47. La vérité des mères

Les rues et les places de Sanara sont noires de monde. Dans le bruit assourdissant des tambours, des pétards et des feux d’artifice, les restaurants et les débits de boisson affichent complet.

Entourés de huit soldats, Personne et Archer marchent le plus vite possible, en luttant pour garder le cap malgré les mouvements de la foule qui parfois les repousse en sens inverse.

– Les gens se rattrapent, crie Personne.

– Qu’est-ce-que vous dites ? hurle Archer.

Le garçon approche sa bouche de l’oreille du commandant et hurle pour répéter sa phrase.

– Oh, ça va ! sursaute Archer. Je ne suis pas sourd ! Ils se rattrapent de quoi ?

Personne répond d’une voix normale et le commandant fait signe qu’il n’a rien compris. Arrivé dans des petites rues plus calmes, Personne dit :

– Ils se rattrapent de l’annulation du cortège de la perle, l’autre occasion de faire la fête. Ils profitent encore plus du solstice.

La rue des Boutiques Obscures est déserte, car tout le monde profite de la fête sur l’avenue. Au bout de l’impasse, la porte de la minuscule maison est ouverte. Au pas de course, le  groupe mené par Archer s’engouffre dans la maison, puis l’escalier. Dans la chambre de Rose gisent les cadavres de deux inconnus.

– Oh là là, murmure un soldat.

– Ouais, ça fait désordre dans la chambre d’une jeune fille, des bibelots comme ça, dit Personne, en insistant sur son ton désinvolte. 

Laissant les soldats continuer seuls, il se précipite sur le balcon, pour vomir par-dessus la rambarde. Il y trouve Caramel et Bonbon serrés l’un contre l’autre, tremblants. Il leur dit, presque aussi tremblant qu’eux : 

– Je m’y habituerai jamais, tout ce sang, ces morts. Je comprends pas comment ils font pour supporter… Restez-là, les bestioles, vous êtes en sécurité.

Mais le petit singe saute sur lui et s’accroche frénétiquement à son cou. Personne revient dans la chambre en le caressant d’une main, toujours accroché à son cou, tandis que Caramel les suit prudemment, les oreilles dressées et l’œil aux aguets.

Archer et ses hommes ont disparu. Personne jette un œil dans la deuxième chambre, constate qu’elle est vide et en sortant du salon du salon, enjambe un autre corps, l’avant-bras bloqué sur la bouche pour ne pas vomir. Il court après les soldats qui disparaissent au fond du couloir. 

– Où ils sont ? s’exclame-t-il en arrivant sur le palier d’un grand escalier. 

Caramel renifle le sol et prend résolument l’escalier qui monte ; Personne le suit, en expliquant à Bonbon :

– Ne vous faites pas de souci pour Rose, elle est en sécurité, mais quand même, le roi et la reine, il faudrait pas qu’on leur fasse du mal, elle serait pas contente, notre princesse. 

« Pourquoi je parle comme un vieux qui radote avec ses animaux ou comme un gamin ? » pense-t-il. Il est vaguement conscient que parler le langage de la sénilité ou de l’enfance, âges sans violences meurtrières, calme l’angoisse née en lui à la vue des cadavres : et s’il avait lancé ses deux camarades du Sud dans un combat fatal ? Il s’efforce de se rassurer : « Ils sont forts, ce sont de vrais guerriers, ils  vont réussir…»

L’inquiétude le mine puisque son plan ne s’est pas déroulé comme prévu : il avait prévenu les soldats de l’entrée du palais de veiller particulièrement sur le roi et la reine, car une rumeur parlait d’une tentative d’enlèvement pendant la fête. Ils avaient eu l’air de prendre l’information au sérieux.

Le garçon comptait sur eux pour repousser l’attaque, les gars du Sud n’étant là que pour récolter la gloire de se porter au secours de la princesse. Mais où sont les gardes et ses copains du Sud ?

Guidé par le petit chien qui trottine le nez au sol dans l’enfilade des couloirs et des salons, il finit par entendre un cliquetis d’épée et ralentit le pas :

– ça y est, on les a trouvés. On va y aller doucement, les bestioles, dit-il à ses compagnons, on n’est pas des embrocheurs, nous, d’ailleurs, on n’est pas équipés. 

Depuis le couloir, il jette un regard prudent dans la salle d’où vient le bruit : le grand salon de l’appartement de la reine est transformé en salle d’armes. Mais il ne s’agit pas d’un simple entraînement : les cadavres qui gisent sur le sol prouvent que chacun joue sa vie.

Au centre de la pièce, trois inconnus jettent leurs dernières forces dans le combat qui les oppose à Ardent, Archer et au roi. Des gardes et les hommes emmenés par Archer observent en connaisseurs les gestes assurés de leurs chefs et de ce jeune au costume de soldat défraîchi. 

Appuyé contre le mur, sa main gauche compressant son épaule droite blessée, Flamboyant regarde lui aussi, vexé de ne pas être avec les meilleurs. Le roi est le dernier à vaincre. Dès que son épée a abattu son adversaire, un grand silence se fait. La reine qui attendait dans un coin se précipite vers Flamboyant, un foulard à la main pour bander sa blessure :

– Pauvre enfant, vous avez perdu beaucoup de sang. Je vais vous faire soigner.

Elle le fait s’allonger sur un canapé et demande à un garde d’aller chercher le médecin du palais. Les yeux fermés, Flamboyant se laisse aller à la douceur du repos, tandis que le roi s’adresse à Ardent :

– Je voudrais bien savoir comment vous avez des armes et des uniformes de l’armée royale et comment vous saviez que cette attaque allait avoir lieu. 

Personne s’avance et glisse discrètement à Ardent un papier tout froissé, lui faisant signe de le remettre au roi. L’ayant déplié, le roi reconnaît le sauf-conduit qu’il avait lui-même signé quand Archer le lui avait demandé pour l’espion qui partait dans l’Est. Sans le commenter, il fait passer le document à son ministre qui lit à haute voix :

– « C’est par mon ordre et pour le bien du royaume que le porteur de la présente a fait ce qu’il a fait. » Ce sauf-conduit signé de la main du roi exonère ces jeunes gens de toute faute. Ils sont là car ils ont appris que la princesse allait être victime d’un enlèvement, et ils se sont précipités à son secours, votre Majesté. 

– Majesté ?!  s’exclame Ardent en dévisageant l’homme qui lui a parlé au ministère de l’Intérieur. Vous êtes le roi ?

Il n’a pas le temps d’exprimer davantage sa surprise : des aboiements frénétiques viennent d’éclater. Tous les regards se tournent vers la porte : Rose et Cendres Brûlantes, le souffle court, font irruption tandis que Caramel danse joyeusement autour de sa jeune maîtresse revenue. Personne reste dans le couloir, mais se penche un peu par la porte, pour observer. Cendres et Rose se précipitent vers Flamboyant, inerte sur le canapé, mais la reine les rassure d’un geste et de quelques mots murmurés :

– Le médecin va arriver. 

Effectivement, le médecin arrive. Comme les gardes soutiennent le blessé pour le conduire dans une autre pièce, Archer fait signe à Ardent et Cendres Brûlantes d’accompagner leur cousin :

– Messire Ardent, le roi vous convoquera plus tard pour vous exprimer sa reconnaissance, pour le moment reposez-vous.

Le roi fait signe à Rose d’approcher :

– Vous étiez censée dormir dans votre chambre ! Mais elle était vide ! Heureusement, vu les événements ! Mais je veux comprendre ! Où étiez-vous, ma fille ? 

Comme la princesse se tait, le roi insiste :

– Hé bien, ma fille, j’attends vos explications ! Ces jeunes gens ont risqué leur vie pour vous protéger ! Où étiez-vous ?

– J’étais à la fête. J’ai suivi la parade et le feu d’artifice. 

– Toute seule !!!

– Non, Père, pas toute seule. J’étais avec Cendres et… des amis. En sécurité avec des amis qui nous protégeaient toutes les deux. Notre sortie à la fête a été organisée par ce garçon. Père, puisque c’est le moment des questions, pouvez-vous me dire s’il est vraiment mon frère ?

De la main, elle retient fermement Personne qui commençait à s’éloigner dans le couloir. A la question de Rose, la reine se précipite pour regarder le visage du garçon. Elle étouffe un cri en posant vivement sa main sur sa bouche. Le roi vient entourer tendrement de son bras les épaules de sa femme et demande au jeune homme :

– Pouvez-vous nous dire si vous êtes le fils de Brume-de-rivière, ancienne suivante de la reine ?

– Ma mère porte ce nom, mais je ne savais pas qu’elle avait été suivante de la reine.

Le roi s’adresse à Rose :

– La réponse à votre question est oui. 

Il se tourne vers le garçon :

– Je suis désolé de vous apprendre la vérité aussi brutalement. Nous allons devoir parler, vous et moi.

– J’ai compris que j’avais habité ce palais quand j’ai trouvé le jouet dans la petite maison. Alors, c’est vous mon père… Ça m’est égal. Mais il y en a un qui le savait…

Il pointe un index accusateur vers Archer et se met à crier de plus en plus fort :

– Vous faisiez semblant de m’aimer, moi le vagabond, mais c’était pas moi qui vous intéressait, c’était le fils du roi, vous protégiez le fils du roi, pour votre fichu Royaume ! Moi en vrai, vous vous en fichiez ! Je vous déteste ! Je ne veux plus vous voir ! Salaud !

Le garçon va s’enfuir mais la reine se pend à son cou en pleurant :

– Non ! Ne partez pas ! Mon enfant, je ne supporterai pas de vous perdre à nouveau. Restez, mon petit, mon tout petit.

Le garçon la fixe avec des yeux éberlués, et, docilement, se laisse entraîner dans une pièce voisine. La porte se ferme derrière eux. Tandis que les soldats emportent les cadavres, le roi reste seul avec Rose dans le salon déserté.

Dans sa chambre, la reine fait asseoir le garçon sur son lit. Laissant couler ses larmes, elle lui caresse la joue :

– Enfin de retour chez vous, mon petit prince ! Si longtemps après. Quelle joie de vous voir si beau ! Quelle douleur de voir que vous lui ressemblez tant ! 

– A ma mère ?

– Oui, hélas pour moi !

– C’est comme ça qu’Archer m’a reconnu… Le salaud !

– Oh ! Comment parlez-vous ? Lui qui vous aime tant !

– Ah oui, il m’aime ! Il m’invitait à manger comme un vieux copain. J’admirais sa générosité, lui, le grand commandant Archer, il était si patient avec moi, le vagabond. En même temps, je me doutais que c’était louche. Maintenant je comprends son jeu : il s’en fichait, de moi ! Il protégeait le fils de son roi, au cas où son cher roi aurait voulu me reprendre !

– Vous vous trompez complètement, à propos d’Archer. Il vous aimait déjà quand vous étiez petit. Et vous, vous l’adoriez !

– N’importe quoi ! Vous dites n’importe quoi ! Je le connais depuis moins d’un an !

Il se lève pour partir mais elle le force doucement à se rasseoir :

– Calmez-vous, mon petit. Je vais tout vous raconter, depuis le début… J’étais mariée avec le roi depuis cinq ans et je n’arrivais pas à avoir un enfant. Les ministres ne cessaient de dire au roi que la paix intérieure était menacée, faute de succession. Ils voulaient que le roi me chasse et prenne une autre épouse.

J’avais honte de voir le roi se faire du souci pour son royaume. Alors, j’ai choisi pour lui la plus belle et la plus douce de mes suivantes et je leur ai demandé de faire… ce qu’il fallait pour que le royaume ait un prince. Pour ne pas m’humilier, le roi n’a pas proclamé officiellement qu’il avait une concub… 

– Attendez, Madame, si vous devez raconter cette histoire, je veux que Rose soit là, elle aussi. Elle mérite autant que moi de savoir la vérité.

Tristement, la reine le laisse aller chercher la princesse. Puis elle reprend son récit, devant les deux jeunes gens assis sur son lit, Caramel couché entre eux, lui aussi très attentif, tandis que Bonbon fourrage dans les cheveux du garçon, qui le tient toujours sur son épaule :

– Ne lui en voulez pas, ma Rose, mais votre père a eu un fils d’une autre femme. C’est moi qui l’ai voulu ainsi, pour le bien du royaume. A la naissance de votre frère, je suis devenue folle de jalousie. Il était exactement le petit prince que j’aurais tant voulu avoir. Hélas, il était à une autre, pas à moi !

– Et Rose ? demande Personne.

– Rose est née deux ans après vous. Quel espoir, cette grossesse ! J’allais moi aussi donner un fils au roi ! Et vous donner un frère. Mais ça s’est très mal passé. La grossesse a été difficile et l’accouchement a été un enfer, j’ai cru mourir. Et tant de souffrance pour quoi ? Pour une créature grimaçante qui hurlait jour et nuit ! Je souffrais encore dans mon ventre rien qu’à l’entendre !

– Pardon, Mère, de vous avoir fait souffrir, murmure Rose.

– C’est moi qui vous demande pardon de parler ainsi de vous, ma Rose chérie. Pour vous aussi, la naissance a été une souffrance. Dès qu’on vous touchait, vous sembliez avoir mal partout, m’a-t-on dit. Mais le drame, le vrai drame, c’est que, pour moi, mon enfant c’était vous, soupire la reine en regardant le garçon, pas ma fille. 

Personne passe un bras autour des épaules de Rose et la serre contre lui. Caramel pose sa tête sur les genoux du garçon. La reine continue sa confession :

– Oui, je sais que c’était une folie. Je le reconnais maintenant, mais pas à l’époque. Je n’arrivais pas à aimer ma propre fille, et j’étais folle de l’enfant d’une autre ! Je me levais en secret la nuit pour vous prendre et vous regarder dormir dans mes bras. Une nuit, j’ai entendu quelqu’un venir, je vous ai vite reposé, vous vous êtes réveillé et vous avez pleuré. Après, je n’ai plus osé vous prendre, je vous regardais dormir sans vous toucher. 

– Et Rose ?

– Dès qu’elle est née, vous avez été un grand frère parfait. Pas du tout jaloux, alors que votre mère l’allaitait. Le roi ne l’avait pas exigé, pas du tout. Il voulait prendre une nourrice pour Rose, mais votre mère a voulu que ce soit elle. 

– Pourquoi ?

– Elle aimait beaucoup le roi. Je crois qu’elle espérait se l’attacher en s’occupant bien de sa fille. Elle lui montrait qu’elle était une femme maternelle, dévouée, sérieuse, alors que moi je passais pour l’inutile, l’égoïste, l’orgueilleuse, La Femme fardée, uniquement préoccupée d’elle-même.

– Ce devait être l’enfer pour vous deux, ma mère et vous, à vous disputer un homme et deux enfants ! J’imagine l’ambiance !  

La reine sourit légèrement :

– Oui, l’enfer parfois, mais pas tout le temps. Nous étions quand même assez intelligentes pour nous entendre quand le roi était là. Après les fatigues de ses obligations, il venait dans nos appartements pour se reposer et voir ses enfants, pas pour assister à des disputes.

– Vous aviez chacune votre appartement ? 

– Oui, j’étais seule dans le mien. Au départ, j’avais trois suivantes, mais quand j’ai choisi votre mère, j’ai demandé aux deux autres de partir car je ne voulais pas de témoins de notre arrangement. Je ne les ai jamais remplacées. Vous viviez avec votre mère et Rose juste à côté de moi. Je n’avais qu’un couloir à traverser pour vous voir.

– Et Archer, qu’est-ce qu’il faisait dans tout ça ?

– Archer était responsable de notre sécurité. Il était jeune, à l’époque. A peu près l’âge que vous avez maintenant. Il aimait beaucoup jouer avec vous.

Le garçon est stupéfait : 

– Il jouait avec moi ? Archer ? 

– Oui, il se mettait à quatre pattes pour faire le cheval et vous montiez sur son dos. 

Le garçon et Rose se regardent en souriant d’un air étonné. 

– Et il vous racontait des histoires. Il racontait très bien. Il avait l’habitude des enfants, parce qu’il s’occupait de sept ou huit petits frères et sœurs. Il était entré dans l’armée à 16 ans. Après la mort de ses parents, il avait besoin d’argent pour payer une gouvernante. Il me disait que grâce à vous, même au travail, il avait l’impression d’être à la maison, que vous étiez un petit frère de plus. Ça ne l’empêchait pas d’être très sérieux pour les questions de sécurité. 

– Et moi ? demande timidement Rose.

– A l’époque, vous n’étiez qu’un bébé. Archer me prédisait que vous seriez une jeune fille accomplie. Tout le monde me vantait vos qualités, mais il m’était impossible de vous aimer comme j’aimais votre frère. J’en ai tellement honte, à présent !

La reine sanglote. Puis elle murmure : 

-Les hommes croient que nous les femmes, nous faisons des folies par amour pour eux, mais moi, je sais que nous pouvons être bien plus folles par amour ou par désamour pour nos enfants.

– Et après ?

– Après, il y a eu la guerre. Archer est parti le premier pour combattre. Avant de partir, il vous a offert un jouet, un petit cheval de bois, pour vous faire penser à lui. Le roi a rejoint les troupes, ensuite, mais d’abord, il a décidé de séparer ses deux familles. Pour notre tranquillité à tous et pour combattre ma folie. Il vous a caché loin de moi, avec votre mère. Ne plus vous voir, mon petit prince, ça été affreux. Je lui en ai voulu terriblement. Je lui fermais ma porte, je ne voulais plus le voir lui non plus.

– Et moi ? Demande Rose.

Pour toute réponse, la reine laisse couler des larmes. Puis elle continue :

– Le roi avait raison. J’ai fini par me raisonner, par cesser cette folie. J’ai accepté d’avoir une fille et non un garçon. Petit à petit, nous nous sommes apprivoisées, ma Rose et moi. Après la guerre, j’ai dit au roi que je m’étais attachée à ma fille et je lui ai demandé de reprendre son fils avec nous. Il m’a avoué qu’il avait disparu pendant la guerre. Il en était extrêmement chagriné, croyez-le. 

– Comment ça, j’avais disparu ? J’étais où ?

– Le roi avait donné à votre mère une forte somme d’argent, parce qu’il ne savait pas combien de temps il serait absent, ni même s’il reviendrait vivant de la guerre. Mais elle a utilisé cet argent pour s’enfuir avec vous.

– Pourquoi ?

La reine se tait puis murmure :

– C’est à elle qu’il faut le demander. Elle vous dira sa vérité, comme je vous dis la mienne.

– Et Archer ? Il n’a pas essayé de me retrouver ?

– Oh si ! Il voulait absolument vous retrouver. Il avait été un héros pendant la guerre et tout le monde pensait qu’il prendrait le commandement d’une armée, mais le roi l’a seulement nommé responsable de la sécurité de la région de Sanara. Par rapport à ses mérites, c’était un poste peu prestigieux, mais il l’avait voulu ainsi, car cela lui permettait de vous chercher à travers des enquêtes.

Et moi aussi, je vous cherchais. J’avais peur que seule, votre mère ne sache pas se débrouiller et qu’elle tombe dans la misère. Alors, je me suis mise à aider les malheureux, les femmes seules, les enfants abandonnés. Au début, c’était uniquement pour vous chercher,  puis je me suis sincèrement intéressée aux enfants malheureux. J’ai créé un orphelinat…

Le garçon pousse un cri : 

– Quelle horreur ! Une prison pour les enfants !

– Mais pas du tout ! Vous viendrez voir, et Rose aussi, vous viendrez le visiter avec moi. Ils sont très bien installés mes petits, j’y veille personnellement ! A travers eux, je vous ai cherché et finalement c’est Archer qui vous a retrouvé, mais il ne me l’a pas dit !

– Vous avez l’air de lui en vouloir, dit le garçon.

– Oui ! J’avais confiance en lui, mais il ne m’a rien dit !

– Il a bien fait ! Je suis revenu trop tard ! Rose est savante, elle est sérieuse et tellement gentille, elle sera une bonne reine. Moi, comme prince héritier, je ne serais vraiment pas une affaire ! Je ne sais ni lire ni écrire !

Rose a un mouvement de surprise et la reine écarquille les yeux avec horreur :

– Nous allons réparer cela ! Vous aurez les meilleurs professeurs ! Je me sens tellement honteuse ! C’est à cause de moi que le roi n’a pas proclamé que vous étiez son fils, pour ne pas m’humilier. A cause de moi, vous avez été privé de votre rang mais vous allez le retrouver, mon petit prince.

– Je ne peux pas rester. J’ai promis aux gars du Sud de partir avec eux quand ils rentreront là-bas.  

– Je viens à peine de vous retrouver ! Jamais je ne vous laisserai partir ! Et Rose non plus. 

La princesse prend la main de son frère :

– Pourquoi vouloir aller à Tara ?

– J’ai promis d’être leur champion de balle au pied.

A ce moment, on frappe à la porte. Rose va ouvrir : c’est le roi. Elle l’entraîne vers le jeune homme et la reine :

– Père, mon frère dit qu’il veut partir à Tara pour être joueur de balle au pied ! 

Le garçon s’incline devant le roi puis devant la reine :

– Je ne veux pas être prince. Je veux tenir ma promesse. J’irai à Tara. Mais d’abord, j’ai des choses à faire, je m’en vais.

La reine l’enlace pour le retenir. Il se dégage doucement :

– Ma Dame, je vous promets que, pour vous, j’apprendrai à écrire et que je vous écrirai souvent. Comme ça, je serai près de vous.

Comme elle pleure, il ajoute en lui baisant la main :

– Je commencerai mes lettres par « Chère Mère ». 

Il dépose le singe sur l’épaule de sa sœur, un baiser rapide sur sa joue et s’en va. 

Le roi a une mine si triste que Rose vient se blottir contre lui. La reine dit :

– Je lui ai dit que vous l’aimiez. Il sait maintenant que vous ne l’avez pas abandonné, que c’est sa mère qui est partie. 

– Oui, mais lui, il m’abandonne bel et bien, sans un mot, sans un regard. Je ne suis rien pour lui…

Rose lui dit :

– Je suis sûre qu’il va aller demander des explications à sa mère et qu’après, il reviendra. Vous allez retrouver votre fils, cher Père. Et le royaume va avoir un prince !

– C’est trop tard : je ne peux pas le reconnaître comme mon fils. Le peuple n’accepterait pas qu’un prince lui… tombe dessus, comme ça… par surprise…  Vous êtes officiellement la future reine et personne ne peut prendre votre place.

– Personne ne peut prendre ma place… répète Rose avec un sourire triste

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