Les rituels : le sacrifice

Le mot sacrifice vient du latin “sacer facere”, ce qui veut dire “rendre sacré”. C’est “un don des hommes aux dieux, ce qui doit attirer la bénédiction divine, en vertu de la notion fondamentale qu’un don entraîne un contre-don.” (Dictionnaire critique de mythologie)

Cette pratique est inconnue chez les peuples australiens et d’Amérique du Nord, mais fréquente dans le reste du monde : on offre aux dieux des fleurs, de l’encens, de l’huile, du vin, du beurre fondu, des animaux ou des humains !

D’après le Dictionnaire critique de mythologie, les mythes sur l’origine des sacrifices sont rares, comme si cette action allait de soi, comme si elle n’avait pas besoin de se justifier.

Mythes

mythologie aztèque

Le sacrifice du dieu soleil

Je fais une rapide incursion dans la mythologie aztèque, car les sacrifices y sont très importants et leur origine est clairement expliquée. D’après cette représentation du monde, le soleil qui brille aujourd’hui a été précédé de quatre autres soleils, que des cataclysmes divers ont détruits, et l’humanité avec eux. Puis les dieux ont recréé le ciel et la terre. Mais une question se posait : quel dieu accepterait de devenir le nouveau soleil ?

Je laisse Fernand Comte (Larousse des mythologies) raconter la naissance de notre actuel soleil :

“Pour accomplir cette tâche, il faut se jeter dans le feu pour renaître en soleil. Tonatiuh essaie mais échoue et devient la lune. Le second est Nanahuatzin, un dieu malingre, le dernier de tous. Il se jette dans le feu sans hésitation et devient le Soleil. Mais, rendu prétentieux par son exploit, il n’accepte de commencer sa course que si les dieux se sacrifient pour lui. Soleil et Lune immobiles dégagent une chaleur insupportable. Les dieux sont bien obligés d’accepter. Quetzalcoatl arrache le coeur des autres dieux. Le Soleil commence sa course.

Les Aztèques font des sacrifices humains, parce qu’en reproduisant le sacrifice des dieux, ils permettent au soleil de continuer sa course. L’humanité présente est née des os des morts remontés des Enfers par Quetzalcoatl.”

On voit par ce récit que, dans la conception aztèque de l’univers, le sacrifice n’est pas simplement un cadeau pour les dieux : il répond à un besoin vital pour les dieux. Le sang humain leur procure l’énergie nécessaire à toutes les fonctions qu’ils exercent (donner la chaleur et la lumière pour le dieu soleil, faire tomber la pluie pour le dieu de la pluie, faire pousser le maïs pour le dieu du maïs etc). Sans la mort des victimes sacrificielles, les dieux ne pourraient plus exister et s’ils disparaissaient, l’univers disparaîtrait avec eux.

Sacrifice humain sur une pyramide aztèque, XVe siècle, Codex Magliabecchiano. Le prêtre offre au dieu le coeur palpitant arraché de la poitrine de la victime vivante, maintenue par un assistant.

Chez les peuples d’Amérique du Sud, les dieux ont donc tous droit à des sacrifices humains sauf Quetzalcoatl (dieu de la végétation), qui se porte très bien en recevant simplement des fleurs, de l’encens et du tabac.

mythologie hébraïque

Le sacrifice d’Abel et Caïn

Dans la Bible, dès le chapitre 4 de la Genèse, juste après qu’Adam et Eve aient été chassés du Paradis, le récit nous présente leurs deux fils en train de sacrifier une partie de leur production agricole en la brûlant pour l’envoyer auprès de leur dieu :

“Abel était berger, et Caïn était laboureur. Au bout de quelque temps, Caïn fit au Seigneur une offrande des fruits de la terre ; et Abel, de son côté, en fit une des premiers-nés de son troupeau et de leur graisse. Le Seigneur porta un regard favorable sur Abel et sur son offrande mais il ne porta pas un regard favorable sur Caïn et sur son offrande. Caïn fut très irrité, et son visage se ferma.”

Le berger est tellement vexé du refus de son dieu qu’il tue son frère ! (J’évoque ce point dans le thème “Violences en famille”. Sur Internet, les sites religieux ou non offrent de nombreuses interprétations du fait que le dieu d’Abel et Caïn n’accepte que le sacrifice sanglant et refuse l’offrande végétale.

Le sacrifice d’Abel et Caïn, gravure du XIXe siècle. L’acceptation du sacrifice est montrée par le fait que le feu qui brûle l’agneau d’Abel est vif et que le dieu se trouve au dessus, tandis que, en arrière plan, le refus se manifeste par la fumée qui ne s’élève pas sur l’autel de Caïn mais retourne vers le sol.

Le sacrifice d’Abraham

La Bible raconte (Livre de la Genèse, chapitre 22) que sur l’ordre de son dieu, Abraham partit avec son fils unique pour le sacrifier. Le récit ne précise pas quelle est la réaction psychologique d’Abraham à cette demande, il nous raconte simplement que le patriarche se met en route pour aller sur le lieu du sacrifice  :

“Lorsqu’ils furent arrivés au lieu que Dieu lui avait dit, Abraham y éleva un autel, et rangea le bois. Il lia son fils Isaac, et le mit sur l’autel, par-dessus le bois. Puis Abraham étendit la main, et prit le couteau, pour égorger son fils. Alors l’ange du Seigneur l’appela des cieux, et dit : – Abraham! Abraham! Et il répondit : – Me voici! L’ange dit : – N’avance pas ta main sur l’enfant, et ne lui fais rien ; car je sais maintenant que tu crains Dieu, et que tu ne m’as pas refusé ton fils, ton unique. Abraham leva les yeux, et vit derrière lui un bélier retenu dans un buisson par les cornes ; et Abraham alla prendre le bélier, et l’offrit en holocauste à la place de son fils.” (versets 9 à 13)



Le sacrifice d’Isaac, par Philippe de Champaigne, XVIIe siècle. Ce sacrifice peut être nommé d’après le nom du sacrificateur, Abraham, ou de la victime, Isaac. Mais c’est la même scène.

Dans ce récit, le dieu intervient à temps pour empêcher la mise à mort du fils du chef. (Alors que dans la mythologie grecque, comme on va le voir, le dieu suprême intervient après coup, pour ressusciter l’enfant Pélops et punir son père Tantale.)

Après l’intervention divine qui sauve Isaac, il ne devrait plus y avoir de sacrifice humain parmi les Hébreux, mais à l’occasion de l’épisode 40 du roman, dans le thème du sacrifice humain, nous verrons qu’il y en a eu un au moment de la conquête du pays de Canaan, celui de la fille de Jéthro.

Du bon usage du sang

La Bible contient énormément de textes se rapportant au sacrifice par égorgement et précisant l’usage qu’on doit faire des corps et du sang. Je ne cite qu’un exemple, livre de l’Exode (chapitre 29) un rituel de sanctification par le sang, ordonné à Moïse par son dieu lui-même :

“Tu prendras l’un des béliers, et Aaron et ses fils poseront leurs mains sur la tête du bélier. Tu égorgeras le bélier ; tu en prendras le sang, et tu le répandras sur l’autel tout autour.

Tu couperas le bélier par morceaux, tu laveras les entrailles et les jambes, que tu mettras sur les morceaux et sur sa tête.

Tu brûleras tout le bélier sur l’autel; c’est un holocauste à l’Éternel, c’est un sacrifice consumé par le feu, d’une agréable odeur à l’Éternel.

Tu prendras l’autre bélier, et Aaron et ses fils poseront leurs mains sur la tête du bélier.

Tu égorgeras le bélier; tu prendras de son sang, tu en mettras sur le lobe de l’oreille droite d’Aaron et sur le lobe de l’oreille droite de ses fils, sur le pouce de leur main droite et sur le gros orteil de leur pied droit, et tu répandras le sang sur l’autel tout autour.

 Tu prendras du sang qui sera sur l’autel et de l’huile d’onction, et tu en feras l’aspersion sur Aaron et sur ses vêtements, sur ses fils et sur leurs vêtements. Ainsi seront consacrés Aaron et ses vêtements, ses fils et leurs vêtements.”

Le bouc émissaire

Il y avait aussi un sacrifice sans égorgement : un bouc était envoyé mourir de faim et de soif dans le désert, comme l’explique le Lévitique, chapitre 16, versets 20 et suivants.

“Aaron posera ses deux mains sur la tête du bouc vivant, et il confessera sur lui toutes les iniquités des enfants d’Israël et toutes les transgressions par lesquelles ils ont péché ; il les mettra sur la tête du bouc, puis il le chassera dans le désert, à l’aide d’un homme qui aura cette charge. Le bouc emportera sur lui toutes leurs iniquités dans une terre désolée ; il sera chassé dans le désert.”

Ce rituel qui charge symboliquement les péchés de tout un groupe sur un seul être vivant mis à mort, est évoqué quand on parle de “bouc émissaire” pour désigner une personne persécutée, comme l’explique Wikipédia :

“Un bouc émissaire est un individu, un groupe, une organisation, etc., choisi pour endosser une responsabilité ou une faute pour laquelle il est, totalement ou partiellement, innocent. Le processus peut se mettre en place entre deux personnes (par ex., un employeur et son subalterne), entre des membres d’une même famille (par ex., un enfant pris pour bouc émissaire), entre les membres d’une organisation (par ex., les responsables d’une entreprise) ou à l’intérieur de tout autre groupe constitué. Outre cet aspect intragroupal, le phénomène peut également être intergroupal et s’observer alors entre des groupes différents (au sein d’un pays ou d’une société).”

Malheureusement, il y a souvent de nos jours des cas exposés dans la presse où, au sein d’une famille ou d’une classe, un enfant est persécuté jusqu’à la mort. De nombreux sites vous donneront des analyses psychologiques de ce comportement. L’article de Wikipédia sur le Bouc émissaire propose aussi des analyses de ce phénomène mythique et toujours d’actualité.

Le bouc émissaire mourant dans le désert, par William Holman Hunt, vers 1885.

Le refus des sacrifices aux autres dieux

Les peuples antiques avaient tendance à identifier les dieux des peuples voisins aux leurs et le concept de guerre de religion leur était étranger. Les Hébreux, qui vivaient parmi des peuples nommés Cananéens, Philistins, Amorrites, etc,  avaient aussi cette tendance, mais la classe des prêtres qui rédigea les livres de la Bible refusait vivement de rapprocher son dieu de tous les autres.

Salomon et ses femmes étrangères sacrifient aux idoles des païens, gravure du XIXe siècle. L’idole semble être une statue d’un homme assis en tailleur, accompagné d’un paon. Devant l’idole, une femme chante en jouant du tambourin. À droite, des harpistes jouent.

Au fil des livres de la Bible, les prophètes ne cessent de protester contre les Juifs qui se laissent aller à adorer les dieux des autres peuples. Les récits affirment que chaque fois que le culte des faux dieux se répand, le vrai dieu abandonne son peuple qui subit toutes sortes de malheurs de la part des peuples voisins, jusqu’à être déporté à Babylone, esclave des Assyriens. Deux rois en particulier sont dénoncés pour idolâtrie : Salomon puis son fils Jéroboam.

Le roi Jéroboam sacrifie aux dieux païens à Béthel, par Gerbrand van den Eeckhout, 1656, Musée de l’Ermitage. Au premier plan, des servants apportent des objets d’or qui vont être jetés dans le feu, un homme égorge un mouton. Derrière le roi, en haut d’une colonne, le veau d’or représente le dieu étranger.

Le dieu des Hébreux, lui, n’était absolument pas représenté en image.

mythologie grecque

Les récits mythologiques grecs contiennent d’innombrables offrandes aux dieux, mais je veux souligner que faire un don aux dieux dans l’espoir d’un contre-don demandait une réelle foi en ce que le dieu offrirait en retour. Comme dit l’adage, on sait ce qu’on perd, on ne sait pas ce qu’on va gagner ! Peut-être pour encourager les croyants à accepter de faire des sacrifices, les récits mythologiques montrent que les personnages qui refusent de sacrifier attirent le malheur sur eux.

L’agneau doré d’Atrée

Ainsi, le prince Atrée avait promis d’offrir son plus bel agneau à la déesse Artémis. Mais quand il chercha dans son troupeau, il trouva une merveille d’agneau qui avait une toison d’or. Au lieu de le tuer en l’honneur de la déesse, il l’offrit bien vivant à son épouse, et Artémis se contenta d’un agneau ordinaire. Je reparlerai de cet agneau à propos des violences familiales, lors de l’épisode 9 du roman et à propos du soleil, lors de l’épisode 20 du roman, mais en attendant, vous pouvez  trouver l’histoire sur internet, par exemple, sur Le Grenier de Clio…

Héraclès, lui seul, a réussi à vaincre le taureau indomptable qui ravageait la Crète.

Céramique antique, Musée du Louvre.

Le taureau de Minos

Minos, le roi de Crète, avait demandé à Poséidon dieu de la mer d’épargner les tempêtes à son île. En échange de cette protection, il avait promis de sacrifier ce que le dieu ferait surgir des flots. Et des flots surgit, envoyé par le dieu, un merveilleux taureau noir. Minos décida de le garder vivant pour féconder ses vaches (un premier exemple d’amélioration des races domestiques !) et tua à la place un taureau ordinaire. Poséidon se rendit compte de la supercherie et rendit fou le taureau qui se mit à ravager l’île, tuant les habitants et détruisant les récoltes : un bel exemple de don et de contre-don, mais en négatif ! 

Certaines cérémonies sont parfois très complexes et leur signification profonde nous échappe. Je ne donne qu’un exemple, extrait  du livre de Fernand Comte,  Larousse des mythologies du monde :

Une cérémonie en l’honneur de Zeus

La cérémonie s’appelle Bouphonies, elle a lieu au cours des fêtes appelées Dipolies.

« Des bœufs sont laissés en liberté : dès que l’un d’eux s’approche de l’orge ou du blé placés près de l’autel, un prêtre se précipite pour l’abattre à l’aide d’une hache. Puis l’animal est écorché, mangé et empaillé ; le mannequin est attelé à une charrue. La hache est accusée du meurtre, condamnée et jetée à la mer. »

Quelle que soit la mise en scène qui structure la cérémonie, le sacrifice comprend toujours la mise à mort d’un animal, inégalement partagé entre les dieux et les hommes, comme le justifie ce mythe sur l’origine du partage de la viande lors des sacrifices :

Le sacrifice malin de Prométhée

À l’origine des temps, les dieux exigeaient que les humains leur laissent la viande des animaux sacrifiés. Réduits à ronger les os, les humains avaient faim. Le titan Prométhée vint en aide aux hommes en invitant les dieux à un sacrifice ; il demanda à Zeus de choisir, entre les deux parts préparées par ses soins, celle qui reviendrait aux dieux et celle qui serait donnée aux hommes.  Zeus observa les deux parts et choisit celle dont la belle couche de graisse lui faisait espérer une viande tendre et savoureuse.

Mais Prométhée le rusé avait caché tous les os sous la graisse, tandis que la bonne viande était disposée sous la peau du boeuf, méprisée par Zeus. Comme un dieu ne peut revenir sur sa parole, depuis cet événement, les dieux reçoivent la graisse et les os et les hommes gardent la viande pour eux, sauf s’il s’agit d’un sacrifice spécial, un holocauste, dans lequel l’animal est entièrement brûlé.

Vous comprenez que Zeus n’était pas content de cette ruse ! Pour punir les hommes, il les priva de feu en ne lançant plus sa foudre. Les malheureux humains en étaient réduits à manger la viande crue, comme des animaux. Là encore, Prométhée intervint : il vola le feu du ciel et l’offrit aux hommes.

Prométhée enchaîné, par Jacob Jordaens, XVIIe siècle, Musée d’ Anvers.

Pour punir Prométhée, Zeus l’enchaîna sur le Caucase où un aigle venait lui dévorer le foie qui repoussait sans cesse puisque Prométhée était un titan immortel. (Heureusement, au cours de ses aventures, Héraclès passa par là, abattit l’aigle et délivra Prométhée.)

Mais les hommes reçurent une punition plus terrible encore. Zeus leur envoya Pandore, la première femme ! Et avec elle, toutes sortes de malheurs, comme je l’ai évoqué dans le thème “L’interdit et la transgression”en lien avec l’épisode 1 du roman. (Voir aussi thème “La création de la femme”, en lien avec l’épisode 7.)

Le sacrifice raté du fils de Tantale

Les récits antiques présentent Tantale comme un roi puissant, ami des dieux. Un jour, il invita les dieux à un banquet et leur offrit comme viande son propre fils Pélops coupé en morceaux et cuit dans un chaudron. Tous les dieux refusèrent cette offrande, sauf Déméter qui commença à manger l’épaule du garçon. Zeus ordonna à Hermès d’aller chercher le garçon dans le royaume des morts et de le rendre à la vie, avec une épaule façonnée dans de l’ivoire.

Tantale fut puni par Zeus : enchaîné dans le Tartare, l’endroit le plus affreux du royaume des morts, Tantale est soumis à un supplice qui l’empêche éternellement d’assouvir sa faim et sa soif : quand il veut manger les fruits d’un arbre, un coup de vent soulève la branche hors de sa main et quand il veut boire, l’eau du ruisseau s’écarte.

Des commentateurs estiment que ce récit d’un banquet cannibale est l’écho d’un sacrifice raté : le sacrifice du fils du chef était une réalité à une époque lointaine, puis les humains ont renoncé à cette pratique. Le supplice de Tantale serait la punition d’un chef qui n’a pas su trouver un substitut à son fils pour le sacrifice, et est resté dans l’ancienne coutume du fils offert en pâture aux dieux.

À la suite de ce sacrifice refusé, les mises à mort ne concerneront que des animaux… sauf si les dieux demandent un être humain, comme je l’évoque dans le thème “Le sacrifice humain”, en lien avec l’épisode 40.

Autres mythologies du bassin méditerranéen 

Egypte 

Les Egyptiens, comme les autres peuples de l’Antiquité, faisaient des offrandes de nourriture à leurs dieux (j’en donne un exemple dans le thème “Le pur et l’impur”).

Ci-dessus : Le pharaon Akénaton faisant une offrande au disque solaire. Musée  du Caire. 

Ci-contre : momie de chat, Musée du Louvre.

Le plus original dans ces pratiques, c’est que des offrandes d’animaux se faisaient sous forme d’animaux momifiés. 

On a retrouvé des millions de momies de chats, oiseaux, crocodiles ou même scarabés momifiés pour être offerts dans les temples. Je ne peux pas détailler cette particularité car je n’ai trouvé aucune information sur les conditions dans lesquelles ces animaux étaient élevés, mis à mort et momifiés.

Perse et empire romain

Le dieu Mithra

Le culte du dieu Mithra est né en Perse (actuel Iran) environ deux siècles avant notre ère et s’est épanoui dans l’Empire romain jusqu’à ce que l’empereur Théodose interdise tous les cultes autres que le culte chrétien, en 391. Il s’agissait d’une religion à mystères et ces mystères ont bien été respectés par les croyants ! Les récits mythiques qui fondaient cette religion ne nous sont pas parvenus, puisqu’ils étaient secrets, mais les archéologues les reconstituent à partir des peintures et sculptures retrouvées.

Mithra est né d’une pierre sacrée. Les bergers l’adorent dès sa naissance. Plus tard, il rencontre un taureau et le transporte sur son dos jusqu’à une grotte. Un corbeau envoyé par le dieu soleil lui demande de faire un sacrifice. Mithra dompte le taureau et le tue en lui enfonçant  un couteau dans le cou. Le sang qui coule devient du vin et des grains de blé sortent de la blessure. De sa semence naissent des animaux utiles aux hommes.

Le culte de Mithra promettait l’immortalité à ceux qui y participaient.

Le sacrifice du taureau par Mithra. Ce récit mythique montre bien qu’un don fait par les hommes (ou au nom des hommes puisque Mithra était un dieu) procure un contre-don, ici les céréales et le vin qui sortent de la blessure, produits de base de l’agriculture méditerranéenne encore aujourd’hui.

Proche orient  et empire romain

Cybèle la Grande Déesse

Né au proche Orient, le culte de la Grande Déesse Cybèle s’est propagé dans tout l’Empire romain aux alentours de notre ère et fut lui aussi éradiqué par les empereurs chrétiens. La cérémonie la plus spectaculaire était le sacrifice d’un taureau, qui permettait au fidèle de recevoir un baptême par le sang. Après la cérémonie, le fidèle purifié faisait sculpter un autel commémoratif. La plus grande collection au monde d’autels tauroboliques se trouve à Lectoure, dans le Gers, belle preuve de l’extension du culte de Cybèle ! Une collection importante se trouve aussi à Lyon, grand lieu du culte de Cybèle.

Une partie de la collection d’autels tauroboliques du Musée de Lectoure, Gers.

Vers la fin du IVe siècle, le poète chrétien Prudence fait une description très dramatique de ce rituel qu’il désapprouve vivement, car cette religion est directement en concurrence avec la religion chrétienne. Dans son témoignage, ce n’est pas le fidèle mais le grand prêtre de Cybèle qui descend dans une fosse creusée et couverte d’un plancher percé de trous. On fait avancer sur le plancher le taureau magnifiquement paré de feuilles d’or et de fleurs. Voici le texte cité par Wikipédia :

“Puis on lui déchire la poitrine à coups d’épieu sacré. La vaste blessure vomit un flot de sang brûlant ; sur les planches assemblées du pont où gît le taureau, elle déverse un torrent chaud et se répand en bouillonnant. Alors, à travers les mille fentes du bois, la rosée sanglante coule dans la fosse; le grand prêtre enfermé dans la fosse la reçoit; il présente la tête à toutes les gouttes qui tombent ; il y expose ses vêtements et tout son corps, qu’elles souillent. Il se penche en arrière pour que les gouttes touchent ses joues, ses oreilles, ses lèvres, son nez,il humidifie ses yeux avec le liquide, il ne protège pas une seule fois son palais (sa bouche), mais au contraire récupère le sang noir avec sa langue et le boit avec avidité.(…). Une fois que les prêtres ont retiré du plancher le cadavre exsangue et rigide, le pontife sort et s’avance, horrible à voir ; il étale aux regards sa tête humide, sa barbe alourdie, ses bandelettes mouillées, ses habits saturés…”

Le sacrifice du taureau dans la religion de Cybèle, gravure du XIXe siècle.

Proche orient  et empire romain

Les Romains étaient un peuple très pieux et consacraient beaucoup d’argent public ou privé à des cérémonies en l’honneur des dieux : leurs dieux traditionnels, les dieux grecs et les dieux du bassin méditerranéen qu’ils avaient adoptés : Mithra, Cybèle, Isis… De tous les animaux offerts en sacrifice, le plus prestigieux était le taureau.

Sacrifice romain d’un taureau, Musée du Louvre

Un rite nous est connu en détail, celui du triple sacrifice d’un taureau, d’un porc et d’un mouton, pour demander la protection du dieu Mars. Le Romain Caton l’Ancien a noté la prière qu’il fallait réciter à cette occasion, et que je cite d’après Wikipédia :

« Mars, notre père, je te supplie d’être favorable à moi, à ma maison et à mes gens ; c’est dans cette intention que j’ai fait promener une triple victime autour de mes champs, de mes terres et de mes biens, afin que tu en écartes, éloignes et détournes les maladies visibles et invisibles, la stérilité, la dévastation, les calamités et les intempéries : afin que tu fasses grandir et prospérer mes fruits, mes grains, mes vignes et mes arbres : afin que tu conserves la vigueur à mes bergers et à mes troupeaux, et que tu accordes santé et prospérité à moi, à ma maison et à mes gens. Aussi, pour purifier mes champs, mes terres et mes biens, et pour faire un sacrifice expiatoire, daigne agréer ces trois victimes que je vais immoler. Mars notre père, daigne agréer dans ce but ces trois jeunes victimes. »

La cérémonie comprenait aussi une offrande de pain.

monde chrétien

Contemporain à sa naissance des cultes de Mithra, de Cybèle et des dieux gréco- romains, le christianisme s’est constitué à partir d’un sacrifice original : un dieu est à la fois celui qui ordonne le sacrifice et celui qui le subit.

Il n’y a pas besoin de reproduire ce sacrifice car jamais ne se présentera une victime aussi pure, absolument parfaite ! La mémoire du sacrifice est assurée par un repas  symbolique : du vin pour représenter le sang de la victime, du pain pour représenter son corps. Le pain est partagé par les assistants, comme il est de tradition dans toutes les religions à sacrifices. Cette cérémonie se nomme Eucharistie ou Communion. 

Dans la tradition catholique, la première fois qu’un enfant participe à cette cérémonie donne lieu à une fête, et des “images de Première Communion” peuvent être offertes à l’entourage, en souvenir.

Une image de Communion, 1943.

Une image de Première communion, 1967.

Dans certains pays catholiques, le souvenir du sacrifice de Jésus se perpétue de manière réaliste, avec la flagellation volontaire de certains participants et/ou la reconstitution d’une crucifixion.

Reconstitution de la crucifixion aux Philippines, de nos jours.

Monde de l’inde

Le sacrifice est fondamental dans la religion hindouiste, puisque l’univers lui-même est né d’un sacrifice, comme je l’évoque dans le thème “Le pur et l’impur”. Mais la situation est compliquée, si j’en crois Catherine Clément, dans son livre Promenade avec les dieux de l’Inde : “300 millions de dieux en Inde ! Qui dit mieux ? Personne au monde. Nulle part on n’en trouvera autant.”

Le sacrifice est le moyen d’entrer en contact avec les dieux, mais il doit respecter des règles précises, qui varient selon le dieu, la saison, le moment du jour, la demande du croyant… Je cite quelques extraits du livre Mythes et dieux de l’Inde, d’Alain Daniélou :

“L’acte fondamental du sacrifice comprend quatre éléments indispensables : l’offrande, le feu, la parole et le geste. Le sacrifice est une technique. Son but et sa forme sont des éléments essentiels de son efficacité. (…) L’offrande du sacrifice varie selon la nature et le but du rituel, la divinité à laquelle le sacrifice est adressé et sa place dans le sacrifice universel. On emploie pour les oblations le blé et le riz, l’huile et le beurre, les boucs, les buffles, les hommes, le soma et le vin. Les sacrifices sanglants dans lesquels une ou plusieurs victimes sont mises à mort sont communs dans l’Inde. (…) Les sacrifices humains sont encore relativement fréquents bien qu’interdits par la loi moderne.”

La divinité la plus connue pour son goût des sacrifices sanglants est Kali. Je laisse le site Le Grenier de Clio nous la présenter :

“Kali est la représentation la plus terrifiante du panthéon hindou. Elle est représentée avec plusieurs bras, et le cou ceint d’une guirlande de crânes et la taille entourée d’avant-bras coupés. Elle a les yeux et la langue rouges et la peau noire.

Les dieux firent appel à elle car ils ne parvenaient pas à vaincre le démon Raktabija dont chaque goutte de sang qui tombait au sol donnait naissance à un nouveau démon. Lors de la bataille contre Raktabija, elle se servit de sa langue pour empêcher le sang du démon de tomber au sol.

Mais cela l’empoisonna et elle devint folle. Elle dansa frénétiquement, excitée par la chair des cadavres sous ses pieds, mettant en péril l’équilibre du monde.

Pour l’apaiser, Shiva se coucha sous ses pieds, ce qui arrêta la danse destructrice.”

Kali piétinant Shiva après avoir tué le démon. Chromolithographie de Ravi Varma, avant 1906.

Mythes et réalités d’aujourd’hui

Au delà des différences du temps et de l’espace, tous ces récits fondateurs (mythes) et les rituels qui les  actualisent montrent la profonde unité mentale des humains, qui réside en leur besoin de partage : partage entre humains et dieux, et partage entre humains.

En conclusion, je cite le Dictionnaire critique de mythologie, à propos de l’évolution du statut du sacrificateur, qui concerne plusieurs religions actuelles : “L’existence de cette fonction caractérise les religions à sacrifices : brahmanes hindous, druides celtiques, bonzes shintoïstes, prêtres catholiques et orthodoxes (actualisant le sacrifice du Christ par le sacrifice eucharistique, bien que le christianisme propose un renversement des sacrifices traditionnels puisqu’ici c’est la divinité qui se sacrifie pour les hommes). D’autres religions ont rompu avec le sacrifice : c’est le cas du judaïsme (depuis la destruction du temple de Jérusalem en 70 EC) du bouddhisme et du jaïnisme (qui ont remplacé les prêtres par des moines, le sacrifice par la prière et la méditation) et du protestantisme (qui a remplacé le sacerdoce par le pastorat et qui considère le sacrifice du Christ comme absolument unique). Enfin, d’autres religions ignorent cette pratique, à l’instar de l’Islam (…)”

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