La trahison

Ressort dramatique inépuisable, la trahison s’invite dans bien des récits. Pour le mien, j’ai choisi le modèle qui a le plus marqué l’Occident, le baiser de Judas, qui livre Jésus aux grands prêtres juifs.

– Le baiser de Judas

Cette magnifique fresque de Giotto est composée de façon à isoler nettement le couple que forment Jésus et le traître, couverts d’un seul manteau. Leur relation semble empreinte de douceur, tandis que le groupe des soldats est hérissé d’armes et de bâtons. À gauche, Pierre se jette sur le serviteur du grand prêtre et lui coupe l’oreille avec une épée.

« Le traître avait convenu avec eux de ce signe : « Celui que j’embrasserai, c’est lui, arrêtez-le.» Aussitôt, il s’approcha de Jésus : « Salut, Maître » dit-il et il l’embrassa. Jésus lui dit : « C’est donc pour cela que tu viens ici ! » Alors, ils s’avancèrent, mirent la main sur Jésus et l’arrêtèrent. »

(Evangile de Matthieu, versets 47 à 51.)

Judas et Jésus, statue de procession espagnole.

– Dalila, femme fatale 

Bien avant Judas, la Bible raconte une trahison célèbre, celle commise par la belle Dalila.

Le livre des Juges raconte au chapitre 16 que Samson est l’amant de Dalila. Il a une force surhumaine car il ne coupe jamais ses cheveux, en signe de consécration à Dieu. Les Philistins, ennemis des Juifs, promettent de l’argent à Dalila si elle leur dit d’où Samson tire sa force extraordinaire. Elle le harcèle tellement à ce sujet qu’il finit par lui confier que sa force vient de ses longs cheveux qui témoignent de sa consécration à Dieu.

Samson et Dalila, par Gerard van Honthorst, 1615, 

Cleveland museum of arts.

Dalila profite alors de son sommeil pour lui couper les cheveux et le livrer aux Philistins qui lui crèvent les yeux et en font un esclave. Quelques mois plus tard, les Philistins font sortir Samson du bagne où il est enfermé pour l’exhiber dans le temple de Dagon, au cours d’une grande fête en l’honneur de ce dieu.

Ses cheveux ont repoussé et sa force est revenue : placé entre deux colonnes, il les repousse de ses mains et, en implorant l’aide de son dieu, fait s’écrouler tout le temple, tuant des milliers de Philistins en même temps que lui. Le récit ne précise pas quelle a été la fin de Dalila, mais elle est restée dans la mémoire collective comme le modèle de la femme fatale, séductrice et traîtresse.

la trahison par amour

Selon le Dictionnaire critique de Mythologie, la trahison par amour est un thème fréquent dans les récits indo-européens antiques et médiévaux : “Par amour, une femme aide un bel ennemi à triompher sur le groupe auquel elle appartient.” 

– Tarpéia livre Rome aux Sabins

Dans les premiers temps de Rome, cette jeune fille accepta d’ouvrir les portes de la citadelle de Rome aux ennemis Sabins, en échange des bracelets qu’ils portaient à leurs bras gauches. Les Sabins s’emparèrent ainsi de la place, mais remercièrent Tarpéia de sa trahison en l’écrasant de leurs boucliers qu’ils portaient au bras gauche, comme tous les guerriers antiques. Le Dictionnaire critique de Mythologie cite de nombreux récits qui se terminent par la mort de la traîtresse, condamnée à être écrasée sous le poids de l’or qui devait la récompenser, ou lapidée :

“Il est à noter que dans toutes les versions anciennes de ce thème, la femme qui a trahi est punie par ceux-là mêmes qui ont bénéficié de sa félonie, tandis qu’à partir de l’époque hellénistique, le goût pour les histoires d’amour inverse les conséquences de l’acte : la trahison se termine en idylle.” C’est à dire que le vainqueur épouse la belle traîtresse.

(La période hellénistique désigne les trois siècles qui s’écoulent entre les conquêtes d’Alexandre le Grand et l’établissement de l’Empire romain, de – 323 à – 30 avant l’ère commune.)

Tous ces récits de trahison ont été copiés pendant des siècles dans des livres divers (livres d’histoire, livres de latin ou de grec, livres d’instruction civique…) pour servir d’exemple en montrant que la trahison est punie.

C’était la morale d’autrefois : montrer que le mal est puni…

La trahison de Tarpéia, gravure d’un livre de latin, XIXe siècle. Devant la porte ouverte par sa trahison, la jeune fille ne va pas tarder à être écrasée par le poids des boucliers des ennemis.

Période contemporaine

De nos jours, la tendance serait plutôt de valoriser les comportements positifs, c’est à dire, sur ce thème, le refus de la trahison, la fidélité à un idéal. On peut dire que le refus de la trahison, dans l’histoire récente, est incarné par des héros tels que  Guy Mocquet ou Jean Moulin. On imagine sans peine que, dans l’Antiquité, ces deux personnages seraient devenus héros de légendes. Mais les méthodes modernes d’enregistrement des faits (documents écrits, photos, etc) empêchent la pensée collective et créatrice de mythes de faire son oeuvre.

La mémoire ne peut pas sublimer les faits, elle ne peut pas non plus devenir collective :  les mots et les images sont trop nombreux et trop présents pour permettre la décantation, la reformulation, l’oubli des détails grâce à la simple transmission orale, la “cristallisation” opérée au fil des générations par la pensée mythique.  Le Mythe est devenu Histoire, la mémoire est devenue un devoir… (Je n’ai pas la prétention d’épuiser le sujet par ces quelques mots…)

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