il a toutes les qualités pour être roi et il est l’héritier officiel.

Voyant son père atteint d’une profonde tristesse, il mène une enquête : en interrogeant le cocher du roi, il apprend la rencontre avec une jeune fille et la visite à son père. Il se rend alors chez celui-ci et demande la main de Satyavati pour son père. Le pêcheur lui dit la condition : le fils de sa fille sera seul héritier. Ne voulant que le bonheur de son père,  Devavrata s’engage devant tous les témoins à renoncer au trône. 

Devavrata prend le ciel à témoin de sa renonciation au trône, par Raja Ravi Varna.

Mais le pêcheur n’est pas satisfait : si Devavrata devient père, ses fils risquent de réclamer leur héritage. Alors Devavrata prend l’engagement de rester célibataire et sans enfants. Aussitôt, le Ciel manifeste son admiration :

“Les nymphes du ciel d’Indra, les dieux, les sages et tous les autres habitants des régions célestes firent alors pleuvoir des fleurs et clamèrent en choeur : “C’est Bhishma, le Terrible.”

De retour au palais avec la fiancée de son père, Devavrata, devenu Bishma, renouvelle son voeu de célibat et de non paternité en présence de la cour et du peuple. Son père, profondément reconnaissant de ce sacrifice, lui donne une bénédiction :

“Tu vivras aussi longtemps que tu voudras ;

La mort ne t’atteindra jamais.

La vie ne te quittera qu’à l’instant choisi par toi.

Elle te sera soumise comme l’esclave à son maître.”

Ici, la transformation n’est pas physique mais morale : en renonçant volontairement à vivre sa virilité, tout en restant exposé aux tentations de la vie mondaine (ce qui n’est pas le cas des ascètes, au fond des forêts) Devavrata devenu Bishma acquiert des pouvoirs surnaturels. Il vivra honoré du titre de “Vénérable Ancêtre” et ne renoncera jamais à son voeu. Il sera le soutien de tous les personnages du Mahabarata. 

Sa mort est un des points forts de la fin de l’épopée .

Comme vous le savez, Satyavati et le roi vivront heureux et auront deux fils (voir le thème “Paternités et maternités merveilleuses”). 

Le roi Nala et la belle Damayanti

Voici encore une histoire du Mahabharata, contée dans une des nombreuses ramifications : 

Après bien des aventures, le beau roi Nala a épousé celle qu’il aime, la belle Damayanti. Ils ont deux enfants et sont heureux. Mais le frère de Nala, qui est jaloux de leur bonheur,  propose une partie de dés. Naturellement, les dés sont pipés et naturellement, Nala perd son trône, son royaume, sa fortune. Il part en exil avec femme et enfants. Dans la forêt, il réalise qu’il est plus un fardeau qu’un protecteur pour sa femme et il profite de son sommeil pour l’abandonner, ne lui laissant qu’une moitié de son manteau.

Nala abandonne Damayanti endormie, par Raja Ravi Varma.

Rassurez-vous, Damayanti trouvera refuge chez un roi voisin qui la reconduira chez son père.

Seul dans la forêt, Nala entend appeler à l’aide : c’est un serpent qu’un feu allait brûler. Nala le prend sur ses épaules pour l’éloigner du danger. Je laisse Catherine Clément nous raconter la suite :

“À cet instant, le serpent se dresse sur le visage de Nala, le mord au front et Nala devient un vilain nain, tout petit et tout noir. Ses bras rétrécissent, il n’est plus lui-même. Gentiment, le serpent, malgré son allure de traître, l’avertit qu’il l’a  mordu pour son bien et lui donne deux vêtements de purification par le feu, lorsqu’il sera temps de retrouver son vrai corps. Nala, bien entendu, le croit. En Inde, même s’ils mordent, les serpents sont des créatures bénéfiques”

Grâce à ce camouflage, après encore bien des épreuves, il va reconquérir son épouse et son royaume. Alors, “il endosse les deux vêtements de purification que lui avait donné le gentil serpent et redevient lui-même.” 

Et pour que le happy end soit parfait, il vaincra par les armes son frère et se réconciliera avec lui, car en plus d’être redevenu très beau, Nala est resté d’une grande bonté, malgré toutes les épreuves subies !

Dans les récits hébraïques

L’identité   divine

Les Hébreux n’ont qu’un seul dieu. Dans les récits bibliques, il est beaucoup plus lointain par rapport aux humains que les dieux des autres mythologies qui se mêlent volontiers aux hommes. Seules les personnes qu’il choisit peuvent l’entendre parler et lui répondre. Face à l’ensemble du peuple hébreux, il se manifeste par une voix terrifiante et un feu destructeur.

Le feu, puissance destructrice de Dieu 

Au commencement des temps, le dieu a créé un homme et une femme et les a installés dans un agréable verger. Le dieu dialogue amicalement avec ses créatures, puis, après leur désobéissance, il leur parle durement et les chasse du lieu merveilleux où ils vivaient. Des anges à l’épée de feu ont pour mission d’empêcher le retour des bannis : Dieu “mit à l’orient du jardin d’Éden les chérubins qui agitaient une épée flamboyante, pour garder le chemin de l’arbre de vie.” (Genèse chapitre 3 verset 24)

Livrés à eux-mêmes, les humains s’organisent et construisent des villes. Longtemps après le Déluge, Dieu reprend contact avec un humain nommé Abram, qui mène une vie exemplaire, ce qui n’est pas le cas de tout le monde ! Au chapitre 19 de la Genèse, versets 27 à 29, Dieu utilise sa puissance pour détruire les villes impies : “Alors l’Éternel fit pleuvoir du ciel sur Sodome et sur Gomorrhe du soufre et du feu. L’Éternel détruisit ces villes, toute la plaine et tous les habitants des villes, et les plantes de la terre. La femme de Lot regarda en arrière, et elle devint une statue de sel.”

La destruction de Sodome, par John Martin, 1752, Lain Art Gallery, Newcastle, Angleterre.

Le feu signal de la présence de Dieu

Le buisson ardent

Moïse est un Hébreux élevé en Egypte mais qui a fui ce pays à la suite d’un meurtre. Alors qu’il garde les troupeaux de son beau-père sur le mont Horeb, “L’ange de l’Éternel lui apparut dans une flamme de feu, au milieu d’un buisson. Moïse regarda et vit que le buisson était tout en feu mais ne se consumait pas. Moïse se dit : – Je veux me détourner pour voir quelle est cette grande vision, et pourquoi le buisson ne se consume pas. L’Éternel vit qu’il se détournait pour voir et l’appela du milieu du buisson : – Moïse ! Moïse ! Et il répondit : – Me voici! Dieu dit : – N’approche pas d’ici, ôte tes souliers de tes pieds, car le lieu sur lequel tu te tiens est une terre sainte.” (Chapitre 3 du livre de l’Exode, versets 2 à 5)

Le buisson ardent, par Sébastien Bourdon, XVIIe siècle, Musée de l’Ermitage, Saint-Pétersbourg.

La colonne de feu

Ayant quitté l’Egypte, le peuple hébreux commence à traverser le désert :

“L’Éternel allait devant eux, le jour dans une colonne de nuages pour les guider dans leur chemin, et la nuit dans une colonne de feu pour les éclairer, afin qu’ils puissent marcher jour et nuit. La colonne de nuages ne se retirait pas de devant le peuple pendant le jour, ni la colonne de feu pendant la nuit.” (Exode, chapitre 13, versets 21-22) 

La traversée du désert durera 40 ans durant lesquels la colonne de feu nocturne et la colonne de nuage diurne seront toujours présentes pour guider les Hébreux. Dans les moments où le peuple restait stable, la colonne se positionnait au dessus du Tabernacle, c’est à dire de la tente spéciale qui abritait l’Arche d’alliance.

L’enceinte sacrée du camp des Hébreux dans le désert, avec l’autel en plein air où brûle en permanence le feu des sacrifices et le nuage qui pendant le jour signale la présence du dieu. Foster Bible, USA.

La montagne en feu 

Un jour, le dieu décide de donner au peuple hébreux des Commandements qu’il va dicter à Moïse depuis le sommet du mont Sinaï :

 “Le troisième jour au matin, il y eut des coups de tonnerre, des éclairs, et une épaisse nuée sur la montagne ; le son de la trompette retentit fortement ; et tout le peuple qui était dans le camp fut saisi d’épouvante. Moïse fit sortir le peuple du camp, à la rencontre de Dieu ; et ils se placèrent au bas de la montagne. 

La montagne du Sinaï était tout en fumée, parce que l’Éternel y était descendu au milieu du feu ; cette fumée s’élevait comme la fumée d’une fournaise, et toute la montagne tremblait avec violence. Le son de la trompette retentissait de plus en plus fortement. Moïse parlait, et Dieu lui répondait à haute voix.

Ainsi l’Éternel descendit sur la montagne de Sinaï, sur le sommet de la montagne; l’Éternel appela Moïse sur le sommet de la montagne. Et Moïse monta. (Exode 19, 16-20)

(…) Tout le peuple entendait les coups de tonnerre et le son de la trompette ; il voyait les flammes de la montagne fumante. A ce spectacle, le peuple tremblait, et se tenait dans l’éloignement. Mais Moïse s’approcha de la nuée où était Dieu. (Exode 20,18)

Vitrail aux armes de Georges Müller et de Hans-Rudolf Wyss – Moïse recevant les tables de la Loi. Musée du Louvre. Photo Reinhardhauke.

L’identité  des  humains

Selon les récits hébraïques, le dieu créateur a fait les humains à son image, ce qui place l’homme en dehors du reste de la création. On ne trouve donc pas dans les récits bibliques des métamorphoses qui feraient passer un humain dans une autre forme de vie, une forme animale, végétale ou minérale (hormis l’épouse de Loth, pétrifiée par la destruction de Sodome). 

Quand le dieu intervient dans l’histoire des hommes, il se contente de modifier le fonctionnement de sa créature. Selon sa volonté, Il peut rendre les femmes stériles ou au contraire permettre à une femme stérile depuis longtemps de devenir mère, comme je l’ai évoqué dans le thème “Paternités et maternités merveilleuses”. 

Dieu peut rendre aveugle un méchant (par exemple les hommes de Sodome pour les empêcher d’agresser ses messagers) ou au contraire permettre à un aveugle de retrouver la vue, comme le père de Tobie, dont je parle plus bas.

L’identité  des  anges

Dieu modifie le corps des humains directement ou par l’intermédiaire de ses messagers. Messagers est la signification première du mot ange. Dans la Bible, les anges en mission sur terre ont une apparence humaine tout à fait naturelle, comme les dieux grecs ou les apsaras hindoues quand ils et elles viennent se mêler aux humains. Mais ils ne s’accouplent jamais avec des humains, contrairement aux personnages surnaturels des deux mythologies que je viens de citer.

Au fil des siècles, des conventions artistiques se sont mises en place dans le monde chrétien : pour exprimer la nature spirituelle des anges, la tradition les représente pourvus d’ailes et entourés d’un halo de lumière. (Le monde juif traditionnel ne représente en images ni le dieu, ni les anges, ni les humains.)

Abraham et les trois anges

 “L’Éternel lui apparut parmi les chênes de Mamré, comme il était assis à l’entrée de sa tente, pendant la chaleur du jour. Il leva les yeux, et regarda : et voici, trois hommes étaient debout près de lui. Quand il les vit, il courut au-devant d’eux, depuis l’entrée de sa tente, et se prosterna à terre.

(Abraham invite les trois hommes à s’arrêter pour se faire laver les pieds et manger. Pour le repas, il demande à Sara de pétrir des galettes, à un serviteur de tuer et préparer un veau et il apporte lui-même de la crème et du lait.) 

Abraham et les trois anges, par Rembrandt, 1646, Aurora Trust, Amsterdam. L’artiste respecte les conventions de représentation des anges, mais pas le texte qui présente les visiteurs comme des hommes ordinaires.

Sara est guérie de sa stérilité

“Alors ils lui dirent : – Où est Sara, ta femme ? Il répondit : – Elle est là, dans la tente. L’un d’entre eux dit : – Je reviendrai vers toi à cette même époque ; et voici, Sara, ta femme, aura un fils. Sara écoutait à l’entrée de la tente, qui était derrière lui. Abraham et Sara étaient vieux, avancés en âge et Sara ne pouvait plus espérer avoir des enfants. Elle rit en elle-même, en se disant : – Maintenant que je suis vieille, aurais-je encore des désirs? Mon seigneur aussi est vieux. L’Éternel dit à Abraham : – Pourquoi donc Sara a-t-elle ri, en disant : – Est-ce que vraiment j’aurais un enfant, moi qui suis vieille? Y a-t-il rien qui soit étonnant de la part de l’Éternel ? Au temps fixé, je reviendrai vers toi, à cette même époque ; et Sara aura un fils.” (Genèse, début du chapitre 18)

Les anges annoncent que Sara n’est plus stérile, gravure de Gérard de Jode, XVIe siècle. Bibliothèque municipale de Lyon, photo Picryl. L’artiste ne représente pas un habitat nomade mais une ville, selon les conventions visuelles de l’époque.

Jacob devient boiteux 

 Le chapitre 32 de la Genèse (versets 24 à 32) nous raconte le retour de Jacob (petit-fils d’Abraham)  au pays de son frère Esaü. Il y a bien des années, ils se sont séparés après une dispute et Jacob craint que son frère ne l’agresse. Il est devant un gué qu’il a fait traverser à ses femmes, ses enfants, ses serviteurs et ses troupeaux. 

 “Jacob demeura seul. Alors un homme lutta avec lui jusqu’au lever de l’aurore. Voyant qu’il ne pouvait le vaincre, cet homme le frappa à l’emboîture de la hanche ; et l’emboîture de la hanche de Jacob se démit pendant qu’il luttait avec lui.

 L’homme dit : – Laisse-moi aller, car l’aurore se lève. Et Jacob répondit : – Je ne te laisserai pas aller, tant que tu ne m’auras pas béni. L’homme lui dit : – Quel est ton nom ? Et il répondit : – Jacob. L’homme dit encore : – Ton nom ne sera plus Jacob, mais tu seras appelé Israël ; car tu as lutté avec Dieu et avec des hommes, et tu as été vainqueur.

Jacob l’interrogea, en disant : -Fais-moi, je te prie, connaître ton nom. Il répondit : – Pourquoi demandes-tu mon nom? Et il le bénit là. Jacob appela ce lieu du nom de Peniel : car, dit-il, j’ai vu Dieu face à face, et mon âme a été sauvée.

 

Le soleil se levait, lorsqu’il passa Peniel. Jacob boitait de la hanche. C’est pourquoi jusqu’à ce jour, les enfants d’Israël ne mangent pas le tendon qui est à l’emboîture de la hanche ; car Dieu frappa Jacob à l’emboîture de la hanche, au tendon.”

Ce passage est l’un des plus mystérieux de la Bible. L’un des plus importants aussi puisque c’est à ce moment qu’apparaît pour la première fois le nom “Israël”. En tapant “Jacob et l’ange” sur votre moteur de recherche, vous trouverez des interprétations spirituelles et théologiques sur des sites judaïques, catholiques et protestants.

Jacob et l’ange, par Gustave Moreau, fin XIXe siècle. Musée Fogg à Harvard, USA. Le peintre exagère l’apparence surnaturelle de l’adversaire de Jacob, alors que le texte ne nous dit rien de tel, et le mystère qui entoure l’agresseur-porteur de bénédiction donne toute sa force au récit.

Les guérisons de Tobit et Sarra

Tobit devient aveugle

Tobit fait partie des Juifs déportés à Ninive, par le roi assyrien Salmanazar. Il mène une vie exemplaire. Il fait beaucoup d’aumônes à ses compatriotes et enterre les morts laissés sans sépulture. Un jour qu’il est couché contre le mur de la cour de sa maison, il reçoit dans les yeux de la fiente de moineau. Ses yeux s’infectent et finalement, il perd la vue. Au bout de plusieurs années de difficultés, il supplie Dieu de le faire mourir car sa vie est trop dure.

Sarra sept fois veuve et toujours vierge

Au même moment, dans une autre ville, la belle Sarra, désespérée,  adresse la même supplique à Dieu car elle est accablée de malheurs : 

“Elle avait été l’épouse de sept maris successifs. Mais Asmodée, le pire des démons, les avait tous fait mourir, avant qu’ils puissent s’unir à elle par les liens de la chair. (…) Or, voici que les deux prières, celle de Tobit et celle de Sarra, arrivèrent ensemble jusqu’à la Gloire de Dieu. L’Eternel leur envoya Raphaël pour les guérir tous les deux.” (Livre de Tobie, chapitre 3)

Tobie envoyé en mission

(Pensant qu’il va bientôt mourir, Tobit envoie son jeune fils Tobie chercher de l’argent qu’il avait confié vingt ans auparavant à un cousin. Comme le voyage est long jusqu’à la ville où Tobie doit se rendre, son père lui recommande de trouver un homme capable de le guider.)

“Il sortit et trouva devant lui l’ange Raphaël. Mais Tobie ignorait que c’était un envoyé de Dieu.” (Livre de Tobie, chapitre 5, verset 4) 

(Le garçon amène l’homme à son père qui l’embauche pour accompagner Tobie. Tous deux partent donc. Le soir, comme Tobie se lave les pieds dans la rivière Tigre, l’ange lui dit d’attraper le gros poisson qui saute. Ensuite, il lui dit de garder la vésicule biliaire, le foie et le coeur du poisson, car ce sont d’excellents remèdes : le coeur et le foie sont à brûler pour chasser les démons et la vésicule biliaire est un onguent pour les yeux.

Tobie attrape le poisson selon les conseils de l’ange, par Salvador Rosa, XVIIe siècle, Musée du Louvre. Photo Jean-Louis Mazières/Flickr.

Le mariage de Tobie

(Ils arrivent dans une ville où un cousin du père de Tobie les accueille avec joie. Sur les conseils de l’ange, Tobie demande pour épouse la fille unique de la maison, Sarra. Le  père lui avoue qu’un démon la persécute.) 

“- Je l’ai déjà donnée pour femme à sept maris. Et ils sont tous morts la nuit où ils se sont approchés d’elle. 

(Tobie insiste pour l’épouser quand même. Le père rédige alors un contrat de mariage et organise un bon repas. Puis les deux jeunes gens se retirent dans leur chambre. Persuadé que Tobie va mourir, son beau-père fait creuser une tombe pour l’enterrer discrètement, afin que nul ne sache que Sarra a vu mourir un huitième mari )

Tobie se souvint alors des paroles de Raphaël. Il sortit du sac où il les avait mis le coeur et le foie du poisson. Il les posa sur les braises du brûloir à encens. Et l’odeur chassa le démon qui s’enfuit dans les airs jusqu’au pays d’Egypte. Raphaël l’y suivit, se saisit de lui et l’enchaîna aussitôt. » 

(Les deux jeunes gens prient leur dieu de les protéger et la nuit se passe bien. Ensuite, Tobie demande à Raphaël d’aller inviter aux fêtes du mariage le cousin qui garde le dépôt d’argent fait par son père vingt ans plus tôt. Tobie récupère l’argent et, au bout de quatorze jours de fête, il repart avec sa femme et la moitié des biens de son beau-père, offerts par celui-ci.) 

La guérison de Tobit

(Pendant tout ce temps, le père de Tobie se fait beaucoup de soucis et sa mère le croit mort. À son retour, le jeune homme guérit son père en lui mettant le fiel du poisson dans les yeux. Tobit veut donner pour salaire au guide de son fils la moitié des richesses qu’il a rapportées, mais l’inconnu les prend à part pour leur révéler son identité)

« Quand tu priais en même temps que Sarra, c’était moi qui présentais vos supplications devant la gloire de Dieu. (…) Je suis Raphaël, un des sept anges qui se tiennent devant la gloire de Dieu et font toute démarche pour lui. Tous deux furent alors saisis de frayeur et ils tombèrent face contre terre. L’ange leur dit : – Ne craignez rien et soyez dans la paix. Bénissez Dieu tous les jours de votre vie. (…) Vous avez cru que je mangeais, ce n’était qu’illusion de votre part.” (Chapitre 12).

Ce récit n’est pas considéré comme sacré par les Juifs et les Protestants, mais il est reconnu comme inspiré par les Catholiques et les Orthodoxes. Il alimente de nombreuses spéculations sur les anges et les démons : leur nature, leur nombre, leur mode de vie, leur rôle au service de la volonté de Dieu…

Tobie rendant la vue à son père Tobit, copie ancienne d’une toile de Jacques Blanchard, XVIIe siècle. Collégiale de Villeneuve-les-Avignon. 

Le pouvoir de l’Eternel sur les humains

Après avoir longtemps souffert d’être stérile, Anne a douloureusement prié son dieu de la rendre mère d’un enfant mâle, qu’elle a promis de lui consacrer. Dans l’année qui a suivi, elle a mis au monde le futur prophète Samuel. Quand il a eu l’âge de trois ans, elle l’a offert au temple où le prophète Elie s’est chargé de son éducation. Puis elle  a prié, et ses paroles résument la façon dont les Hébreux considèrent que leur dieu intervient dans les affaires des humains, en modifiant leur corps ou leur position sociale : 

“Anne pria, et dit : Mon coeur se réjouit en l’Éternel, ma force a été relevée par l’Éternel (…) Ceux qui étaient dans l’abondance travaillent pour du pain, et ceux qui étaient affamés se reposent. La stérile enfante sept fois, et celle qui avait beaucoup d’enfants est flétrie. L’Éternel fait mourir et il fait vivre. Il fait descendre au séjour des morts et il en fait remonter. L’Éternel appauvrit et il enrichit, il abaisse et il élève. De la poussière il retire le pauvre, du fumier il relève l’indigent, pour les faire asseoir avec les grands. (Premier livre de Samuel, chapitre 2)

Récits chrétiens

Récits   d’événements  précédant   la  naissance  de  Jésus

Encore des guérisons de femmes stériles

La stérilité d’Anne

L’histoire d’Anne et Joachim se situe dans la tradition des récits bibliques de guérison de stérilités. Elle est racontée par des livres respectés mais considérés comme non sacrés.

 Bien que menant une vie de dévotion à Nazareth, Anne et Joachim souffrent de ne pas avoir d’enfant. Blessé des moqueries qu’il subit, Joachim se retire dans la campagne pour prier. Malheureuse de l’absence de son mari et de sa stérilité, Anne promet solennellement à Dieu que s’il lui accorde un enfant, celui-ci mènera une vie de prière. Les deux époux reçoivent la visite d’un ange, qui leur annonce qu’Anne va mettre au monde un enfant merveilleux : ce sera Marie, future mère de Jésus. 

Cette tradition chrétienne semble un copié collé du livre de Samuel.

La stérilité d’Elisabeth

Ce récit est contenu dans l’Evangile de Luc, chapitre 1.

Zacharie et Elisabeth étaient “tous les deux justes devant Dieu, ils suivaient d’une manière irréprochable tous les commandements et toutes les lois du Seigneur. Ils n’avaient pas d’enfant, parce qu’Elisabeth était stérile, et ils étaient l’un et l’autre d’un âge avancé.

(Alors qu’il est dans la partie la plus sacrée du Temple), un ange du Seigneur apparut à Zacharie et se tint debout à droite de l’autel des parfums. Zacharie fut troublé en le voyant et la peur s’empara de lui. Mais l’ange lui dit : – N’aie pas peur, Zacharie, car ta prière a été exaucée. Ta femme Elisabeth te donnera un fils et tu l’appelleras Jean. (Zacharie objecte sa vieillesse et celle de sa femme.)

L’annonce de la naissance de Jean-Baptiste, gravure du XIXe siècle.

Zacharie devient muet

L’ange lui répondit: – Je suis Gabriel, je me tiens devant Dieu ; j’ai été envoyé pour te parler, et pour t’annoncer cette bonne nouvelle. Et voici, tu seras muet, et tu ne pourras plus parler jusqu’au jour où ces choses arriveront, parce que tu n’as pas cru à mes paroles, qui s’accompliront en leur temps. (…) 

Elisabeth est guérie de sa stérilité

Quelque temps après, sa femme Elisabeth fut enceinte. Elle se cacha pendant cinq mois, disant : – C’est l’oeuvre que le Seigneur a faite quand il a porté le regard sur moi pour enlever ce qui faisait ma honte parmi les hommes.

Zacharie retrouve la parole

(À la naissance de l’enfant), Zacharie demanda des tablettes, et il écrivit : Jean est son nom. Et tous furent dans l’étonnement. Au même instant, sa bouche s’ouvrit, sa langue se délia, et il parla, bénissant Dieu.”

La naissance de Jean-Baptiste, gravure du XIXe siècle.

L’apparence   de   Dieu

Le feu qui signale la présence divine dans les récits hébraïques perd sa violence dans les récits chrétiens. De ce feu, il ne reste que la lumière. La voix de Dieu se fait également entendre dans les moments importants, mais elle n’est pas terrifiante, au contraire, elle invite à l’amour. À chaque intervention, lumière et voix céleste désignent Jésus comme un être particulier, le fils de Dieu. 

À ces manifestations traditionnelles de la présence divine s’ajoute la matérialisation de l’Esprit Saint sous forme d’une colombe, lors du baptême de Jésus.

L’apparence   de   Jésus

Mon propos n’est pas de discuter de l’identité du Christ Jésus, homme ou dieu, simplement de citer quelques récits qui évoquent ses changements d’apparence.

Le baptême de Jésus

Luc, Matthieu et Marc nous racontent tous les trois le baptême de Jésus par Jean. Je choisis la version de Luc, chapitre 3, versets 21 à 23 :

“Tout le peuple se faisant baptiser, Jésus fut baptisé lui aussi ; et, pendant qu’il priait, le ciel s’ouvrit, et le Saint Esprit descendit sur lui sous une forme corporelle, comme une colombe. Et une voix fit entendre du ciel ces paroles : 

-Tu es mon Fils bien-aimé ; en toi j’ai mis toute mon affection.

Jésus avait environ trente ans.” 

Le baptême de Jésus, par Le Tintoret, vers 1580. Eglise Saint Sylvestre de Venise.

La transfiguration de Jésus 

Les Evangiles de Luc, Matthieu et Marc rapportent cet épisode. Voici la version de Matthieu, chapitre 17, versets 1 à 13 :

“Jésus prit avec lui Pierre, Jacques, et Jean, son frère, et il les conduisit à l’écart sur une haute montagne. Il fut transfiguré devant eux ; son visage resplendit comme le soleil, et ses vêtements devinrent blancs comme la lumière. Et voici, Moïse et Élie leur apparurent, s’entretenant avec lui.

Pierre, prenant la parole, dit à Jésus : Seigneur, il est bon que nous soyons ici ; si tu le veux, je dresserai ici trois tentes, une pour toi, une pour Moïse, et une pour Élie. Comme il parlait encore, une nuée lumineuse les couvrit. Et voici, une voix fit entendre depuis les nuages ces paroles : – Celui-ci est mon Fils bien-aimé, en qui j’ai mis toute mon affection : écoutez-le ! 

Lorsqu’ils entendirent cette voix, les disciples tombèrent sur leur face, et furent saisis d’une grande frayeur. Mais Jésus, s’approchant, les toucha, et dit : – Levez-vous, n’ayez pas peur ! Ils levèrent les yeux, et ne virent que Jésus seul. Comme ils descendaient de la montagne, Jésus leur donna cet ordre : – Ne parlez à personne de cette vision, jusqu’à ce que le Fils de l’homme soit ressuscité des morts.”

La Transfiguration de Jésus, par le peintre danois Carl Heinrich Bloch, 1872. Photo 1st-art-gallery. com

Contes

Je vais brièvement explorer le rôle que les modifications de l’apparence du corps jouent dans les récits. 

La métamorphose ruse destructrice

Le Chat botté, par Charles Perrault

Le Maître Chat arrive au château de l’ogre et celui-ci le reçoit poliment.

“On m’a assuré, dit le Chat, que vous aviez le don de vous changer en toute sorte d’Animaux, que vous pouviez par exemple, vous transformer en Lion, en Éléphant ? 

– Cela est vrai, répondit l’Ogre brusquement, et pour vous le montrer, vous m’allez voir devenir Lion. Le Chat fut si effrayé de voir un Lion devant lui, qu’il gagna aussitôt les gouttières, non sans peine et sans péril, à cause de ses bottes qui ne valaient rien pour marcher sur les tuiles. 

Quelque temps après, le Chat, ayant vu que l’Ogre avait quitté sa première forme, descendit, et avoua qu’il avait eu bien peur. 

– On m’a assuré encore, dit le Chat, mais je ne saurais le croire, que vous aviez aussi le pouvoir de prendre la forme des plus petits Animaux, par exemple, de vous changer en un Rat, en une Souris ; je vous avoue que je tiens cela tout à fait impossible. 

– Impossible? reprit l’Ogre, vous allez voir, et en même temps il se changea en une Souris, qui se mit à courir sur le plancher. Le Chat ne l’eut pas plus tôt aperçue qu’il se jeta dessus, et la mangea.”

La lutte par métamorphose est présente dans plusieurs récits mythologiques grecs : comme le chat dévore l’ogre, Zeus avale Métis qui s’est transformée en goutte d’eau, lors du concours de métamorphoses qu’il lui a proposé ; pour échapper au roi Pélée, la déesse Thétis se métamorphose, jusqu’à ce qu’il la ceinture et la maîtrise, etc.

Le Chat Botté et l’Ogre, gravure de Gustave Doré, XIXe siècle.

Le déguisement, ruse destructrice

La méchante belle-mère de Blanche-Neige prend l’apparence d’une vieille femme qui vend des pommes, le loup prend la place et les habits de la grand-mère du Petit Chaperon Rouge… avec un simple déguisement, le récit fonctionne de la même façon, comme si l’instabilité de l’identité était normale pour l’auditeur ou le lecteur du conte. 

Transformation physique et transformation spirituelle

Riquet à la houppe, de Charles Perrault 

“Il était une fois une reine qui accoucha d’un fils, si laid et si mal fait, qu’on douta longtemps s’il avait forme humaine.

(Une fée qui est présente à la naissance fait au prince le don de l’intelligence et celui de rendre intelligent la personne qu’il aimera. Sept ans plus tard, une autre reine met au monde deux filles : l’une est laide mais très intelligente, l’autre belle mais sotte. Tout le monde admire les propos de la laide, qui brille par son intelligence, tandis que la belle est si sotte que tout le monde la méprise.) 

Un jour qu’elle s’était retirée dans un bois pour y plaindre son malheur, elle vit venir à elle un petit homme fort laid et fort désagréable, mais vêtu très magnifiquement. C’était le jeune prince Riquet à la houppe, qui étant devenu amoureux d’elle d’après ses portraits qui circulaient par tout le monde, avait quitté le royaume de son père pour avoir le plaisir de la voir et de lui parler.

(En échange de la promesse de l’épouser dans un an, Riquet lui fait le don de l’intelligence.) 

Elle n’eut pas plus tôt promis à Riquet à la houppe qu’elle l’épouserait dans un an à pareil jour, qu’elle se sentit tout autre qu’elle n’était auparavant ; elle se trouva une facilité incroyable à dire tout ce qui lui plaisait, et à le dire d’une manière fine, aisée et naturelle.(…) Quand elle fut retournée au palais, toute la cour ne savait que penser d’un changement si subit et si extraordinaire.

(Pendant les mois qui suivent, devenue à la fois belle et intelligente, la princesse est demandée en mariage par tous les princes des environs. Elle repart dans la forêt pour réfléchir au choix qu’elle va faire, sans se rappeler que c’est le jour anniversaire de sa promesse d’épouser Riquet.) 

Elle n’eut pas fait trente pas en continuant sa promenade, que Riquet à la houppe se présenta à elle, brave, magnifique, et comme un prince qui va se marier. 

(Comme elle lui avoue qu’elle n’est pas prête à tenir sa promesse, il lui rappelle que la fée lui a donné le pouvoir de rendre beau qui elle aime.)

– Si la chose est ainsi, dit la princesse, je souhaite de tout mon coeur que vous deveniez le prince du monde le plus beau et le plus aimable ; et je vous en fais le don autant qu’il m’est possible.

La princesse n’eut pas plus tôt prononcé ces paroles, que Riquet à la houppe parut à ses yeux l’homme du monde le plus beau, le mieux fait, et le plus aimable qu’elle eût jamais vu. Quelques-uns assurent que ce ne furent point les charmes de la fée qui opérèrent, mais que l’amour seul fit cette métamorphose.” 

À ma connaissance, les transformations spirituelles commencent à apparaître dans des récits à partir des Ecritures chrétiennes, où elles sont une manifestation de la puissance divine. Ici, c’est une intervention magique, mais je détaillerai plus loin les doutes de l’auteur au sujet de la magie.

Rester soi-même malgré les apparences

Peau d’Âne par Charles Perrault

(Pour échapper au désir incestueux de son père, une princesse s’enfuit dans un autre royaume, cachée sous une peau d’âne. Ayant trouvé dans une ferme un travail de gardeuse de dindons, elle loge dans une modeste cabane et personne ne se doute de sa véritable identité. Mais sa marraine la fée lui a fait parvenir magiquement un coffre contenant ses beaux habits et ses bijoux. Elle peut ainsi se parer en cachette dans ses moments de loisir. 

Un jour, le fils du roi vient à la ferme pour se reposer après la chasse. En explorant le domaine, il arrive à la cabane où loge Peau d’Ane. Espionnant par le trou de la serrure, il l’aperçoit parée de ses habits de princesse et en devient instantanément amoureux. Il demande aux fermiers qui loge dans la cabane, et apprend que c’est Peau d’Âne, la gardeuse de dindons.

(Malade d’amour, le prince demande à sa mère la reine que Peau d’Âne fasse pour lui un gâteau.) 

La reine, étonnée de ce nom bizarre, demanda qui était cette Peau-d’Âne. « C’est, madame, reprit un de ses officiers qui par hasard avait vu cette fille, c’est la plus vilaine bête après le loup ; une peau noire, une crasseuse, qui loge dans votre métairie et qui garde vos dindons.” 

(La princesse aussi avait aperçu le prince par la fenêtre et elle l’aimait. Volontairement ou non, elle laisse tomber sa bague dans la pâte du gâteau qu’elle confectionne. 

La bague trouvée en mangeant le gâteau, le prince fait rassembler toutes les jeunes filles du royaume, y compris Peau d’Âne, car il veut retrouver la propriétaire du bijou. 

Pendant l’essayage de la bague, un mouvement de la princesse fait tomber la peau de l’âne.)

La peau tomba, et elle parut d’une beauté si ravissante, que le prince, tout faible qu’il était, se mit à ses genoux, et les serra avec une ardeur qui la fit rougir.”

Tout le monde admire la beauté de la princesse et le mariage est rapidement conclu.

Je pourrai aussi évoquer les transformations d’apparence de Cendrillon, qui jouent également sur le contraste entre la pauvre servante crasseuse et la superbe princesse.

mythes et contes : les enjeux des transformations

On doit croire aux dieux

Mythes ou contes, les techniques de récit sont les mêmes, mais l’enjeu est diamétralement opposé. Tout au long des récits gréco-romains, des épopées hindoues ou des récits judéo-chrétiens, dieux et humains ont des échanges : les humains implorent les divinités par la prière et le sacrifice ; en réponse, les divinités transforment les humains, physiquement ou psychologiquement. Tous ces récits mythiques disent clairement que les humains doivent se soumettre aux dieux car ils ont tout pouvoir sur le corps humain.

Dans les contes, les transformations des corps s’opèrent par la magie et il n’y a pas de reconnaissance particulière à manifester à la source inconnue de ces pouvoirs : la magie agit et c’est tout.

Peut-on croire à la magie ?

Après avoir pendant des siècles transmis une vision magique du monde, incluant la croyance dans des forces surnaturelles maléfiques ou bienveillantes, le conte est devenu un divertissement dans le milieu social de Perrault.

Le conte de Perrault, Riquet à Houppe,  témoigne bien de ce changement de statut du conte et donc de la vision du monde qu’il véhicule. Dans les versions populaires transmises oralement dans les campagnes et notées par des folkloristes aux XIXe et XXe siècle, ce prince est un personnage ambigu, lié aux forces souterraines. Dans son adaptation, Perrault a conservé une trace de ces liens avec les forces telluriques. Lors de la deuxième promenade de la princesse dans la forêt :

“La terre s’ouvrit dans le même temps, et elle vit sous ses pieds comme une grande cuisine pleine de cuisiniers, de marmitons et de toutes sortes d’officiers nécessaires pour faire un festin magnifique. Il en sortit une bande de vingt ou trente rôtisseurs, qui allèrent se camper dans une allée du bois autour d’une table fort longue.”

(Sans s’émouvoir de ce spectacle étrange, la princesse continue sa promenade et rencontre Riquet avec qui elle parle le plus naturellement du monde, sans l’interroger sur le monde souterrain auquel il appartient.)

Riquet à la houppe montre son royaume souterrain à la princesse, illustration de Gustave Doré, XIXe siècle.

Après la transformation physique du prince, l’auteur nie carrément l’intervention des forces surnaturelles et tourne en ridicule un héros qui dans les versions populaires est plus inquiétant que risible : 

“Quelques-uns assurent que ce ne furent point les charmes de la fée qui opérèrent, mais que l’amour seul fit cette métamorphose. Ils disent que la princesse ayant fait réflexion sur la persévérance de son amant, sur sa discrétion, et sur toutes les bonnes qualités de son âme et de son esprit, ne vit plus la difformité de son corps, ni la laideur de son visage, que sa bosse ne lui sembla plus que le bon air d’un homme qui fait le gros dos;

et qu’au lieu que, jusqu’alors, elle l’avait vu boiter effroyablement, elle ne lui trouva plus qu’un certain air penché qui la charmait; ils disent encore que ses yeux, qui étaient louches, ne lui en parurent que plus brillants, que leur dérèglement passa dans son esprit pour la marque d’un violent excès d’amour, et qu’enfin son gros nez rouge eut pour elle quelque chose de martial et d’héroïque.”

Les contes de Perrault sont parus en 1697. Durant tout le siècle, de retentissantes affaires de sorcellerie ont secoué l’Europe, avec des cas de possession démoniaque dans des couvents de femmes (affaire des possédées de Loudun, années 1630)  et des rumeurs de messes noires célébrées par des proches du roi Louis XIV (affaires des poisons, années 1680). 

Les centaines d’exécutions qui ont accompagné ces affaires liées à la sorcellerie ont si douloureusement marqué les esprits qu’on préfère rire des croyances aux forces inconnues. 

Bûcher de sorcières sur la place de l’hôtel de ville de Paris, gravure de Claude Chastillon, vers 1610.

Aujourd’hui, les  changements  de  l’identité 

Changements involontaires dans l’identité

Aujourd’hui, en Occident, la représentation mentale que l’on se fait de l’identité humaine est beaucoup plus stable que celle des mythes. Dans l’esprit de chacun, les seules variables involontaires qui existent sont la maladie et le handicap. Parmi toutes les maladies, celle d’Alzheimer est la plus redoutée, car elle modifie en profondeur l’identité de la personne atteinte, au point qu’elle ne sait plus accomplir les tâches autrefois familières ou même  qu’elle ne reconnaît plus sa famille.

 Quant à l’origine de ces changements subis, peu de personnes, je pense, croient y voir une origine divine ou magique. Mais les pèlerins de Lourdes ou d’ailleurs montrent que l’on peut encore croire à la possibilité d’une intervention divine pour supprimer le problème. 

Lutter et souffrir pour une identité

La maladie n’est pas la seule cause de souffrance identitaire. Beaucoup de personnes subissent des pressions psychologiques ou économiques pour des questions d’identité.

Affirmer une identité nationale paraît de la plus haute importance à certains : beaucoup d’Anglais ne veulent plus être Européens, beaucoup de Catalans espèrent ne plus être Espagnols… Dans tous les pays européens, le Conseil Européen ou les migrants semblent un danger pour les identités nationales. 

Une autre part d’identité que des personnes veulent affirmer (ou sont obligées d’affirmer) est celle de la religion. Mais porter en public des signes reconnaissables (croix, kippa, voile…) les expose aux réactions des tenants d’une autre religion (ou de la laïcité stricte) ou des agents de la force publique. 

Quant aux identités sexuelles, elles sont aussi sources de conflits et de souffrances.

Changer volontairement son identité ?

Tout le monde est d’accord sur la nécessité d’abolir la maladie et le handicap, pour (re)donner aux malades une identité exempte de souffrance ; mais d’autres combats sont loin de faire l’unanimité :  par exemple, abolir la frontière entre masculin et féminin, comme le proposent les tenants des théories du genre, ou abolir la frontière entre humain et animal, comme le souhaitent les antispécistes.

Mon propos n’est pas de juger de l’intérêt de ces luttes. Je regrette simplement que les questions d’identité fassent souffrir les personnes concernées. 

Les mythes et les contes montrent que les épreuves nous conduisent vers nous-même. 

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