L’éducation des héros

L’éducation des héros

Les héros dans l’éducation

La première question qui se pose à propos de l’éducation est son contenu : quels savoirs, quels savoir-être et quels savoir-faire une société choisit-elle de transmettre aux jeunes générations  ?

Vaste question, car cela varie beaucoup selon les époques, les lieux, les classes sociales et le modèle politique en vigueur ! 

Dans cet article, je vais juste évoquer comment les héros des mythes étaient éduqués et comment ces personnages étaient des modèles de comportement pour les jeunes gens. 

Monde grec et romain

Quels  sont  les  buts  de  l’éducation  ?

Pan donnant une leçon de musique au berger Daphnis. Marbre, copie romaine d’un original grec d’Héliodore (IIIe-IIe siècle av. J.-C.). Collection Farnèse, Musée national archéologique de Naples,

Développer l’individu

En ce qui concerne l’éducation des humains, les Grecs de l’Antiquité utilisent le mot “arété” qu’on pourrait traduire par “excellence” : le but de l’éducation grecque est de développer l’excellence de chacun, pour que chaque garçon réalise pleinement son potentiel physique et intellectuel. L’éducation est laissée au libre choix et à la charge des parents, qui payent un maître. 

Les Romains ont la même conception : dans une de ses Satires (écrites aux alentours de l’an 100), le poète romain Juvénal emploie une formule qui deviendra célèbre :  “Mens sana in corpore sano” : un esprit sain dans un corps sain. 

Servir les dieux

Le spécialiste de la Grèce antique Jacques Lacarrière souligne un objectif (inattendu à nos yeux modernes) de certains aspects de l’éducation antique : “La musique était un moyen de connaissance par lequel on accédait à des états supérieurs et, pour certains, par lesquels on entrait en communication avec les dieux. (Il en allait de même pour la poésie) L’une et l’autre faisaient indiscutablement partie de ce “service des dieux” auquel l’homme ne cessait d’être astreint et leur apprentissage jouait dans l’Antiquité un rôle aussi important que celui des sciences et de la philosophie.”

Enfants menés au sanctuaire d’Asclépios, par John Waterhouse, 1877. Collection particulière. Le service des dieux faisait partie des valeurs enseignées dès le plus jeune âge.

le héros mythique : un modèle

Chiron l’éducateur modèle

Les récits sur la vie de héros tels que Achille, Pélée, Jason, Asclépios, Castor et Pollux et d’autres moins célèbres n’entrent pas dans le détail. Ils précisent simplement que, à l’adolescence, ils ont été confiés au centaure Chiron, et cela suffit à faire comprendre qu’ils ont reçu une éducation de qualité.

Le centaure Chiron était fils de Cronos. Il était très réputé pour sa grande sagesse et ses connaissances dans des domaines aussi variés que les combats, la chasse, la divination, les plantes médicinales, la musique… 

L’éducation d’Achille par le centaure Chiron, par Jean-Baptiste Régnault, vers 1798, Musée des Augustins, Toulouse. Photo Daniel Martin.

Le centaure Chiron  apprend à Achille comment jouer de la lyre, fresque d’Herculanum, Musée archéologique national, Naples. 

Le jeune Jason et le centaure Chiron, par Sir William Russel Flint, 1912. Photo du site mediterranees.net.

Quelques héros modèles

Les parents et éducateurs antiques encourageaient leurs élèves à pratiquer les vertus des héros donnés comme modèles.

Les qualités que les héros mythiques manifestent dès l’enfance sont la force et le courage. 

Hercule, costaud et courageux dès le berceau

Peu après la naissance d’Héraclès, la jalouse Héra veut supprimer le fils illégitime de son mari Zeus : elle envoie deux énormes serpents pour le tuer, mais c’est le bébé qui, de ses petites mains, étrangle ses agresseurs ! Bon sang ne saurait mentir…

Hercule bébé et les serpents, fresque de Pompéi.

Thésée, le courage et la sagesse

Par une décision de son père, roi de la ville de Trézène, la princesse Aethra passa une nuit d’amour avec le roi d’Athènes, Egée. Juste avant, elle s’était rendue dans une île pour y sacrifier au dieu Poséidon et le dieu en personne s’était uni à elle. 

Au cas où un enfant naîtrait de sa nuit avec la princesse de Trézène, le roi d’Athènes cacha ses sandales d’or et son épée, sous une lourde pierre. Quand son fils serait en âge de révéler ses origines, le garçon devrait soulever la pierre, prendre les objets en signe de reconnaissance et le rejoindre à Athènes.

Effectivement, un enfant vient au monde, et les récits considèrent qu’il a deux pères : le dieu et le roi. On le nomma Thésée et il fut élevé à Trézène par sa mère et par un précepteur qui se nommait Connidas, 

Thésée montra très jeune sa bravoure et son intelligence. Alors qu’il n’avait que 7 ans, son cousin Héraclès fit une visite au palais de Trézène. Il posa au sol la dépouille du terrible lion de Némée, qui lui servait de cuirasse et de casque. Avec sa gueule ouverte sur ses dents acérées, l’horrible fauve semblait vivant, prêt à dévorer quiconque s’approcherait.

Hercule revêtu de la peau du lion de Némée combat l’hydre, par Antonio del Pollaiolo, vers 1475, Musée des Offices à Florence. Ainsi portée, la dépouille du lion ne protège pas le héros, mais le peintre nous donne à admirer une corps parfait…

Les premiers exploits de Thésée

Alors que tous les enfants présents s’enfuyaient en découvrant la bête, le petit Thésée se précipita avec une hache vers la terrifiante dépouille du fauve. Avant d’avoir cassé l’arme sur la peau du lion (elle était si dure qu’elle brisait le fer et le bronze) il comprit son erreur, mais tout le monde loua son courage. 

Quand Thésée eut seize ans, sa mère le jugea digne de savoir la vérité sur sa filiation. Elle le conduisit à la pierre, qu’il souleva sans difficultés. Il trouva dessous les sandales d’or et l’épée, et décida de rejoindre son père pour se faire reconnaître de lui.

Cette décision symbolise l’arrachement que doit subir tout adolescent pour devenir un homme : il doit s’éloigner de sa mère et se rapprocher de son père. 

Le jeune Thésée retrouve les armes de son père, par Laurent de La Hyre, vers 1640. Musée des Beaux-Arts de Budapest. Photo du site Utpictura18.

L’imitation d’Héraclès

Dans son récit de la vie de Thésée, l’historien romain Plutarque analyse bien le désir  d’imitation qui anime le jeune héros :

 “Depuis longtemps, la gloire et la vertu d’Héraclès avaient secrètement enflammé le cœur de Thésée ; plein d’admiration pour ce héros, il écoutait avec le plus vif intérêt ceux qui lui en parlaient. (…) On voyait alors en lui ces vives impressions que Thémistocle éprouva plusieurs siècles après, et qui lui faisaient dire que les trophées de Miltiade l’empêchaient de dormir. 

De même Thésée, admirant le courage d’Héraclès, rêvait la nuit aux exploits de ce héros.”

(Miltiade et Thémistocle sont deux généraux athéniens qui se sont illustrés dans les luttes contre les Perses.)

La route du courage et de la gloire

Sa mère lui conseilla de rejoindre Athènes par bateau, car la route par la terre était infestée de monstres dévoreurs d’hommes et de brigands assassins. Mais Thésée, pour imiter la bravoure d’Héraclès et présenter à son père d’autres preuves de ses nobles origines que les chaussures et l’épée, décida de prendre la route de la terre. 

Malgré son jeune âge, il combattit et tua tous les méchants humains ou animaux qui désolaient les régions traversées. (Vous trouverez facilement dans des livres ou sur Internet le récit de ses exploits.)

Reconnu par son père grâce à l’épée qu’il lui montra, il sauva ensuite les jeunes Athéniens destinés à être offerts au Minotaure, en les accompagnant pour aller tuer le monstre dans la lointaine Crète. 

Thésée reconnu par son père grâce à son épée, par Hyppolite Flandrin, 1832. Collection de l’Ecole nationale des Beaux-Arts, Paris. D’ordinaire, les peintres cachent les parties intimes des personnages avec un élément de costume. La méthode employée ici est originale : un plat de côtelettes posé au bon endroit devant le jeune homme nu ! Les professeurs chargés d’attribuer le Prix de Rome ne virent pas le comique involontaire de cette représentation, qui remporta le prestigieux prix cette année-là.

Thésée et son précepteur Connidas

Comme les autres héros, Thésée est d’abord un modèle de guerrier pour tous les jeunes gens appelés à défendre leur patrie. Mais il a la particularité d’être le seul héros de la mythologie grecque à avoir aussi un rôle législatif : pacifiquement, il a réuni différents bourgs sous l’autorité d’Athènes en leur donnant des lois communes.  Pour toutes ces raisons, Athènes lui a rendu un culte pendant des siècles. 

Ce qui nous intéresse ici, c’est que son précepteur Connidas était associé à ce culte. En remerciement de la bonne éducation qu’il avait donnée à leur héros, les Athéniens sacrifiaient pour lui un bélier, la veille de la fête de Thésée. Ce rituel existait encore au premier siècle, selon le témoignage de l’historien romain Plutarque. 

Je ne connais pas de représentations de Connidas.

Achille et son précepteur Phénix

Dans L’Iliade, au chant 9, nous rencontrons le premier éducateur d’Achille : il s’agit  de Phénix, qui malgré son âge avancé fait partie de l’expédition contre Troie. Avec les deux héros Ajax et Ulysse, le roi Agamemnon l’a envoyé auprès d’Achille pour tenter de lui faire réintégrer le combat (je rappelle que Achille est “en grève” depuis qu’Agamemnon lui a pris sa concubine Briséis.) Pour attendrir Achille, Phénix rappelle le dévouement dont il a fait preuve envers lui et la reconnaissance qu’il en attend :

“C’est moi, divin Achille, qui t’ai rendu tel que te voilà, car je te chérissais du fond de mon cœur. Jamais avec un autre que moi tu ne voulais aller dans les festins, ou prendre la nourriture dans ton palais, avant que je ne t’eusse placé sur mes genoux, coupé tes viandes, et présenté le vin : combien de fois, sur mon sein, n’as-tu pas souillé ma tunique en rejetant le vin de ta bouche, dans ces temps d’une pénible enfance ! J’ai beaucoup souffert pour toi, beaucoup supporté, en pensant que si les dieux ne m’accordaient pas de famille, je t’adopterais comme fils, ô noble Achille, afin qu’un jour tu me protèges d’un triste destin .” 

Achille recevant les ambassadeurs d’Agamemnon, par Jean-Dominique Ingres, 1801. Ecole des Beaux-Arts, Paris.

À gauche, Achille, confortablement installé devant sa tente, jouait de la cithare pour son ami Patrocle, quand l’arrivée des envoyés l’a interrompu. Entre Ulysse (en manteau rouge) et Ajax (en manteau jaune) se tient le vieux Phénix, attristé par l’attitude de son élève.

Achille fait bon accueil à son précepteur, qu’il appelle affectueusement “mon bon vieux père”. Repoussant sa demande de retour au combat, il l’invite à revenir avec lui dans leur patrie. Mais Phénix restera fidèle à Agamemnon et ne rentrera jamais en Grèce.

Héraclès et ses professeurs

L’écrivain grec Apollodore énumère les matières enseignées au héros et le nom de chaque spécialiste :

“Amphitryon enseigna à Héraclès l’art de guider le char, Autolycos lui enseigna la lutte, Eurytos comment utiliser l’arc et les flèches, Castor lui montra le maniement de l’épée, Linos lui apprit à jouer de la lyre. Linos était le frère d’Orphée ; arrivé à Thèbes, il était devenu un citoyen Thébain ; mais un jour Héraclès jeta sur lui sa lyre et le tua, dans un accès de colère parce que Linos l’avait lui-même frappé. Jugé pour meurtre, Héraclès évoqua la loi de Rhadamanthe, en vertu de laquelle celui qui se défend d’un agresseur par la force doit être considéré comme innocent ; et ainsi fut-il absous. Mais Amphitryon, de crainte qu’Héraclès ne commette d’autres actes de ce genre, l’envoya dans ses champs, pour garder les troupeaux. »

(Bibliothèque d’Apollodore, Livre II, 4, 9. Sur le site ugo.bratelli.free.fr)

Le jeune Héraclès tuant Linos, céramique grecque, vers 470 avant notre ère. Cabinet des médailles, Bibliothèque nationale, Paris.

Héraclès a vaincu tant de monstres que les éducateurs n’avaient (n’ont) que l’embarras du choix pour donner en modèle sa bravoure, en laissant dans l’ombre ce moment de faiblesse à ne surtout pas imiter !

Les héros des légendes historiques

L’éducation  pour  développer  les  qualités  de   l’individu

Outre les héros des mythes, les hommes célèbres constituaient une galerie de modèles. Leur vie était racontée de façon à mettre en valeur leurs vertus, comme Plutarque l’a fait dans ses Vies des hommes illustres. Ou bien pour stigmatiser leurs vices, comme Suétone avec la Vie des douze Césars. (Ces deux Romains vivaient au premier siècle de notre ère.)

Socrate était-il un modèle de vertu ?

Le philosophe le plus célèbre de l’Antiquité n’a pas laissé d’écrits. Sa vie et ses idées nous sont connues par les récits de ses disciples. Il disait que son rôle était d’accoucher les esprits, c’est à dire d’amener les individus à penser par eux-mêmes . 

C’était vraiment un beau programme, pourtant l’une des raisons qui entraînèrent sa condamnation à mort était qu’il exerçait une mauvaise influence sur ses élèves. 

 Au contraire, ses défenseurs insistent sur le fait qu’il encourageait les jeunes à pratiquer les vertus et condamnait la débauche ou l’amour des richesses (un de ses disciples lui ayant offert des esclaves, il les refusa.)

Alcibiade enseigné par Socrate, 1776, par François-André Vincent, Musée Fabre, Montpellier. 

Socrate arrachant Alcibiade aux plaisirs sensuels, 1791, par Jean-Baptiste Regnault.

La mort de Socrate, 1787, par Jacques-Louis David.

Ce n’est pas un hasard si ces trois peintures illustrant la force morale de Socrate datent de la fin du XVIIIe siècle, époque durant laquelle certains cherchaient des exemples de vertu dans l’Antiquité, pour mieux condamner les vices (réels ou supposés) des aristocrates contemporains.

Les vertus d’Hippocrate

L’importance accordée à l’éducation avait pour conséquence l’importance accordée aux enseignants : ils étaient respectés et autorisés à corriger physiquement leurs élèves, qui leur devaient le plus grand respect.

Ainsi, au IVe siècle avant notre ère, le médecin grec Hippocrate a rédigé un Serment qui énumère les engagements moraux du médecin dans l’exercice de son métier. Le premier de ces engagements est de respecter son enseignant comme un père :

“Je mettrai mon maître de médecine au même rang que les auteurs de mes jours, je partagerai avec lui mon savoir et, le cas échéant, je pourvoirai à ses besoins ; je tiendrai ses enfants pour des frères, et, s’ils désirent apprendre la médecine, je la leur enseignerai sans salaire ni engagement.” 

Comme exemple de la haute moralité d’Hippocrate, on racontait que, par patriotisme, il avait refusé de devenir médecin du roi de Perse Artaxerxès, malgré les richesses offertes par celui-ci.

Hippocrate refusant les présents d’Artaxerxès, par Louis Girodet, 1792. Musée d’Histoire de la médecine, Paris.

L’éducation  au  service  de  l’Etat

Le cas de la ville de Sparte est particulier : l’éducation y est organisée par l’Etat et obligatoire pour tous, même les filles. Les vertus à cultiver ne sont pas les  même que celles valorisées à Athènes : l’éducation spartiate insiste beaucoup plus sur l’endurance physique que sur l’agilité intellectuelle. 

Le but de cette éducation est de faire des soldats endurants et intrépides, et des femmes capables d’engendrer de enfants solides. 

Lycurgue et l’éducation forcée

Pour les choix éducatifs de Lycurgue, je cite le texte de l’historien romain Plutarque, “Vie de Lycurgue, législateur de Sparte”, publié sur le site de Philippe Remacle : remacle.org. 

“ Il n’était pas permis à un citoyen de nourrir ni d’élever son fils comme il le voulait. Le législateur lui-même prenait tous les enfants dès l’âge de sept ans. Il les embrigadait dans des troupes; et, en les faisant vivre et manger ensemble, il les accoutumait à partager les mêmes jeux et les mêmes occupations. On leur donnait pour chef de bande le plus intelligent et le plus courageux au combat, et c’est sur lui qu’ils avaient les yeux fixés; ils écoutaient ses ordres et subissaient ses punitions, en sorte que l’éducation était pour eux l’apprentissage de la discipline.”

Education ou dressage ?

Pour faire comprendre à ses concitoyens sa conception de l’éducation mise au service de l’Etat, Lycurgue a libéré un lièvre devant deux chiens, l’un dressé et l’autre non. Le chien dressé a couru pour attraper le lièvre et l’a ramené à son maître, l’autre s’est tout de suite jeté sur une gamelle de pâtée. 

Selon cette démonstration, l’éducation s’apparente à un dressage, l’enfant étant l’animal et le maître, l’Etat que les jeunes doivent servir comme le chien sert son maître.

Lycurgue démontre les avantages de l’éducation, par Caesar Boetius van Everdingen, 1662. Musée de Alkmaar, Hollande. À droite de Lycurgue, le chien bien dressé a posé par terre le lièvre mort et reçoit une caresse de son maître, tandis que le chien non dressé vide la gamelle, sans avoir rien rapporté.

L’éducation des filles

“Lycurgue porta toute l’attention possible à l’éducation des femmes. En tout cas, il fortifia le corps des jeunes filles par des courses, des luttes, le jet de disques et de javelots. Ainsi leurs futurs enfants, prenant racine en un terrain robuste et donc robustes eux-mêmes, arriveraient mieux à maturité ; quant aux mères, supportant leurs accouchements avec vigueur, elles opposeraient aisément leur force aux douleurs de l’enfantement.” 

“Pour leur enlever toute mollesse, toute vie sédentaire, toute habitude efféminée, il habitua les jeunes filles, non moins que les garçons, à défiler nues, et, pour certaines fêtes, à danser et à chanter dans cet état sous les yeux des jeunes gens. Il leur arrivait même d’adresser à chacun, dans leurs chants, d’aimables railleries, en visant ceux qui étaient en faute. En revanche elles célébraient ceux qui le méritaient, inspirant ainsi aux jeunes gens de l’émulation et une noble ambition.” 

Jeunes filles spartiates provoquant les garçons, par Edgar Degas, vers 1860.
National Gallery, Londres. Photo rmn.fr.

Malgré cette éducation plus sportive que celle des autres jeunes filles grecques, les femmes spartiates vivaient comme toutes les femmes de l’Antiquité, en restant à la maison pour se consacrer à leur famille. Les hommes, eux, s’occupaient de la gestion et de la défense de la cité.

Femme de Sparte offrant un bouclier à son fils, par Jean-Jacques François Le Barbier, 

Le contre modèle de l’ivrogne

“Les Spartiates se comportaient à l’égard des hilotes d’une façon dure et cruelle, puisqu’on les forçait à boire beaucoup de vin pur et qu’on les introduisait ensuite dans les réfectoires publics, afin de montrer aux jeunes gens ce que c’était que l’ivresse.” 

L’éducation à Sparte, le mépris pour les ivrognes, par Luigi Mussini, XIXe siècle, Musée des Augustins à Toulouse. Photo Pierre-Selim Huard.

Un spartiate montre un ilote ivre à son fils, par Ernest Azéma, 1901.
Musée Paul Valéry à Sète.

Monde hindou

Dans la conception hindoue de l’enchaînement des causes et des conséquences (le Karma), un bon comportement entraîne forcément une récompense, dans cette vie et/ou après la mort. 

Une éducation basée sur le respect des règles humaines et divines permet à celui qui en bénéficie d’obtenir un bon karma. Au contraire, celui qui enfreint les règles sera automatiquement puni par le destin. Nous allons le voir à travers le cas des deux héros ennemis Arjuna et Karna.

L’épopée du Mahabharata raconte comment deux groupes de cousins, les Kauravas et les Pandava,  se disputent un royaume. Après de nombreuses péripéties, une terrible bataille de 18 jours va désigner le clan qui possédera le royaume. 

Le clan des Pandava compte Arjuna, le héros parfait ; il a étudié les Ecritures autant que la pratique des armes et il se soumet à des austérités (prière, jeûne, méditation…). 

Le plus grand héros qui combat pour les Kauravas est Karna. Il a d’immenses mérites guerriers, mais il est jaloux et impulsif. Son père est le dieu soleil, mais sa mère l’a abandonné à sa naissance. Il a été recueilli par un charretier et n’a donc pas bénéficié d’une éducation poussée.  

Le dix-septième jour, après la mort de milliers de guerriers, chacun des deux héros veut tuer l’autre pour donner la victoire à son camp.

L’affrontement des deux héros, par Ramanarayanadatta astri.

Les fautes de Karna

Malgré son éducation dans une basse caste, l’origine divine de Karna se manifeste par ses incroyables qualités de guerrier, qui lui valent d’être accueilli comme un roi dans le clan des Kauravas. 

Au moment de livrer la bataille décisive contre Arjuna, il raconte à son cocher les deux malédictions qui pèsent sur lui et qui compromettent sa survie. 

La faute envers le maître

Pour qu’un grand maître d’armes accepte de le prendre comme élève, il s’est fait passer pour un fils de brahmane (la plus haute caste hindoue). Son maître lui a transmis tout son savoir et lui a même appris à faire apparaître une arme magique infaillible, en prononçant une formule secrète.

Un jour que le maître faisait la sieste, la tête posée sur les genoux de son élève, le dieu Indra (père et protecteur d’Arjuna) prit la forme d’un terrible scorpion et piqua Karna jusqu’à l’os. Pour ne pas réveiller son maître, Karna supporta la douleur sans bouger. 

À son réveil, le maître d’armes comprit ce qui s’est passé et devina que son élève n’était  pas un brahmane mais le fils d’un guerrier : seul un homme de cette caste pouvait supporter une telle douleur sans bouger. 

Karna avoua qu’il n’était pas fils de brahmane. En punition du mensonge, son maître le maudit en lui retirant le pouvoir d’utiliser l’arme magique : “Quand tu seras en danger de mort, tu oublieras la formule secrète.”

La faute envers un sage ermite

Un jour, en s’entraînant à l’arc, Karna a tué par erreur le veau d’un sage ermite dans une forêt. Refusant les immenses compensations que le héros lui offrait en implorant son pardon, l’ermite l’a maudit : “Puisque tu as tué un être innocent, la roue de ton char s’enfoncera dans la terre lors d’une importante bataille. (…) Tu subiras les conséquences de tes actes.”

 

L’accomplissement des malédictions

Quand Karna se voit menacé de près par Arjuna, il veut invoquer l’arme magique, mais sa mémoire ne retrouve plus la formule secrète. Il déclare :

“Selon les Ecritures, la Vertu protège le vertueux. J’ai essayé de la pratiquer au mieux de mes capacités. Maintenant, la Vertu semble m’abandonner !”

À ce moment, une roue de son char s’enfonce dans la terre, suivant la malédiction du sage ermite. Il descend de son char, mais malgré sa force surhumaine, il ne peut libérer la roue. Il crie à Arjuna qu’il est mal de frapper un ennemi sans défense, mais Arjuna le vise quand même. 

Devant Arjuna qui le vise, Karna tente de dégager la roue de son char,
par
Ramanarayanadatta astri.

Les mérites d’Arjuna

Tout en visant Karna avec son arc magique, Arjuna prie en rappelant ses mérites, parmi lesquels son éducation :

“Que cette flèche soit l’arme qui détruira le corps et le coeur de mon ennemi. Si jamais j’ai pratiqué des austérités, si j’ai satisfait mes précepteurs, si j’ai écouté ceux qui me voulaient du bien, que ce trait pointu longuement adoré par moi, détruise, par la vérité de mes paroles, cet ennemi, Karna !

La mort de Karna

Sur ces terribles paroles, Arjuna projette de toutes ses forces et avec la plus intense concentration, ce trait épouvantable, ardent et féroce, aussi efficace qu’un rite de vengeance. (…) La tête de Karna, splendide comme le soleil, tombe. (…) Du corps effondré de Karna jaillit une lumière qui s’élève dans les airs et illumine le ciel.” (Serge Demetrian)

Karna décapité par la flèche d’Arjuna, par Ramanarayanadatta astri.
La lumière qui sort du corps de Karna s’élève vers son père le dieu Soleil.

Si on compare le destin de Karna à celui d’Héraclès, on voit que la Grèce et l’Inde ont une façon très différente de mettre les individus devant leurs responsabilités. Dans le mythe grec, le jeune Héraclès bien que coupable d’un crime grave (tuer son professeur) est pardonné. Sa seule punition est d’arrêter ses études pour partir travailler comme berger.

Les fautes de Karna nous semblent légères (un mensonge sur ses origines sociales et une maladresse qui provoque la mort d’un animal), mais, bien longtemps après qu’il les a commises, il en mourra, vaincu par un héros vertueux. 

Le respect dû à ceux qui ont la connaissance

Aujourd’hui encore, les héros du Mahabharata sont connus de tous les jeunes Indiens, non seulement par les livres, mais aussi par les films, les bandes dessinées ou les jeux vidéo. Les malheurs de Karna montrent ce qu’il en coûte de ne pas respecter ceux qui ont la connaissance !

Le terme sanskrit “guru” (gourou), qui signifie enseignant, précepteur, maître, désigne un personnage éminemment respectable en Inde, tandis que nous en avons fait un terme péjoratif, en nous moquant du respect que les élèves ont pour leurs maîtres en Asie.

Les rapports entre le guru et le disciple (chela) sont ceux qui existent entre un patriarche et un enfant, ce dernier devant libérer son maître des tâches du quotidien (lessive, cuisine, ménage) en échange de l’enseignement qu’il reçoit.

Le guru Adi Shankaracharya donnant son enseignement à ses disciples, par Raja Ravi Varma, 1904. Tous ces hommes portent un voile sur la tête, en signe religieux.

Monde   chrétien

L’absence d’éducation savante de Jésus

Le seul événement de l’enfance de Jésus rapporté par un Évangile est sa prise de parole devant les prêtres du temple de Jérusalem, alors qu’il n’a que douze ans (Evangile de Luc, chapitre 2). 

Venus en pèlerinage à Jérusalem avec leur fils pour Pâques, Marie et Joseph repartent chez eux après la fête. Ils ne se rendent pas compte que Jésus est resté à Jérusalem, ils le croient avec d’autres membres du groupe. Au bout d’une journée de marche, ne le voyant pas parmi leurs amis et connaissances, ils reviennent à Jérusalem :

“Au bout de trois jours, ils le trouvèrent dans le temple, assis au milieu des docteurs, les écoutant et les interrogeant. Tous ceux qui l’entendaient étaient frappés de son intelligence et de ses réponses. Quand ses parents le virent, ils furent saisis d’étonnement, et sa mère lui dit : – Mon enfant, pourquoi as-tu agi ainsi avec nous ? Voici, ton père et moi, nous te cherchions avec angoisse. Il leur dit : – Pourquoi me cherchiez-vous ? Ne savez-vous pas que je dois m’occuper des affaires de mon Père ? Mais ils ne comprirent pas ce qu’il leur disait.”

Jésus au milieu des savants, par Quentin Metsys, vers 1510,
Musée d’art ancien de Lisbonne, Portugal.

Le récit de Luc inverse la situation traditionnelle de l’enfant héros qui écoute ses maîtres. Là, c’est l’enfant qui parle ; les maîtres l’écoutent et s’émerveillent de sa sagesse.

Constatant qu’il est ce que nous appelons un “enfant prodige” ou un “surdoué”, ils pourraient lui proposer de rester avec eux pour étudier, mais ils le laissent repartir dans son village. 

Le récit précise qu’ensuite, Jésus se comportera envers ses parents comme n’importe quel enfant :

Puis il partit avec eux pour rentrer à Nazareth, et il leur était soumis. Sa mère gardait toutes ces choses dans son cœur. Et Jésus croissait en sagesse, en stature, et en grâce, devant Dieu et devant les hommes.”

Saint Joseph charpentier, par Georges de La Tour, vers 1640. Musée du Louvre.

Détail de ce tableau qui souligne les origines modestes de Jésus et le soin avec lequel il aide son père dans son travail.

Cet épisode est la première affirmation publique de la mission de Jésus : enseigner au nom de son “père”, le dieu des Hébreux. Il n’a jamais reçu d’éducation savante, sa capacité à enseigner et interpréter la Loi des Hébreux en sera d’autant plus remarquable. Les Évangiles soulignent à plusieurs reprises l’étonnement que son enseignement suscite. Les croyants y voient une preuve de sa nature divine.

L’éducation religieuse de Marie

Les Évangiles retenus par l’Eglise ne nous parlent pas de l’enfance de Marie, mère de Jésus, mais de nombreux tableaux ou statues la représentent lisant les saintes Ecritures près de sa mère, sainte Anne.

Sur ce modèle, l’éducation des filles s’est longtemps bornée à la lecture de textes  religieux, avec, bien sûr, l’apprentissage des techniques nécessaires au bien-être de la famille (cuisine, ménage, filage, tissage, couture, broderie…)

L’éducation de la Vierge, par Bernard d’Agesci, 1816, Musée de Niort.

L’éducation de la Vierge, par Guido Reni, vers 1640, Musée de l’Ermitage à Saint-Pétersbourg. Dans cette représentation, Marie apprend la couture comme les autres jeunes filles. 

Quels savoirs transmettre ?

Je limite mon questionnement au rapport entre foi et sciences, qui influence encore le contenu des enseignements dans certains pays. 

Dès l’Antiquité, certains penseurs ont mis au point des méthodes d’observation de la réalité, sans se laisser arrêter par les représentations mythiques de la nature. 

Un seul exemple : au troisième siècle avant notre ère, alors que beaucoup croyaient encore que les astres sont des dieux, l’astronome et mathématicien grec Eratosthène a calculé la circonférence de la terre avec une faible marge d’erreur, en observant l’angle formé par les rayons du soleil en deux endroits différents de la terre et en mesurant la distance entre ces deux points. 

Dans tous les domaines scientifiques, des savants de l’Antiquité ont consigné leurs observations. Au Moyen-Âge, des savants juifs, musulmans ou chrétiens ont transmis ces connaissances  et les ont complétées par leurs propres études. 

Sans tenir compte des observations objectives, l’Eglise a décidé que la représentation du cosmos proposée dans l’Antiquité par le philosophe grec Aristote et l’astronome égyptien Claude Ptolémée était la seule valable. Grâce à l’approbation de l’Eglise, ce système qui plaçait la terre immobile au centre de l’univers s’est imposé jusqu’à la Renaissance.

La terre centre du cosmos, carte dessinée par Johannes van Loon, dans un livre d’Andreas Cellarius, 1660-61. 

Autour d’une terre énorme, gravitent les planètes du système solaire et le soleil lui-même, et tout à l’extérieur, les constellations du zodiaque. 

Science ou foi

Pendant des siècles, l’Eglise chrétienne a valorisé la transmission de la foi, au détriment des connaissances scientifiques. Chacun sait que, à cause d’une interprétation trop littérale de la Bible, l’Eglise catholique a combattu les sciences et persécuté ceux qui les pratiquaient  : 

– l’astronomie à la Renaissance, parce qu’elle ne plaçait plus la terre au centre de l’univers ; 

– la paléontologie au XIXe siècle, parce qu’elle prouvait l’existence des dinosaures, animaux qui ne sont pas mentionnés dans la Bible ; 

– la biologie évolutionniste fondée par Darwin au XIXe siècle, parce qu’elle niait la création de l’homme directement par le dieu des Hébreux et théorisait une lente évolution à partir d’un animal qui aboutit à l’homme moderne. 

Longtemps, il a semblé  impossible de concilier la foi et la science. Il fallait choisir entre croire à des révélations faites aux humains par une divinité ou découvrir la réalité du monde par l’observation scientifique. 

Science et foi

Et pourtant, de nombreux savants, internationalement reconnus pour leurs travaux scientifiques, étaient aussi des religieux. En conciliant foi et démarche d’observation, ils ont participé à établir des connaissances aujourd’hui présentes dans les manuels scolaires du monde entier. 

Je profite de l’occasion pour rendre un rapide hommage à quelques uns d’entre eux. 

Nicolas Copernic (1473-1543) était chanoine catholique de la cathédrale de Frombork en Pologne et astronome.

Il fut le premier à décrire correctement le système solaire, en montrant que la terre tourne autour du soleil et non l’inverse.

Nicolas Copernic, gravure de Johann Theodor de Bry, Thorvaldsen Museum, Copenhague, Danemark. 

Georges Lemaître (1894-1966) était chanoine catholique, mathématicien et physicien.

Sa théorie de “l’atome primitif” pose les bases de la théorie de la naissance de l’univers que les Américains ont appelée le “Big bang”.

Georges Lemaître vers 1930.

Henri Breuil (1877-1961) était prêtre et préhistorien. On lui doit notamment les premières études sur les peintures des grottes d’Altamira en Espagne et de Lascaux en Dordogne. 

L’abbé Henri Breuil sur un chantier de fouilles en 1954, photo Marcel Lefrancq.

Pierre Teilhard de Chardin (1881-1955) était prêtre, géologue et paléontologue. De tous ces savants croyants, il est celui qui a poussé le plus loin le désir de concilier foi et sciences, en publiant aussi des travaux de théologie. 

Le père Teilhard de Chardin en 1947, à un colloque de paléontologie, photo du site France Archives.

Pour quels élèves ?

Savoirs pour les riches, savoirs pour les pauvres

Jusqu’à l’instauration de l’instruction primaire obligatoire par Jules Ferry (1881), le savoir élaboré à destination des riches n’était pas le même que celui destiné aux pauvres. Les enfants riches avaient accès à des savoirs destinés à ouvrir leur esprit et développer leurs capacités de raisonnement (latin, grec, philosophie…). 

Les pauvres pouvaient seulement acquérir des connaissances pratiques, leur permettant d’exécuter un travail. 

Savoirs pour les garçons, savoirs pour les filles 

En 1861, à Lyon, Julie-Victoire Daubié devient la première française à obtenir le baccalauréat, à l’âge de 37 ans. Pour accomplir cet exploit, elle a étudié seule, car les lycées sont interdits aux filles, à cette époque. Pour le latin et le grec, matières obligatoires, elle a bénéficié de l’aide de son frère prêtre. 

De la même façon, les études supérieures étant fermées aux filles (mais pas les examens !), elle travaillera seule pour obtenir une licence en 1871. Tout en travaillant comme journaliste et entrepreneuse en broderie, elle aura une intense activité militante pour élargir l’horizon des femmes. 

Julie-Victoire Daubié

Un savoir laïque et scientifique

Aujourd’hui, en France, le contenu officiel de l’enseignement est laïque, mais, partout dans le monde, les fondamentalistes de toutes religions tentent de cacher aux élèves  les réalités observées par les chercheurs, en les supprimant des manuels scolaires pour les remplacer par leurs croyances !

Même l’épidémie du coronavirus ne fait pas comprendre l’intérêt de la science à ceux qui veulent absolument réunir des fidèles de leur religion pour des célébrations ! 

Quant aux filles des pays pauvres, elles sont encore loin d’accéder facilement à l’éducation.

Quels héros modèles d’enseignement pour aujourd’hui ?

Le besoin d’imitation

En Europe, depuis le  XVe siècle, le livre le plus imprimé après la Bible est “L’Imitation de Jésus-Christ”. Ce texte anonyme a été traduit dans toutes les langues, diffusé dans toutes les couches de la société et a exercé une profonde influence. Comme le titre l’indique, il propose tout simplement d’imiter les paroles et les actes de Jésus dans la vie quotidienne. 

Il est encore disponible en librairie mais j’ignore s’il a du succès…

Imitation et pédagogie

D’Aristote à René Girard, les philosophes se sont interrogés sur le désir d’imitation, qui est à la base des comportements propres aux humains. 

L’imitation d’un modèle est encore proposée aux jeunes enfants pour des techniques telles que l’écriture. Mais quel éducateur se risquerait à proposer aux adolescents un héros modèle à imiter ? Quel professeur des Beaux-Arts conseillerait de copier les grands maîtres ? 

Il me semble que seuls les héros des stades sont reconnus comme des êtres exceptionnels, mais le désir d’imitation qu’ils inspirent échappe au monde scolaire. 

Dommage peut-être pour les enseignants, qui sont ainsi privés d’une méthode de transmission efficace.

Dommage peut-être aussi pour les enseignés, qui en sont réduits à trouver par eux-mêmes des modèles. La grande majorité y arrive très bien, mais certains font de mauvais choix.

Zinedine Zidane et la coupe du monde de foot. Photo Flickr.

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